Adhésion de la Croatie à l’Union européenne
Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité relatif à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne (nos 588, 582).
La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je salue à mon tour le président du Sabor, la diète croate, monsieur l’ambassadeur de Croatie ainsi que les membres de la délégation qui les accompagnent. Leur présence témoigne, s’il en était besoin, de l’intérêt qu’ils portent à nos débats et, surtout, de l’attention qu’ils portent à la relation entre nos deux pays. La Croatie est engagée depuis de nombreuses années dans un processus d’adhésion qui a fait l’objet d’un dialogue très approfondi avec les institutions de l’Union européenne.
Je saisis l’occasion qui m’est offerte par la discussion du traité d’adhésion pour rappeler les liens d’amitié qui unissent la France à la Croatie, pour dire la profondeur de ces liens, inscrits dans l’histoire longue de nos relations, enfin pour, au nom du Gouvernement, remercier la représentation nationale de l’intérêt qu’elle a manifesté pour ce débat, à la fois en commission et en séance plénière, où il s’est agi d’aller au bout des interrogations.
Mesdames et messieurs les députés, j’insisterai d’abord sur le contexte dans lequel s’inscrit ce débat. La Croatie, il y a vingt ans, combattait pour son indépendance et était confrontée à la guerre. Cette guerre, qui a affecté les Balkans, n’a pas épargné ses peuples. Ce fut une guerre cruelle au terme de laquelle il a été difficile de retrouver le chemin de la paix. Pourtant, aujourd’hui, dans cette partie des Balkans, la paix l’a emporté, les rapports entre les pays se sont apaisés, les relations entre voisins sont non seulement bonnes mais ont permis d’engager des coopérations très utiles dans de multiples domaines sur lesquels je reviendrai.
Il faut par conséquent voir dans le processus d’adhésion une manière de dire notre volonté que l’ensemble du continent européen connaisse durablement la paix, des relations, j’y insiste, apaisées, permettant de lancer des coopérations fructueuses. C’est pour nous également l’occasion d’affirmer que l’Europe est un extraordinaire moteur pour le développement d’un certain nombre de valeurs auxquelles nous croyons,…
M. Jean-Pierre Le Roch. Très juste !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …qu’il s’agisse de la démocratie, des droits de l’homme, de l’indépendance de la justice, de la lutte contre le crime organisé, de la résistance des États aux effets de la corruption dont on sait à quel point ils sont funestes pour les peuples. L’Europe, c’est l’ensemble des valeurs portées par le Conseil de l’Europe et dont nous sommes satisfaits, à la faveur de l’élargissement, qu’elles deviennent le patrimoine commun de l’Union européenne dans son ensemble et celui, plus largement, du continent.
Évoquer aujourd’hui dans cette enceinte le traité d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne, c’est une manière de saluer les efforts faits par ce pays sur le chemin de la démocratie, des droits de l’homme, du respect des minorités, autant de sujets sur lesquels nous avions un agenda européen déterminant les conditions de cette adhésion. Cet agenda a permis la réalisation de nombreux progrès que nous ne pouvons pas ne pas saluer.
J’insisterai ensuite sur la dimension plus juridique de la présente discussion. Vous allez débattre du traité d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne, de l’acte d’adhésion qui définit les conditions dans lesquelles ce processus de rapprochement de la Croatie et de l’Union européenne a été rendu possible. Je fais également référence aux neuf annexes, sans oublier le protocole, l’acte final et les quatre déclarations, autant de textes dont la portée juridique a fait l’objet d’un examen très attentif de la part de l’Assemblée.
Par son adhésion à l’Union européenne, la Croatie décide de faire siennes l’ensemble des règles qui régissent le fonctionnement de l’Union européenne, contenues dans le traité de l’Union européenne, dans le traité de fonctionnement de l’Union européenne, dans l’acte établissant la communauté EURATOM, règles également contenues dans les textes de droit dérivé qui, dans de multiples domaines, définissent le droit de la concurrence, le fonctionnement des institutions de l’Union, les dispositions multiples régissant le fonctionnement du marché intérieur. L’ensemble de ces normes de droit donne force et cohérence à l’Union européenne. Désormais, ces règles s’appliqueront à la Croatie comme elles s’appliquent déjà aux vingt-sept pays de l’Union européenne.
Bien entendu, pourront être définies, pendant une période transitoire, des adaptations qui, du reste, ont déjà fait l’objet d’un dialogue entre l’Union européenne et la Croatie. Je pense aux conditions, pour les ressortissants croates, d’accès au marché du travail, sans oublier les dispositions de Schengen ou celles relatives à l’union économique et monétaire, qui pourraient faire l’objet d’une deuxième phase d’approfondissement de nos relations : on sait les conditions d’unanimité qui président au franchissement de cette étape parlementaire au sein de l’Union européenne. Il existe enfin quelques dispositions transitoires relatives aux conditions de représentation de la Croatie au sein des institutions de l’Union ou des modalités de financement des politiques dont elle bénéficiera pleinement demain au terme du processus d’adhésion, lequel aboutira le 1er juillet prochain sous réserve de ratification du présent traité par l’ensemble des pays de l’Union.
J’insisterai sur un troisième point : au-delà de ce que signifie cette adhésion en termes de retour de la paix, de relations de voisinage apaisées, au-delà de la dimension juridique de la présente discussion, c’est dans le cadre de négociations que l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne a été rendue possible. Ces négociations ont été rigoureuses et exigeantes, comme c’est le cas pour chaque candidature à l’Union européenne.
Il est d’usage, les débats au Sénat l’ont rappelé, d’opposer l’approfondissement et l’élargissement de l’Union européenne. Les exigences de l’approfondissement, réelles, qui doivent constituer notre agenda, rendraient impossible voire dangereux l’élargissement. Nous avons certes besoin d’approfondir le fonctionnement de l’Union européenne dans le périmètre actuel. J’irai même plus loin : nous avons besoin d’approfondir le fonctionnement de la zone euro, sa gouvernance.
