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M. André Chassaigne - Le déroulement de ce débat montre combien ma demande de renvoi en commission était justifiée !
En réalité, si vous écartez le principe de précaution dans le domaine de la santé, c’est que vous ne pouvez en garantir la bonne application.
Permettez-moi de revenir sur les propos de M. Clément qui a soutenu que le renvoi à la loi du principe de précaution ferait tomber ce principe sous le couperet du traité de Maastricht ! Mais c’est faux ! En 1998, l’arrêt Sarran du Conseil d’Etat a fait primer sur le droit communautaire un acte réglementaire pris en application directe d’une disposition constitutionnelle.
Certes, l’arrêt Nicolo de 1989, a proclamé la supériorité de la norme communautaire sur la loi ordinaire. Mais l’arrêt Sarran ne pourrait-il s’appliquer également à une loi prise en application directe d’une disposition constitutionnelle ?
M. le Garde des Sceaux - J’ai parlé hier d’écologie humaniste : l’environnement doit s’envisager par rapport à l’homme. La santé liée à l’environnement est concernée par la charte, mais la vaccination, par exemple ne relève pas de ce champ. Je suis opposé à l’extension au domaine de la santé, cela n’empêche pas que des mesures de précaution soient aussi prises dans le domaine de la santé ! Par ailleurs, l’application directe est le seul moyen de cadrer le principe de précaution grâce à la définition de l’article 5. Enfin, n’oubliez pas que c’est la Constitution qui s’impose au juge français !
Mme la Rapporteure - Ce n’est pas parce que l’article 1 dispose que chacun a droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé, que la santé doit entrer dans le champ d’application du principe de précaution visé par l’article 5.
M. le Rapporteur pour avis - Suite à l’intervention de M. Tourtelier, je tiens à rappeler que le droit d’accès aux informations relatives à l’environnement se rapporte à l’ensemble du texte.
M. Jean Lassalle - Je ne sais toujours pas ce à quoi le principe de précaution s’applique ! Par ailleurs, souvenons-nous que chaque fois que l’homme est resté au second plan de nos préoccupations, l’histoire s’est mal terminée ! Nous sommes loin du très beau discours du Président de la République sur l’écologie humaniste ! Comment expliquer aux pays du tiers monde que nous nous constituons une bulle pour pays riches ?
M. André Chassaigne - Très bien !
M. Christophe Caresche - Le ministre a dit que le principe de précaution s’appliquait en cas d’atteinte à l’environnement suivie de conséquences sanitaires. Or, M.Saddier écrit dans son rapport, page 92, qu’en cas de rejets polluants pouvant affecter la santé humaine, on n’est pas dans le champ d’application du principe de précaution. Nous sommes donc face à des réponses contradictoires.
M. le Garde des Sceaux - Pour les rejets industriels, on est dans la prévention.
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire - Nous avons passé près de deux heures à faire la distinction entre prévention et précaution. Tout ce qui ne relève pas du principe de précaution dont le champ est défini à l’article 5 est du ressort de la prévention. Tel est le sens du tableau de la page 92 (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).
M. Daniel Garrigue - A l’heure où l’on parle beaucoup de globalisation, un des torts de mon amendement est peut-être de vouloir traiter le problème de façon trop globale. Reste la question : notre intérêt est-il d’adopter une démarche séparée ou bien de chercher une approche commune, européenne, des problèmes ? Au moment où l’Europe s’apprête à se doter d’une constitution, je suis un peu sidéré que l’on pense que la solution consiste à se retrancher derrière la Constitution française.
Par ailleurs, je remarque que la ligne de partage entre santé et environnement est très difficile à tracer, comme l’illustrent deux arrêts du tribunal de première instance des Communautés européennes, celui du 11 septembre 2002, qui traite du transfert de l’animal à l’homme de la résistance aux antibiotiques, et celui du 21 octobre 2003, relatif aux procédures d’autorisation et de retrait d’additifs dans l’alimentation des animaux et à l’incidence de ceux-ci sur l’homme. Dans les deux cas, il n’est pas facile de dire si l’on est dans le domaine de l’environnement ou dans celui de la santé humaine. Je voudrais donc que l’on fasse attention aux critères. J’ai entendu notre rapporteur nous dire que la santé humaine se limitait aux actes médicaux. Ce n’est pas l’impression que l’on retire de la lecture du code de la santé publique. Il me paraît en tout cas plus sûr d’écrire que le principe de précaution s’applique dans les conditions prévues par la loi que de s’en remettre au juge.
