Mardi 4 décembre 2019, l’Assemblée nationale a adoptée la proposition de loi relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires (présentée initialement sous l’intitulé « Proposition de loi relative à plusieurs articles de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, sûre et durable »).
Dans ce cadre, André Chassaigne avait déposé plusieurs amendements visant à répondre à la recrudescence des allégations visant clairement à tromper le consommateur sur l’origine des produits alimentaires.
Alors que des progrès ont été accomplis depuis plusieurs années sur le renforcement de la réglementation concernant l’indication d’origine ou du pays d’origine des produits agricoles et alimentaires à l’état brut ou transformé, nous assistons àla multiplication des stratégies marketing de certains grands industriels de l’agroalimentaire et de la distribution, afin de bénéficier directement de la mention valorisante de l’origine française des produits.
Ces stratégies portent particulièrement sur l’étiquetage et la présentation de produits transformés, qui comportent de plus en plus fréquemment les mentions « élaboré en France » ou « transformé en France » ou « fabriqué en France » le plus souvent accompagnées du symbole du drapeau national ou d’une carte de France, alors que les produits sont fabriqués à partir de matières premières d’origine étrangère.
La volonté manifeste d’induire le consommateur en erreur appelle une réponse législative à inscrire dans le cadre des dispositions prévues à l’article L121‑4 du code de la consommation énumérant les pratiques commerciales jugées trompeuses et, à ce titre, déloyales et interdites au sens de l’article L. 121‑1 du code de la consommation.
Si les amendements déposés par André Chassaigne en ce sens ont été finalement rejetés par la majorité, ces débats appellent à la poursuite des actions en faveur de la transparence sur l’origine de l’ensemble des produits agricoles et alimentaires à l’état brut ou transformé.
Télécharger les amendements déposés par André Chassaigne ici :
Séance du mercredi 04 décembre 2019
Transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires
Suite de la discussion d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires (nos 1786, 2441).
Discussion des articles (suite)
[…]
Après l’article 1er (suite)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements, nos 120, 80, 123 et 124, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement no 120.
M. André Chassaigne. Si vous le permettez, je soutiendrai également les amendements nos 123 et 124, à condition que vous me laissiez déborder si je dépasse les deux minutes.
Je veux tout d’abord saluer la présence cet après-midi de M. le ministre venu participer à nos échanges de façon très constructive.
L’amendement no 120 est le fruit d’un hold-up que j’ai commis en m’emparant d’un amendement présenté en commission par mon collègue Thierry Benoit. Une semaine avant la discussion d’un projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage, j’avais peur que cet amendement soit lui-même gaspillé ! Je l’ai donc recyclé en m’efforçant de l’améliorer grâce à certaines précisions qui m’ont semblé lui manquer.
L’amendement porte sur l’article L. 121-4 du code de la consommation, qui établit la liste des pratiques commerciales réputées trompeuses. Nous souhaitons ajouter à cette liste le fait, pour un professionnel, d’afficher un certificat, un label de qualité ou une mention « transformé en France », « élaboré en France », « fabriqué en France » ou un équivalent, accompagnés ou non du symbole du drapeau français, pour des produits alimentaires fabriqués à partir de matières premières d’origine étrangère.
Nous voyons bien, dans notre consommation courante, qu’énormément de produits empaquetés affichent les mentions « transformé en France », « élaboré en France » ou « fabriqué en France » alors qu’ils sont conçus, parfois en totalité, à partir d’importations. Prenons le cas des légumes surgelés : un symbole de potager ou la mention « légumes de notre jardin » peuvent figurer sur l’emballage, alors que ces produits sont importés, notamment d’Asie ou d’Amérique du Sud. Il faudrait donc ajouter, à la liste des pratiques trompeuses définies dans le code de la consommation, ces allégations présentes sur de nombreux produits.