M. Jacques Myard. Vaste problème !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Si nous n’améliorons pas la gouvernance de la zone euro à dix-sept, nous ne parviendrons pas à maintenir l’intégrité du marché intérieur à vingt-sept, qui est sinon un espace de croissance, du moins un espace d’opportunité de croissance pour l’Europe confrontée à la crise.
C’est l’un des sujets sur lesquels l’Union européenne s’est penchée et continuera de se pencher dans le cadre de la feuille de route élaborée par Herman Van Rompuy : comment faire en sorte que nous puissions, à dix-sept, améliorer nos dispositifs de gouvernance afin de surmonter les difficultés auxquelles la monnaie unique se trouve confrontée ? Cela implique des réunions plus régulières des États de la zone euro, la mise en place, au sein de l’Eurogroupe, de dispositifs garantissant une plus grande permanence du pilotage de la zone euro, une plus grande efficience des solutions aux crises auxquelles elle est confrontée. Il s’agit par là d’assurer l’irréversibilité de la monnaie unique et l’intégrité de la zone euro comme des objectifs constants de l’agenda européen des dix-sept.
Reste que ce que nous faisons pour améliorer la gouvernance de la zone euro n’est en aucun cas antinomique par rapport à ce que nous pouvons faire en termes d’élargissement ou de fonctionnement du marché intérieur. Ce qui est bon pour la zone euro est bon pour le marché intérieur. Ce dernier, en effet, ne peut pas être un espace de croissance si la zone euro n’est pas bien organisée et pas bien gouvernée. Tout ce que nous faisons pour améliorer la gouvernance de la zone euro n’est pas exclusif de ce que nous pouvons et devons faire pour articuler les dix-sept et les vingt-sept. Par conséquent, ce que nous proposons en élargissant l’Union européenne et en accueillant en son sein des pays qui ont fourni les efforts nécessaires pour améliorer leur gouvernance, leur appareil judiciaire, la respiration démocratique de leurs institutions, ne s’oppose pas à l’approfondissement ; les deux processus doivent s’articuler.
La Croatie, je l’affirme devant le président du Sabor, devant l’ambassadeur de ce pays, a fait de considérables efforts que je vais rappeler. Nous avons vu les relations de voisinage, je l’évoquais tout à l’heure, progresser considérablement. Ainsi, sur la question de la baie de Piran, la décision d’avoir recours à une procédure arbitrale permettant l’apaisement des relations avec la Slovénie a été un élément non négligeable dans l’engagement d’un processus d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne du coup plus dynamique. L’Union européenne est très sensible aux coopérations qui se sont nouées en matière de justice, de sécurité, entre la Croatie et la Serbie. Nous ne pouvons pas ne pas observer avec attention l’accueil très positif réservé par la Croatie à la possible adhésion, demain, de la Serbie à l’Union européenne. Tout cela montre un apaisement profond des relations entre la Croatie et son voisinage, tout cela a rendu possible le processus d’adhésion.
J’insisterai par ailleurs sur les progrès réalisés en matière d’indépendance de la justice, de lutte contre le crime organisé, de lutte contre la corruption. Les conditions très exigeantes dans lesquelles nous avons ouvert le chapitre 23 de la négociation, relatif à la justice et aux droits fondamentaux, ont marqué la qualité du processus d’adhésion, la Croatie respectant chacune des étapes dans le cadre du dialogue entre la Commission, le Conseil et la Croatie elle-même.
Enfin, je veux aussi souligner à quel point la reconnaissance des droits des minorités par la Croatie a été un élément important du processus d’adhésion. Le fait que huit députés soient désormais en charge de la représentation des minorités au sein du Parlement croate et que des dispositions aient été prises au printemps 2011 pour permettre l’accès au marché du travail de ces minorités témoignent de la volonté de la Croatie d’ancrer durablement son avenir dans le progrès, le respect des valeurs démocratiques, et le principe de la séparation des pouvoirs. Sans l’ensemble de ces efforts, l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne n’aurait pas été possible. C’est parce que ces efforts ont été fournis et qu’ils ont été vérifiés de manière rigoureuse que ce processus d’adhésion est désormais souhaité par l’Union européenne et par la France avec autant de force qu’il l’a été par la Croatie au cours de ces dernières années.
Je soulignerai pour conclure deux points. Premièrement, ce processus d’adhésion a contribué à renforcer considérablement les relations entre la Croatie et la France. Nous ne pouvons manquer de nous réjouir ensemble de la qualité des relations économiques entre nos deux pays : la France représente aujourd’hui plus de 8 % des investissements réalisés par l’Union européenne en Croatie. Des entreprises françaises – et non les moindres – ont été retenues par la Croatie pour investir dans des secteurs stratégiques. Je pense notamment à l’aéroport de Zagreb et aux autoroutes d’Istrie, pour la construction ou la modernisation desquelles des entreprises françaises importantes ont été mobilisées.
Je ne peux non plus passer sous silence la qualité des relations culturelles entre nos deux pays. Cette année sera extrêmement riche et dense en événements culturels franco-croates. Nous avons ouvert le Festival de la Croatie en France au début de l’automne, en présence du Président de la République de Croatie et du Président de la République française. La culture croate, ses créateurs et ses artistes s’exposent au palais de Tokyo, au centre Georges-Pompidou, à la Comédie-Française, dans de nombreux lieux du spectacle vivant et dans de nombreux musées français. Nous découvrons ainsi une grande partie de ce qu’est l’art croate.
M. Jacques Myard. Ce sont quand même les inventeurs de la cravate !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je veux dire la très grande fierté que tire la France de la qualité de ces relations culturelles, qui se sont développées à la faveur du processus d’adhésion.
