Commission des affaires économiques
Mercredi 15 février 2017
Séance de 9 heures 30
Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente – Table ronde sur l’avenir de l’industrie du médicament en France, avec la participation de M. Philippe Lamoureux, directeur général du Leem (Les entreprises du médicament, M. Yves L’Épine, directeur général du groupe Guerbet, membre du G5 Santé, M. Philippe Luscan, président de Sanofi France et vice-président exécutif des affaires industrielles mondiales de Sanofi, et M. Jean-Patrick Sales, vice-président « Médicaments » du Comité économique des produits de santé 2
Mme la présidente Frédérique Massat. Pour des raisons d’organisation, cette table ronde ne peut pas se tenir conjointement avec la commission des affaires sociales, ce qui aurait pourtant été intéressant. Nous bénéficions néanmoins de la présence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je salue également le président André Chassaigne, qui a largement contribué à l’organisation de cette réunion.
La commission des affaires économiques a souhaité que cette table ronde sur l’industrie du médicament soit consacrée au seul aspect industriel de la question. Il s’agit de l’un des secteurs clés de notre économie, représentant plus de 250 entreprises et comprenant, en France, deux groupes principaux, Novartis et Sanofi, qui possèdent respectivement 7,5 % et 7,2 % de parts du marché.
Cette industrie représente près de 100 000 emplois directs, et plus de 53 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2015, dont 48 % à l’exportation. Le solde de sa balance commerciale s’établit à plus de 7,7 milliards d’euros en 2015, en augmentation de 29 % par rapport à 2014.
Le budget du secteur consacré à la recherche s’élève à 9,8 % du chiffre d’affaires des entreprises du médicament, auxquels s’ajoutent des dispositifs d’aides publiques puisque l’industrie du médicament bénéficie de 10 % du crédit d’impôt recherche (CIR). La santé et les biotechnologies sont identifiées comme l’un des six axes stratégiques du troisième volet du programme d’investissements d’avenir (PIA3), 3 milliards d’euros ayant été mobilisés à ce titre.
Je cède la parole à nos invités pour un exposé liminaire, puis nos collègues leur poseront des questions.
M. Philippe Lamoureux, directeur général du Leem (Les entreprises du médicament). Nous sommes d’autant plus heureux de participer à cette table ronde que c’est la première fois que nous sommes entendus par la commission des affaires économiques, alors que nous sommes à deux mois des échéances électorales. Nous aurions préféré l’être régulièrement.
Chacun s’accorde à reconnaître que le secteur du médicament est stratégique pour la politique industrielle et l’économie nationale, ce qui a été à nouveau confirmé par le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) qui s’est réuni l’année dernière. Tous les rapports d’experts rendus depuis une dizaine d’années montrent que les industries de santé constituent l’une des branches d’excellence de l’économie industrielle française.
Le marché pharmaceutique français représente le deuxième marché européen et le cinquième marché mondial. Comme vous l’avez relevé, Madame la présidente, il s’agit d’une économie d’exportation puisque pratiquement un médicament sur deux fabriqué en France est exporté ; le chiffre d’affaires « prix fabricants hors taxes » (PFHT) du secteur s’élève à 53,2 milliards d’euros, et nous réalisons 25,4 milliards d’euros à l’exportation, soit la moitié.
Ce leadership doit beaucoup au dynamisme de la recherche et développement (R&D) française. Vous avez cité le chiffre de 9,8 % du chiffre d’affaires consacré à la recherche, auquel il convient d’être attentif, car il inclut nos amis fabricants de génériques qui, pour la plupart, ne développent pas de recherche. Le ratio des industries de recherche est donc en réalité plus proche de 15 % que 9,8 %. Nous tirons aussi avantage de l’existence d’importants organismes de recherche publics mondialement reconnus, tels le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l’Institut Pasteur, l’Institut Curie et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Nous disposons, par ailleurs, d’un écosystème de partenariats public-privé doté d’un très fort potentiel, comme en témoigne le Conseil stratégique des industries de santé placé sous l’autorité du Premier ministre ou les travaux que nous menons régulièrement avec Aviesan (Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé) ainsi que les écosystèmes régionaux, auxquels je sais que nombre d’entre vous sont sensibles, car je n’ignore pas que le secteur pharmaceutique est présent dans de nombreux territoires, comme Polepharma en Centre-Normandie-Île-de-France, Medicen en région Île-de-France ou Lyonbiopôle en région Rhône-Alpes.
Notre secteur connaît aussi des fragilités tenant à trois facteurs : la pression mise depuis cinq ou six ans par les régulateurs sur les dépenses de produits de santé et singulièrement sur le médicament ; un environnement normatif que je qualifierai d’inflationniste et un alourdissement de la fiscalité générale et sectorielle, qui constitue un frein aux investissements productifs du secteur.
Cette situation est d’autant plus regrettable que l’industrie pharmaceutique est confrontée à deux enjeux majeurs. Le premier est lié à une révolution thérapeutique sans précédent, qui s’accompagne du retour de l’innovation avec de grands produits introduisant une rupture dans l’organisation des soins. Le second consiste en une transformation du modèle économique du marché pharmaceutique, qui concerne aussi bien les activités de recherche que celles de production.
Malgré ce contexte difficile, l’industrie pharmaceutique a su enrayer la dégradation de ses effectifs : elle emploie 98 690 salariés directs, chiffre qui décline de 1 % par an – nous publierons nos résultats demain, ils montrent une stabilité pour l’année dernière. Nous parvenons donc à gérer cette mutation à effectifs à peu près constants. Nous continuons à recruter environ 10 000 collaborateurs chaque année, sachant que tout jeune formé dans notre secteur trouve un emploi à l’issue de sa formation ; peu de secteurs peuvent en dire autant. Ce résultat en termes d’effectifs, nous l’avons obtenu en ayant à conduire dans le même temps la réforme structurelle de la visite médicale : en 2004, il y avait 23 800 visiteurs médicaux, aujourd’hui, ils ne sont plus que 2 300.
Notre politique d’emploi se caractérise par des engagements forts en faveur de l’apprentissage, pris dans le cadre du contrat de génération passé avec les partenaires sociaux. En 2016, nous avons signé 1 700 contrats d’apprentissage, avec l’objectif ambitieux d’atteindre le nombre de 5 000 en 2022. Nous nous sommes également résolument engagés en faveur de l’emploi des jeunes en prévoyant d’augmenter de 30 % la part de recrutement des moins de trente ans d’ici à trois ans. Nous conduisons aussi un recrutement dynamique des seniors, qui représentaient 29,3 % des effectifs en 2015 contre 27,1 % en 2014. Enfin, nous sommes une des branches pilotes dans le domaine de l’intégration des salariés en situation de handicap à travers notre association HandiEM. Notre taux global d’employés en situation de handicap est passé de 1,69 % en 2009 à 3,45 % en 2015, année au cours de laquelle nous avons signé environ un millier de contrats de travail avec des personnes handicapées.
Ces résultats sont obtenus dans un contexte de pression budgétaire accru, puisque les économies demandées au médicament représentent environ 50 % des mesures d’économies prévues par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), et Madame la présidente de la commission des affaires sociales le sait bien. De plus, la dernière LFSS envoie des signaux qui ne vont pas dans le bon sens en ciblant fortement l’innovation, alors que l’un des enjeux industriels consiste à renforcer la production de médicaments innovants en France.
Nous sommes également très inquiets au sujet de la lettre d’orientation ministérielle adressée au Comité économique des produits de santé, qui nous semble contredire sur certains points l’accord-cadre que nous avons conclu il y a un an avec le Gouvernement.
Notre secteur connaît donc aujourd’hui un certain nombre de signaux d’alerte.
Dans le domaine de la R&D, la compétition ne s’exerce plus seulement entre les entreprises, mais entre les États. Des pays comme l’Allemagne ou des pays d’Europe centrale et orientale conduisent aujourd’hui des politiques très incitatives, notamment dans le domaine de la recherche clinique. Nous allons publier très prochainement le bilan de l’attractivité de la recherche clinique française, qui adresse quelques signaux d’alerte.