Les deux autres amendements visent à nuancer le premier. Avec l’amendement no 123, nous proposons ainsi que le caractère trompeur s’applique à des produits dont la composition ne contient pas un taux minimum de 80 % de produits agricoles d’origine française. Quant à l’amendement no 124, il vise à définir par décret le seuil minimum de produits agricoles d’origine française en dessous duquel les allégations, qu’on peut qualifier aujourd’hui de mensongères, sont jugées trompeuses.
M. Pierre Dharréville. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Thierry Benoit, pour soutenir l’amendement no 80.
M. Thierry Benoit. Je remercie André Chassaigne de s’inspirer de nos propositions !
L’amendement no 80, déjà présenté en commission, s’inscrit dans la continuité du débat qui vient de s’ouvrir. Avec mon collaborateur et les collègues du groupe UDI, Agir et indépendants, nous avons décidé de le déposer une nouvelle fois. Monsieur le ministre, nous avions évoqué cette question lorsque nous vous avions auditionné dans le cadre de la commission d’enquête – dont le rapporteur Grégory Besson-Moreau est ici présent – sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de leurs groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs, à propos notamment de l’étiquetage et de la sincérité dans la transparence.
Le consommateur est parfois induit en erreur. Par exemple, le jambon de Paris commercialisé par le magasin Carrefour bio, présenté comme issu de l’agriculture biologique et fabriqué en France, s’adresse à un consommateur désireux d’acheter un produit bio, conçu et transformé dans l’Hexagone. Or, lorsqu’on lit l’origine sur l’étiquette, on apprend que ce produit est fabriqué en Normandie à partir de cochons élevés dans l’Union européenne. Cela ne peut plus durer ! J’avais repéré ce produit au mois d’août dernier et j’ai pu constater, en retournant, pas plus tard que ce lundi, dans le rayon du même magasin, que la plaisanterie continuait. J’estime que le consommateur est ici induit en erreur, c’est pourquoi nous avons déposé un amendement visant à l’éclairer dans son acte d’achat. J’espère que notre amendement, déjà présenté en commission, saura cette fois recueillir l’approbation de M. le ministre et de Mme la rapporteure.
M. Pierre Dharréville. Sans aucun doute !
M. le président. Les amendements nos 123 et 124 de M. André Chassaigne ont été défendus.
La parole est à Mme Barbara Bessot Ballot, rapporteure de la commission des affaires économiques, pour donner l’avis de la commission sur les amendements en discussion commune.
Mme Barbara Bessot Ballot, rapporteure de la commission des affaires économiques. Nous avons déjà débattu de cette question en commission. Nous étions alors convenus de la nécessité de distinguer plusieurs types de situations. Dans les cas de fraude – citons l’exemple, que vous avez évoqué et dont la presse a beaucoup parlé, des 15 000 tonnes de kiwis italiens vendus avec une étiquette « origine France » –, le code de la consommation s’applique. J’en cite quelques extraits, comme je l’avais fait en commission : « Quiconque, sur des produits […], aura apposé ou sciemment utilisé une marque de fabrique ou de commerce, un nom, un signe ou une indication quelconque de nature à faire croire, s’ils sont étrangers, qu’ils ont été fabriqués en France ou qu’ils sont d’origine française et, dans tous les cas, qu’ils ont une origine différente de leur véritable origine française ou étrangère, sera puni des peines prévues par l’article L. 213-1. » Ces peines vont de 300 000 euros à une peine de prison. Dans ce type de situation, la DGCCRF – Direction générale de concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – peut donc agir.