Enfin, j’insisterai sur la nécessité de maintenir, au cours des négociations à venir, le niveau d’exigence et de rigueur attaché jusqu’ici au processus d’adhésion. L’élargissement ne peut se faire sans cette rigueur, sans cette exigence, sans cette attention portée au respect de chaque étape de la négociation par les pays qui prétendent intégrer l’Union européenne.
M. Pierre Lellouche. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Telle est l’exigence de la France, rappelée au Conseil européen lorsqu’il s’est agi d’examiner les conditions dans lesquelles nous entamerons le dialogue avec le Monténégro, le Kosovo et la Serbie. Cette méthode continuera à nous inspirer dans l’avenir.
Je vous demande donc d’approuver les textes qui vous sont présentés aujourd’hui le plus largement possible, voire unanimement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UDI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philip Cordery, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
M. Philip Cordery, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue à mon tour M. le président de la Diète croate et M. l’ambassadeur de Croatie. Leur présence montre à quel point les liens d’amitié entre nos deux pays sont étroits.
Dix-sept ans après la fin de la sanglante guerre de Croatie, j’ai le plaisir, aujourd’hui, de vous proposer de ratifier le traité d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne. L’attribution, l’an passé, du prix Nobel de la paix à l’Union européenne nous rappelle notre objectif, notre engagement politique de consolider la paix en conservant l’ouverture qui caractérise le projet européen.
C’est en juin 1999 que l’Union européenne a lancé le processus de stabilisation et d’association, qui est le cadre d’une politique ambitieuse et à long terme vis-à-vis des pays des Balkans occidentaux. La vocation européenne de ces pays a été reconnue au Conseil européen de Zagreb en 2000, sous présidence française, et a été régulièrement réaffirmée depuis. L’entrée de la Croatie dans l’Union européenne ne peut donc être appréhendée de façon isolée : elle inaugure l’extension de l’Union européenne aux Balkans occidentaux, dont tous les pays ont vocation à la rejoindre.
Le fait que l’élargissement aux Balkans occidentaux aille dans le sens de l’histoire ne rend pas pour autant automatique l’intégration de ces pays. Forte de l’expérience retirée des précédents élargissements et consciente des difficultés qu’elle affronte, l’Union européenne a renforcé la qualité et la rigueur du suivi du processus de négociation.
Au cours des négociations avec la Croatie, d’importants efforts ont été réalisés pour assurer une préparation optimale et prévenir les difficultés rencontrées lors des précédents élargissements. Cela confère à cette adhésion un caractère exemplaire pour les adhésions futures.
D’une part, le processus de négociation pour la Croatie fut plus exigeant que celui appliqué lors des élargissements de 2004 et 2007, du fait de l’augmentation du nombre de chapitres de l’acquis communautaire. D’autre part, l’Union européenne a fait preuve d’une grande fermeté sur certains dossiers, par exemple en matière de sécurité, de transports ou de contrôles vétérinaires, pour lesquels elle a refusé toute dérogation. La Croatie a aussi dû procéder à des investissements importants pour sécuriser les futures frontières extérieures de l’Union européenne.
Le contenu du traité d’adhésion, s’agissant de l’intégration de l’acquis communautaire, est tout à fait satisfaisant. Peu d’exemptions sont prévues, alors que figurent des clauses de sauvegarde et deux périodes transitoires introduites à la demande de l’Union européenne. L’une d’elles, dont M. le ministre a déjà parlé, restreint l’accès au marché du travail des salariés croates. À ce jour, la France n’a pas fait connaître sa position quant à la durée de cette période transitoire. Pourriez-vous nous éclairer, monsieur le ministre, quant aux intentions du Gouvernement à ce sujet ?
Sur les autres aspects du traité, notamment institutionnels et budgétaires, l’intervention de M. le ministre a été exhaustive : je n’y reviendrai pas.
Enfin, toujours dans le souci de renforcer la qualité du processus d’adhésion, un mécanisme spécifique de suivi renforcé, qui fait le lien entre les négociations et l’adhésion, a été introduit suite à une initiative conjointe franco-allemande. Il porte une attention toute particulière aux questions de justice et de droits fondamentaux, ainsi qu’à la restructuration des chantiers navals, sans pour autant s’y limiter. Il permet à la Commission d’évaluer, chapitre par chapitre, le respect des engagements pris au cours des négociations d’adhésion, et d’en référer au Conseil. Des modalités spécifiques pour l’adhésion de la Croatie à l’espace Schengen ont également été agréées dans le cadre de ce mécanisme de suivi renforcé.
Dans son dernier rapport, remis le 10 octobre 2012 dans le cadre de ce processus de suivi renforcé, la Commission a souligné le fait que l’alignement croate est désormais quasi complet, tout en identifiant les domaines dans lesquels des efforts restent nécessaires d’ici au 1er juillet 2013, et en établissant à cet effet une liste de dix actions. Le rapport de suivi que la Commission remettra au printemps prochain – qui, en théorie, doit être le dernier avant l’adhésion – se concentrera sur ces dix actions. Le 11 décembre dernier, les 27 États membres se sont félicités d’accueillir bientôt la Croatie au sein de l’Union européenne, ont pris note des progrès et ont appelé à poursuivre ces efforts.
La Croatie devrait donc présenter un niveau de préparation très satisfaisant à la date du 1er juillet prochain. Elle pourra dès son adhésion consolider et développer son poids en Europe. Il faut rappeler que l’économie croate est d’ores et déjà étroitement liée à celle de l’Union européenne, qui représente 60 % de ses échanges commerciaux, et que son PIB par habitant a atteint 61 % de la moyenne de l’Union européenne, dépassant ainsi plusieurs nouveaux États membres.