Notre industrie de production est forte, certes, mais elle est centrée sur la fabrication de produits chimiques, qui représente 80 % de la production française. Nous n’occupons que la septième position en Europe en termes de chiffre d’affaires généré par les médicaments issus des biotechnologies, ce qui est problématique. Un virage reste à prendre.
Le nombre de produits thérapeutiques en développement préclinique et clinique en France est inférieur à ce qu’il est dans d’autres pays européens : 280 en France contre 420 au Royaume-Uni, 320 en Allemagne et 320 pour un petit pays comme la Suisse. Enfin, au cours de la période 2014-2016, 46 autorisations de mise sur le marché (AMM) ont été délivrées par l’Agence européenne du médicament (EMA) pour les médicaments biologiques ; or, pour ces 46 produits, trois sites seulement de fabrication sont enregistrés pour la France.
Un premier enjeu tient donc à la capacité de capitaliser sur nos atouts industriels, un autre est de concilier la maîtrise des dépenses de santé avec la politique d’attractivité.
Pour développer cette industrie dans les années qui viennent, il importe de créer un écosystème favorable dans un contexte de compétition qui n’oppose plus les seules entreprises, mais aussi les États. Nous venons de rendre publique une plateforme que nous porterons à l’occasion des échéances électorales nationales. En résumé, ce document insiste sur la nécessité d’accélérer le développement de la bioproduction et d’améliorer le maillage entre les PME de biotech et les grandes entreprises. Par ailleurs, il convient de multiplier les accords de reconnaissance mutuelle avec nos partenaires commerciaux afin d’offrir de nouveaux débouchés à notre production. Ce sont là trois enjeux de performance industrielle.
S’agissant de l’attractivité du territoire pour les investissements dans le secteur de la santé, depuis un certain temps, nous demandons que les dépenses de médicament soient alignées sur les évolutions générales de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Notre secteur connaît depuis cinq ans une érosion économique en termes de chiffre d’affaires. Or, en l’absence de croissance, il est très difficile de faire valoir une attractivité importante, et d’autant plus lorsque la France devient contracyclique par rapport à ses grands compétiteurs européens. Alors que l’Allemagne a renoué avec la croissance, ce que même le Royaume-Uni est parvenu à faire, la France demeure en stagnation, voire en légère décroissance.
Nous souhaitons également une politique de prix équilibrée passant par la voie conventionnelle, qui tienne compte des impacts budgétaires ainsi que de l’efficience que l’innovation peut permettre d’induire sur l’organisation de l’ensemble du système de santé.
M. Jean-Patrick Sales, vice-président « Médicaments » du Comité économique des produits de santé (CEPS). Le Comité économique des produits de santé intervient en fin de processus pour fixer le prix du médicament, c’est-à-dire après l’AMM et après l’évaluation scientifique réalisée par la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (HAS). Il s’agit d’un comité interministériel placé sous la triple ou quadruple tutelle des ministres de la santé de la sécurité sociale et de l’économie, au sens des comptes publics et de l’industrie.
Le CEPS est chargé de deux missions essentielles : fixer le prix des médicaments et le faire baisser. Il procède par une démarche conventionnelle, qui consiste en une négociation entre les représentants de l’État que sont les membres du Comité et les industriels. Cet axe conventionnel comporte trois niveaux. Le premier prend la forme d’un accord-cadre entre le CEPS et l’instance représentative des industriels de santé – le Leem pour les médicaments. Le deuxième niveau est constitué par une convention que passe chaque entreprise produisant ou exploitant des médicaments avec le CEPS. Le troisième niveau consiste en un avenant à cette convention applicable à chaque produit, qui détermine son prix ainsi que les conditions qui lui sont attachées.
Les critères de fixation des prix sont déterminés par la loi ; au nombre de quatre, ils sont à la fois explicites et limités. Ils concernent l’amélioration du service rendu, indicateur délivré par la commission de la transparence, le prix des comparateurs, les conditions d’utilisation, essentiellement les volumes de vente attendus, et, le cas échéant lorsqu’elle existe, l’évaluation médico-économique. Vous observerez qu’au sein de ces quatre critères, ne figure aucun élément en lien avec l’activité industrielle proprement dite en dehors du tarif ou du prix des concurrents.
Comment cette dimension industrielle peut-elle être intégrée dans l’activité du Comité ?
En premier lieu, par sa composition même : la direction générale des entreprises ainsi que la direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes siègent en son sein puisque le CEPS est interministériel.
En second lieu, cette dimension industrielle figure dans la lettre d’orientation, évoquée par M. Philippe Lamoureux, précise en préambule les indications qu’elle donne au président du CEPS pour conduire la négociation. Il s’agit de la préférence conventionnelle, qui est importante, car elle signifie que le Gouvernement souhaite qu’un accord soit négocié autant qu’il est possible. La lettre rappelle, par ailleurs, les priorités gouvernementales, notamment la priorité à l’innovation et la prise en compte du dynamisme des industries de santé, tout en insistant sur le nécessaire respect de l’ONDAM.
L’accord-cadre conclu avec le Leem tous les trois ans, le dernier ayant été passé au mois de janvier 2016, a introduit un certain nombre de dispositions permettant la reconnaissance de l’activité industrielle. Quatre d’entre elles sont absolument fondamentales.
La première est la garantie du prix européen. Il s’agit d’un accord qui fait que, pour les produits innovants – ceux qui se sont vu reconnaître un niveau de service médical rendu (SMR) 1, 2 ou 3 par la commission de la transparence –, le prix tient compte du marché européen, notamment au sein de quatre pays de référence. C’est, pour l’industriel, la garantie d’avoir sur cinq ans un prix élevé lui permettant de diffuser son produit au sein du continent européen. Il faut savoir que le prix français est référencé dans vingt autres pays ; l’attribution d’un prix élevé pour un médicament constitue donc un avantage considérable pour un industriel. En compensation de cet avantage consenti, le CEPS peut négocier des remises afin de diminuer le poids de cette dépense pour la collectivité.
La deuxième disposition est ce que l’on nomme « l’article 18 », qui consiste en la prise en compte des investissements réalisés par un industriel en Europe sous forme de production, de recherche ou de développement. Ces investissements réalisés conduisent à octroyer, pour des produits n’ayant pas accès à la garantie de prix européen du fait de leur SMR plus faible, une stabilité de prix pour quelques années, ce qui donne aux industriels une lisibilité pour l’avenir de leur produit.
La troisième mesure consiste en l’attribution de crédits « CSIS », c’est-à-dire attribués au titre du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS), qui récompensent les investissements industriels réalisés en Europe et sur le territoire national en termes de recherche, d’installations et d’emplois. En 2015, ces crédits CSIS ont atteint un montant de 44,8 millions d’euros en 2015 et environ 44 millions d’euros en 2016, ce qui représente un investissement conséquent.
La quatrième mesure, dénommée « Fast track », permet, dans certaines circonstances à certains produits relevant de la SMR5, d’accéder en quelques semaines au marché, au terme de négociations extrêmement raccourcies. Cela présente un intérêt fondamental pour des industriels désireux d’accéder très rapidement au marché.
D’autres mesures moins importantes n’en sont pas pour autant dénuées d’intérêt. C’est le cas de la garantie de prix pour les industriels élaborant des formes galéniques à usage pédiatrique, afin qu’ils bénéficient des mêmes coûts de traitement que ceux atteints par les médicaments pour adultes.
Des possibilités de hausse de prix sont réservées aux industriels qui assurent et pérennisent la production ou reprennent dans de nouvelles conditions la production de médicaments anciens susceptibles de disparaître.
Enfin, il existe une possibilité de reconnaître dans le prix du médicament les technologies d’accompagnement du médicament que peuvent représenter certains dispositifs comme des logiciels ou des services, situation à laquelle nous n’avons pas encore été confrontés.
