Mardi 3 mars 2020
Présentation par André Chassaigne de la motion de censure de la gauche suite à l’annonce du recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution par le Premier ministre sur le projet de loi de réforme des retraites
André Chassaigne. Monsieur le Premier Ministre, J’ai l’honneur d’avoir été désigné par la Présidente Valérie Rabault et le Président Jean-Luc Mélenchon pour présenter, au nom de nos trois groupes, cette motion de censure pour empêcher l’adoption sans vote, par le truchement du funeste article 49 alinéa 3 de la Constitution, de votre non moins funeste réforme des retraites.
Le recours à cette arme parachève la chronique du fiasco annoncé de cette réforme :
- Un mouvement social inédit depuis le début de la Ve République.
- Un rejet profond et massif des citoyens.
- Des partenaires sociaux méprisés.
- Un Conseil d’État qui dénonce l’incohérence et l’insécurité juridique du texte.
- Une étude d’impact trompeuse et insincère.
Votre amateurisme et votre impréparation aboutissent à un désastre démocratique. Cette mise à mort de nos débats souligne votre profond mépris du Parlement. C’est la négation de notre rôle de législateur et une nouvelle étape de la dérive autoritaire du régime. Les pères de la Constitution de 1958, conscients de cette possible dérive, avaient souhaité la réserver aux seuls cas exceptionnels. Quel est donc le cas exceptionnel qui justifierait, selon vous, de priver notre Assemblée de débattre ? Il en est un, porté depuis le premier jour de l’examen de ce texte par les cacatoès de la majorité : le simple fait que les oppositions proposent, contredisent, interrogent, dans le plus strict respect de votre Règlement. Les digéreurs de la parole élyséenne rêvent d’un hémicycle occupé par eux-seuls et dans lequel, l’échine courbée, ils feraient leurs petits arrangements entre amis. Il leur est, en fait, insupportable que nous fassions respirer la démocratie.
Oui, chers collègues, tout, depuis le début de l’examen de ce texte, prouve que vous n’avez jamais voulu débattre et que vous souhaitiez imposer coûte que coûte votre réforme.
Rappelons quelques étapes de cette discussion parlementaire. D’abord le choix de la procédure accélérée sans autre motif que celui de boucler la première lecture avant le premier tour des municipales. Pour une réforme que vous avez qualifiée, Monsieur le Premier Ministre, comme « l’une des réformes les plus ambitieuses et les plus complexes de ces dernières années », vous avez décidé d’un calendrier intenable, dans des délais tout simplement scandaleux pour examiner 70 articles.
Dans ces conditions, la commission a fatalement échoué au bout de 10 jours et nous avons été obligés d’examiner en séance le texte initial. Quant aux débats dans notre hémicycle, vous n’aviez initialement prévus que deux semaines, sachant que cela ne suffirait pas pour comprendre, décrypter, mesurer les conséquences de chacun des 70 articles.
- 5 Présidents de groupe ont demandé de laisser le temps nécessaire au débat. Fin de non-recevoir.
- Nous avons multiplié les demandes de retrait de ce texte, pour que vous puissiez nous présenter une copie digne du respect que vous devez à nos concitoyens, à leur avenir, et non pas un simple brouillon. Fin de non-recevoir.
- Nous vous avons soumis, avec 60 de nos collègues, une motion référendaire pour sortir par le haut, par le peuple, de cette crise en organisant un référendum. Fin de non-recevoir.
- Nous avons alors décidé de multiplier nos possibilités de prises de parole pour obtenir des réponses aux questions que se posent la majorité des Français, les organisations syndicales mais aussi la plus haute juridiction administrative de notre pays. Fin de non-recevoir ultime avec ce 49-3.
Pris au piège, vous avez imaginé, avant ce coup fatal, toutes les parades possibles pour échapper au débat. La plus fameuse mais la moins glorieuse : faire tomber des milliers d’amendements de l’opposition dans le mépris le plus total de notre Constitution, vous obstinant durant près de deux jours, au point de bloquer nos débats, avant de renoncer à ce coup de force.
A qui la faute ? A celui qui piétine le droit où à celui qui se bat pour que le droit soit respecté ?