J’insisterai plus particulièrement sur les aspects politiques. La Croatie est un pays profondément européen, qui voit dans l’Union européenne la possibilité de consolider la paix, la liberté et la prospérité sur le continent, et à ce titre souhaite son renforcement. Pour la Croatie, le chemin ne s’arrête pas le jour de l’adhésion : il faut le souligner. Nous accueillons un État convaincu de la nécessité de faire progresser l’Union européenne, qui manifeste un intérêt prononcé pour développer des solutions nouvelles et construire des politiques communes. C’est évident en matière de politique de voisinage, et plus largement de politique étrangère. Ça l’est aussi en termes d’évolution vers une architecture différenciée qui permettra plus d’Europe et mieux d’Europe.
Concernant la politique étrangère européenne, la Croatie s’est déjà fortement investie. Elle a acquis une grande expérience des situations post-conflit et de renforcement des institutions. Il est intéressant de souligner que dans le cadre des négociations relatives aux chapitres « Relations extérieures » et « PESD », la Croatie s’est engagée à reprendre l’intégralité de l’acquis, sans exemption, et à s’aligner sur les stratégies et actions communes de la PESC. Elle est évidemment très investie sur les questions relatives à son voisinage immédiat. La déclaration du Parlement croate d’octobre 2011 relative à la promotion des valeurs européennes dans l’Europe du Sud-est a confirmé son engagement à soutenir les autres pays de la région dans leur cheminement vers l’Union européenne. La Croatie a par ailleurs continué à coopérer dans les affaires de crimes de guerre et contribue toujours activement au processus de la déclaration de Sarajevo afin de parvenir à une solution durable pour tous les réfugiés de la région.
Je dirai quelques mots des relations bilatérales que la Croatie entretient avec ses voisins. Elles sont globalement très bonnes. L’adhésion de la Croatie à l’Union européenne aura d’ailleurs des conséquences importantes sur le plan économique, puisqu’elle quittera l’accord de libre-échange d’Europe centrale. Elle aura aussi des conséquences géopolitiques, du fait de l’accès à la mer de la Bosnie-Herzégovine, qui coupe le territoire croate sur une dizaine de kilomètres.
Il existe également des difficultés récurrentes avec la Slovénie. Un différend bancaire bilatéral né à la suite de l’effondrement de la Fédération yougoslave menace à l’heure actuelle le processus de ratification en Slovénie. L’élection à la présidence de la République de Slovénie de M. Pahor, qui avait permis le déblocage du dossier du différend frontalier sur la baie de Piran, est un signe positif. À ce jour, toutefois, la Slovénie demeure le seul pays à ne pas avoir engagé un processus de ratification du traité d’adhésion de la Croatie. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer si des progrès ont été réalisés à ce sujet, au moins pour que ce différend soit traité indépendamment de l’adhésion ?
Concernant la poursuite de l’approfondissement, la Croatie est disposée à concéder des transferts de souveraineté et voit d’un bon œil les efforts déployés pour renforcer l’Union européenne, y compris par une intégration plus poussée de l’union économique et monétaire. À cet égard, la Croatie a fait part de sa volonté de participer à l’exercice du semestre européen 2013 avant même sa pleine adhésion. Elle prépare déjà son entrée dans la zone euro, espérant être prête d’ici cinq à six ans, et escompte également être rapidement prête à intégrer l’espace Schengen.
Sur de nombreux dossiers, nous partageons une vision commune. Je suis persuadé que nos relations bilatérales se renforceront encore avec l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne. Nos relations politiques se sont déjà fortement densifiées, comme l’a démontré la récente visite du Président Ivo Josipovic au Président de la République, François Hollande. Notre partenariat stratégique, signé en juillet 2010, a permis à la France d’aider la Croatie à mieux se préparer à son adhésion prochaine à l’Union européenne, notamment pour les questions relatives au renforcement des institutions. Il permettra de poursuivre notre appui aux capacités administratives croates au-delà de l’adhésion, et de développer encore plus notre coopération économique et culturelle. L’organisation de la saison culturelle croate en France « Croatie, la voici » a d’ailleurs été un beau succès.
Dans le cadre de l’Union européenne, au-delà des grandes réformes institutionnelles qui nous attendent, l’amélioration du marché intérieur et le renforcement du modèle social européen sont des priorités partagées par le président du gouvernement croate, Zoran Milanovic, et notre gouvernement.
À cet égard, l’élargissement ne doit pas se confondre, comme on l’entend, malheureusement, trop souvent, avec une dissolution du projet politique au profit de la généralisation d’une économie libérale porteuse de moins-disant social et de délocalisations.
M. Thierry Mariani. C’est le cas !
M. Philip Cordery, rapporteur. L’ouverture n’est pas un renoncement, bien au contraire. L’élargissement, c’est la poursuite du projet de solidarité entre les peuples européens qui permettra, avec la réorientation initiée par le Président de la République, de consolider l’espace social, d’harmoniser les politiques et les niveaux de vie et, si l’on parvient à sortir de cette période d’ajustements brutaux, de construire une Europe unie et solidaire.
Pour conclure, mes chers collègues, en réussissant à intégrer l’Union après un processus de négociation particulièrement rigoureux, la Croatie prouve aux autres États désireux d’intégrer l’Union que le projet européen demeure inclusif. La Croatie a procédé à la ratification du traité par voie référendaire le 22 janvier 2012. À ce jour, vingt États membres ont procédé à cette ratification. Je vous propose aujourd’hui d’adopter le projet de loi approuvé hier par la commission des affaires étrangères, afin que la France devienne le vingt et unième. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à saluer la délégation du Parlement croate conduite par son président, M. Josip Leko. Je me félicite, monsieur le président, que vous soyez présent avec votre délégation pour assister à notre débat.