M. Philippe Luscan, président de Sanofi France et vice-président exécutif des affaires industrielles mondiales. Je suis président de Sanofi en France, mais je suis aussi directeur industriel du groupe, et c’est à ces deux titres que je souhaite illustrer les propos de M. Philippe Lamoureux afin d’expliquer ce que fait Sanofi dans le domaine de la R&D en France ainsi que dans le domaine industriel, puisque c’est là le cœur de notre discussion.
S’agissant de la recherche et développement en France, nous dépensons 2,4 milliards d’euros par an, ce qui représente 40 % de nos dépenses de R&D mondiales. Nous disposons de six centres de recherche, employons 6 000 personnes environ, et nous sommes le premier investisseur privé de R&D en France, toutes industries confondues. La vocation de notre R&D est de développer de nouveaux médicaments. Après une période difficile dans les années 2010, pendant laquelle notre innovation s’était quelque peu tarie, nous sommes revenus à de meilleurs résultats puisque nous avons, au cours des trois dernières années, lancé cinq nouveaux médicaments dans le monde. Nous en lancerons cinq de plus dans les trois prochaines années.
Toutefois, seuls deux de ces cinq produits ont reçu une AMM en France, ce qui illustre la difficulté de l’accès des médicaments dans le domaine de l’innovation. Par ailleurs, huit de ces dix médicaments sont biologiques, et deux relèvent de procédés chimiques, ce qui constitue l’inverse de ce que j’ai connu à mes débuts chez Sanofi – je fête mes vingt-sept années au service de cette belle maison –, le rapport étant alors de 80 % pour 20 %.
En France, nous possédons 18 usines et employons 13 000 personnes. Ces chiffres sont stables depuis 2008, date de ma prise de fonctions. Nous exportons à travers le monde plus de 80 % de notre production – contre 50 % en moyenne pour l’industrie pharmaceutique en France –, et même plus de 95 % pour les vaccins. Le marché évolue néanmoins, ce qui nous impose de renouveler environ un tiers de l’ensemble de nos produits tous les six ans. Cela signifie que, tous les six ans, 6 de nos 18 usines doivent renouveler leur portefeuille de production ; en d’autres termes, tous les ans, une usine doit trouver une nouvelle dynamique. C’est ainsi qu’au fil des années, nous avons développé une stratégie industrielle reposant sur cinq leviers permettant d’anticiper cette indispensable transformation.
Le premier levier est l’export. Le marché français représente 6 % de nos ventes, ce qui signifie que 4 de nos usines travaillent pour la France, et les 14 autres pour l’exportation. En termes d’export, nous représentons 11 milliards d’euros, et notre balance commerciale positive s’établit à environ 6 milliards, ce qui est considérable. Nous sommes le cinquième exportateur français, après avoir été troisième derrière l’aéronautique et l’automobile, et nous avons l’intention de le redevenir.
Le deuxième levier est l’obtention de la reconnaissance par la Food and Drug Administration (FDA), qui régule le marché américain, capital pour nous à l’export. C’est pourquoi nous fournissons dans nos sites un travail qualitatif considérable afin de les faire approuver pour ce marché. Douze de nos dix-huit sites sont approuvés par la FDA, ce qui, à ma connaissance, n’est le cas que pour moins de la moitié des usines françaises.
Le troisième levier est la spécialisation de deux de nos sites pour le marché de l’automédication, dont nous sommes devenus le numéro un mondial grâce à l’acquisition du portefeuille dit OTC – acronyme de Over The Counter, soit par-dessus le comptoir – de Boehringer-Ingelheim. La croissance du portefeuille de produits de ces usines est ainsi assurée, car ils sont présents en France ainsi qu’à l’export.
Notre activité chimique, activité historique du groupe, représente le quatrième levier. Deux pôles sont concernés : le premier regroupant des usines travaillant pour le groupe Sanofi, le second produisant pour des laboratoires à travers le monde. Nous réfléchissons, à moyen terme, à des possibilités de partenariat afin de poursuivre cette dynamique de développement de notre activité chimique.
Le dernier levier est l’évolution dans les biotechnologies auxquelles huit de nos sites français sont consacrés, ce qui est considérable. Je pense qu’à travers nos diverses activités dans ce domaine, nous sommes le premier opérateur mondial. Au cours des six dernières années, nous avons investi 1 milliard d’euros dans nos usines afin de les adapter au portefeuille de Sanofi, et saisir les opportunités de croissance et de lancement de nouveaux médicaments.
Je citerai deux exemples célèbres en France, ce dont nous sommes très heureux. Dans la région lyonnaise, le site de Neuville-sur-Saône, est un ancien site de chimie que nous avons reconverti dans les années 2010 pour la production du vaccin contre la dengue, aujourd’hui approuvé par quatorze pays. À Vitry-sur-Seine, nous avons également reconverti un site de chimie en investissant 300 millions d’euros dans la production des anticorps monoclonaux. Approuvé par l’Europe, ce site est le plus grand producteur d’anticorps de France, et nous espérons obtenir l’année prochaine son agrément par les États-Unis.
Enfin, je souhaiterais délivrer trois messages.
D’abord, j’insiste sur le lien unissant, chez Sanofi, la recherche et développement, le commercial et la production. À cet égard, les difficultés d’accès au marché français que rencontrent certains de nos produits constituent un paradoxe puisque beaucoup d’entre eux sont fabriqués en France. Imagine-t-on que notre aéronautique rencontre des difficultés à faire homologuer les prototypes de ses nouveaux avions dans le marché national ? Établir cette liaison entre nos médicaments, le marché français et la production en France constitue pour nous un enjeu majeur.
Ensuite, je rappelle que l’objet de la R&D est l’innovation, et qui dit innovation, dit transformation. Notre activité dans le secteur biologique le démontre puisque les 80 % de notre effort de recherche que nous y consacrons induisent une transformation de notre outil industriel, que nous tâchons de mener dans la transparence, l’anticipation, et en agissant en entrepreneur.
Enfin, j’appelle l’attention sur la filière biotechnologique évoquée par M. Philippe Lamoureux, qui représente pour la France un énorme potentiel. Dans ce secteur, notre pays est en retard par rapport aux États-Unis, à l’Allemagne et à l’Irlande, pays qui forme 5 000 personnes par an dans les biotechnologies. Sanofi a donc décidé d’investir significativement en France et d’être l’acteur essentiel d’une filière dans laquelle la France doit s’engager et peut gagner.
M. Yves L’Épine, directeur général du groupe Guerbet et membre du G5 Santé. Si l’industrie pharmaceutique est une chance pour la France, et si, comme le disait Pasteur, « La chance ne sourit qu’aux esprits bien préparés », la France risque de payer cher le fait de de se préparer moins bien que ses grands concurrents. La situation est heureusement réversible, si les bonnes décisions sont prises.
Je représente le groupe G5, qui regroupe huit laboratoires français, dont Sanofi et Ipsen, et est présidé par M. Marc de Garidel – celui-ci vous prie de bien vouloir excuser son absence à notre réunion. Ces entreprises, toutes françaises, ont choisi la France comme plateforme de développement international ; elles y ont localisé leur siège social, leurs laboratoires de recherche ainsi que leurs sites de production. Je suis, par ailleurs, directeur général de Guerbet, prototype d’une entreprise de taille intermédiaire (ETI) française qui réussit à l’international mais demeure de taille modeste. Cette entreprise, spécialisée dans l’imagerie médicale, exporte dans le monde entier des produits de contraste. Il s’agit de produits injectés dans le corps humain afin de pratiquer un scanner ou une IRM à un moment important de la vie d’un malade, lorsqu’il s’agit de prendre pour lui une décision stratégique et engageante, qu’elle soit chirurgicale ou médicale, ou de vérifier l’efficacité du traitement. Bien que petits, nous sommes un acteur incontournable dans le domaine médical. Et malgré notre petite taille, nous affrontons sans complexe des géants tels que le groupe américain GE et l’Allemand Bayer, qui sont nos deux principaux concurrents mondiaux.