C’est alors que la mascarade a commencé dans ce qu’elle avait de plus pathétique. Une fois que nous avons pu engager la discussion, après avoir arraché le respect de nos droits, sont entrés en scène les mercenaires d’En Marche et leurs supplétifs du Modem. Dès qu’un député de l’opposition prenait la parole pour faire des propositions, pour obtenir des réponses essentielles, pour ouvrir un débat de qualité, ils ont déversé leurs cris d’orfraie pour masquer les non réponses et fustiger un excès de paroles de l’opposition, parole trop gênante car dévoilant les multiples entourloupes de votre réforme :
- La valeur du point qui sera indexée sur le « revenu d’activité moyen », un indicateur inconnu à ce jour mais lourd de menaces pour les pensions des futurs retraités.
- L’exclusion des retraités agricoles actuels du minimum de pension à 85 % du Smic.
- La réforme des pensions de réversion qui fera 65 % de perdants.
- L’absence de garantie sur le taux de remplacement des pensions après la réforme.
- Le maintien de façade de l’âge légal à 62 ans. C’est pourquoi, vous ne pourrez convaincre les Français de l’utilité de ce 49.3 qui marque celui qui l’utilise du sceau de la faiblesse et de l’autoritarisme. L’un allant souvent avec l’autre.
Les Français, eux, souhaitaient que ce débat se poursuive pour comprendre tous les tenants et aboutissants de cette réforme. Ils attendaient de leurs représentants qu’ils corrigent un texte mal écrit, inachevé, bourré d’ordonnances et qui engage leur avenir pour des décennies. Nous voulions poursuivre ce débat. Nous en avions le temps. Deux à trois petites semaines supplémentaires y suffisaient au rythme atteint ces derniers jours. Mais, l’exécutif ne le voulait pas, surtout pas. C’est d’ailleurs au moment où les débats devenaient de plus en plus risqués pour la majorité que le Président de la République a souhaité abréger sa souffrance. Il devenait, il est vrai, cruel de poursuivre ainsi au moment où nous allions aborder le cœur de ce projet : la valeur du point et l’âge d’équilibre.
Votre majorité n’en pouvait plus de justifier l’ampleur des régressions sociales projetées :
- Le recul de l’âge de départ avec l’instauration d’un âge d’équilibre à 65 ans.
- Un système à points qui conduit à une baisse générale des pensions et rend chacun comptable de son seul sort.
- Une machine à reproduire les inégalités vécues pendant la carrière professionnelle, au détriment, en premier lieu, des femmes.
- L’affaiblissement des mécanismes de solidarité : réversion, carrières longues, la fin de la prise en compte des périodes de chômage non indemnisé.
- L’affaiblissement des dispositifs de reconnaissance de la pénibilité.
- L’ouverture d’espaces de capitalisation pour les hauts salaires.
C’est parce que ces débats menaçaient de faire craquer le vernis de votre communication et auraient mis à jour l’ampleur de l’arnaque, que vous avez décidé de mettre fin à ce naufrage programmé en actionnant l’article 49 alinéa 3 sous le prétexte de sauver la démocratie parlementaire menacée. Ah, Monsieur le Premier Ministre, qu’en termes galants ces choses-là sont mises !
Emporté par le cynisme de votre logorrhée, ce que vous perdez de vue, c’est que l’immense majorité du peuple est imperméable à vos grands airs indignés. Parce que vos leçons éculées de morale républicaine n’occulteront jamais la réalité de votre réforme et ne désarmeront pas les opposants à votre projet de régression sociale.
Parce que la vérité, c’est que vous êtes incapable de répondre aux questions que se posent les citoyens, relayées par les oppositions parlementaires. Parce que vos envolées pour faire croire que votre projet de loi est la semence d’un nouveau pacte social n’occulteront jamais ce qu’il est réellement : un simple débris des avancées sociales d’un gouvernement issu du Conseil National de la Résistance dans lequel siégeaient communistes et gaullistes.
« Notre ambition, disait Ambroise Croizat, est désormais, par le nouveau système, de mettre toute la vie de l’individu en « sécurité sociale » ». Cette ambition, vous dites en porter la flamme, vous n’en gardez que les cendres.
Avec votre réforme, vous créez le contraire : « l’insécurité sociale ». L’angoisse du lendemain.
Aussi, chers collègues de la majorité, je voudrais m’adresser plus particulièrement à celles et ceux parmi vous qui vivent dans l’oubli de leur métamorphose, dans l’oubli de leurs engagements passés et des combats que nous avons pu partager contre les puissances de l’argent. Je sais que vous vous reconnaîtrez et je vous appelle à ne plus être les dupes de bonne foi d’une telle hypocrisie collective. Je vous appelle à voter aujourd’hui en écoutant votre conscience.
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