Nous devons nous réjouir de l’adhésion prochaine de la Croatie à l’Union européenne. L’élargissement de l’Union européenne aux États issus, comme le vôtre, de l’éclatement de la Fédération yougoslave, va dans le sens de l’histoire, comme M. le ministre vient de le rappeler. Il y a désormais plus de vingt ans que la Slovénie et la Croatie ont déclaré leur indépendance. J’en ai un souvenir personnel, puisque j’exerçais à l’époque les fonctions de ministre déléguée aux questions européennes auprès de François Mitterrand.
Après la Slovénie, la Croatie est le second État des Balkans occidentaux à intégrer l’Union européenne. La Serbie, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, tous ont vocation à rejoindre l’Union européenne en temps voulu. Avec le début de ce processus, nous vivons, je le crois, aujourd’hui un moment historique.
Hier, la commission des affaires étrangères a adopté à l’unanimité le projet de loi après son adoption, la veille, par le Sénat. Lorsque l’Assemblée en aura fait autant, je l’espère à l’unanimité, la France deviendra le vingt et unième État à approuver l’entrée de la Croatie le 1er juillet prochain.
Le processus de stabilisation et d’association avec l’Union européenne, lancé en juin 1999, se fondait sur trois éléments. Le premier était l’idée qu’une perspective européenne crédible serait le meilleur levier pour inciter ces pays à réaliser les réformes politiques et économiques nécessaires. Le second était la nécessité que les États des Balkans occidentaux établissent entre eux des relations normales afin de contribuer à la stabilité politique et économique de la région. Le dernier était le désir d’adopter une approche fondée sur des éléments communs – conditions économiques et politiques précisément définies dans l’accord – tout en permettant à chaque pays de progresser à son rythme et selon ses mérites propres dans son processus de rapprochement avec l’Union européenne. J’ajouterai, car c’est essentiel, que les pays des Balkans occidentaux se sont engagés dans une pleine coopération avec le Tribunal pénal international, condition préalable pour le lancement des négociations d’adhésion.
Au cours des négociations, la Croatie s’est engagée à entretenir de bonnes relations avec ses voisins balkaniques et à favoriser, à terme, leur adhésion à l’Union européenne. Cela a été confirmé par la déclaration du Parlement croate d’octobre 2011 relative à la promotion des valeurs européennes dans l’Europe du sud-est, comme en témoigne le soutien apporté aux candidatures monténégrine et serbe. Les relations de voisinage sont globalement bonnes même si, nous le savons, des différends subsistent, notamment avec la Serbie, la Bosnie-Herzégovine et la Slovénie.
Le processus de réconciliation avec la Serbie se poursuit, concernant, notamment, la question sensible des réfugiés, et les gestes symboliques mémoriels se multiplient. La Croatie a reconnu l’indépendance du Kosovo dès mars 2008 et soutient le dialogue entre Belgrade et Pristina. La Croatie entretient des relations que je qualifierai de prudentes avec son voisin bosniaque. Elle a par ailleurs, continué à coopérer dans les affaires de crimes de guerre aux niveaux bilatéral et régional. Depuis l’alternance démocratique de janvier 2000, suite au décès du président Tudjman, la Croatie a poursuivi une politique de coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et reconnu sa compétence pour les « crimes de guerre commis pendant et après les opérations Éclair et Tempête ». Aucune difficulté n’est à signaler avec l’Albanie, la République de Macédoine et le Monténégro. Il est en revanche vrai, que les contentieux avec la Slovénie ont freiné les négociations d’adhésion et un différend bancaire bilatéral menace encore le processus de ratification du traité d’adhésion par la Slovénie, seul pays à ne pas avoir encore commencé ce processus. Le nouveau président slovène semble disposé à aboutir à un règlement, ce dont il faut se réjouir, mais l’éventuelle tenue d’élections législatives anticipées rend incertaine la possibilité pour le Parlement slovène de ratifier le traité avant le 1er juillet, ce qui serait à nos yeux tout à fait dommageable dès lors que la Croatie sera prête à intégrer l’Union européenne à cette date.
Le rapporteur a, en effet, rappelé il y a un instant que cet élargissement est le fruit de négociations particulièrement rigoureuses et qui ont été suivies par notre commission et par la commission des affaires européennes, représentée ici par sa présidente. Le nombre de chapitres a été augmenté, les critères ont été strictement mis en œuvre et les exemptions dans l’application de l’acquis très limitées. Un processus de suivi post-clôture des négociations a aussi été mis en œuvre dont tout le monde reconnaît aujourd’hui l’utilité. Il était notamment essentiel de tirer les enseignements de la création du mécanisme de coopération et de vérification pour la Bulgarie et la Roumanie.
Comme l’ont souligné les ministres des affaires étrangères de l’Union le 11 décembre dernier, la Croatie répond quasiment à toutes les exigences fixées. Le prochain rapport de la Commission au printemps portera essentiellement sur les progrès réalisés quant aux dix actions identifiées dans son dernier rapport concernant notamment la restructuration des chantiers navals et les questions de justice, de droits fondamentaux et de lutte contre la corruption. Je sais que les autorités croates s’attachent à répondre dans les délais en conduisant les ultimes aménagements requis par la Commission.
Les nouveaux outils mis en place pour garantir une préparation optimale avant l’adhésion attestent cette exigence de qualité qui crédibilise le processus d’élargissement, garantit à la Croatie qu’elle aura toute sa place au sein de l’Union dès son adhésion et offre une perspective crédible aux autres États des Balkans désireux de rejoindre l’Union européenne.
