10-11-2002

Agriculture, pêche et BAPSA

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2003.
M. le Président - Nous abordons l’examen des crédits du ministère de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et des affaires rurales, concernant l’agriculture et la pêche, ainsi que l’examen du budget annexe des prestations sociales agricoles
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André Chassaigne - Le rôle irremplaçable de l’agriculture, tant dans notre vie quotidienne que pour la dynamique des territoires ruraux, impose de juger votre budget sous plusieurs aspects. Est-il apte à favoriser une agriculture de qualité tout en assurant des revenus décents aux agriculteurs ? Permet-il de faire face aux menaces qui pèsent sur l’avenir, avec les négociations en cours sur la PAC et l’élargissement de l’Union ?
Le groupe communiste et républicain estime que ce budget n’est pas à la hauteur de la situation. Les producteurs de céréales ont connu une année noire à cause de la chute des cours, due à des importations abusives. Les stocks accumulés de viande bovine continuent à peser sur les cours. Les fruits et légumes sont toujours victimes de la grande distribution, qui a massivement recours à l’importation et qui casse les prix à la production. D’une façon générale, les prix perçus par les paysans n’ont jamais été aussi bas alors qu’ils augmentent pour les consommateurs.
M. Jean-Pierre Kucheida - Exact !
André Chassaigne - Comment, dans ces conditions, pouvez-vous présenter un budget qui n’augmente que de 0,9 % ? Et encore cette hausse est-elle trompeuse : en réalité, le budget pour 2003 baisse de 3,8 % si l’on tient compte des crédits qui ont été votés en loi de finances rectificative, et de près de 6 % si l’on tient compte de l’inflation ! Nous avons donc toutes les raisons de nous inquiéter pour l’avenir des petits et moyens exploitants, déjà secoués par la suspension des contrats territoriaux d’exploitation (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).
L’analyse de la nomenclature budgétaire fait apparaître une orientation à peine voilée : faire disparaître un nombre significatif d’exploitants. Ainsi, le regroupement des lignes consacrées au fonds d’allégement des charges et aux actions en direction des exploitants en difficulté aboutit en fait à réduire de 14 % le montant total de ces crédits. De la même façon, vous dotez le fonds d’incitation à l’installation de 10 millions, mais vous baissez de 8,5 millions les crédits de la dotation aux jeunes agriculteurs, en regroupant les deux sur une seule ligne ! C’est donc que vous prévoyez une baisse importante de ces installations ! Vous diminuez en outre les crédits destinés aux offices de 15 %, ce qui réduit leurs moyens d’intervention en cas de crise, et ce jeu d’airbags communicants (Sourires) par lequel vous vous justifiez ne saurait nous convaincre. Enfin, en réduisant de 205 millions les aides à l’équarrissage, vous transférez sur les éleveurs le coût de l’élimination des déchets.
Ce budget démontre un manque d’ambition flagrant. A moins qu’il ne traduise une volonté délibérée de réduire le nombre des agriculteurs ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Comment expliquer autrement - pardonnez la trivialité de l’expression - cette politique du chien crevé au fil de l’eau, qui laisse disparaître les plus faibles (Protestations sur les bancs du groupe UMP), tout en maintenant des conditions draconiennes pour les aides à l’installation ?
Il est vrai que vous augmentez la prime herbagère de 70 %. Mais quels seront ses critères d’attribution ? Les exploitations les plus spécialisées seront-elles privilégiées ? L’indemnité compensatoire de handicap naturel augmente de 50 % pour les 25 premiers hectares, mais cela suffira-t-il à compenser l’aide qu’apportaient les contrats territoriaux d’exploitation ?
Vous avez annoncé la suspension de ces derniers. Pourtant, chacun avait fini par l’admettre, ce sont des outils de développement qui allient respect de l’environnement et développement économique. La procédure de contractualisation avait en outre l’avantage de poser les agriculteurs comme de véritables partenaires de l’Etat et comme des acteurs dynamiques. Vous avez annoncé que vous honoreriez les CTE déjà signés, mais vous revoyez dans le même temps à la baisse ceux qui sont en cours d’instruction. Ce sont donc les agriculteurs les moins actifs qui seront pénalisés, c’est-à-dire souvent les plus modestes.
M. Jean-Claude Lefort - Eh oui !
André Chassaigne - Là aussi, d’ailleurs, vous entretenez le flou budgétaire. 200 millions sont certes inscrits dans votre projet de budget, mais vous ne fixez aucun objectif qualitatif ou quantitatif ! Quant aux mesures de substitution, telles que les mesures agri-environnementales, elles nécessitent une révision du plan de développement rural approuvée par l’Europe. En fait, en matière de CTE, vous n’avez fait que des annonces. Ne faudrait-il pas organiser enfin une large concertation et faire participer les exploitants aux décisions qui les concernent, au lieu de faire mener un audit au pas de charge ?