Car la question est bien là : veut-on faire du principe de précaution un principe d’application directe, le juge pouvant être saisi sur l’ensemble du territoire national par tous ceux qui voudront démontrer qu’une autorité publique n’a pas pris toutes les précautions nécessaires ? Et là, on ouvre la voie à des contentieux sans fin. Ou voulons-nous renvoyer à la loi pour donner plus de sécurité juridique aux acteurs concernés ?
Mme Christine Boutin - Je suis entrée dans l’hémicycle en étant assez réservée sur le principe de précaution, qui pourrait bloquer la recherche, mais en étant néanmoins pleine de bonne volonté, mais maintenant je n’y comprends plus rien !
M. le Président - C’est ce que l’on appelle une explication de vote…
M. Philippe Tourtelier - La première réponse du ministre nous satisfaisait, mais dans sa seconde, il s’est aligné sur le rapporteur. Alors quelle est la bonne ?
La séance, suspendue à 22 heures 50, est reprise à 22 heures 55.
L’amendement 1, mis aux voix, n’est pas adopté.
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[…]
M. Daniel Garrigue - L’amendement 3 2e rectification a pour objet de prévoir que le principe de précaution sera appliqué « dans les conditions prévues par une loi organique ». Celle-ci permettrait de compléter l’article de la Charte et de définir par grands domaines les procédures et les règles de mise en _uvre du principe.
M. Jacques Myard - Mon amendement 55 tend à renvoyer l’application du principe de précaution à des conditions définies par la loi. C’est une des premières fois, je crois, que nous introduisons un principe d’application directe, et c’est une erreur. Je préfère qu’il soit encadré par la loi, sans quoi le juge ne manquera pas de s’en emparer pour l’interpréter à sa façon.
M. André Chassaigne - Mon amendement 68 a le même objet. Pour que le principe de précaution puisse être mis en _uvre, deux conditions sont requises, qui en bloqueront l’application. Tout d’abord il faut qu’il existe une incertitude scientifique, mais qui en décidera ? Ensuite il faut une évaluation du risque, mais qui la fera ? Il est indispensable de renvoyer à une loi pour la mise en _uvre du principe. Si elle dépend entièrement des juridictions, nous ouvrons une boîte de Pandore.
Mme la Rapporteure - La commission est défavorable à ces amendements. Les autorités publiques doivent pouvoir agir en urgence, et le renvoi proposé à la loi ne répond pas à la spécificité du principe de précaution, qui est d’agir dans une situation d’incertitude scientifique. Je précise que ce qui définit la situation d’incertitude scientifique est l’existence d’un débat entre les scientifiques.
M. Serge Lepeltier, ministre de l’écologie et du développement durable - Ce qui justifie l’existence d’un principe d’application directe, c’est que les situations dont il s’agit sont tout à fait exceptionnelles. Comme l’a dit le Garde des Sceaux, cela n’empêche nullement le législateur d’intervenir dans les domaines concernés, mais des situations exceptionnelles ne peuvent pas avoir été toutes prévues par la loi. Il faut donc que le principe puisse s’appliquer même si le législateur n’a pas traité ce domaine.
On nous a demandé des exemples de cas où s’applique le principe de précaution. Mme la Rapporteure a cité l’effet de serre. Je citerai aussi l’exemple des produits chimiques comportant des risques pour l’environnement et pour l’homme. Or beaucoup de ces substances n’ont pas fait l’objet d’études suffisantes pour en connaître tous les effets.
M. Christophe Caresche - Ne s’agit-il pas alors de prévention ?
M. le Ministre de l’écologie - Non. Nous constatons l’apparition, en liaison avec ces produits, d’un grand nombre de cancers, notamment en milieu professionnel, ce qui conduit à prendre des mesures de précaution. Je rappelle qu’est en discussion au niveau européen un règlement à ce propos. Il s’agit ici de questions d’environnement ayant des conséquences sur la santé.