Je veux aussi souligner que ce processus de qualité tient, d’abord et avant tout, aux efforts considérables de la Croatie et des Croates pour atteindre un degré de préparation remarquable. Je trouve à cet égard, que l’on salue trop peu les profondes réformes que les États candidats mettent en œuvre, au plan légal, mais aussi dans l’application effective de la réglementation dans les domaines les plus variés, pour se hisser au niveau des standards de l’Union européenne. Peut-on imaginer ce que cela signifie d’absorber un acquis communautaire toujours plus étoffé et toujours plus exigeant ? Peu de dispositions transitoires sont d’ailleurs prévues dans l’acte d’adhésion. Or ces efforts ont été conduits dans un contexte économique particulièrement difficile.
La volonté et le courage dont font preuve les États candidats à l’adhésion pendant le long processus de négociation afin de réunir les conditions posées pour leur intégration révèlent aussi, comme M. le ministre l’a souligné, qu’en dépit de la crise qui secoue l’Union européenne en général et la zone euro en particulier, le projet européen exerce encore une formidable attraction et qu’il est porteur d’espoir. Il est en effet le creuset d’un continent pacifié et prospère. Un continent pacifié d’abord, la Croatie est le premier État issu de l’ex-Yougoslavie qui ait eu à connaître un conflit armé d’ampleur dans les guerres qui ont déchiré les Balkans et dont l’Europe porte le traumatisme. La vocation de paix du projet politique européen est renouvelée par cet élargissement et prend un sens tout particulier.
Un continent prospère aussi. La crise actuelle est initialement une crise financière et une crise de l’endettement privé, puis public. Elle ne doit pas masquer le fait que l’Union européenne demeure une grande économie – la première au monde – et il nous faut convaincre les citoyens qu’elle peut répondre au défi de la mondialisation. L’élargissement, c’est la consolidation de la place de l’Europe dans l’économie mondiale et de sa prétention à jouer un rôle de premier plan face aux autres grandes économies. Ensemble, en effet, nous serons plus forts.
Naturellement, nous savons très bien que l’élargissement doit aller de pair avec la poursuite de l’approfondissement pour que l’Europe tienne son rang et continue d’incarner une solution d’avenir. Ce nouvel élargissement doit être l’occasion d’insister sur la nécessité d’approfondir d’avantage l’intégration européenne et de parvenir à un processus décisionnel efficient.
J’ai pu mesurer, au cours de mes rencontres avec les autorités croates – le ministre des affaires étrangères, le Président de la République lors de sa venue à Paris en octobre dernier – à quel point elles ne voient pas dans l’adhésion la fin d’un processus, mais le début d’une participation pleine et entière à la conduite de projets communs et à la réflexion sur l’avenir de l’Union aujourd’hui commencée.
Élargissement et approfondissement ne sont pas incompatibles, bien au contraire. L’un et l’autre peuvent se renforcer mutuellement, pourvu que la volonté politique soit là. Nous avons besoin d’une grande Europe, comme nous avons besoin d’une zone euro renforcée et rééquilibrée. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur la nécessité de repenser l’architecture de l’Union européenne. Il convient à mon sens d’aller vers une différenciation accrue. Il faut permettre aux États qui le souhaitent d’aller plus avant dans l’intégration et la conduite de projets communs. C’est d’ailleurs une nécessité s’agissant de la consolidation de l’union économique et monétaire. Celle-ci doit rester ouverte, à mes yeux non obligatoire, à ceux qui veulent et qui peuvent y adhérer. La différenciation accrue nous permettra aussi de maintenir l’Union européenne ouverte aux États désireux de l’intégrer.
Je conclurai, madame la présidente, en disant que l’euro et la création de l’espace Schengen, depuis plus de vingt ans, presque trente ans concernant l’espace Schengen, sont les premières formes de coopération renforcée et sont le fruit d’une telle méthode. Je note avec une grande satisfaction que la Croatie souhaite participer à ces deux ensembles, même si, naturellement, elle ne remplit pas encore les conditions requises. Je souhaite à cet égard que la France soit présente aux côtés de la Croatie pour préparer ces nouvelles échéances, comme elle le fut pendant toute la préparation à l’adhésion. Pour l’heure, il s’agit de donner notre accord à l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne dans les conditions prévues par le traité d’adhésion. Nous espérons que les incertitudes relatives à l’achèvement des processus de ratification seront rapidement levées et que nous pourrons accueillir la Croatie le 1er juillet prochain. Je suis convaincue que la Croatie contribuera, avec la France, à forger une Europe plus forte. Je vous invite, mes chers collègues à adopter, je l’espère à l’unanimité, ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes.
Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le président du Sabor, monsieur l’ambassadeur de Croatie, mes chers collègues, je suis ravie que nous soyons réunis pour, après le Sénat, étudier et, je l’espère, ratifier l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne.
Plusieurs fois dans notre histoire européenne, le terme « Balkans » a été synonyme de guerre, de 1914 au conflit dit de l’ex-Yougoslavie encore bien présent dans nos mémoires. Chaque fois, les populations civiles ont payé le prix fort. Aussi l’arrivée, après la Slovénie, de la Croatie dans l’Union européenne rappelle à tous que l’Europe n’est pas qu’une union d’intérêts économiques mais d’abord un symbole fort, consacré par le prix Nobel, celui de la construction de la paix.
Le chemin parcouru par la Croatie a été long et jalonné de réformes importantes ; l’exposé de M. le ministre ainsi que ceux de M. le rapporteur et de Mme la présidente de la commission des affaires étrangères l’ont bien montré.
La commission des affaires européennes y est attentive depuis le début des négociations d’adhésion, en octobre 2005. Une délégation conjointe de notre commission et du Bundestag s’était d’ailleurs rendue en Croatie pour travailler sur cette adhésion. Nous nous apprêtons à faire de même à Belgrade, où nous nous rendrons avec le Bundestag au mois d’avril. Notre commission a proposé une résolution, adoptée par l’Assemblée en décembre 2011, pour soutenir fermement cette adhésion. Et les Croates sont partants : lors d’une consultation menée en janvier 2012, 67 % des votants ont manifesté leur désir de nous rejoindre.