En ce qui concerne la politique agricole commune, vous saluez comme des victoires le compromis trouvé avec l’Allemagne et les décisions du Conseil européen des 24 et 25 octobre. Il est vrai que le rejet de la réforme du commissaire Fischler doit être apprécié. Elle aurait eu, au-delà de son habillage écologique, des conséquences désastreuses pour notre agriculture, en octroyant une rente de situation aux exploitations productivistes et en pénalisant celles des terres les moins fertiles.
Pour autant, rien n’est réglé sur le fond. Ainsi les dépenses agricoles seront plafonnées pour douze ans, alors qu’il faudrait aider davantage les pays qui vont rejoindre l’Union européenne. En clair, les aides diminueront pour les petits agriculteurs des Quinze, sans que ceux des dix pays entrants bénéficient de la totalité des crédits que prévoit la PAC actuelle… C’est un nivellement par le bas.
Mais c’est aussi un jeu de dupes, car, selon les conclusions du sommet de Bruxelles, le schéma retenu vaut « sans préjudice de futures décisions concernant la PAC »… Ainsi rien n’est acquis, et la foire d’empoigne devrait reprendre après 2006.
Alors qu’il faudrait rester vigilant, Monsieur le ministre, vous vous réjouissez trop vite du rejet du projet Fischler. Après avoir, en somme, acheté un âne dans un sac, vous ne dites rien de la réforme qui reste pourtant nécessaire, et qui doit être engagée au plus vite, avant l’élargissement. Refuser, comme vous le faites, toute évolution de la PAC avant 2006 serait aussi dangereux pour les paysans que les précédentes propositions de la Commission. Là se trouve la bombe à retardement, et ses conséquences sont graves : qui croira qu’un consensus contre le libéralisme sauvage pourra émerger d’une Europe à vingt-cinq ? Sans réorientation de la PAC, l’agriculture industrielle l’emportera, au détriment de l’emploi, de l’environnement et de la qualité des produits.
Je conclurai par quelques propositions pour une agriculture paysanne et durable, porteuse d’emplois, et gage de vitalité pour les zones rurales. Sur la question des prix, tout d’abord : tous les candidats à l’élection présidentielle se sont prononcés pour des prix rémunérateurs. Cela doit se traduire dans les faits. Aussi demandons-nous que l’Union européenne mette en place une politique de prix qui permette aux agriculteurs de vivre de leur production ; les aides directes doivent être réservées aux petits producteurs et à ceux des zones défavorisées. C’est possible en renforçant la préférence communautaire. Mais alors l’Union européenne ne doit pas privilégier l’aide à l’exportation des produits de l’agriculture industrielle, et elle doit reconnaître à tout pays le droit de protéger ses producteurs par une politique douanière adaptée.
Sur l’avenir des CTE, en second lieu, notre groupe souligne la nécessité de prendre en compte l’installation progressive des jeunes agriculteurs, hors DJA, dans la mise en place des nouvelles orientations. L’obtention de la DJA est en effet un parcours du galérien, qui ne concerne, de ce fait, qu’une installation sur deux. De même, le plafonnement des aides, que nous approuvons, doit tenir compte de l’emploi, du nombre d’actifs familiaux par exploitation. Enfin les mesures en préparation doivent faire l’objet d’une large concertation avec les professionnels.
En matière sociale, nous nous réjouissons des avancées concernant les retraites des exploitants. Mais nous proposons d’aller plus loin en élargissant le bénéfice de la retraite, à hauteur de 75 % du SMIC brut, aux conjoints ayant collaboré à l’exploitation.
Nous nous prononçons pour l’application dès le 1er janvier 2003 de la loi sur les retraites complémentaires votée à l’unanimité en février 2002 ; la mensualisation des retraites agricoles ; la suppression du plafonnement des revenus qui servent au calcul des charges sociales ; et l’abrogation de la surtaxation des cotisations AMEXA des aides familiaux.
Votre budget, Monsieur le ministre, ne répond pas aux attentes des agriculteurs, notamment en ce qui concerne la pérennité de leur exploitation, qui exigerait une initiative forte du Gouvernement pour arriver à des prix rémunérateurs. Il ne répond pas davantage aux attentes des Français, qui veulent des denrées de qualité, issues d’une agriculture respectueuse de l’environnement.
Enfin, vous ne prenez pas de positions claires et efficaces dans le sens de la maîtrise de la production pour les secteurs qui en ont besoin, de l’orientation des primes pour favoriser le développement durable de nos territoires, ni de l’orientation des aides en faveur de l’installation des jeunes agriculteurs.
Chacun comprendra donc que le groupe des députés communistes et républicains ne le vote pas (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

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Pour en savoir plus : Site de l’Assemblée

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