M. Thierry Benoit. Elle ne le fait pas !
Mme Barbara Bessot Ballot, rapporteure. Deuxièmement, l’amendement no 80, en contradiction avec ce qui est indiqué dans l’exposé sommaire, vise à interdire la mention « transformé en France », qui n’est ni un certificat ni un label de qualité, mais une simple mention. Là encore, deux cas de figure sont possibles. Si le transformateur cherche à duper le consommateur, nous nous trouvons face à une pratique commerciale trompeuse qui peut donner lieu à une action de la part de la DGCCRF. En revanche, dans d’autres cas, le transformateur est honnête et la mention ne constitue pas une pratique commerciale trompeuse. Par exemple, vous trouvez dans les magasins le produit « crêpes dentelle au beurre », avec la mention « composé notamment de farine de blé, de beurre pâtissier français et d’une faible proportion de produits d’origine étrangère ». Dans ce cas, honnêtement, l’utilisation de la mention « fabriqué en France » ne me choque pas.
Pour toutes ces raisons, avis défavorable sur l’ensemble des amendements.
M. Pierre Dharréville. Mais quid du jambon de Paris ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, pour donner l’avis du Gouvernement.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Tout d’abord, je tiens à dire que je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui pour examiner cette proposition de loi.
M. Marc Le Fur. Nous sommes heureux de vous retrouver !
M. Didier Guillaume, ministre. Je souhaite préciser aux députés qui, hier, croyant faire preuve d’humour, ont critiqué mon absence, que je suis un fervent défenseur du bicamérisme. Celui-ci, comme son nom l’indique, suppose l’existence de deux chambres ; et lorsque le Sénat vote le budget, le rôle du ministre de l’agriculture et de l’alimentation est de s’y rendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Chacun peut dire ce qu’il veut en séance, mais je suis à l’Assemblée cet après-midi et y resterai tout le temps qui sera nécessaire à l’examen de la proposition de loi.
Monsieur le président Chassaigne, monsieur Benoit, j’ai tendance à penser que ces quatre amendements, très proches, sont quasiment satisfaits. Comme l’a très bien expliqué Mme la rapporteure, des contrôles sont déjà effectués par la DGCCRF et par Bercy afin de lutter contre les fraudes. Celles-ci existent et doivent évidemment être combattues et condamnées, mais nous pensons que l’encadrement actuel, dans le secteur des produits transformés, est suffisant.
Je comprends le sens de vos amendements et je partage vos préoccupations car je souhaite vivement que nous travaillions sur le patriotisme agricole et économique ainsi que sur le patriotisme du consommateur qui, lorsqu’il pousse son caddie dans une grande surface, a le droit d’acheter le produit qu’il désire mais aussi celui de connaître exactement et clairement le contenu de ce produit, son origine et son mode de fabrication.
C’est d’ailleurs ce qui se passe actuellement. Faire figurer un drapeau bleu blanc rouge sur un produit qui n’a pas été fabriqué en France, c’est tout simplement une pratique frauduleuse. Je trouve intéressante l’idée qui sous-tend vos amendements, mais il ne me semble pas pertinent d’ajouter les éléments que vous avez cités dans le texte de la proposition de loi. Ils n’apporteraient pas de précision utile et pourraient même se révéler handicapants pour l’ensemble des professionnels du secteur des produits transformés.
Les amendements étant selon moi globalement satisfaits, j’en demande le retrait ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. Pierre Dharréville. Vous n’avez pas répondu à propos du jambon de Paris !
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Madame la rapporteure, monsieur le ministre, je comprends vos arguments mais je pense que vous avez tort. S’il était interdit d’utiliser frauduleusement les mentions « transformé en France », « élaboré en France » ou « fabriqué en France », toutes les grandes marques qui y ont recours les auraient retirées. Le fait qu’elles ne le fassent pas prouve bien qu’au niveau réglementaire, l’emploi de telles expressions pour désigner un assemblage de produits parfois importés à 100 % n’est pas interdit. Je suis formel sur ce point. Si on n’ajoute pas ces précisions dans la réglementation, la situation ne changera pas et il ne sera pas possible de s’y opposer.
