COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L’ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE
Jeudi 16 mars 2006 (Séance de 10 heures)
Présidence de M. Patrick Ollier, Président
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La Commission a entendu M. Carlos Ghosn, Président de Renault.
Le Président Patrick Ollier a accueilli M. Carlos Ghosn, rappelant que la Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire était soucieuse d’écouter les chefs des grandes entreprises et de prendre en compte leurs préoccupations. Il a demandé au président de Renault de présenter le contrat 2009 de l’entreprise, et l’évolution du marché automobile, se demandant si le maintien de deux grands constructeurs français était viable. Il a souligné l’importance que la Commission accordait aux enjeux énergétiques, abordés notamment à travers la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique et la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006 ; se déclarant surpris que de nombreux pays étrangers développent les biocarburants avec beaucoup plus de dynamisme que la France, il a souhaité connaître l’avis de M. Ghosn sur les perspectives ouvertes sur les biocarburants par la Commission.
M. Carlos Ghosn, président de Renault, a rappelé l’importance de l’entreprise, et de son alliance avec Nissan : Renault emploie 126 600 personnes dans le monde (dont 55 % en France), qui produisent chaque année 2,5 millions de voitures. Le chiffre d’affaires s’élève à 41 milliards d’euros, et la marge opérationnelle à 3,2 %, pour un résultat net de 3,3 milliards d’euros. Il a expliqué l’écart entre le résultat net très satisfaisant, et les résultats opérationnels notamment par les participations de Renault dans des entreprises prospères : Renault détient 44 % du capital de Nissan, et 20 % de Volvo.
Il a affirmé que la performance de Nissan était due elle aussi à l’alliance avec Renault, depuis 1999. Il a indiqué que Nissan employait 220 000 personnes, et réalisait un chiffre d’affaires de 80 milliards d’euros. Il a souligné que le taux de croissance de l’entreprise atteignait des records depuis trois ans, et que sa marge opérationnelle, à 9,5 %, était la plus forte de toute l’industrie automobile.
Abordant le plan « Renault contrat 2009 », M. Carlos Ghosn a déclaré que Renault devait avoir un développement propre. Il a mis en avant les atouts de l’entreprise, notamment l’alliance avec Nissan, l’existence de projets très prometteurs dans plusieurs régions du monde (Iran, Inde, Roumanie, Asie du Sud Est, Amérique latine), un bilan sain avec de beaux actifs et une dette marginale. Il s’est félicité de la réactivité de l’entreprise, rappelant ses cinq victoires consécutives en Formule 1, alors que Toyota, le constructeur le plus compétitif au monde n’avait jamais accédé au podium, et affichant la volonté de Renault, qui détient les meilleurs scores de résistance aux crash tests, d’être le constructeur le plus sûr au monde.
Il a aussi évoqué une gamme trop étroite, des coûts d’investissement trop élevés, une présence insuffisante sur les marchés internationaux, la nécessité de faire entrer les notions de clients et de profit dans la culture de l’entreprise, voyant là des opportunités de progrès. Il a développé l’idée que le profit était un outil de management, estimant que c’était le seul indicateur de satisfaction du client et donc le signe que l’entreprise faisait bien son travail.
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Il a ensuite présenté les trois engagements de « Renault contrat 2009 » :
- faire de la future Laguna, qui sera lancée en 2007, l’une des trois meilleures voitures de son segment en qualité de produit et de service ;
- porter la marge opérationnelle de Renault à 6 % en 2009, alors que le plafond historique atteint en 1999 était de 5,9 %, afin de rejoindre le club des constructeurs performants comprenant aujourd’hui Nissan, Toyota, Honda et BMW, seuls constructeurs automobiles à atteindre ce niveau ;
- vendre 800 000 voitures de plus en 2009 qu’en 2005, sans acquisitions.
Il a indiqué que le plan d’action permettant d’atteindre ces objectifs avait été bien accueilli à l’intérieur de l’entreprise, malgré des craintes initiales de restructuration, et que la notion d’engagement était également appréciée à l’extérieur de l’entreprise.
