La séance est ouverte à quinze heures.
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. André Chassaigne - Je ferai un rappel au Règlement en me fondant sur le premier alinéa de l’article 58 de notre Règlement, relatif à l’organisation de nos travaux. Depuis deux jours, la situation en Côte d’Ivoire s’est violemment embrasée. Neuf de nos soldats ont trouvé la mort et 15 000 ressortissants français présents sur place se sentent directement menacés. Les Français sont choqués par l’évolution de la situation et la solidarité nationale commence à s’organiser. Nous saluons l’initiative que vous avez prise ce matin, Monsieur le Président, de faire observer une minute de silence pour exprimer l’émotion de la représentation nationale.
La France, au premier rang des forces des Nations unies présentes sur place, joue un rôle essentiel en Côte d’Ivoire et s’apprête notamment à soumettre un projet de résolution à l’ONU. Dans ces conditions, il est urgent que le Premier ministre vienne informer le Parlement, et qu’un débat soit organisé dans cet hémicycle. Il est en effet essentiel que nous puissions débattre des initiatives que la France doit prendre pour trouver les voies d’une issue politique à cette crise grave. La stabilité dans cette région de l’Afrique de l’ouest déjà fragile dépend beaucoup de notre capacité à rétablir un climat de confiance et de sécurité.
Aussi, je vous demande, Monsieur le Président, de porter à la connaissance du Président Debré la demande du groupe des députés communistes et républicains que soit organisé sans délai un débat à ce sujet. Je ne doute pas que M. le ministre de l’agriculture se fasse également notre interprète auprès du Premier ministre.
M. le Président - Je ferai part de votre demande au Président Debré et je ne doute pas que la question soit abordée demain en Conférence des présidents. Je crois que nous pouvons faire confiance à notre Président pour veiller à la bonne information du Parlement en ces circonstances.
LOI DE FINANCES POUR 2005 -deuxième partie- (suite)
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2005.
AGRICULTURE, PÊCHE ET FORÊT (suite)
M. le Président - Nous poursuivons l’examen des crédits du ministère de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
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M. le Ministre - Il est vrai qu’est apparu un besoin de financement de 650 millions en 2004 et d’un peu plus du double pour 2005. Il ne s’explique pas par une explosion des dépenses, mais par une réduction des recettes, le rendement de la taxe sur les tabacs étant moindre que prévu. Nous constatons donc un déficit apparent. Toutefois, si le financement de la protection sociale agricole était consolidé au sein du régime général, il n’y aurait pas de besoin de financement. Le remboursement des prestations d’assurance maladie et la liquidation des retraites ne sont nullement menacés.
Le budget social agricole doit bénéficier d’un financement pérenne. S’agissant des retraites, je souhaite que les calculs de compensation démographique soient revus.
Pour la maladie, il faudrait que l’alimentation se fasse principalement par la TVA, recette stable et pérenne. Le groupe de travail que nous avons mis en place avec le ministère des affaires sociales et celui des finances remettra son rapport aux alentours du 15 janvier et les décisions seront prises rapidement.
Je voudrais rassurer MM. Gaubert et Mariani au sujet des crédits FAC et AGRIDIF. Il s’agit de crédits évaluatifs, qui par définition sont abondés en cours d’année en fonction des besoins ; c’est ce qui s’est passé en 2002, 2003 ou 2004.
En ce qui concerne la simplification, nous avons encore, comme l’a dit Michel Raison, énormément de travail à faire. Soit dit en passant, la complexité n’est pas seulement le fait des administrations nationale et européenne. Le comité permanent pour la simplification doit continuer à œuvrer. S’agissant de l’organisation de l’administration centrale, l’augmentation de crédits remarquée par François Sauvadet n’est qu’optique : la LOLF nous a obligés à modifier certaines affectations - notamment de crédits salariaux, qui apparaissaient à d’autres rubriques budgétaires que celles qui y sont dédiées -, mais il n’y a pas d’augmentation des moyens, et ce d’autant moins que nous veillons depuis deux ans à privilégier le maintien de fonctionnaires sur le terrrain et à réaliser des économies en administration centrale, notamment à travers la fusion de deux directions.
