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DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT ET DÉBAT SUR L’AVENIR DE L’ÉCOLE
M. André Chassaigne - Je tiens d’abord à vous faire part de la satisfaction du groupe communiste, qui se réjouit de la tenue d’un débat sur l’école dans cet hémicycle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Le mouvement social de l’an dernier dans l’Education nationale a placé le système éducatif au c_ur des préoccupations de notre société. Je saisirai cette occasion pour réaffirmer notre attachement à certains principes, pour vous faire part de quelques remarques sur la façon dont s’est organisé le grand débat animé par la commission Thélot et pour vous alerter sur plusieurs points.
La communauté enseignante et les partenaires sociaux vous ont déjà fait part de leur scepticisme quant à l’organisation de ce « grand débat » : nombreux sont ceux qui considèrent que tout était joué d’avance. On a semblé ignorer des décennies de recherche en sciences de l’éducation, depuis le remarquable plan Langevin-Vallon élaboré sur les fondements du programme du Conseil national de la résistance. A cet égard, le choix des membres de la commission Thélot n’a pas été sans influence sur l’élaboration des questions prospectives.
Il est dommage qu’on n’ait pas incité plus particulièrement les habitants des quartiers populaires et les jeunes à s’impliquer davantage dans ce débat, qui est resté très institutionnel, avec une faible mobilisation des parents et des élèves.
Mais quelles sont vos réelles intentions, Messieurs les ministres ? Ne cherchez-vous pas à faire accepter à l’opinion publique les options libérales de ce gouvernement ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)
A moins que vous souhaitiez leur faire avaliser, avant sa publication, un projet de loi déjà ficelé ? Ces options, nous les connaissons bien : il s’agit d’abandonner, au nom de la réduction de la dépense publique, l’ambition d’un solide niveau de scolarisation et de connaissances pour tous.
M. Arnaud Montebourg - C’est ce qui se profile !
M. André Chassaigne - La campagne idéologique menée depuis de nombreux mois est là pour nous le rappeler. On noircit volontairement le diagnostic pour mieux préparer le pays à se résigner au démantèlement de l’école de la République (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Ce n’est pas en mythifiant l’école du passé qu’on règlera les problèmes de notre époque. La sélection, l’abandon du collège unique ou la remise en cause de la mixité n’ont pas d’avenir.
Il faut dire aussi qu’au lieu d’observer le silence propice à une réflexion objective et sereine, vous n’avez cessé, Messieurs les ministres, de proférer des déclarations provocatrices et parfois même contradictoires. Je pense, par exemple, à vos propos justifiant la liquidation du système de remplacement, l’annualisation des services ou le recours à la bivalence dans les collèges.
Cependant, de nombreux communistes ont participé aux différents débats. A l’échelon national, la sénatrice Annie David a siégé au sein de la commission Thélot ; à l’échelon local, nous avons aussi pris part au débat. Le parti communiste a organisé, le 8 novembre 2003, une rencontre nationale pour l’école. Parce que nous ne voulions pas nous laisser enfermer dans le cadre restrictif que vous avez donné au débat, une seule ambition a guidé notre réflexion : promouvoir les transformations nécessaires pour lutter plus efficacement contre les inégalités. C’est dans ce sens qu’Annie David a rappelé l’exigence de gratuité scolaire pour promouvoir la réussite de tous.
Tous les enfants ont des aptitudes pour réussir : c’est pourquoi l’attente vis-à-vis du service public d’éducation est importante, notamment dans les familles populaires. C’est aussi pourquoi nous sommes profondément attachés à une transformation de l’école.
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Oui, l’école pour tous est possible, mais il faut pour cela tenir compte davantage de la diversité des élèves, de l’environnement social dans lequel ils évoluent, des inégalités territoriales et de la concurrence accrue de l’enseignement privé.
Certes, la démocratisation de l’enseignement est en panne, mais il ne faut pas se tromper de débat. Contrairement à vos déclarations alarmistes sur la baisse du niveau, les évaluations nationales affichent certes des disparités, mais elles ne montrent pas une chute brutale du niveau scolaire. Une fois encore, le cliché, le snobisme de salon occultent l’approche scientifique. C’est ainsi que de beaux penseurs demandent l’abandon de la méthode globale, ce qui a été fait il y a déjà un quart de siècle (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).
La réalité, c’est que les résultats continuent de révéler d’importantes disparités selon l’origine sociale des enfants. Les statistiques du ministère montrent ainsi que 31 % des étudiants ont des parents cadres supérieurs ou exerçant une profession libérale ; 10,1 % sont des enfants d’ouvriers, et seulement 2,4 % sont fils ou filles d’agriculteurs.
La démocratisation de l’enseignement passe aussi par le respect de la mixité. Vous avez affirmé, Monsieur le ministre, le 8 septembre dernier à la Sorbonne que « la mixité scolaire ne sera pas remise en cause ». Vous avez heureusement contredit les propos tenus en mars dernier par Xavier Darcos, manifestement séduit par les chants de quelques sirènes conservatrices, qui avait annoncé l’expérimentation de classes non mixtes dans deux académies (M. Darcos, ministre délégué, fait un geste de surprise). Votre volonté de rationaliser l’offre de formation ne sera pas sans incidence sur les inégalités d’orientation en fonction du sexe.
La façon dont ce système éducatif intègre les élèves handicapés est révélatrice de ses capacités à s’adapter à la diversité des publics. Le principal obstacle vient des ruptures qui existent entre les différents niveaux d’enseignement. Si 76 000 élèves handicapés sont intégrés dans les écoles primaires, ils ne sont plus que 20 000 dans le secondaire et 7 500 dans le supérieur. Les inégalités sociales se retrouvent dans ce domaine. En effet, à handicap équivalent, la proportion d’enfants entrant en institution est trois fois plus élevée chez les employés et les ouvriers que chez les cadres et les professions intermédiaires. Pour les classes moyennes ou supérieures, la priorité est bien l’intégration en milieu ordinaire.