Il a enfin précisé que ce plan s’appuyait sur le lancement offensif de nouveaux produits (26 étant prévus sur cette période), sur des avancées technologiques, en termes de sécurité et de performance environnementale notamment, sur une gestion plus compétitive des coûts, et un management par le profit. Il a estimé que la mise en œuvre de ce plan était bien partie, et que chaque acteur de l’entreprise s’était s’approprié ce « contrat 2009 » et connaissait sa propre contribution à sa réalisation.
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S’exprimant au nom du groupe communiste, M. Daniel Paul a rappelé qu’il y avait actuellement à Sandouville 4 700 salariés des usines Renault, et que l’entreprise constituait également un débouché primordial pour le port du Havre, premier port français d’import-export. Rappelant qu’il avait été président en 1997 de la mission d’information sur l’avenir de l’industrie automobile en Europe après la fermeture du site de Vilvoorde, il a évoqué les craintes qu’avait suscité le contrat 2009. Il s’est associé aux préoccupations exprimées par le Président Patrick Ollier, soulignant que le constructeur automobile s’intéressait peu aux moteurs hybrides, et qu’en termes de gamme de produits, il était impératif que Renault se positionnât sur l’ensemble des segments du marché ; Il s’est interrogé sur l’objectif de rentabilité annoncé par la direction de l’entreprise. Rappelant en effet que Renault souhaitait dégager des marges opérationnelles de 6 % en 2009, en baissant ses coûts, et en instaurant un « pilotage par le profit », il a estimé que cela revenait à exercer une pression toujours plus intense sur les salariés, au seul profit des actionnaires.
Il s’est interrogé dans ce contexte sur de possibles délocalisations et a suggéré que d’autres relations devraient être nouées avec les sous-traitants et les équipementiers de Renault, afin de construire une filière de production complètement intégrée. Rappelant l’absence de projet nouveau à Sandouville, il a déploré que le chômage technique imposé aux salariés allât croissant, s’élevant en moyenne à 40 jours, tandis que l’on en prévoyait 60 en 2006. Plus encore, il a regretté la baisse continue des effectifs du groupe, interrogeant le Président de Renault sur ses intentions quant au remplacement, par de jeunes ouvriers, des 258 ouvriers âgés de Sandouville devant partir en retraite de longue carrière en 2006.
Précisant que le groupe communiste était opposé à un plan fondé sur le diktat du profit, il s’est interrogé sur l’avenir du site de Sandouville qui repose sur la seule Laguna alors qu’il apparaît urgent de renforcer la gamme, lorsqu’on sait qu’à peine 5 automobiles de la gamme Velsatis sont commercialisées chaque jour. Il a en outre souhaité savoir si Renault comptait créer une gamme de voitures à bon marché, et a souligné que la fiabilité des modèles haut de gamme était essentielle à la réussite de ce segment.
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M. André Chassaigne, soulignant que sa question, d’intérêt local, soulevait un problème plus général ayant valeur d’enseignement, a indiqué que l’entreprise DAPTA à Thiers venait de déposer son bilan en février, mettant en péril 450 emplois ; qu’il s’agissait d’un sous-traitant de l’automobile réalisant 13 % de son chiffre d’affaires avec Renault, qui avait récemment remis en cause une commande, contribuant à l’accélération des difficultés de l’entreprise. Il s’est interrogé sur la possibilité d’un rétablissement de cette commande, pour aider au maintien de cette entreprise dotée d’un savoir faire reconnu, mais qui s’était trouvée pénalisée par des erreurs de gestion.
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En réponse aux différents intervenants, M. Carlos Ghosn a apporté les précisions suivantes.
S’agissant de la participation des salariés aux résultats de l’entreprise, il s’est déclaré favorable au développement de l’actionnariat salarié, dont la stabilité est particulièrement précieuse et qui permet d’injecter du pouvoir d’achat et de favoriser l’épargne. Il a toutefois souligné que la distribution d’actions gratuites ne devait pas avoir pour effet de créer un actionnariat salarié artificiel, et qu’il importait que les salariés fussent volontaires pour devenir actionnaires.