L’imagerie médicale est un secteur d’avenir très spécialisé, dans lequel la France, historiquement, brille depuis les découvertes de Marie Curie. Notre entreprise emploie aujourd’hui 2 600 personnes dans le monde, dont plus de 40 % en France, même si la part de notre volume de chiffre d’affaires y reste faible.
Pour revenir au G5, il s’agit d’un groupe important ; les huit entreprises qui le composent représentent 47 000 emplois en France sur les 98 000 constituant le tissu global de l’industrie pharmaceutique de ce pays. Quelque 20 000 emplois sont consacrés à la production, et 11 000 à la R&D. Nous opérons tous dans le monde entier, et notre contribution à l’exportation pour le pays s’élève à 16,5 milliards d’euros.
Ces entreprises françaises sont toutes devenues des acteurs mondiaux, et à ce titre, peuvent valablement comparer ce qui se passe ici avec ce qui se passe ailleurs. Malheureusement, le constat demeure le même depuis plusieurs années. Le caractère stratégique de l’industrie pharmaceutique et de l’industrie de santé en général est régulièrement souligné par des rapports de grande qualité, comme celui de la commission pour la libération de la croissance française, présidée par M. Jacques Attali, remis au Président de la République le 23 janvier 2008, ou le Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, rédigé par M. Louis Gallois et remis au Premier ministre le 5 novembre 2012. Tous mettent en avant l’intérêt de ce secteur fortement exportateur, créateur d’emplois à haute valeur technologique, et peu délocalisables.
Pourtant, on assiste à un net recul de la France dans la course internationale, et donc, à une perte de chances pour ce pays. En 2008, la France était le premier pays producteur de médicaments en Europe. Elle a ensuite été dépassée par l’Allemagne, puis par la Suisse et l’Italie, et elle se retrouve aujourd’hui en quatrième position, sur le point d’être dépassée par le Royaume-Uni et l’Irlande et susceptible d’être reléguée, dans quelques mois ou années, à la sixième place.
La France n’est plus non plus choisie comme lieu de production des nouveaux médicaments. Sur les 282 nouveaux médicaments que l’Agence européenne a validés entre 2012 et 2016, seulement 16 seront produits en France, ce qui nous place au sixième rang européen.
La valeur de notre production pharmaceutique a perdu 4 milliards d’euros depuis 2009, passant de 25 milliards d’euros à 21 milliards d’euros, alors que l’Allemagne a gagné 10 milliards d’euros. La perte de chances est estimée à 15 milliards d’euros de production industrielle chaque année ; ce sont donc des milliers d’emplois que la France a laissé filer.
Tout se passe comme si la France se recroquevillait sur un passé glorieux pendant que se créent ailleurs les sites du futur, avec leur cortège d’effets bénéfiques : les investissements, les technologies de pointe, les exportations et surtout les créations d’emploi. L’attractivité de la France pour les essais cliniques a, elle aussi, nettement reculé : nous sommes en septième position pour les essais cliniques de phase 2 et 3, derrière l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume-Uni, l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas. Cela, alors même que nous disposons de cliniciens dont le travail est d’excellente qualité et que le monde entier nous envie.
Contrairement à une idée reçue, il n’y a pas que des entreprises riches dans le secteur pharmaceutique, j’en veux pour exemple celui de mon entreprise qui n’est pas riche. Depuis cinq ans, notre profit après impôt oscille entre 5 % et 10 % du chiffre d’affaires, s’élevant en moyenne à 24 millions d’euros, alors même que nous avons à rembourser une dette de 300 millions d’euros. Nous sommes très loin des taux de profit des grands acteurs du secteur pharmaceutique traditionnel, qui gagnent plusieurs milliards d’euros.
On nous demande pourtant une baisse de prix de 10 %, dont l’impact représentera au moins 25 % de nos profits, compte tenu du fait que les prix référencés en France sont ensuite appliqués ailleurs. Une telle baisse remettrait en cause notre équilibre, et notre nécessaire adaptation passerait par un net recul des investissements et des emplois. Or, précisément, Guerbet est un employeur essentiel en Seine-Saint-Denis où travaillent plus de 700 de nos collaborateurs. Notre siège est à Villepinte, notre logistique à Gonesse, et notre laboratoire de recherche ainsi que notre site de production à Aulnay-sous-Bois.
Est-il pertinent d’affaiblir durablement une ETI française qui exporte dans le monde entier depuis la Seine-Saint-Denis ? Est-il sage d’affaiblir une entreprise qui procure des emplois stables et peu délocalisables dans ces communes où le taux de chômage est si élevé ? Ce triste constat sera encore plus triste demain si nous n’agissons pas.
Or il n’y a pas de fatalité, et cette situation est réversible. J’en veux pour exemple celui de l’Italie : alors qu’il y a cinq ans, ce pays se classait loin derrière la France, une politique incitative pour les industriels, décidée et suivie au plus haut niveau de l’État par M. Matteo Renzi lui-même, a permis une mutation rapide. Aujourd’hui, l’Italie crée 28 milliards d’euros de production pharmaceutique, contre 21 milliards pour nous ; il s’y réalise plus d’essais cliniques qu’en France ; il s’y crée plus de nouveaux médicaments qu’en France, en particulier, plus de médicaments du futur issus des biotechnologies. L’Italie est peut-être, d’ailleurs, le candidat le plus sérieux pour accueillir la prochaine Agence européenne du médicament, en lieu et place de Londres, exclue pour cause de Brexit. Voilà qui rendrait ce pays encore plus attractif.
Là où une usine se construit, c’est une garantie d’investissements et d’emplois pour plus de vingt ans. Seul un État stratège, convaincu que ce secteur est créateur de valeur économique et sociale pour la nation, d’emplois hautement qualifiés et peu délocalisables, fortement exportateur, peut maintenant inverser la tendance. Le G5 avance vingt propositions dans un livre que je tiens à votre disposition. Je n’insisterai que sur l’une d’entre elles, notre clé de voûte : il faut changer la gouvernance de notre industrie. Nous recommandons que la politique industrielle du médicament relève du Premier ministre, comme dans l’exemple italien que je viens d’évoquer. Seul ce niveau pourra donner l’impulsion et la constance suffisante pour remettre la France en position de gagner.
Mme la présidente Frédérique Massat. Avant de passer la parole à mes collègues, je précise que, contrairement à ce que j’ai pu entendre, ce n’est pas la première fois que les uns et les autres venez à l’Assemblée nationale. La commission des affaires sociales a eu l’occasion de vous entendre dans des cadres divers. Je ne souhaiterais pas que l’on puisse penser qu’au mois de février, en fin de mandat, la Représentation nationale n’a pas eu l’occasion d’échanger avec vous, et que vous n’avez pas eu la possibilité de vous exprimer devant elle. Certes, chaque député appartient à une seule commission, ce qui peut sembler produire un effet de « spécialisation », mais, comme c’est le cas aujourd’hui, ils ont tout loisir d’assister aux travaux d’autres commissions.
[…]
Première intervention d’André Chassaigne :
M. André Chassaigne. Mon intervention portera plus spécifiquement sur la restructuration de la branche chimie de Sanofi, car l’aspect industriel est au cœur de notre discussion dans cette commission des affaires économiques.
Quatre sites de la branche chimie de Sanofi produisent des principes actifs qui entrent dans la fabrication de médicaments du groupe – un marché dit captif – ou qui sont vendus à d’autres laboratoires – une activité dite pour clients tiers. Il s’agit des sites d’Aramon, de Saint-Aubin-lès-Elbeuf, de Sisteron et de Vertolaye. Comme vous le savez, Monsieur Philippe Luscan, ce dernier site se trouve dans la circonscription que je représente dans ces murs. C’est le poumon de tout un territoire autour de la vallée de la Dore.