La ministre des affaires étrangères et européennes de Croatie, que nous avons reçue en septembre dernier, a fait valoir les mesures économiques prises par son pays pour se conformer aux standards européens. Elle a également souligné les efforts de lutte contre la corruption, y compris au plus haut niveau, qui donnent de réels résultats.
Par ailleurs, dans la communication de la Commission transmise au Parlement européen en octobre dernier, nous avons relevé les constatations suivantes.
La Croatie continue de remplir les critères politiques. Les efforts dans le domaine de la justice, visant à renforcer l’indépendance, la responsabilité et l’impartialité, se poursuivent.
En matière de critères économiques, le secteur bancaire conserve une bonne capitalisation et les autorités se sont efforcées d’endiguer la hausse du déficit.
Concernant les obligations découlant de l’adhésion, en particulier dans les secteurs auxquels il convient d’accorder une attention particulière, conformément à l’article 36 du pacte d’adhésion, la Croatie respecte dans l’ensemble ses engagements dans le domaine de la politique de concurrence. Même constat dans le domaine du pouvoir judiciaire et des droits fondamentaux, même si des efforts supplémentaires sont nécessaires pour continuer à renforcer l’État de droit. Surtout, une attention particulière continue d’être portée à la circulation aux frontières, à l’intégration des groupes de migrants les plus vulnérables et à la lutte contre la traite des êtres humains.
La Commission a donc dressé une liste de dix actions spécifiques à mener, que votre rapporteur a bien ciblées. Dans ses conclusions du 11 décembre 2012 sur la stratégie d’élargissement, le Conseil porte une appréciation très positive sur le degré de préparation de la Croatie et lui a demandé de répondre à ces dernières recommandations. Nul doute qu’elle aura à cœur de procéder à ces derniers ajustements.
À compter de son adhésion à l’Union européenne, la Croatie disposera de douze sièges au Parlement européen, elle aura un commissaire, et elle pourra accéder aux fonds structurels, avec des priorités d’affectation pour l’écologie, les transports, l’énergie, le développement régional et rural. Elle sera, nous en sommes convaincus, à nos côtés pour approfondir l’intégration politique de l’Union et aller vers une meilleure reconnaissance des représentants des citoyens européens que sont les parlementaires nationaux.
Au moment d’accueillir un nouveau membre, rappelons que notre destin européen doit s’appuyer sur un vrai projet social et écologique de développement, en associant mieux les citoyens européens aux prises de décision. C’est la seule voie possible pour un développement durable de l’ensemble de l’Union, et la seule manière de couper court aux tentations ultranationalistes qui, un peu partout en Europe, germent sur le terrain de la crise et de l’austérité.
Je conclurai en rappelant qu’une vingtaine d’États européens sur vingt-sept ont déjà procédé, par la voie parlementaire, à la ratification du présent projet de loi. J’espère que nous serons le vingt et unième, à l’unanimité. En octobre dernier, en ma qualité de présidente de la commission des affaires européennes, j’ai écrit à notre ministre pour souligner que la ratification rapide du traité par le Parlement « constituerait un signal très positif donné par la France à la Croatie, manifestant clairement notre intérêt pour ce pays et pour l’avenir européen de la région ». Au nom de la commission des affaires européennes, je réitère un soutien sans faille à la ratification de ce traité d’adhésion. Chers collègues, accueillons chaleureusement ce nouveau maillon dans la grande chaîne européenne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour autoriser la ratification d’un traité important puisqu’il concerne l’élargissement de l’Union européenne et que c’est la dernière fois que le Parlement français pourra autoriser la ratification d’un tel élargissement à la majorité simple. Les prochains élargissements devront être adoptés soit par référendum, soit, depuis la dernière révision constitutionnelle de 2008, par le Parlement à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.
Si l’ensemble des pays européens ratifient le présent traité, la Croatie deviendra en juillet prochain le vingt-huitième membre à part entière de l’Union européenne. Cette intégration correspond à une attente forte du peuple croate, qui en a approuvé massivement le principe par un référendum ayant réuni 66 % de votes favorables.
Nous ne voudrions pas, en ce qui nous concerne, décevoir cet espoir. Nous ne négligeons pas non plus l’encouragement que pourrait constituer cette adhésion à engager ou conforter, après la phase de préparation, les réformes nécessaires en matière de justice, de lutte contre la corruption ou le crime organisé, à mettre éventuellement un frein au développement d’un nationalisme agressif, toujours présent dans ce pays. Sous ce rapport, l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne représente une chance et un facteur de paix et de stabilité dans cette région des Balkans, où les tensions restent très fortes, où les différends ethniques et territoriaux sont des sujets permanents de friction. Ces différents éléments ont été développés avec précision, notamment par Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
Ces constatations militent en faveur de l’adhésion de la Croatie, dans la continuité de celle de son voisin slovène. Nous restons cependant très dubitatifs quant à l’opportunité de prolonger le processus d’élargissement en une période où l’Europe traverse une crise profonde, crise que la mise en œuvre des critères d’éligibilité actuels, dits critères de Copenhague, ne peut que renforcer.
Pour adhérer à l’Union européenne, un nouvel État membre doit remplir, nous le savons, trois critères. De ces trois critères, seul le premier, le critère politique, fait consensus entre nous. Il est naturel en effet de soumettre l’adhésion d’un État à la présence d’institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection. Les deux autres critères, le critère économique et le critère de l’acquis communautaire, sont autrement plus contestables. Le premier impose la capacité à faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l’intérieur de l’Union. Le second requiert l’aptitude à assumer les obligations découlant de l’adhésion, et notamment à souscrire aux objectifs de l’union politique, économique et monétaire.
