MISSION D’INFORMATION SUR LES OGM.
Contribution d’André Chassaigne, secrétaire de la mission
La question des OGM agite l’opinion publique et divise la communauté scientifique depuis de nombreuses années. Nous sommes, en tant qu’élus, régulièrement interpellés sur ce problème, voire directement concernés par des essais en plein champ. L’approfondissement du sujet par cette mission parlementaire répondait donc à une forte attente par une approche dépassionnée et objective.
Aussi, avec cette mission d’information, nous avions pour objectif d’éclaircir une controverse dans laquelle les prises de position de chacun ont souvent reposé sur l’ignorance et les idées préconçues, alimentées par des informations et positionnements partisans. Les intérêts économiques en jeu, considérables, ont aussi faussé le débat en privilégiant a priori les avantages de la technique et en rejetant toute évaluation sérieuse des conséquences sur la santé, l’environnement et les rapports économiques.
Nos travaux ont été conduits avec objectivité et les échanges bénéfiques à la compréhension du sujet. La richesse et la diversité des auditions menées par notre mission ont indubitablement permis de dissiper un certain nombre de contrevérités émises sur les organismes génétiquement modifiés.
Nous pouvons cependant regretter que la construction finale du rapport ne permette pas de dégager une synthèse permettant une approche ouverte et rassembleuse.
En effet, des orientations clairement favorables à la culture et à la commercialisation d’organismes génétiquement modifiés, largement partagées il est vrai au sein de la mission, structurent excessivement ce rapport, affaiblissant le bien fondé des propositions présentées.
Cette empreinte favorable aux OGM se manifeste notamment par le plan retenu et le choix des citations, mais aussi par certaines insuffisances de fonds que nous développerons dans cette contribution. Elle est d’autant plus regrettable qu’elle risque de délégitimer le travail opéré par notre mission d’information. Nos travaux ont, bien au contraire, et en permanence, recherché un équilibre ; nos échanges ont été d’une grande richesse avec une forte écoute mutuelle. Or ce rapport prend le risque d’alimenter les critiques des opposants les plus fermes aux OGM qui chercheront, sans mal, à nous assimiler, aux yeux de l’opinion, à un lobby pro-OGM.
N’aurait-il pas été préférable de s’attacher à confronter plus nettement les avantages avérés et les risques manifestes représentés par la culture d’OGM, leurs bénéfices potentiels et leurs dangers supposés ? Ainsi, nous ne comprenons pas, par exemple, que la nécessité d’autoriser et d’encourager des essais en plein champ, soit posée d’entrée, au début de la deuxième partie, comme un postulat précédant l’analyse scientifique.
Une telle proposition n’aurait dû intervenir qu’en conclusion.
Des insuffisances que nous regrettons.
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- Le rapport n’opère pas assez nettement de distinction entre d’une part les OGM de première génération, produits souvent pour le seul intérêt d’industriels intéressés par la domination de l’agriculture mondiale, et d’autre part les perspectives de fonctions nouvelles par des OGM dits de seconde génération. Les premiers, presque uniquement à buts herbicides ou insecticides, sont en effet conçus avec le double objectif d’augmenter la productivité de l’agriculture et d’accroître les profits des industries chimiques qui les ont conçus et fournissent les pesticides appropriés ; les seconds ouvrent la perspective d’OGM thérapeutiques, de semences adaptées à la culture dans des milieux naturels hostiles ou de plantes aux capacités nutritionnelles supérieures. Ils sont au cœur d’une recherche qu’il faut encourager et ne peuvent ni être ignorés, ni être assimilés aux organismes modifiés cultivés aujourd’hui.
- Nous pouvons également constater un glissement trop naturel, voire un amalgame, entre l’autorisation d’essais en plein champ et l’autorisation de la commercialisation de ces cultures modifiées. Il aurait été pourtant nécessaire de bien segmenter ces problématiques distinctes : la connaissance est l’objectif premier d’une recherche chargée d’évaluer certes les avantages d’une plante transgénique, mais aussi ses conséquences sur l’environnement et la santé. Le rapport a trop tendance à banaliser l’exploitation économique des conclusions de ces recherches et à considérer le passage de la recherche à la commercialisation comme allant de soi.
- C’est dans la même logique que la quatrième partie de ce rapport couple la question du soutien de la recherche en matière biomoléculaire et celle de son exploitation économique. Comme le modèle agricole productiviste, sous-entendu dans cette partie, est axé sur une logique strictement commerciale et capitaliste, la conséquence sera d’inféoder définitivement la recherche biomoléculaire aux intérêts des multinationales de ce secteur. C’est bien parce que la recherche biomoléculaire est dominée par les seules firmes privées, essentiellement agrochimiques, que la quasi-totalité des semences transgéniques cultivées aujourd’hui concernent des plantes commerciales (maïs, soja,…) et ne s’attachent pas à améliorer la productivité des cultures vivrières. Ainsi, plutôt que de laisser instrumentaliser cette recherche, il conviendrait de bien l’isoler de ces intérêts marchands afin de l’orienter a priori vers des domaines qui puissent être utiles aux paysans du monde entier.