Lors des échanges que nous avons eus avec elle, l’intersyndicale nous a alertés sur le projet de la direction qui consisterait à sectionner en deux activités la branche chimie de Sanofi pour ensuite se désengager de l’activité pour clients tiers, qui constituerait une entité juridique distincte et serait cédée en 2017. Or vous venez de nous dire pudiquement que vous réfléchissez au développement d’activités de partenariat. Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites ! Nous attendons que vous soyez plus précis. Au-delà des questions qui se posent sur l’équilibre industriel du groupe, cette restructuration impactera directement les sites de Saint-Aubin-lès-Elbeuf et de Vertolaye. Sur ces deux sites, l’activité pour clients tiers est en effet prédominante tout en étant fortement imbriquée avec la production de médicaments pour le marché captif.
L’équilibre économique de ces sites est fortement lié à l’existence des deux activités : la production captive concerne de plus faibles volumes mais elle est généralement plus rentable que la production pour les tiers ; cette dernière assure des volumes importants qui permettent d’amortir le coût des sites. Comment un site comme Vertolaye pourrait-il être viable si la production pour tiers devait quitter le site ?
Permettez-moi de faire un constat sévère et amer : votre modèle de développement stratégique de production de médicaments ne répond plus à l’intérêt général. Vous êtes désormais motivés par les résultats financiers du groupe et les taux de marges, impliquant l’abandon des activités les moins rentables. C’est cette financiarisation de plus en plus importante qui vous conduit à disloquer le modèle intégré qui était celui du groupe Sanofi. Faut-il rappeler quelques chiffres ? Sanofi a annoncé pour 2017 quelque 3,5 milliards d’euros de rachats-annulations d’actions et la distribution de 3,7 milliards d’euros de dividendes.
J’en viens à ma question. Si l’activité pour clients tiers est cédée, comme vous l’envisagez, semble-t-il, pouvez-vous nous dire quelles sont les garanties que vous apportez en termes de pérennité de l’activité et de préservation de l’emploi pour les deux sites de production de Saint-Aubin-lès-Elbeuf et Vertolaye ?
On a connu un cas similaire : le site de Porcheville, cédé à Covance, qui a fermé après les cinq années d’activité garanties contractuellement par Sanofi au moment de la vente. Cinq ans après sa reprise, le site a été totalement fermé. Aussi, chacun peut comprendre la terrible angoisse des salariés du site de Vertolaye et de la population du territoire.
Pour conclure mon propos, je ferai une allusion historique. Si l’implantation de Roussel Uclaf à Vertolaye durant la Seconde Guerre mondiale a été une chance inouïe pour ce territoire rural, les choix financiers de Sanofi seront-ils le fossoyeur de cette implantation ?
[…]
M. Philippe Luscan. M. Yves Blein m’a interrogé sur l’export et d’abord sur les difficultés d’être agréé par les États-Unis. Du fait d’un système très complexe, l’agrément américain est le plus sophistiqué, le plus élaboré et son obtention requiert plusieurs années de préparation. Pour ce qui est de l’avenir, soyons excellents, c’est notre meilleure chance pour exporter. Quant à la Chine, elle est de ces pays qui incitent à la production locale. Ainsi le groupe Sanofi a-t-il des usines de production en Chine pour fabriquer certains médicaments. Notre groupe est le premier laboratoire pharmaceutique dans les pays émergents avec un total de vingt-cinq usines fabriquant des produits domestiques et non pas des produits mondiaux que l’on exporterait à partir des usines françaises. Un site comme celui, historique, d’Ambarès, près de Bordeaux, travaillait à 90 % pour l’Europe – dont 60 % pour la France –, lorsque j’ai intégré le groupe, alors qu’il travaille aujourd’hui à 90 % pour des pays situés hors d’Europe, parmi lesquels la Chine, le Japon et des pays d’Afrique et du Moyen-Orient.
Pour ce qui est du rôle de Sanofi en France, depuis plusieurs années, nous sommes engagés dans des partenariats avec des petites sociétés ou des laboratoires de recherche – plus de soixante dans la recherche et développement, qu’il s’agisse d’instituts de recherche ou de startups. Nous sommes également engagés dans un fonds qui permet de financer le démarrage des petites sociétés, et j’ai pris moi-même l’initiative, il y a deux ans, d’être leader dans un pacte PME – et la région où vous êtes élu, Monsieur le député, est à cet égard exemplaire – visant à fédérer toutes les PME autour de nos trente-cinq sites en France. Ce pacte est considéré par l’association des PME comme un modèle du genre dans l’industrie.
J’en viens à l’interrogation de Mme Jeanine Dubié sur la stratégie industrielle. Je pense avoir montré que nous avions constamment essayé d’anticiper les évolutions de production, notamment en renouvelant tous les six ans un tiers de la production de chacune de nos dix-huit usines. Je ne reviens pas sur les cinq leviers stratégiques, mais soyez assurée que nous allons continuer de les utiliser dans le cadre d’une politique industrielle durable exemplaire, cela afin, en particulier, de renouveler le portefeuille d’activité des usines.
M. André Chassaigne et M. Guillaume Bachelay m’ont interrogé sur notre activité pour tiers. Le développement du site de Vertolaye a été exemplaire : au cours des cinq dernières années, nous y avons investi 130 millions d’euros et embauché 200 personnes. Sur la même période, nous avons investi également 130 millions d’euros dans le site de Saint-Aubin-lès-Elbeuf et embauché 100 personnes. Cela n’était pas arrivé depuis longtemps. Je me souviens d’ailleurs qu’en 2004-2005, quand j’ai repris la direction industrielle de la chimie, le site de Saint-Aubin-lès-Elbeuf était en grande difficulté. Aussi, je me réjouis du développement que nous avons impulsé, dans la même dynamique entrepreneuriale que pour les autres sites français.
Vous avez cité, Monsieur André Chassaigne, l’exemple d’une cession de site. D’autres cessions se sont révélées exemplaires pour Sanofi. Nous nous sommes efforcés de trouver des partenariats industriels à même de développer les sites en question – je pense à celui de Quetigny, près de Dijon, ou à celui de Colomiers près de Toulouse. Depuis 2008, l’effectif industriel de Sanofi est resté stable à 13 000 salariés – il a même augmenté de quelque 500 personnes. Nous avons procédé à 1 000 recrutements dans les usines l’an dernier et en avons prévu 500, avec l’intention d’entretenir la dynamique entrepreneuriale qui caractérise notre groupe.
Je reviens sur l’activité pour tiers, fragmentée et impliquant de nombreux acteurs : nous avons annoncé, il y a six mois, qu’elle ferait l’objet d’une consolidation stratégique dans les années à venir. Il n’est pas question de procéder à des fermetures ; bien au contraire, je l’ai dit, nous avons développé les sites de Vertolaye et de Saint-Aubin-lès-Elbeuf. La question, pour nous, est de savoir comment, dans les cinq à dix ans à venir, nous allons poursuivre leur développement. Nous allons réfléchir, d’ici à la fin de l’année, à des partenariats permettant de fédérer la consolidation évoquée. Nous serons donc à même de vous apporter des éléments beaucoup plus précis vers la fin 2017.
M. André Chassaigne. La vente est-elle un partenariat ?
M. Philippe Luscan. La vente est une option stratégique parmi d’autres que nous allons envisager, comme les joint-ventures. Nous avons annoncé à nos personnels que nous examinerions toutes les options possibles.
Pour ce qui est de la feuille de route stratégique de Sanofi, elle a été annoncée en novembre 2015 par la direction générale. Le personnel s’est vu clairement expliquer où nous entendions aller à l’horizon de 2020, quels étaient les secteurs d’évolution et les secteurs d’investissement du groupe, les aires thérapeutiques dans lesquelles nous souhaitions nous renforcer. Notre politique sociale est très active, très positive, de manière à réduire les inquiétudes suscitées par les réflexions sur la stratégie du groupe. Nous communiquons nos avancées au fur et à mesure et nous exécutons notre feuille de route qui donne à la France ainsi qu’à notre outil industriel un rôle clef en recherche et développement. J’occupe mon poste actuel depuis bientôt dix ans et j’entends que nous continuions dans le même esprit. Je vous laisse parler de « politique financière » ; pour ce qui me concerne, en tant qu’ingénieur, je considère que nous menons une politique industrielle des plus dynamiques, des plus volontaristes.