Pour les offices, la diminution des crédits évoquée par MM. Gaubert et Chassaigne résulte elle aussi d’un reformatage budgétaire. En réalité, les moyens d’intervention augmentent car les 25 millions qui figuraient auparavant sur la ligne budgétaire de l’OFIVAL sont transférés au budget du ministère pour le plan « bâtiments d’élevage » ; les crédits des « marges CSO » sont en progression, avec deux priorités : les mesures structurelles que j’ai annoncées à Nantes pour les fruits et légumes et les mesures pérennes de l’OFIVAL.
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M. Nicolas Forissier, secrétaire d’Etat à l’agriculture, à l’alimentation, à la pêche et aux affaires rurales - Le budget de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’enseignement technique agricoles représente un quart du budget du ministère, soit 1,4 milliard, et la moitié des emplois budgétaires. Nous sommes déterminés à agir pour que cet enseignement conforte sa place dans notre système éducatif national, en y apportant son excellence propre. Je remercie le rapporteur Antoine Herth et Michel Raison d’avoir salué cet effort du Gouvernement .
Notre action dans le domaine de l’enseignement et de la recherche tend d’abord à faire évoluer l’offre de formations pour mieux répondre aux attentes et aux besoins, ensuite à valoriser les métiers auxquels prépare l’enseignement agricole, en particulier ceux de l’agroalimentaire qui souffrent d’un déficit d’image, enfin à conforter la dimension européenne de nos formations avec l’adaptation au système licence-mastère-doctorat et le renforcement des échanges avec les pays de l’Europe élargie.
C’est dans cet esprit que nous avons construit le budget de l’enseignement agricole pour 2005. Oui, il s’agit bien d’un enseignement d’excellence, puisque le taux d’insertion dans la vie professionnelle qui s’ensuit s’élève à environ 85 %.. Cet enseignement joue un vrai rôle d’insertion sociale, offrant souvent une deuxième chance aux élèves mal à l’aise dans l’enseignement général. Enfin ses établissements jouent un rôle très important, nombre d’entre vous le savent, dans le dynamisme de nos territoires ruraux. Aussi avons-nous conforté le budget de l’enseignement technique, et dopé celui de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce bon budget prépare l’avenir avec confiance et détermination.
Monsieur Chassaigne, nous fermons des classes pour adapter l’offre de formation aux besoins, sans jamais fermer celles comptant plus de huit élèves, et nous maintenons intacte notre capacité globale d’accueil, qui s’est élevée cette année à 174 700 élèves dans l’enseignement technique, soit une hausse de près de 1 %. Ce mouvement s’opère dans la plus parfaite équité, contrairement à ce que vous craignez. Nous avons fermé 60 classes dans l’enseignement public, et 77 dans le privé, proportionnellement à la répartition du nombre d’élèves entre les deux secteurs, qui est de 40 % pour l’un et de 60 % pour l’autre. A nos yeux, le principe d’équité est intangible. Si les crédits pour l’enseignement privé progressent assez fortement, c’est qu’il nous faut rattraper en une année le retard issu de la gestion par l’ancienne majorité de la question des subventions à l’enseignement technique privé (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). M. Gaubert, avec beaucoup d’élégance, a reconnu lui-même que la loi Rocard n’était pas appliquée. Avec les trois grandes familles de l’enseignement technique agricole privé, nous sommes parvenus à un accord qui sera intégralement respecté.