L’intégration n’en est qu’à ses débuts et la formation également. Les moyens humains et matériels sont encore insuffisants et on déplore de nombreux dysfonctionnements. Le bilan des groupes « handiscol » est mitigé, les familles ne se sentent pas suffisamment écoutées et l’environnement scolaire est encore loin d’être aux normes.
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Devant toutes ces difficultés, la tentation peut être grande de renoncer. Promouvoir la réussite pour tous passe par la redéfinition des contenus et par l’attribution de moyens suffisants. Il faut prévenir l’échec scolaire en permettant à tous les enfants d’accéder à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Cela nécessite des effectifs réduits, la possibilité de travailler en petits groupes et l’intervention d’enseignants spécialisés. Prévenir coûte moins cher que guérir. On connaît les difficultés que rencontre le collège pour accueillir les élèves de sixième qui ne maîtrisent pas les fondamentaux.
Les exigences sur l’école sont fortes et doivent le rester. Il faut redéfinir un socle commun de savoirs utiles à tous, c’est-à-dire réfléchir aux équilibres entre les disciplines et au contenu des programmes. Ne répondent-ils pas trop aux normes culturelles d’une élite sociale ? Les contenus sont encore facteurs d’exclusion. La nécessité d’une connivence culturelle et sociale des élèves avec les enseignants et le rapport au savoir des élèves les plus défavorisés mériteraient d’être au c_ur de nos réflexions.
Ne faudrait-il pas donner moins d’importance à l’abstraction ? Pourquoi ne pas donner toute sa place au développement des activités technologiques et artistiques et privilégier les méthodes d’éducation active ? Pourquoi ne pas essayer de mieux valoriser l’engagement social ou civique des élèves ?
La communauté éducative est déterminée à réussir la démocratisation de l’école. Elle l’a montré lors de l’exceptionnel mouvement social du printemps dernier, qui a également révélé une crise d’identité professionnelle des enseignants ; il existe en effet un fort décalage entre les principes et objectifs de l’institution et leur vécu professionnel.
Il faudra bien, enfin, répondre à la souffrance de personnes qui ne cessent de protester contre l’insuffisance des moyens alors qu’elles s’investissent totalement dans des établissements qui sont le dernier rempart contre la fracture sociale et culturelle.
Il y a crise des vocations dans le second degré. Certains CAPES sont même déficitaires, les étudiants scientifiques préférant devenir ingénieurs plutôt que professeurs ou chercheurs.
Le recours croissant à des personnels précaires dans l’Education nationale ne résoudra pas ces problèmes. Au contraire, nous allons vers une dégradation prévisible de l’emploi en raison de choix budgétaires désastreux. Vous préférez sous-évaluer les besoins plutôt que d’y répondre. Belle stratégie !
Mme Nadine Morano - N’importe quoi !
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M. André Chassaigne - A la différence de certains, j’ai vécu cette situation pendant toute ma vie professionnelle.
Ainsi de l’attribution des dotations horaires aux établissements du second degré, désormais réparties sur des bases strictement arithmétiques, excluant la prise en compte de critères qui préservaient la richesse et la diversité des enseignements.
M. Patrick Roy - M. Chassaigne a raison.
Mme Nadine Morano - Il faut adapter les moyens.
M. André Chassaigne - Dans cette logique, les « intermittents du tableau noir » prennent de plus en plus le pas sur les « hussards noirs ». Recrutés dans l’urgence, souvent sans formation pédagogique, écartelés entre plusieurs établissements, leur statut relève plus des entreprises d’intérim que des personnels de la République.
M. Guy Geoffroy - Comme les emplois-jeunes.
M. André Chassaigne - Si la stabilité des équipes pédagogiques est une condition nécessaire pour garantir la réussite scolaire de tous, le recours abusif à ce type de sous-emploi ne permet pas de lutter contre l’échec scolaire.
La suppression de 2 500 postes de stagiaires et de 1 500 postes d’enseignants titulaires au budget 2004 aggravera la situation. Pour 2002-2003, dans le seul second degré, 5 600 maîtres-auxiliaires, 27 400 contractuels et 10 200 vacataires avaient été recrutés. Quant aux 1 500 créations de postes dans le primaire, elles ne suffisent pas pour accueillir les 54 000 élèves supplémentaires prévus. Certains départements ruraux, comme dans la région Auvergne, ont vu leur nombre de postes diminuer alors que les effectifs augmenteront à la rentrée.
En 2003, plus de 60 % des contractuels étaient au chômage et les possibilités de titularisation ont baissé de 1 200 postes. Dans le même temps, les remplacements courts sont de moins en moins assurés. N’envisagez-vous plus l’école comme un service public ?
Nous devons être ambitieux, créer une école ouverte à tous, capable de réduire l’échec et l’exclusion, de se libérer des discriminations religieuses, sectaires, politiques ou philosophiques mais aussi sociales. Notre service public d’éducation doit défendre l’égalité et réfléchir à une culture commune capable de rassembler.
La question de la laïcité doit bien évidemment s’inscrire au cœur de cette réflexion et ne peut être abordée qu’en relation avec les valeurs émancipatrices contenues dans nos principes républicains. C’est en abordant toutes les dimensions de la laïcité que nous pourrons réfléchir à une institution garantissant à la fois les libertés individuelles, le pluralisme culturel et l’égalité des citoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).
M. Alain Bocquet - Très bonne intervention.
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