M. le Président - Ne rouvrons pas le débat général (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).
M. Paul Giacobbi - Les explications qu’on nous donne ne produisent guère de clarté. Les exemples qu’on nous donne de cas auxquels est censé s’appliquer le principe de précaution n’apparaissent pas pertinents à l’examen. Ainsi Mme la rapporteure cite l’effet de serre, tout en invoquant l’incertitude scientifique. Mais à la page 10 de son rapport, elle fournit des données sur le réchauffement climatique qui ne laissent guère de place à l’incertitude. On peut y lire notamment : « L’élévation s’est accélérée depuis 1990, de sorte que, selon les modèles de prévision retenus, les températures moyennes pourraient s’élever de 1,4 à 5,8 degrés au cours du siècle qui commence », et : « Il est désormais admis que ce réchauffement est lié, en large partie, à l’activité humaine. » Il semblerait donc que nous soyons dans le domaine de la prévention plutôt que de la précaution. Quant à l’exemple des produits chimiques ayant des effets sur l’environnement et sur la santé, il n’est pas plus pertinent, quand on se rappelle que la santé est exclue du champ d’application de l’article 5.
M. Christophe Caresche - Je suis frappé par l’incertitude qui entoure le champ d’application du principe de précaution, et par l’incapacité des responsables du texte de nous dire précisément à quoi il s’applique. A cet égard la position du groupe socialiste est évolutive. En entrant dans ce débat, nous n’avions pas pour objectif de nous opposer à l’application directe du principe de précaution. Mais au vu de la tournure du débat et de l’impossibilité d’obtenir des précisions, il ne nous apparaît pas raisonnable de constitutionnaliser ce principe et d’en faire un principe d’application directe. Nous voterons donc l’amendement du groupe communiste qui tend à renvoyer le principe de précaution au législateur. La discussion d’une loi nous donnera le temps de définir exactement ce principe et nous permettra peut-être d’obtenir les réponses que nous n’avons pas aujourd’hui. Cela ne revient pas à reporter la mise en _uvre du principe aux calendes grecques : le Gouvernement pourrait nous présenter rapidement un projet de loi définissant clairement les contours du principe de précaution. En l’état actuel, il serait déraisonnable de le constitutionnaliser.
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Mme Christine Boutin - Si nous voulons vraiment que le principe de précaution soit appliqué, je pense qu’il faut adopter l’amendement qui tend à faire définir par une loi organique les conditions de cette application. Nous sommes presque tous élus locaux : nous voyons déjà se développer les procédures qu’engagent des associations de toute nature. Si nous ne prévoyons pas que le principe de précaution est mis en _uvre « dans les conditions définies par la loi », je suis convaincue que nous allons au-devant de nombreux problèmes.
L’amendement 3 deuxième rectification, l’amendement 55 et l’amendement 68, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.
Mme la Rapporteure - L’amendement 51 est défendu.
M. le Garde des Sceaux - Avis favorable.
M. André Chassaigne - Le sous-amendement 90 est rédactionnel.
Le sous-amendement 90, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.
L’amendement 51 ainsi sous-amendé, mis aux voix, est adopté.
[…]
M. André Chassaigne - Je demande une très brève suspension de séance.
La séance, suspendue à 23 heures 20 est reprise à 23 heures 21.
M. André Chassaigne - L’amendement 58 est défendu.
L’amendement 58, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n’est pas adopté.
M. André Chassaigne - L’amendement 59 rectifié est défendu.
L’amendement 59 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement, n’est pas adopté.
Mme la Rapporteure - Le développement durable concilie protection et mise en valeur de l’environnement, croissance économique et emploi, progrès social. Il est important que ces trois piliers soient traités de même. Tel est l’objet de l’amendement 52 rectifié que j’évoquais tout à l’heure.
M. le Garde des Sceaux - Avis favorable.
M. Philippe Tourtelier - Je considère, pour ma part, que notre amendement 80 était préférable car la rédaction que vous proposez met davantage l’accent sur le développement économique.
Mme la Rapporteure - C’est tout le contraire.
L’amendement 52 rectifié, mis aux voix, est adopté.
M. le Président - L’amendement 57 de M. Chassaigne tombe.
Mme Christine Boutin - L’amendement 56 est défendu.
L’amendement 56, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n’est pas adopté.