[…]
M. André Chassaigne - Ma question porte sur la revalorisation des retraites agricoles. Sur deux millions de retraités, 430 000 seulement touchent une pension supérieure à 75% du SMIC. Cette situation particulièrement difficile concerne en priorité les conjoints et aides familiaux des chefs d’exploitation et l’on voit qu’on est loin de l’objectif affiché dans la réforme des retraites de l’été 2003 : que nul salarié retraité ne perçoive une pension inférieure à 85% du salaire minimuM. Pis, plus d’un million de retraités agricoles n’ont pas bénéficié de la moindre revalorisation depuis 1997.
En juillet dernier, le groupe de travail du ministère de l’agriculture compétent sur cette question a transmis aux organisations agricoles un certain nombre d’hypothèses, consistant notamment en un abaissement des coefficients et seuils de minoration, instaurés par M. Vasseur en 1997 et qui interdisaient aux agricultures polypensionnés l’accès à toute forme de revalorisation. Il s’agirait aussi de ne plus exclure de la revalorisation les agriculteurs ayant cotisé 37 ans et demi, tous régimes confondus.
Personne ne conteste l’avancée que pourrait constituer l’adoption de telles mesures. Mais leur simple énoncé ne règle pas le problème et nous avons déploré qu’aucune d’entre elles ne figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Au surplus, le calendrier prévisionnel d’application de ces mesures est inacceptable, puisque le Gouvernement propose de l’étaler jusqu’à 2010, excipant de la situation très tendue des finances publiques. Cet argument n’est pas recevable : étant donné la diminution de 50 000 retraités agricoles par an et les économies réalisées par les pouvoirs publics du fait de ces évolutions démographiques, cette baisse naturelle des dépenses finance elle-même les mesures préconisées par le groupe du travail.
Dans l’attente des débats qui nous réuniront à ce sujet dans le cadre de la discussion de la future LMA, pouvez-vous nous indiquer quand seront concrétisées les hypothèses du groupe de travail sur ces retraites agricoles ? Êtes vous disposé à revoir le calendrier de mise en œuvre de manière à mieux prendre en compte la diminution régulière du nombre de pensionnés ?
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M. le Ministre - Je remercie M. Chassaigne de donner acte aux gouvernements successifs de leur effort continu de revalorisation des retraites agricoles. Plusieurs plans sont intervenus et l’effort à ce titre représente un engagement de l’ordre de 1,5 milliard par an. Les retraites des conjoints et des aides familiaux ont quasiment doublé, cependant que la pension de base des chefs d’exploitation était augmentée de 45 %, puis mensualisée et assortie d’une retraite complémentaire obligatoire, certes décidée par la majorité précédente mais par nous financée. Aujourd’hui, 430 000 chefs d’exploitations bénéficient de la RCO, pour un montant annuel moyen de 1 000 euros, l’effort budgétaire afférent atteignant 145 millions.
S’agissant des retraites correspondant à une carrière complète, l’objectif reste d’atteindre un montant équivalent à au moins 75 % du SMIC annuel net.
Après les précédentes revalorisations, la mise en œuvre de la retraite complémentaire obligatoire et la mensualisation, un bilan de la situation des retraités agricoles nous a paru nécessaire. Un groupe de travail a donc été constitué pour réfléchir notamment aux améliorations possibles. De ses conclusions, il ressort que des mesures sont nécessaires au profit des conjoints, parfois exclus des récentes revalorisations du fait de critères trop restrictifs. Les premières simulations juridiques et financières montrent que les montants en jeu s’élèvent à plusieurs centaines de millions d’euros. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement a bien l’intention de dégager, d’ici à la fin de la législature, les moyens nécessaires à la revalorisation des retraites agricoles les plus modestes. Nous aurons donc l’occasion d’en reparler lors des prochains budgets.
M. André Chassaigne - Il n’y en a plus que deux !
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M. le Ministre - Le récent comité interministériel consacré au littoral a réaffirmé la priorité donnée par le Gouvernement à la protection de tout notre littoral.