J’ai bien lu l’article L. 121-4. Il prévoit que sont réputées trompeuses les pratiques commerciales qui ont pour objet, pour un professionnel, « de se prétendre signataire d’un code de conduite alors qu’il ne l’est pas » – ce qui ne relève pas des cas discutés ici – ou « d’afficher un certificat, un label de qualité ou un équivalent sans avoir obtenu l’autorisation nécessaire. » Or la rapporteure vient à juste titre de nous dire qu’il ne s’agissait pas de certificat ni de label de qualité – et je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’un équivalent. Aucune autorisation n’est donc requise pour l’emploi de ces appellations. Il y a donc en quelque sorte – passez-moi l’expression – un trou dans la raquette. Si on ne bouche pas ce trou, tout continuera comme avant : les consommateurs, qui ne pourront pas agir en « consomm’acteurs », achèteront encore des produits présentés selon moi de façon trompeuse voire frauduleuse.
M. le président. La parole est à M. Thierry Benoit.
M. Thierry Benoit. Je tiens à appeler l’attention du ministre sur un point. Pour reprendre l’exemple du jambon de Paris, le professionnel a fait figurer sur son produit une carte de France – en prenant soin toutefois de ne pas utiliser le bleu blanc rouge, mais la couleur marron. On peut donc lire « Carrefour bio », « jambon de Paris », « agriculture bio », « fabriqué en France ». Or on voit bien que l’origine de la matière première n’est pas française puisqu’il est bien spécifié : « fabriqué en France, en Normandie, à partir de cochons élevés dans l’Union européenne ».
Comme vient de le rappeler André Chassaigne, notre réglementation permet donc à certains industriels de semer la confusion dans l’esprit du consommateur, sinon de l’induire en erreur : s’ils apposent sur leurs produits la mention « fabriqué en France », valorisante, la guerre des prix, pour dire les choses comme elles sont, les conduit à utiliser une matière première en provenance de l’Europe de l’Est – en l’occurrence, des cochons « élevés dans l’Union européenne ». Autrement dit, notre réglementation comporte une faille.
J’aimerais que M. le ministre et Mme la rapporteure réfléchissent aux moyens de corriger cette anomalie, et maintiens donc mon amendement.
[…]
M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 24, 121 et 122, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Richard Ramos, pour soutenir l’amendement no 24.
M. Richard Ramos. Je m’associe évidemment à mon collègue du Gers pour rendre hommage à la mémoire d’André Daguin. Celui-ci avait commencé avec le foie gras dans le Gers, avant que sa fille n’en développe la production aux États-Unis, où elle a défendu, à travers cette fierté locale, les couleurs de la France. André Daguin était un grand monsieur de la restauration française.
Le présent amendement participe du même esprit que les précédents. La possibilité d’apposer le logo français, la carte de France, sur les produits dont nous parlons me gêne. Nous connaissons en effet la qualité de nos fonctionnaires : si la loi empêchait de telles pratiques, elles n’existeraient pas. Or, dans nos supermarchés, on voit, sur tel produit, telle pizza – y compris les surgelées –, le logo bleu, blanc, rouge : c’est un fait. Naturellement, le consommateur croit que ces produits sont français.
Peut-être pourrons-nous trouver d’autres moyens d’empêcher cette tromperie, mais nous ne pouvons pas la laisser perdurer. La mention même d’« Union européenne » – ou « hors Union européenne » – est trompeuse ; et si la loi était protectrice en cette matière, il y a bien longtemps, je le répète, que nos respectables fonctionnaires l’auraient fait respecter.
M. le président. Monsieur Chassaigne, les amendements nos 121 et 122 peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
M. André Chassaigne. En effet, monsieur le président, je les défendrai ensemble.
L’amendement no 121 vise à interdire « d’afficher le symbole du drapeau français sur l’emballage des produits alimentaires lorsque leur composition ne contient pas un taux minimum de 80 % de produits agricoles d’origine française » ; l’amendement no 122, de repli, renvoie la fixation du pourcentage minimal de produits d’origine française à un décret.