Mme Nathalie Gautier - L’amendement 81 intègre expressément le principe de participation visé à l’article L. 110-1 du code de l’environnement et consacre une véritable citoyenneté environnementale. C’était l’un des objectifs majeurs de la Déclaration de Rio de 1992, dont l’article 10 indiquait que « la meilleure façon de traiter les questions environnementales est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés au niveau qui convient ».
L’amendement 81, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n’est pas adopté.
L’article 2, modifié, mis aux voix, est adopté.
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APRÈS L’ART.2
M. Christophe Caresche - L’amendement 72 rectifié est défendu.
L’amendement 72 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement, n’est pas adopté.
Mme la Rapporteure - Je ne reviens pas sur l’amendement 53, dit Delattre-Pecresse, dont nous avons largement débattu tout à l’heure.
M. le Garde des Sceaux - Avis favorable.
M. Francis Delattre - Cet amendement, je le rappelle, modifie l’article 34 de la Constitution en faisant entrer l’environnement dans le champ de la loi. Certains objectent que des lois ont déjà été adoptées sur l’eau, l’air, les paysages, autant de questions touchant à l’environnement, sans que jamais il y ait eu de problème. Mais c’est parce qu’il existait un large consensus et que le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi, car, à l’évidence, celui-ci aurait été amené à constater que l’on avait légiféré dans un domaine ne relevant pas de la loi. Aux termes de l’article 34 actuel, le Parlement ne pourrait pas débattre pas exemple de l’importante question des OGM, ce que lui permettrait l’article 34 modifié.
Le droit de l’environnement étant ainsi intégré dans le bloc de constitutionnalité, l’élaboration d’une loi organique devient possible. Par ailleurs, les directives européennes sont automatiquement communiquées au Parlement dès lors qu’elles concernent le champ des compétences visées à l’article 34 de la Constitution, ce qui n’est pas le cas pour ce qui relève du domaine réglementaire. De ce fait, des questions aussi essentielles que la préservation et la valorisation de l’environnement seront placées au c_ur du débat parlementaire.
Evidemment, si j’étais dans l’opposition… (« Vous y reviendrez ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)… je presserais le Gouvernement de prendre l’engagement de soumettre à la représentation nationale une loi organique au cours de l’année qui vient… (Sourires)
M. le Président - Si l’amendement 53 est adopté, les amendements 83 et 67 rectifié tomberont ; je donne donc la parole à MM. Caresche et Chassaigne pour les défendre.
M. Christophe Caresche - Je reprends l’excellente suggestion de notre collègue Delattre, et je demande au Gouvernement s’il prend l’engagement de déposer sur le bureau de notre assemblée, au cours de l’année qui vient, un projet de loi organique précisant les principes définis dans la Charte.
Mieux aurait valu inscrire le droit de l’environnement dans la Constitution et renvoyer à une loi organique l’application de ce nouveau principe constitutionnel. Mais ce n’est pas le choix qui a été fait et l’amendement, même s’il apporte une précision utile, ne règle pas le problème, car s’il offre la possibilité de légiférer pour préciser la définition du principe de précaution, il n’en fait pas obligation. Vous nous demandez donc de vous croire sur parole alors que, tel Saint Thomas, je préfèrerais toucher pour croire… Quel sera donc, Monsieur le Garde des Sceaux, le calendrier d’application législatif des principes contenus dans la Charte ? Nous voterons l’amendement de la commission, mais nous estimons sa portée très limitée.
M. André Chassaigne - Je voterai d’autant plus volontiers l’amendement que notre amendement 67 rectifié est similaire. Il n’empêche que cet amendement-aveu prête à sourire, en ce qu’il signale qu’en dépit de toutes les dénégations, la Charte ne suffira pas et qu’elle devra être précisée par un autre texte. On peut donc parler d’un amendement de précaution (Sourires) qui montre que l’on a ouvert la boîte de Pandore pour la refermer aussitôt…
L’amendement 53, mis aux voix, est adopté.
M. le Président - Les amendements 67 rectifié et 83 tombent.
Nous en avons fini avec l’examen des articles. Je rappelle que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi constitutionnelle auront lieu mardi 1er juin, après les questions au Gouvernement.
Prochaine séance demain, jeudi 27 mai, à 9 heures 30.
La séance est levée à 23 heures 40.