M. André Chassaigne - La crise que traverse le secteur viti-vinicole est profonde et affecte la plupart des vignobles français, je l’ai personnellement constaté dans le Bordelais et le Languedoc. Considérant qu’il s’agit avant tout d’une crise de surproduction, vous avez, Monsieur le ministre, annoncé diverses mesures en juillet dernier, visant notamment à segmenter l’offre entre les AOC et les vins de pays et à miser sur ceux-ci pour relancer la demande de vins français. J’ai bien noté que vous n’imposeriez aucune déclassification. Mais pour nous, la crise actuelle résulte bien davantage des orientations prises par les négociants que d’une quelconque crise de surproduction. Les négociants profitent de leur position dominante pour exiger des petits producteurs qu’ils vendent à perte, standardiser les productions et racheter les vignobles du Nouveau Monde. Dans ce contexte, nous craignons que les mesures prises ne renforcent leur domination.
L’Union européenne a parallèlement décidé d’affecter 450 millions d’euros à la restructuration et la reconversion des vignobles communautaires, dont 107 millions pour le vignoble français.
Monsieur le ministre, êtes-vous prêt, enfin, à protéger les producteurs de la domination du négoce et à instaurer un prix minimal d’achat ou, au minimum à encadrer les abus de position dominante ? Prendrez-vous des mesures d’aide conjoncturelle comme un moratoire sur les annuités d’emprunt ou des mesures d’accompagnement pour les viticulteurs proches de la retraite ? Comment enfin seront utilisés les fonds européens ? Plutôt que des arrachages massifs, ne serait-il pas possible d’envisager des arrachages temporaires qui permettraient, lorsque les conditions de marché seront meilleures, de replanter et d’éviter ainsi la disparition de nos vignobles les plus fragiles ?
M. le Ministre - La consommation de vin diminue en France et dans le monde, et la surproduction mondiale est aujourd’hui d’environ 10 %. De cette situation, nous avons tiré les conclusions en proposant une nouvelle segmentation de l’offre entre les AOC, dont le lien au terroir fait la qualité et l’originalité des vins français et européens, et les vins de pays, dont l’offre peut concurrence les productions de nouveaux pays. Cela étant, je vous fais observer qu’en la matière, ce n’est pas le ministre qui décide, mais les consommateurs. Nous avons donné aux producteurs en quelque sorte une boîte à outils : nous ferons maintenant ce qu’ils nous demanderont de faire.
Pour ce qui est des relations avec l’aval, aucune disposition spécifique au secteur du vin n’est prévue. Mais des dispositions législatives et réglementaires seront prises dans le cadre des recommandations du rapport Canivet.
Pour le reste, je m’apprête à recevoir l’ensemble des organisations professionnelles avant les déclarations de récolte pour examiner avec elles les mesures d’urgence à prendre. Avant même cette rencontre, nous avons décidé d’augmenter les reports possibles sur le marché des non-vins comme les moûts et les jus de raisin, et invité les producteurs à réfléchir au rendement des vins d’appellation. Diverses mesures ont par ailleurs été prises dans un cadre interprofessionnel pour mieux réguler l’offre et mieux gérer les marchés.
Pour la restructuration du vignoble, nous avons bénéficié de 107 millions de fonds structurels européens, ce qui n’est pas rien. Ce montant est même en forte augmentation. Nous sommes le deuxième bénéficiaire, après l’Espagne et devant l’Italie. L’utilisation de ces aides sera décidée en étroite concertation avec les professionnels.
S’agissant de l’arrachage temporaire, nous avons obtenu de la Commission européenne, à la fin de l’année 2002, la possibilité de mettre en place un dispositif de reconversion qualitative différée. Mis en œuvre à titre expérimental dans la région Languedoc-Roussillon, ce système a donné de très bons résultats. Nous avons donc décidé de l’étendre à d’autres régions. C’est un outil excellent, qui permet de concilier la gestion de court terme et la préservation de l’avenir.
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Prochaine séance ce soir à 21 heures 30.
La séance est levée à19 heures 15.