On m’a interrogé également sur la filière des biotechnologies. La France n’en a pas anticipé le développement comme il se devait et l’a appréhendée de façon fragmentée. Dans d’autres pays où je me rends souvent – les États-Unis, en particulier sur la côte californienne ou à Boston, l’Allemagne ou l’Irlande –, la filière a, au contraire, été structurée au plus haut niveau en tant que filière stratégique de l’industrie du futur. Il est temps, en effet, d’annoncer que la biotechnologie est l’industrie du futur. Or nous sommes très en retard en matière de formation. J’ai eu la chance de suivre un master de biotechnologie en 1985, y décelant déjà une filière d’avenir. Les implications dans ce domaine étant considérables, et ne constatant aucune évolution concernant la formation, j’ai pris mon bâton de pèlerin et, avec les équipes de Sanofi, nous avons créé des chaires dans les écoles d’ingénieurs, des partenariats dans toutes les communes, dans les régions – je pense au pôle lyonnais, très actif, tout comme les pôles bordelais et parisien. Rien n’était organisé dans les filières d’ingénieurs, de techniciens, d’analystes… Tout reste fragmenté et, malgré l’émergence d’écoles comme Sup’Biotech, nous ne sommes pas à la hauteur de l’enjeu, alors que l’Irlande forme 5 000 personnes par an à la biotechnologie. Pour sa part, ces quatre dernières années, Sanofi a formé en France quelque 4 000 personnes, dans des écoles internes ou non, puisque près de la moitié de nos usines sont orientées vers les biotechnologies. Les exemples de Vitry-sur-Seine et de Neuville-sur-Saône, en matière de reconversion d’une usine chimique dans les biotechnologies, sont uniques au monde et je vous invite à visiter ces sites. Nous appelons donc de nos vœux la création d’une vraie filière de biotechnologies, d’une French biotech.
M. Yves L’Épine. Comment concilier la soutenabilité de notre système de santé, avec l’inflation des coûts, et le développement industriel que tout le monde appelle de ses vœux ? La réponse ne peut qu’être multiforme du fait des nombreux arbitrages que nécessite un système cloisonné et interministériel tel que le nôtre. Il revient au plus haut niveau de l’État, en l’occurrence au Premier ministre, de rendre ces arbitrages. Encore une fois, l’Italie a été capable de doubler la France en cinq ans, et nous devons nous être capables, à notre tour, de doubler l’Italie en cinq ans. Il suffit de faire montre de volonté et, j’y insiste, de rendre les arbitrages nécessaires.
J’ai, par ailleurs, relevé l’importance du maillage territorial par les sites de production. On peut subdiviser l’industrie pharmaceutique en trois couches : celle du « chic et cher », dont fait partie le traitement que l’un d’entre vous a mentionné, qui coûte 7 000 euros par mois ; celle des médicaments génériques ; celle des produits incontournables, qui sont importants pour la santé des citoyens et qui forment le maillage territorial. La France doit surtout concentrer ses efforts sur les première et troisième couches. Nous savons bien que, sur la couche des génériques, qui est une industrie low cost, nous ne pourrons pas gagner. Le plus haut niveau de l’État doit donc, je le répète, arbitrer en faveur des biotechnologies, du numérique, qui sont l’industrie du futur, tout en maintenant le maillage territorial concernant les molécules essentielles pour la santé des citoyens, qu’il s’agisse d’antibiotiques, d’antidépresseurs, d’antihypertenseurs, autant de produits indispensables que nous devons continuer de produire en France, faute de quoi nous perdrons les emplois correspondants.
M. Philippe Lamoureux. Pardonnez-moi mais je serai assez brutal : on constate, d’après les questions qui ont été posées, que la politique du médicament souffre d’une double schizophrénie, tiraillée entre nécessités industrielles et nécessité de régulation, d’une part, et vision de long terme et vision de court terme, d’autre part. Il faudra bien en venir à bout.
Je constate qu’aucune question n’a porté sur notre capacité à attirer des investissements industriels étrangers.
Mme la présidente Frédérique Massat. Dans le cadre de l’échange tel que nous l’avons défini, nous attendons que vous répondiez aux questions que les députés vous ont posées, Monsieur Philippe Lamoureux.
Mme Catherine Lemorton. C’est le moins !
M. Philippe Lamoureux. J’allais précisément évoquer la ville de Bâle qui a été mentionnée. Nous avons récemment massivement investi dans la zone de Huningue, dans le Haut-Rhin. L’enjeu industriel ne se réduit pas seulement à défendre un outil de production national existant mais consiste également à attirer des investissements étrangers.
En ce qui concerne les politiques de régulation, j’entends vos inquiétudes, mais le médicament est aujourd’hui le poste de l’ONDAM le mieux maîtrisé. Comparée à la progression de l’ONDAM votée par le Parlement, année après année, celle du chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique est beaucoup moins rapide – celui-ci est parfois même en recul sur les cinq dernières années. Jusqu’à cette année, avec le fameux taux L, qui s’applique à la régulation des médicaments, fixé à moins 1 %, quand votre chiffre d’affaires baissait de 0,5 %, vous étiez tout de même mis à contribution. On a donc mis en place un système de taxation de la baisse du chiffre d’affaires ! Par conséquent, on peut mener tous les débats que l’on veut sur le prix de l’innovation, d’un point de vue macroéconomique, y compris en tenant compte des innovations majeures, la dépense a été maîtrisée au cours des dernières années. Pour les années à venir, la réponse tient probablement aussi à notre capacité à imaginer, avec le CEPS et nos partenaires conventionnels, des modalités de financement de cette innovation qui soient elles-mêmes innovantes. Outre les contrats de performance et le fonds de financement de l’innovation, que nous accueillons évidemment avec intérêt, on pourrait imaginer travailler sur le financement du prix par indication. Autrement dit, il existe des pistes de travail qui devraient nous permettre de franchir l’obstacle.
M. Yves L’Épine l’a très bien résumé, la politique industrielle est par nature interministérielle et doit relever d’un choix politique au plus haut niveau de l’État. La segmentation de l’organisation politique et administrative ne nous convient pas. Alors que nous réunissons, au printemps, un conseil stratégique des industries de santé où tout se passe d’ordinaire très bien et où la vocation industrielle de la France est affirmée, le PLFSS détricote en septembre les accords passés en mars. Il faut faire un choix politique clair entre les politiques de court terme du PLFSS et les politiques industrielles de long terme de manière à introduire plus de cohérence. À ma connaissance ce choix n’a été fait, ni pendant la législature qui s’achève, ni au cours des précédentes. C’est pourquoi nous plaidons avec force pour la définition, avec le Gouvernement quel qu’il soit, d’un contrat de législature qui nous donne une visibilité pluriannuelle sur la politique publique menée.
Enfin, il convient d’améliorer la capacité d’anticipation de notre système. Les innovations à venir vont avoir un fort effet structurant sur le système de santé. Les prochaines années verront, en effet, la « chronicisation » de pathologies qui, jusqu’à présent, étaient mortelles à très court terme. Aussi tout notre appareil de santé va-t-il s’en trouver transformé. L’innovation représente un coût pour le système, mais c’est aussi un investissement qui peut générer des gains d’efficience, certes difficiles à percevoir pour l’instant.
Pilotage au plus haut niveau de l’État, contrat de législature et amélioration de la capacité d’anticipation pour mieux accompagner la diffusion de l’innovation dans le système – tels sont les trois axes de ce que doit être la politique industrielle du médicament.
Pour ce qui est des freins, j’en mentionnerai quatre, le premier étant la régulation, que nous avons déjà abordée et sur laquelle je ne m’étendrai pas.
Le deuxième frein est la fiscalité. À cet égard, le CIR est effectivement un outil d’attractivité indéniable, une mesure très positive, et nous le vérifions lorsque nous nous comparons à nos partenaires européens. Seulement, ce dispositif est très fragile car, chaque année, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances, son périmètre est susceptible d’être remis en cause. Aussi cette mesure fiscale est-elle perçue comme incitative mais très instable.
