VOTE SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE RELATIF À LA CHARTE DE L’ENVIRONNEMENT
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M. le président. Pour le groupe des député-e-s communistes et républicains de l’Assemblée nationale, la parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers collègues, notre bonne vieille Terre est malade ! Et nous en avons à peine conscience…
Oui, nos sociétés sont en train de détruire notre planète. II est urgent de réagir !
Pourtant, les difficultés rencontrées dans le monde pour ratifier le protocole de Kyoto attestent des réticences à appréhender la gravité de la situation. Et comment ne pas rappeler les coups portés à l’environnement par le capital financier (Exclamations), des pollueurs pétroliers aux pourvoyeurs de l’amiante, des lobbies anti-ferroviaires aux destructeurs du littoral ?
Ce constat confirme la nécessité d’intégrer, au plus haut de la hiérarchie des normes, les problématiques liées à la protection de l’environnement.
C’est bien dans ce contexte que s’inscrit le vote que nous allons émettre sur ce projet de loi constitutionnelle.
Faut-il rappeler que les constitutions, et notre Constitution, proclament les valeurs qui fondent l’organisation de nos sociétés ? Ces valeurs sont évidemment évolutives. C’est pourquoi, en 1946, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, malgré sa brûlante actualité, a été complétée par la proclamation de droits économiques et sociaux en préambule de la Constitution de la IVe République.
Conscients de l’urgence et de notre responsabilité en ce domaine, nous ressentons la nécessité d’intégrer notre attachement à la protection de l’environnement dans notre corpus constitutionnel, parmi les valeurs qui donnent sens au pacte républicain.
Cette charte aurait pu faire consensus si elle n’avait pas été aussi verrouillée. Le procédé utilisé par l’exécutif pour l’imposer quasiment en l’état n’est d’ailleurs pas sans rappeler, en ce château de Versailles, l’époque où les rois octroyaient généreusement des chartes constitutionnelles. (Exclamations.)
Logiquement, inéluctablement, ce fait du prince ne pouvait qu’engendrer les carences du texte qui nous est soumis.
Son préambule relève ainsi, pour l’essentiel, de considérations trop générales, voire réductrices. L’absence de toute référence concrète à l’épuisement des ressources naturelles traduit la volonté de refuser de s’interroger sur la viabilité d’un système économique qui repose aujourd’hui sur le pillage de notre planète, au nom de la seule satisfaction d’intérêts privés immédiats et de principes conduisant à la marchandisation de toute la vie.
Cette question, pourtant fondamentale, est en fait éludée par la seule référence au « développement durable », sans préciser ni la signification de cette notion bien trop galvaudée, ni les contours virtuels d’un modèle alternatif de développement.
Quant à la définition et aux modalités de mise en œuvre du principe de précaution, elles pâtissent d’une opacité fâcheuse pour un texte juridique, a fortiori pour un texte constitutionnel. En effet, l’article 5, objet de tant de débats, d’articles, de controverses, ce fameux article 5 reste empreint d’une grande méfiance à l’égard du progrès des sciences et des techniques et pourrait conduire au blocage d’avancées importantes pour le devenir de l’humanité,
N’oublions pas que le dévoiement de l’esprit scientifique, à l’origine de tant de dérives, n’est pas le fait de la science elle-même, mais bien plutôt de ce que Condorcet appelait un « système social combiné pour la vanité » !
Mais cet article nous préoccupe surtout parce que, d’application directe, il ne permettra pas de dissiper l’incertitude juridique actuelle. Le refus de la majorité de renvoyer formellement à la loi ses modalités d’application ne pourra qu’engendrer des contentieux et des jurisprudences multiples.
Seule une loi pourrait définir le seuil à partir duquel un risque de dommage justifie la mise en œuvre de ce principe de précaution. Elle pourrait aussi définir la nature de l’intervention démocratique, souligner l’importance de la recherche et préciser quelles seront les personnes compétentes pour apprécier la réalité des risques et donc déclencher la procédure.
Enfin, comment ne pas s’interroger sur la capacité du Gouvernement à faire vivre concrètement les principes proclamés dans cette charte ?
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Nous ne pouvons qu’être interpellés par le fait que l’on nous fasse intégrer cette charte dans notre Constitution le jour même où cette dernière est soumise à la Constitution européenne ! En institutionnalisant en parallèle le libéralisme européen destructeur d’environnement, comment ce texte pourrait-il permettre une réorientation écologique de la politique économique de la France ?
Quelle contradiction fondamentale que d’intégrer, fort justement, dans la Constitution les valeurs de protection de l’environnement, au moment où vous applaudissez les profits faramineux de Total, où vous autorisez des entorses à la loi littoral ou le développement des pavillons de complaisance, où vous réduisez comme peau de chagrin le budget du ministère chargé de l’écologie !
Mme Janine Jambu. Très juste !
M. André Chassaigne. Cette charte de l’environnement était, certes, nécessaire. Placée en préambule de notre Constitution, elle aurait pu être un signal fort.
M. François Baroin. Donc ?
M. André Chassaigne. Mais au regard des imperfections du texte et des conditions dans lesquelles il nous est soumis, les députés communistes et républicains sont conduits à s’abstenir. (Applaudissements.)
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Voici le résultat du scrutin sur le projet de loi constitutionnel :
Nombre de votants 665
Nombre de suffrages exprimés 554
Majorité requise pour l’adoption du projet de loi constitutionnel, soit les trois cinquièmes des suffrages exprimés 333
Pour l’adoption 531
Contre 23
Le Congrès a adopté (Applaudissements )
Le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l’environnement, approuvé à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, sera transmis à M. le Président de la République.