L’argumentation reste la même que pour les amendements précédents, puisqu’elle en découle : le drapeau français est tout naturellement affiché à côté de la mention « fabriqué en France », et de façon tout aussi frauduleuse dès lors que les produits, fabriqués, assemblés et emballés en France, sont d’origine étrangère.
Le logo « origine France garantie » s’est beaucoup développé, nous objectera sans doute M. le ministre. Treize filières, me semble-t-il, l’utilisent ; mais leur démarche, volontaire, est soumise à un cahier des charges précis, assorti de contrôles. Mes amendements, eux, visent des démarches frauduleuses, que notre réglementation doit permettre d’interdire et de condamner.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?
Mme Barbara Bessot Ballot, rapporteure. Comme précédemment, nous ne pouvons que souscrire à l’objectif qu’ils poursuivent. La réglementation européenne doit toutefois nous appeler à la vigilance, car nous pourrions, en imposant un étiquetage aussi fort et volontaire, punir ceux qui ont des pratiques vertueuses. Au regard des objectifs que nous avons collectivement assignés à cette proposition de loi, l’avis ne peut donc être que défavorable.
Si cela ne nous empêche pas d’entendre le message, fort, qu’il s’agit en effet d’adresser aux consommateurs et aux producteurs, un produit tel que le jambon de Parme, que je sache, n’est pas toujours d’origine italienne ; or il sera toujours présenté comme tel dans nos rayons.
Bref, ces amendements risqueraient de punir ceux dont nous ne voudrions pas qu’ils le soient. La DGCCRF a au demeurant les moyens, aujourd’hui, de sanctionner les fraudes.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Didier Guillaume, ministre. Même avis. Comme je le disais précédemment, tout cela part d’un bon sentiment : nous ne pouvons qu’être favorables à l’idée d’un patriotisme économique, d’un patriotisme agricole, d’un patriotisme des consommateurs, qui doivent en effet, monsieur le président Chassaigne, devenir des « consomm’acteurs ». Si le consommateur tweete, depuis son canapé, ses opinions sur le monde, rien ne justifie qu’il ne les fasse pas valoir aussi dans les rayons des grandes surfaces ;…
M. Éric Girardin. Tout à fait !
M. Didier Guillaume, ministre. …et pour ce faire, son information doit être la plus large possible : je puis tout à fait rejoindre M. Ramos sur ce point.
Reste que, Mme la rapporteure vient de le rappeler, ces amendements ne correspondent pas à ce que recouvre réellement la proposition de loi ; pire encore, ils pourraient pénaliser des industries agroalimentaires françaises qui effectuent un travail remarquable.
Une fois encore, je partage l’idée d’une information claire sur l’origine de la matière première des produits transformés ; mais qu’est-ce qui justifie, par exemple, un taux de 80 % ? Pourquoi pas 50 %, 10 % ou 100 % ?
Aujourd’hui, les contrôles suffisent à atteindre les objectifs poursuivis par ces amendements, qui me semblent donc plutôt être d’appel. Aussi j’en suggère le retrait ; à défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Je comprends votre argumentation, madame la rapporteure, monsieur le ministre. N’occultons pas, toutefois, ce qu’elle recèle : la prise en compte de nos entreprises agroalimentaires, que vous craignez de mettre en difficulté par une restriction qui serait source de transparence sur les produits qu’elles commercialisent.
Il n’en demeure pas moins qu’une telle tolérance quant à l’usage du drapeau français hypothèque la démarche volontaire des treize filières dont les produits sont certifiés « origine France garantie », sur la base d’un cahier des charges très strict, qui inclut les modes d’élevage et d’abattage et, le cas échéant, la nature de la transformation.