- Le rapport cautionne indirectement le discours sur la promotion d’une « nouvelle culture de la recherche » ou de partenariats public/privé qui conduisent bien souvent à l’instrumentalisation de la recherche publique par les intérêts privés. Il justifie l’esprit de l’avant projet de loi d’orientation de la recherche, que nous dénonçons.
Nous sommes convaincus que cette orientation ne permettra ni de sortir la recherche publique de la situation sinistrée dans laquelle elle est réduite ni de redonner à notre pays les capacités d’expertise qu’il a perdues.
Mais nous pensons également que le financement de la recherche par des entreprises privées intéressées et obnubilées par les profits à attendre ne pourra que nourrir la défiance croissante de nos citoyens envers le progrès scientifique.
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Les enjeux agricoles des OGM
Nous sommes très loin de partager l’esprit de la partie de ce rapport concernant les enjeux économiques de la culture d’OGM.
La question est pourtant simple : Quel modèle agricole voulons-nous ? Comment voulons nous organiser la production agricole, en France et dans le monde ? Quels modes alimentaires souhaitons-nous promouvoir ?
Comme nous y invite de fait ce rapport, nous pouvons faire le choix d’une agriculture avant tout commerciale. Dans ce cadre, les denrées agricoles sont des produits comme les autres. Les dimensions utilitariste et biologique de l’alimentation sont prédominantes : la nourriture ne sert qu’à acquérir l’énergie dont nous avons besoin pour travailler… et à alimenter les profits.
Dans cette optique, l’objectif est simplement de produire les denrées agricoles au meilleur prix : ce qui implique une recherche permanente de compétitivité.
La disparition de la majorité des paysans, la concentration foncière et la spécialisation des régions en fonction de la nature des terres et du climat sont la conséquence logique d’une telle politique : la monoculture finit par s’imposer, dans le monde, et notamment dans les pays en développement, avec tout ce que cela implique en matière écologique et économique (extrême dépendance aux marchés internationaux).
La conséquence finale de cette logique est évidemment la suppression de toutes les entraves au commerce international qui sont autant de contraintes à la baisse des prix des denrées agricoles. Certains pays d’Amérique du sud, sous l’influence des grands propriétaires fonciers, ont fait le choix de privilégier un tel modèle agricole ; ils se sont regroupés, avec d’autres, dans le groupe de Cairns, afin d’exiger à l’OMC une libéralisation complète du secteur agroalimentaire et font aujourd’hui le choix, pour la plupart d’entre eux, d’une utilisation massive des OGM. Mais la voix du sud est-elle portée par les seuls latifundia argentines ? Gardons à l’esprit que le développement des grands propriétaires sud-américains conditionne souvent l’appauvrissement de la petite paysannerie, ce qu’omet la partie du rapport traitant de ce point.
Nous portons quant à nous une autre aspiration pour notre agriculture. Elle repose sur l’exploitation familiale et une agriculture pourvoyeuse d’emplois nombreux.
A l’origine, ce modèle économique reposait sur une agriculture vivrière et de polyculture. Il a souvent évolué vers une dimension plus commerciale, notamment dans le monde occidental, mais a cependant conservé de sa matrice originelle la dimension culturelle de l’alimentation. Parce que les produits de cette agriculture sont identifiés aux spécificités des territoires et des modes de vie, ils restent destinés à des marchés relativement proches des lieux de production.
Au niveau international, cette agriculture repose sur l’idée de souveraineté alimentaire. Le commerce de denrées agricoles doit, dans ce cadre, être régulé, notamment au sein de marchés communs régionaux, afin de respecter ces identités culturelles. Le commerce international entre ces régions doit être libéré du contrôle des multinationales et orienté de façon à améliorer le sort des populations, notamment les plus pauvres.
Aussi, nous regrettons que ce rapport enferme l’agriculture dans une logique aussi productiviste et commerciale et qu’il sous-estime les conséquences économiques de la culture d’OGM pour les agriculteurs, notamment en ce qui concerne sa compatibilité avec un modèle d’agriculture familiale et indépendant.
Dans ce contexte, la question de la propriété intellectuelle des plants transgéniques doit être analysée au regard de son impact sur la maîtrise par les agriculteurs de leurs activités. Ainsi, cultiver aujourd’hui un OGM à des fins commerciales revient à soumettre l’agriculture à des produits transgéniques qui, de par leur brevetage, ont été privatisés et sont de ce fait la propriété d’une multinationale (et pas du cultivateur). Le risque est donc grand d’aliéner l’agriculteur et de le transformer en simple serviteur de ces multinationales.
Ainsi, un régime juridique de brevetabilité trop favorable aux entreprises du secteur pourrait déposséder le paysan de la maîtrise de sa production et donner à ces multinationales l’exclusivité du contrôle des semences utilisées en agriculture. Aussi, nous devrons bien veiller à prévenir ces risques de privatisation de la nature.