Pour ce qui est du CICE, la situation est sensiblement la même que dans le secteur de la chimie : compte tenu de ses grilles de rémunération, l’industrie pharmaceutique n’en est pas un grand bénéficiaire. Le cumul des baisses de cotisations familiales du CICE, de la réduction Fillon et des mesures concernant la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) représente 457 millions d’euros pour la période 2015-2017, soit 3 % de la masse salariale du secteur, à rapporter au 1,8 milliard d’euros de régulation annuelle sur le médicament voté dans le cadre du PLFSS.
Enfin, la fiscalité du secteur est la plus lourde d’Europe : au-delà de la fiscalité générale des entreprises, nous sommes soumis à onze taxes spécifiques qui représentent plus de cinq points de chiffre d’affaires.
Le troisième frein est la déficience administrative. Une directive européenne prévoit qu’il doit s’écouler 180 jours entre l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament et son accès au marché. En France, nous sommes au-delà de 400 jours contre quelques semaines seulement en Allemagne où les produits, donc, arrivent très rapidement sur le marché. Il est, par conséquent, difficile d’attirer la production d’une usine destinée en partie à l’exportation : les pays d’exportation vont commencer par vous demander si le produit est commercialisé en France ; s’il ne l’est pas, cela devient pour nous très contraignant. Il est vrai, Mme Catherine Lemorton l’a rappelé, qu’existent les autorisations temporaires d’utilisation (ATU), mais elles ne jouent pas un rôle majeur en termes d’attractivité industrielle. En outre, ce système a été largement remis en cause dans le dernier PLFSS – point que nous surveillons.
Dernier frein, la France se caractérise par une relation compliquée avec son industrie pharmaceutique. Vous avez évoqué une liste noire, des problèmes avec des vaccins… Il est difficile, dans un contexte général empreint de défiance, de défendre l’attractivité face à la Suisse, qui a été citée comme un bon contrexemple de cercle vertueux.
En ce qui concerne la liste noire établie par Prescrire, que je sache, cette revue n’est pas encore l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Une agence européenne travaille en réseau avec vingt-sept agences nationales qui ont un rôle en matière de sécurité sanitaire. Ne confondons donc pas le rôle d’une agence sanitaire et celui, certes nécessaire, d’un lanceur d’alerte.
Pour ce qui est des médicaments génériques, la France a fait le choix d’une politique de génériques de qualité. Il est vrai que le taux de pénétration des génériques est nettement plus faible en France que dans d’autre pays européens – il est aussi beaucoup plus élevé qu’en Suisse, par exemple. Ce choix s’explique par le fait que, dans un pays très suspicieux sur la qualité de ses produits, le moindre problème concernant un médicament générique jetterait la suspicion sur l’ensemble des produits. Cette décision me semble donc sage. Si vous me demandez de porter une appréciation très personnelle, je dirai que la France n’a pas su, dans sa stratégie de médicaments génériques, choisir entre s’appuyer sur le prescripteur et s’appuyer sur le distributeur ou le dispensateur ; or on sait que les pays qui ont le mieux réussi leur politique de génériques sont ceux qui ont misé sur le prescripteur, comme l’Allemagne.
La question sur les licences d’office est amusante dans le cadre de la présente commission : leur multiplication rayerait la France du paysage industriel et l’attractivité du territoire serait immédiatement ruinée.
J’en viens aux avancées du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Notre comité stratégique de filière se réunit très régulièrement pour mettre en œuvre les décisions du CSIS. À ce stade, l’état des travaux est variable. Nous avons bien avancé sur le contrat unique pour la recherche, notamment grâce à l’engagement de la ministre des affaires sociales et de la santé. Sur d’autres sujets, nous avançons plus péniblement. En tout cas, nous espérons que le prochain Gouvernement maintiendra cet outil très important qu’est le CSIS.
Avec la généralisation des plans de gestion des risques (PGR), la loi apporte des réponses aux ruptures d’approvisionnement. Reste qu’il n’y a pas de panacée. Il convient, en outre, de bien distinguer les ruptures d’approvisionnement et les ruptures de stocks, car une bonne partie des ruptures recensées trouvent souvent leur source à l’aval de la chaîne et notamment dans la répartition. Reste que les ruptures d’approvisionnement augmentent parce que la demande mondiale s’accroît elle-même très rapidement et que l’industrie travaille de plus en plus à flux tendus. La réponse réside également dans une meilleure anticipation et une meilleure collaboration avec les autorités de santé – nous nous y employons avec l’ANSM.
Enfin, le principe de précaution est désormais bien installé dans le droit français et l’industrie du médicament s’y est adaptée. Ce qui nous gêne beaucoup, en revanche, c’est la sur-transposition des normes européennes. Que les standards français se situent au plus haut niveau européen n’est pas une difficulté ; au contraire, cela plaide pour la qualité de notre système et de nos produits. Mais les fixer au-delà de ce que prévoient les normes européennes, nous expose au risque de décrochage au regard de l’attractivité industrielle. En matière de conflits d’intérêts, par exemple, la réglementation française est très différente des textes en vigueur dans les autres pays européens, ce qui est un facteur de complexité. La longueur et la complexité de la chaîne administrative, les redondances, les doublons, la pharmacovigilance sont autant d’éléments à cause desquels la France est perçue comme une terre de lourdeurs administratives dont d’autres pays ne sont pas affectés.
M. Jean-Patrick Sales. M. Jean-Claude Mathis s’est interrogé sur le dialogue entre l’État et les industriels. Le CEPS est un des lieux de ce dialogue. Le nouvel accord-cadre adopté à la suite de la réunion du CSIS prévoit la mise en place de plusieurs groupes et comités qui ont vocation, chacun, à débattre, d’un point de vue technique, de la politique conventionnelle dans son ensemble, du suivi des génériques, du suivi des biosimilaires, du suivi de la charte de l’information promotionnelle… En outre, un comité de prospective de l’innovation nous permet d’exercer une veille grâce aux contributions des industriels à l’horizon de deux ou trois ans.
M. Jean-Pierre Le Roch a mis l’accent sur les ruptures d’approvisionnement. Les membres du Comité y sont très sensibles, notamment quand ils activent l’article relatif à la hausse de prix de produits qui pourraient disparaître, hausse qui est toujours assortie d’un engagement de l’industriel à assurer préférentiellement l’approvisionnement du territoire national.
Plusieurs d’entre vous ont soulevé la question des prix élevés et des risques de rupture d’équilibre qu’ils font courir. Un débat a cours depuis quelques années sur le niveau actuel des prix des médicaments contre l’hépatite C, le prix des anticancéreux… C’est une bonne chose. La référence aux prix américains et au système américain l’est moins : elle rend le débat plus complexe, voire plus confus. Comme l’a souligné M. Philippe Lamoureux, l’enveloppe de dépenses de médicaments est stable : elle évolue de moins de 1 % à la hausse ou à la baisse, et cela depuis cinq ans. On peut s’en féliciter. Une politique de régulation très forte l’explique, qu’il s’agisse des clauses de sauvegarde législatives ou des baisses de prix sous forme de plans ou liés à la générication. Les génériques du Glivec, que vous avez évoqué, sont ainsi commercialisés depuis le début de cette année.
Il se trouve que la majorité des produits auxquels nous avons accordé un prix très élevé n’ont pas été découverts et ne sont pas produits en France. En revanche, les baisses de prix que nous sommes amenés à opérer concernent des produits matures dont un certain nombre, en effet, sont produits sur le territoire national. Je fais ici écho à ce que déclarait le président Philippe Luscan sur la nécessité d’opérer un virage vers les biothérapies.
Il me faut souligner l’articulation et le continuum entre la recherche fondamentale, la recherche clinique, le développement, l’évaluation et, in fine, la tarification. Certes, cela ne relève pas de la compétence du CEPS, mais s’il n’y a pas une recherche de qualité, un développement de qualité qui permette aux produits et aux industriels de prétendre à des évaluations qui leur sont favorables, il sera très difficile, en aval d’évaluations porteuses de grande incertitude, d’octroyer des prix en rapport avec la valeur réelle du produit ou avec les attentes des industriels.