Il y a donc, d’un côté, nos filières, très offensives en la matière et désireuses de protéger, avec une rigueur dont témoignent leur cahier des charges et leurs plans de communication, l’origine française des produits. Année après année, de nouvelles filières, que vous avez vous-même accompagnées pour cela, monsieur le ministre, s’engagent d’ailleurs dans cette démarche qui constitue une avancée considérable. Mais, d’un autre côté, s’agissant des pratiques dont je parle, on laisserait faire.
Si je comprends votre argumentation, je maintiens donc mes amendements. Je pense que vous avez tort : la transparence ne relève pas d’une hypothétique cuisine ; elle doit être défendue avec détermination et fermeté.
M. Didier Guillaume, ministre. Elle l’est !
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Moreau.
M. Jean-Baptiste Moreau. Nous partageons tous, je crois, l’objectif poursuivi par ces amendements. Il est nécessaire de clarifier, et surtout d’homogénéiser la communication sur l’origine – française ou non – des produits. Outre qu’un certain nombre des mesures ici proposées me semblent davantage d’ordre réglementaire que législatif, c’est collectivement, avec les filières agroalimentaires – et non contre elles –, que nous devons avancer sur l’étiquetage de l’origine, sujet sur lequel nous organisons d’ailleurs un colloque la semaine prochaine à l’Assemblée.
De fait, nous voyons aujourd’hui fleurir un « franco-score » dans certaines chaînes de distribution, quand d’autres optent pour un affichage de la proportion de produits français. Si nous ne voulons pas que le consommateur s’y perde, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, il faut harmoniser ces étiquetages, et le faire dans la concertation : le ministère de l’agriculture et Bercy – puisqu’il est aussi concerné par la question – peuvent s’y atteler, étant entendu que l’étiquetage doit aussi reposer sur le volontariat.
M. Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques. Très bien !
(Les amendements nos 24, 121 et 122, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
[…]
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre. Je saisis la balle au bond, monsieur Ramos. En effet, la présente proposition de loi, présentée par la majorité, va vraiment dans le bon sens. L’information des consommateurs devient essentielle. C’est pourquoi nous nous sommes battus à l’échelle européenne afin d’obtenir cette expérimentation – que, je l’espère bien, nous pourrons prolonger. Au nom du Gouvernement, je me suis engagé auprès de l’ensemble des filières agricoles à lancer un grand mouvement pour obtenir un étiquetage obligatoire à l’échelle européenne. On ne peut plus duper le consommateur.
Et, j’en reviens à l’intervention de M. Chassaigne, je ne remets jamais en cause nos PME – petites et moyennes entreprises – agroalimentaires, qui font du bon boulot. Elles sont présentes sur l’ensemble du territoire rural et nous en avons besoin car elles font vivre des milliers et des milliers de personnes. La question est qu’en fait nous avons besoin de certaines informations.
Mercredi prochain, se tiendra un colloque important sur l’étiquetage, organisé notamment par le député Moreau. J’avais prévu d’y assister, malheureusement je serai à la COP25 à Madrid – mais le ministère sera représenté. Je propose, monsieur Ramos, la création d’un groupe de travail informel sous l’égide de M. Moreau ; composé de députés intéressés de chaque groupe politique – vous en ferez sûrement partie –,…
M. Thierry Benoit. Naturellement !
M. Didier Guillaume, ministre. …il serait chargé d’examiner la manière dont nous pourrions avancer ensemble. En effet, ce sujet est suffisamment important pour que nous le défendions unanimement. Et je pense que ce sera possible.
(L’amendement no 82 n’est pas adopté.)
[…]
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Pour ma part, je suis très favorable à cet amendement.
Madame la rapporteure, votre réponse n’est pas acceptable parce que quand un amendement est adopté, les mesures qui y sont proposées ne s’appliquent pas de manière directe, elles sont soumises à une transcription réglementaire après un travail effectué par le ministère.