Il a ensuite évoqué la question posée sur l’avenir des entreprises situées en France, soulignant qu’il s’agissait d’une question cruciale pour le long terme. Le maintien des sites de production sur le territoire national lui a paru possible, quoique n’allant pas de soi. Revenant sur son expérience japonaise, il a insisté sur les similitudes entre la situation nippone et la situation française, les deux pays étant confrontés à la concurrence de pays émergents géographiquement proches. Il a estimé qu’il fallait être conscient d’un risque pour pouvoir le surmonter. Ainsi a-t-il rappelé que les usines japonaises n’avaient jamais autant tourné que lorsque les investissements japonais à l’international étaient à leur sommet. Il a jugé que la solution reposait autant sur le développement de la compétitivité des sites nationaux que sur le développement international.
Indiquant que Renault réalisait 50 % de son bénéfice en France, il a estimé que ce chiffre était trop élevé, insistant sur la nécessité de développer la profitabilité du groupe à l’international.
S’agissant de l’introduction de la Logan sur le marché français, il a fait part de ses réticences, d’une part parce ce véhicule, destiné dans un premier temps aux marchés émergents, est produit sous la marque Dacia, ce qui pourrait engendrer une confusion regrettable dans l’esprit des consommateurs, d’autre part parce que l’offre par Renault de véhicules de catégorie identique lui paraît suffisante. Il a toutefois admis une demande des consommateurs, insistant sur le fait que le développement de la Logan ne devait pas se faire au détriment de la Twingo ou de la Clio.
Il a par ailleurs précisé que 75 % des fournisseurs de Renault étaient des fournisseurs européens, pour certains d’entre eux des groupes internationaux dont la production pouvait être assurée ailleurs qu’en Europe.
Au sujet de l’emploi des jeunes, il a jugé, invoquant son parcours personnel, qu’une première expérience était ce qu’il y avait de plus précieux et de plus formateur à offrir à un jeune, et que sans entrer dans le détail technique et juridique des dispositifs légaux, tout ce qui va en ce sens lui paraissait devoir être soutenu.
Évoquant son expérience japonaise, il a rappelé qu’il lui avait fallu mettre en œuvre au bout de trois mois un plan de redressement de Nissan, alors deuxième constructeur d’un pays dont la culture lui était totalement inconnue. Il a souligné que de nombreuses habitudes, ancrées dans la culture japonaise, avaient été mises en cause, tel le principe de « séniorité », ou bien encore du keiretsu. Il a jugé que ces changements n’avaient pas été accueillis avec hostilité dans la mesure où il avait pris l’engagement personnel de démissionner si, au terme de la première année de mise en œuvre du plan, l’entreprise ne dégageait pas de profit.
Tirant les leçons de son séjour au Japon, il a estimé qu’aucune mission de redressement n’était a priori impossible, et a par ailleurs indiqué que l’Asie lui semblait appelée à jouer un rôle incontournable dans l’économie du XXIe siècle. Il a souligné à cet égard qu’il lui semblait impropre de parler de l’Asie au singulier, compte tenu de l’extrême diversité des aires japonaises, chinoises, indiennes, ou du Sud-Ouest asiatique.
S’agissant de la possibilité de créer des plates-formes technologiques en France, il a dressé le constat de la grande qualité des solutions techniques élaborées par la recherche française, déplorant toutefois un certain désintérêt pour l’exploitation par le marché de ces solutions. Il a appelé de ses vœux une meilleure continuité entre recherche, développement et commercialisation.
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Au sujet des méthodes de transformation d’une entreprise, il a évoqué la nécessité d’une vision recueillant l’adhésion de l’ensemble des personnels, ce qui suppose une bonne communication dans l’entreprise, de l’identification de la contribution de chacun à la concrétisation de cette vision, et de l’association de chacun à la transformation de la réalité de l’entreprise.
Estimant que la profitabilité était une condition nécessaire mais non suffisante d’une entreprise qui réussit, M. Carlos Ghosn a ensuite évoqué le rôle societal de l’entreprise, qu’il s’agisse de la sécurité routière, de la place des handicapés ou de l’emploi des jeunes. Il a notamment rappelé que la première préoccupation de Nissan au Japon en 1999 était de retrouver le chemin de la croissance mais que six ans plus tard, une fois cet objectif - essentiel à la survie de l’entreprise - atteint, sa préoccupation principale consistait désormais à définir le rôle joué par l’entreprise dans la société, le personnel demandant des réponses en termes d’éducation, d’intégration ou d’actions en faveur de l’environnement. Il a défendu dans le cadre de Renault la prise en compte concomitante des enjeux liés à la compétitivité de l’entreprise et la contribution de cette dernière à une société meilleure, sur tous les sites d’implantation et non pas uniquement en France.