Réaction suite aux interventions des représentants auditionnés :
Table ronde sur l’industrie du médicament… par andrechassaigne
M. André Chassaigne. J’ai été un peu choqué par votre arrogance, Monsieur Philippe Lamoureux. À un certain moment, il ne faut pas seulement défendre des intérêts particuliers mais il faut défendre l’intérêt général. Quand vous faites allusion aux aides publiques en vous plaignant de leur insuffisance ou de leur instabilité, sachez que pour la seule entreprise Sanofi, le crédit d’impôt global a plus que doublé en sept ans, passant de 70 millions d’euros à 144 millions d’euros. C’est une autre réalité qu’affrontent les PME de l’industrie pharmaceutique, et il convient, par conséquent, d’éviter d’en demander toujours plus. Et lorsque la rémunération d’un grand dirigeant comme M. Olivier Brandicourt, toujours de Sanofi, s’élève à 16,7 millions d’euros par an, ce qui représente l’équivalent de 420 salaires minimaux, j’aimerais, dans certaines interventions, qu’on fasse preuve d’un peu de décence !
J’adresse maintenant quelques questions à M. Philippe Luscan qui n’a pas répondu sur certains points. Quel est l’intérêt de procéder à des restructurations ? Pourquoi ne pas réaliser le développement dont vous parlez au sein même du groupe ? Pourquoi envisager une vente – il semblerait même que certains aient déjà été missionnés pour la mettre en œuvre – après avoir effectué de remarquables investissements sur le site de Vertolaye ? Quel intérêt a Sanofi à se désengager d’une partie de la branche chimie, voire à rechercher des partenariats, alors même qu’on sait que l’ensemble de la production chimique se caractérise par une très forte unité et qu’un tel processus risque d’entraîner des conséquences négatives, y compris pour les sites qui resteront chez Sanofi ?
Vous êtes demeuré dans le vague, Monsieur Philippe Luscan, même si, pour ce qui vous concerne, vous l’avez fait avec une forme de respect vis-à-vis de la Représentation nationale.
Mme Catherine Lemorton. Je comprends le souhait de M. Philippe Lamoureux que soit défini un contrat de législature – c’est ce que souhaitent tous les industriels. Mais bien malin celui qui, en 2012, sur quelque banc de l’hémicycle qu’il siège, aurait pensé qu’une seule molécule coûterait 1 milliard d’euros. On ne peut, du reste, que s’en féliciter, car c’est le signe que les industries avancent. Et si je suis la première à reconnaître qu’il faut changer l’évaluation des médicaments, il n’empêche que quand, en 2014, apparaît le Sovaldi, personne, j’y insiste, ne pouvait en prévoir le coût. Or c’est la voie que nous allons être amenés à emprunter dans les années à venir. Je suis donc d’accord avec l’idée d’un contrat de législature, mais il faudra trouver des moyens de régulation pour que nos finances sociales tiennent le choc.
M. Jean-Luc Laurent. Je connais bien les sites du Val de Bièvre et de Vitry-sur-Seine de Sanofi, qui est un groupe intégré de la production jusqu’à la distribution, en passant par la recherche et l’innovation, soit toute la chaîne de valeur. Comment, à travers les mesures que vous proposez, qu’il s’agisse de filialisation ou de joint-ventures, allez-vous préserver ce caractère intégré qui permet d’avoir une stratégie forte, d’éviter des problèmes comme ceux que l’on voit poindre et d’éviter une perte de souveraineté, d’indépendance mais aussi d’emplois, sans oublier les enjeux sanitaires ?
M. Laurent Furst. J’ai été très choqué par les propos que notre collègue André Chassaigne a tenus à l’égard de personnes qui ont la courtoisie de venir s’exprimer devant la Représentation nationale.
M. André Chassaigne. Ce n’est pas de la courtoisie mais une procédure normale dans une République !
M. Laurent Furst. Je suis troublé que l’on considère le CICE comme de l’argent public. C’est de l’argent qu’on prélève sur le tissu économique de la Nation et auquel on en rend une infime partie. Sans doute vaudrait-il mieux cesser de prélever cet argent pour le rendre.
On ferait bien de se livrer, un jour, à des comparaisons intra-européennes pour savoir où l’industrie est localisée selon que le pays est compétitif ou ne l’est pas. Quand on n’est pas compétitif, on perd les industries. La compétitivité est donc essentielle, c’est aussi simple que cela.
M. Philippe Luscan. Sanofi est, en effet, un groupe intégré, Monsieur Jean-Luc Laurent. Je suis le directeur industriel de toutes les activités du groupe Sanofi, et il ne vous aura pas échappé non plus que je suis le président des activités françaises, du fait du lien très fort que nous établissons entre le territoire et l’industrie.
S’agissant du site de Vitry-sur-Seine, sachez que j’ai eu du mal à trouver de la main-d’œuvre qualifiée dans les biotechnologies, en particulier concernant les anticorps monoclonaux. J’ai donc fait appel à des ingénieurs allemands de Sanofi qui, pendant trois ans, ont construit l’installation ad hoc. Aujourd’hui encore, à Vitry toujours, certains postes ne sont pas pourvus faute de personnels qualifiés, ce qui me désespère puisque ma mission est de créer des emplois dans mes usines en France. Or, même si ce n’est pas facile, nous avons fait ce pari et avons étonné les représentants de groupes américains qui nous ont dit ne pas avoir su faire de même aux États-Unis.
Monsieur André Chassaigne, j’ai expliqué que notre objectif était de développer la filière chimie. Les cycles sont longs et mon rôle est de créer les conditions du développement dans cinq, dix ou quinze ans. Stratégiquement, nous envisageons toutes les options – c’est pourquoi nous avons décidé de prendre à cet effet toute l’année 2017 – pour déterminer les meilleures conditions dans lesquelles consolider cette filière. L’objectif n’est donc pas de la céder mais de trouver le meilleur moyen de continuer le développement des sites concernés dans un périmètre en pleine évolution. Nous ferons des annonces à la fin de l’année.
M. Philippe Lamoureux. La France produit 3 % de ses anticorps monoclonaux sur le territoire national. Le développement de cette activité industrielle est, par conséquent, stratégique.
Monsieur André Chassaigne, je suis vraiment désolé si mes propos vous ont paru arrogants. Bien au contraire, il me semble avoir reconnu que le CIR était un véritable outil d’attractivité et plaidé pour la sécurisation de son périmètre juridique. Dans le prolongement de l’intervention de M. Jean-Patrick Sales, j’ai même une proposition à vous faire, car les médicaments du futur qui seront issus des biotechnologies impliqueront un lien de plus en plus étroit entre recherche clinique et production. De la capacité à attirer la recherche clinique dépendra la capacité à développer l’outil de production. Dès lors, pourquoi ne pas étendre le bénéfice du CIR aux lots cliniques ?
Enfin, Madame Catherine Lemorton, je partage complètement votre analyse. Il faut conclure un partenariat stratégique entre les industriels et le Gouvernement pour mieux anticiper. Nous sommes prêts – et nous l’avons d’ailleurs proposé aux autorités – à favoriser une meilleure connaissance des canaux d’innovation. De fait, quand une innovation de rupture survient, il faut cinq ans pour la diffuser et cinq ans pour commencer à adapter l’appareil de soins. Aussi devons-nous nous montrer beaucoup plus rapides, plus adaptables, plus souples. Aujourd’hui, nous voyons arriver les nouveaux médicaments anticancéreux et nous considérons qu’il va falloir développer la médecine ambulatoire. Or cela prend du temps. Sachant que nous sommes bien moins réactifs que d’autres pays, il y a là une piste de travail.
Mme la présidente Frédérique Massat. Nous vous remercions d’avoir participé à cette table ronde.
Voir l’intégralité des débats de la commission ici.
Voir aussi :