Il est très important d’indiquer l’origine géographique des produits bio, car c’est précisément cela qui permet de les distinguer des produits de l’agriculture conventionnelle. En effet, consommer des produits bio qui ont voyagé 1 000, 2 000 voire 3 000 kilomètres revient à remettre en cause l’éthique même qui sous-tend l’agriculture biologique. Adopter cette obligation serait donc rendre service à la filière. (M. Jean-Félix Acquaviva applaudit.)
Dans le cadre de la préparation du rapport d’information sur une agriculture durable pour l’Union européenne, que j’ai présenté devant la commission des affaires européennes de l’Assemblée, nous sommes allés visiter différentes exploitations de l’Union européenne, notamment en Pologne, et nous avons constaté que les productions bio étaient exclusivement destinées à l’exportation ! D’immenses exploitations – qui font d’ailleurs travailler des salariés ukrainiens pour un salaire mensuel de 230 euros – expédient leurs produits par avion et alimentent la forte concurrence dans le domaine de ce qu’on peut appeler le « bioéthique ». En définitive, notre volonté d’encourager la consommation de produits bio est anéantie par cette dérive du bio au niveau mondial… (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR ainsi que sur quelques bancs des groupes LaREM et LT.)
(L’amendement no 112 n’est pas adopté.)
[…]
Explications de vote
M. le président. Dans les explications de vote sur l’ensemble de la proposition de loi, la parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. J’en resterai au texte.
Si j’avais voulu aborder le contexte, je vous aurais parlé des accords de libre-échange et de leurs conséquences désastreuses : la semaine dernière, l’Union européenne a adopté un accord permettant l’importation, sans droits de douane, de 35 000 tonnes de viande bovine des États-Unis, et les éleveurs subiront cette nouvelle concurrence. Mais je n’en parlerai pas.
J’aurais pu vous parler des conséquences de la loi EGALIM, dont les dispositions ne sont pas à la hauteur en matière de construction des prix. On voit bien que le prix de vente des produits, de l’élevage en particulier, n’est pas au niveau des annonces qui avaient été faites. Je ferai aussi l’impasse sur ce thème.
Je pourrais évidemment avancer encore de nombreux arguments pour montrer que la politique agricole actuelle n’est pas à la hauteur, qu’il faudrait davantage de volontarisme. Je ne dirai rien à ce propos.
Je me bornerai à parler du texte lui-même. Les députés du groupe GDR voteront en sa faveur, nous n’avons jamais hésité sur ce point. Il reprend des articles de la loi EGALIM auxquels nous étions favorables mais qui ont été censurés par le Conseil constitutionnel. Il n’y a pas de raison de ne pas soutenir cette proposition de loi.
On peut cependant regretter toutefois une forme de timidité sur des propositions faites par voie d’amendement, concernant le pays d’origine ou les appellations trompeuses.
Je pourrais même regretter, en toute amitié, le comportement de mon ami Jean-Baptiste Moreau : quand la rapporteure s’en remet, au nom de la commission, à la sagesse de l’Assemblée sur un amendement, il demande immédiatement aux députés de la majorité de voter contre. Pour le bon fonctionnement du Parlement, il faut parfois savoir accomplir un geste. Il y en a eu au cours des législatures précédentes ; quand on maintient trop le couvercle de la cocotte-minute, ce n’est jamais bon. Veillons à l’harmonie de notre fonctionnement.
[…]
Vote sur l’ensemble
M. le président. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 38
Nombre de suffrages exprimés 38
Majorité absolue 20
Pour l’adoption 38
Contre 0
(La proposition de loi est adoptée.)
Voir sur le même sujet :
- Accroissement de la dépendance agricole et alimentaire de la France et insuffisance des moyens de contrôle des importations
- Importations alimentaires : arme de destruction massive d’une agriculture européenne durable (Julien Brugerolles)
- Proposition de loi d’André Chassaigne visant à rendre obligatoire l’indication du pays d’origine pour tous les miels (2019) et Proposition de loi visant à rendre obligatoire l’indication du pays d’origine pour tous les miels (2018)
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