En vertu de ces menaces, le contrôle public de la recherche biomoléculaire est absolument impératif.
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Des propositions de qualité
En dépit de ces fortes réserves, nous partageons l’essentiel des propositions émises en fin de ce rapport.
Au sein de la rubrique « Encourager la recherche et l’innovation », nous souhaitons que les moyens financiers destinés à la biologie végétale, à la toxicologie, à l’épidémiologie et à l’entomologie puissent rapidement augmenter, à la mesure des besoins ressentis aujourd’hui au sein de la communauté scientifique.
Nous insistons notamment sur l’exigence, portée par la proposition n°4, d’orienter ces efforts de recherche en direction de biotechnologies réellement utiles, notamment pour les pays du sud.
Il va de soi, en ce qui nous concerne, que ces efforts de recherche devront être contrôlés par les autorités publiques. L’indépendance des équipes scientifiques et la transparence des sources de financement sont primordiales (proposition n°11).
En ce qui concerne le droit de la propriété intellectuelle, il convient de parer tout risque de « privatisation de la nature » ; le droit des brevets en la matière devrait donc veiller à protéger au maximum les chercheurs comme les paysans de la domination des grands groupes producteurs de semences transgéniques. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, et la réglementation européenne en ce domaine laisse encore la part trop belle aux détenteurs des brevets. C’est pourquoi nous jugeons la proposition n°16 pas assez limitative en matière de détention des brevets sur le génome.
En revanche, les propositions visant à mutualiser la propriété intellectuelle publique (proposition n°17) ou promouvoir le principe de licences gratuites ou à prix avantageux au profit des paysans (proposition n°19) nous apparaissent capitales.
Nous apprécions l’équilibre du régime prévu d’autorisation d’expérimentations d’essais en plein champ, contenu dans la rubrique « Développer l’expérimentation dans un cadre rigoureux ».
Ainsi, les blocages existant à l’heure actuelle sur les recherches finalement nécessaires pour mieux appréhender l’efficacité comme les conséquences sur l’environnement de la culture d’OGM pourront, en dernier ressort, être levés.
Mais ces expérimentations en plein air devront bien respecter les principes de parcimonie (proposition n°20), de précaution (proposition n°23) et de transparence (proposition n°21).
Il est en outre clairement rappelé que l’évaluation de l’impact sur l’environnement de ces cultures expérimentales sera prioritaire (propositions n°22 et 24).
Les propositions de la rubrique intitulée « Clarifier les procédures d’autorisation et de suivi » nous paraissent déterminantes. A partir du moment où le principe d’expérimentations en plein champ, rigoureusement encadrées, est acquis, il doit revenir à une instance spécialisée, composée de scientifiques issus d’horizons divers, mais aussi de représentants de la société civile (agriculteurs, associations de protection de l’environnement…), de décider, au cas par cas de l’opportunité de telles expérimentations. C’est le sens des propositions n°39, 41, 42 et 43 que nous apprécions particulièrement.
Le manque de transparence en matière de recherche sur les organismes transgénique explique une partie de la défiance de l’opinion envers ces nouvelles technologies. Aussi, il est nécessaire d’encourager, comme nous y invitent les propositions n°44 à 50, l’information au grand public sur cette question.
De la même façon, la concertation avec la population, les agriculteurs et les élus, dans les territoires, est indispensable pour pouvoir relancer, effectivement, la recherche sur les OGM. Toutes les procédures d’association de la population, à travers l’élaboration de schémas régionaux d’orientation des sites d’implantation des essais (proposition n°51) ou de consultation directe des populations concernées par de tels essais (proposition n°53) ont ainsi notre soutien.
Cependant, les rubriques concernant la fixation des « règles de coexistence des cultures » et la prévention « des risques environnementaux par une surveillance et des pratiques culturales adaptées » ont tendance à considérer comme allant de soi le passage de la recherche à la culture commerciale. Nous ne partageons pas cette vision. La culture d’OGM n’est pas envisageable aujourd’hui, avant que soient mises en œuvre les recommandations de cette mission, notamment en matière de recherche, d’évaluation scientifique des risques et de contrôle par le Conseil des biotechnologies.
Evidemment, au cas où ces cultures d’OGM venaient à être autorisées, nous souscrivons aux recommandations de ce rapport visant à définir un régime de coexistence entre cultures OGM et cultures traditionnelles, afin de protéger ces dernières.
Dans cette perspective, nous nous demandons s’il ne serait pas souhaitable d’élargir à l’autorisation d’éventuelles cultures commerciales d’OGM. La proposition n°51 concernant les essais et destinée à associer les élus, les citoyens et les agriculteurs dans les régions. il nous semble en effet important de prendre en compte les implications des collectivités territoriales dans le devenir des cultures transgéniques.
Malgré la grande qualité du document final, amélioré notamment par les modifications et rajouts de l’ultime réunion de travail, les députés communistes et républicains se sont abstenus du fait d’un désaccord avec les analyses économiques qui y sont développées et les conséquences du développement des OGM sur l’agriculture mondiale.