S’agissant des types de mesures destinées à lancer la voiture propre, il a considéré qu’il n’était pas sain pour un constructeur automobile de se baser sur l’existence d’aides pour faire quelque chose. S’il est possible d’initier une technologie par l’octroi d’une aide, il a souligné que celle-ci devait rester ponctuelle et qu’il était opposé au développement d’un produit s’appuyant de façon durable sur une aide fiscale. Il a également estimé que les aides devaient être identiques pour les différentes technologies apportant les mêmes bénéfices, par exemple en terme de réduction de dioxyde de carbone, et qu’il n’y avait pas de raison de privilégier une technologie plutôt qu’une autre.
En ce qui concerne les stratégies adoptées à l’égard des quatre pays émergents que sont la Chine, l’Inde, la Russie et le Brésil, il a expliqué qu’un partage des tâches s’était instauré au sein de l’alliance, Nissan s’implantant en Chine et Renault dans les trois autres pays. Il a précisé que Nissan avait massivement investi en Chine en rachetant 50 % de Dongfeng, une entreprise chinoise, pour un montant d’un milliard d’euros, que l’entreprise disposait de quatre usines en Chine et qu’elle vendait quatre ans après son entrée sur le marché 200 000 voitures dans ce pays, l’objectif étant d’atteindre le nombre de 500 000 en 2008. Il a indiqué qu’il était actuellement en discussion avec le gouvernement chinois pour un accord de présence de Renault en Chine avec le même partenaire mais que ces discussions n’avaient pas encore abouti en l’absence d’accord sur la localisation des sites, la logique industrielle s’opposant à celle de la création d’emplois. Il a ajouté que la stratégie était analogue en Inde ou en Russie, où Nissan commençait à prospecter en s’associant aux partenaires de Renault. Il a observé qu’en tout état de cause une très grande partie de la croissance dans les prochaines années viendrait de la percée sur ces marchés émergents. Il a également affirmé que les équipementiers accompagnaient l’entreprise dans la conquête de ces nouveaux marchés.
S’agissant de l’objectif de 140 g de CO2, M. Carlos Ghosn a souligné que Renault était avec PSA le seul constructeur à l’avoir quasiment atteint. Il a cependant attiré l’attention sur le fait que la réalisation de cet objectif ne pouvait être obtenue au détriment du client. Soulignant que les voitures générant le plus de profit étaient actuellement les 4X4, les voitures de sport et le haut de gamme, il a regretté que Renault ne soit pas présent sur des segments de marché où l’essentiel des constructeurs font leur profit. Il a estimé une percée sur le haut de gamme particulièrement nécessaire pour rééquilibrer et renforcer Renault.
S’appuyant sur l’expérience de Nissan au Japon depuis 1999, il a jugé particulièrement pertinente l’idée selon laquelle il est possible de s’inspirer des leçons de la réussite d’une entreprise pour appliquer ces bonnes pratiques à l’échelle d’un pays. Il a notamment considéré que le succès d’une entreprise française faisait partie du patrimoine national et que les entreprises constituaient de bons laboratoires de la société, qu’il s’agisse de la création de valeur, de la répartition de richesses ou des relations humaines en général.
Enfin, il a jugé inéluctable la libéralisation de la distribution mais a souligné que 35 % des clients achetaient leur voiture à une personne et non à un constructeur et que le client était donc plus attaché à un distributeur qu’à une marque particulière. Il a ainsi considéré la confiance dans le distributeur comme un élément essentiel, le facteur humain étant difficilement remplaçable. Il en a conclu que la sélection allait se faire sur la qualité du service.
Remerciant M. Carlos Ghosn d’être venu s’exprimer devant la Commission, le Président Patrick Ollier s’est félicité du succès de cette audition et du nombre particulièrement important de parlementaires présents.