La Croatie est encore soumise aujourd’hui au mécanisme européen spécifique de suivi renforcé de ses engagements, dans le cadre duquel les autorités européennes ont par exemple invité les responsables croates à engager la privatisation totale de leurs chantiers navals. Ce mécanisme fait aussi des bas salaires un avantage comparatif dans la concurrence, ce qui aboutit à ce que le marché européen soit élargi sans que les droits des peuples ne suivent. La Croatie est donc poussée, comme les autres, à privatiser, à précariser à tout va les salariés, à libéraliser et à déréglementer les échanges, quitte à créer un énorme déficit commercial.
Est-ce là l’Europe que nous voulons construire ? Ne sommes-nous pas là à la source de l’incompréhension et de l’inquiétude légitime que suscite la politique d’élargissement chez une grande partie de nos concitoyens ? Voulons-nous une Europe de la coopération et de la solidarité, une Europe des peuples, ou bien entendons-nous en rester à une Europe de la mise en concurrence des territoires et des peuples ? Pouvons-nous continuer d’élargir l’Europe sans tirer les enseignements de la crise qui la traverse ? Pouvons-nous poursuivre l’élargissement sur l’air de Tout va très bien, madame la marquise, alors que la maison européenne brûle et que l’exigence de bâtir une Europe plus soucieuse de l’intérêt des peuples et plus respectueuse aussi de leur souveraineté se fait chaque jour plus pressante ?
Dans le contexte de la crise actuelle, nous sommes de ceux qui préconisent de donner la priorité à la réorientation de la construction de l’Union européenne. Les problèmes soulevés par l’élargissement de l’Union tiennent moins en effet aux limites territoriales qu’au projet de société dont l’Europe est porteuse.
La seule réponse des gouvernements à la crise financière qui a failli emporter l’Europe a été de faire payer la facture aux populations, de durcir le Pacte de stabilité et de croissance et de sanctionner les pays ne respectant pas le dogme aveugle et socialement injuste de la lutte contre les déficits budgétaires. Nous ne nous sommes en aucune façon attaqués aux racines de cette crise, qui n’est pas d’abord une crise de la dette mais une crise de compétitivité qui trouve elle-même son origine dans le système monétaire et l’indépendance de la Banque centrale européenne. Nous partageons sur ce point l’analyse de l’économiste Jacques Sapir : « L’idée d’une alliance France-Allemagne, le Merkozy, était fondée sur l’illusion que la crise de la zone euro était uniquement une crise de la dette. Si tel avait bien été le cas, il est probable que l’on aurait pu trouver un terrain d’entente stable… Mais la crise de l’euro est avant tout une crise issue de l’hétérogénéité des économies, hétérogénéité qui s’accroît naturellement dans un système de monnaie unique et avec une politique monétaire uniforme en l’absence de flux de transferts massifs, et qui débouche sur une crise majeure de compétitivité, qui elle-même engendre une montée des déficits. »
Nous avons donc une crise de compétitivité, au sens où la fuite en avant dans la concurrence fiscale et salariale est devenue l’unique variable d’ajustement. Cette course détruit des emplois. Elle détruit aussi les solidarités sociales et territoriales. La crise a aggravé encore cette logique et la plupart des pays européens se sont lancés dans une course effrénée au moins-disant salarial. En Irlande, par exemple, le coût du travail moyen est passé de 107 % à 92 % du coût français entre 2008 et 2012. L’écart s’est encore davantage creusé avec les pays européens hors zone euro, Pologne, Roumanie, Hongrie, du fait de l’évolution du taux de change des monnaies de ces pays.
La France doit-elle s’engager à son tour dans la course au moins-disant salarial ? Nous ne le pensons pas et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons dit notre hostilité au pacte de compétitivité adopté le mois dernier. Le risque est grand qu’en transférant vers les ménages une partie de l’imposition des entreprises nous n’alimentions une logique récessive.
N’oublions pas en effet que si l’économie de la zone euro ne s’est pas davantage repliée pour l’instant, malgré les drames sociaux que nous constatons tous, c’est surtout parce que la consommation a un peu progressé en France et en Allemagne. Si la consommation devait de nouveau chuter, la situation économique risquerait de s’aggraver en France comme en Europe, sans que les entreprises n’investissent davantage, en raison des maigres perspectives de croissance.
Est-ce que ce sont là des circonstances favorables à l’accueil d’un nouvel entrant au sein de l’Union européenne ?
Certains seront tentés de nous répondre que plus le nombre de pays rejoignant l’Union européenne s’accroîtra, plus notre continent sera en mesure de prendre des mesures efficaces de régulation financière et d’harmonisation sociale et fiscale. Cela a été dit et cela sera dit. Rien cependant n’indique de volonté politique en ce sens. Les nouveaux entrants ne sont nullement appelés à définir des normes sociales et fiscales compatibles avec la construction d’une Europe sociale. Ils doivent au contraire se soumettre à la concurrence effrénée qui a cours dans le marché unique, et qui se traduit chez eux par une privatisation généralisée de l’économie entraînant bas salaires et précarisation de l’ensemble des populations.
Nous mesurons à quelle impasse conduit la voie poursuivie aujourd’hui par l’Union. Pour que l’adhésion d’un nouvel État au projet européen fasse sens, il faudrait que l’Europe soit synonyme de coopération et de solidarité, d’harmonisation des normes fiscales et sociales. Tout le contraire de ce que préconisent à l’heure actuelle les autorités européennes !
Nous sommes donc lucides, sans illusions sur les conséquences néfastes des adhésions proposées en application des critères néolibéraux de Copenhague. Aussi, à défaut d’une réorientation significative de la construction européenne en vue de bâtir une Europe plus sociale et solidaire, les députés du Front de gauche s’abstiendront sur ce vote.
Voir le compte-rendu intégral sur le site de l’AN.