10-10-2003

Décentralisation n’est pas démocratisation

Décentralisation n’est pas démocratisation.

Par André Chassaigne, député du Puy-de-Dôme, chargé du dossier « décentralisation » au groupe communiste et républicain de l’Assemblée Nationale.

Dans une intéressante tribune parue dans l’Huma, Martin Vanier nous demandait de « ne pas abandonner l’idéal décentralisateur à la droite ». Il regrettait ainsi l’opposition systématique des syndicats et des élus communistes, aux lois de décentralisation. Tout en partageant beaucoup de ses idées, je crois nécessaire d’apporter quelques précisions.

Au regard des références historiques développées, je me permettrai d’en appeler également à l’histoire. La dénonciation d’une décentralisation « féodale » n’est pas le résultat d’amalgames hâtifs ou la conséquence d’une tentation jacobine qui n’a plus rien de révolutionnaire. De fait, cette décentralisation rappelle bien plus la Fronde que la Commune de Paris ! La quasi-reconstitution de vieilles provinces féodales, sous-jacente à ce projet, ne créera pas de nouveaux espaces de conquête démocratique : le référendum local est placé sous le seul contrôle des élus et aucune place n’est laissée à l’initiative populaire. Même la relation entre le vassal et son suzerain est latente dans le projet Raffarin : ne pourront expérimenter que les collectivités territoriales qui en auront reçu l’autorisation par le gouvernement, et ce avec un réel risque d’arbitraire et de sujétion à l’Etat.

Mais de quel Etat nous réclamons-nous en rejetant cette décentralisation ? Celui de la haute fonction publique et des préfets, de la police et de l’armée ? Bien sûr que non : le projet de Raffarin ne touche pas à cet Etat fondamentalement répressif. Il le renforce même en le délestant des prérogatives remplies par ce que la République a construit de plus honorable : ses politiques de solidarité, son école, ses services publics. C’est bien parce que la République a toujours eu deux visages que le PCF l’a toujours dénoncée et parallèlement soutenue… et qu’il doit persister dans une dénonciation sans concession d’une politique qui ne défigure que la « Marianne » sociale.

Oui, nous voulons davantage impliquer directement les citoyens et les travailleurs dans la construction des politiques locales et économiques. Durant les débats, nous sommes en permanence intervenus pour que se construise une République décentralisée, fonctionnant autour de conseils de quartiers, de villages et d’usines, qui donne libre cours à une démocratie participative réelle et qui implique la co-élaboration et la codécision entre les citoyens et les élus.

Tout en poursuivant cet idéal, nous ne pouvions intervenir sans prendre en compte le contexte politique et idéologique de ce débat. La nécessité de promouvoir une nouvelle étape progressiste de décentralisation ne pouvait de toute façon s’envisager qu’en lien avec la configuration politique actuelle, et notamment la question européenne. « Les faits sont têtus » et devraient donc nous rendre particulièrement prudents devant les risques inhérents à toute entreprise de déconstruction des solidarités nationales existantes. Or, le projet de constitution européenne est une nouvelle étape de construction d’une Europe libérale, voire « impériale », soumise corps et biens aux lois du marché et construite autour du couple Europe/régions. Le partage des tâches est déjà défini entre ces deux lieux de pouvoirs : les institutions européennes capteront l’essentiel du pouvoir politique et économique. Les régions constitueront quant à elles le lieu d’enracinement et de gestion de ces politiques européennes. Elles n’auront évidemment aucun pouvoir sur les questions essentielles. Leur fonction consistera plutôt à (re)construire des identités primaires culturelles factices, qui puissent avoir le double avantage d’être compatibles avec le fonctionnement de l’économie néolibérale et de constituer un dernier mode de socialisation de populations désorientées par la destruction de modes de solidarités traditionnels (les services publics, la sécurité sociale, les syndicats, l’identité nationale…).

Cette construction européenne, telle qu’elle est instrumentalisée par une grande partie de nos « élites » bien pensantes, n’est ainsi qu’un grand projet d’aliénation démocratique au profit du capital. Et la notion de souveraineté populaire, aujourd’hui portée par les seuls Etats, y demeure totalement absente, d’une part parce qu’il n’existe pas de peuple européen stricto sensu mais aussi parce que le Parlement européen ne fonctionne pas comme un Parlement digne de ce nom. C’est ce qui donne à l’Europe son caractère « impérial ».

La pression idéologique est telle que nous aurions pris un risque politique énorme si nous avions donné l’impression au gouvernement d’être ouvert à « sa » nouvelle étape de décentralisation, toute perte de compétences de l’Etat accroissant inévitablement le risque de destruction pure et simple du service public. D’autant plus que l’on ne peut espérer casser des services publics nationaux en leur substituant sans dégâts d’autres services publics locaux : le transfert de compétences s’accompagnera en effet, inévitablement, de croissance des inégalités territoriales et de nouvelles délégations de service public au privé. C’est une des justifications de l’hostilité syndicale à la réforme.

La bataille avec le gouvernement que nous avons engagée visait certes à porter un idéal décentralisateur qui soit alternatif mais surtout à défendre des objectifs de démocratisation radicale. Car il y a trop souvent amalgame entre ces deux termes pourtant loin d’être synonymes !

Il ne suffit pas de transférer de nouvelles compétences depuis l’Etat vers les collectivités territoriales pour faire émerger de telles conquêtes démocratiques. Notre seule ambition doit être de développer une franche démocratisation de la vie publique locale. Les communes comme les départements disposent déjà de compétences nombreuses : notre objectif doit prioritairement consister à créer les conditions pour que les citoyens participent directement à la prise de décision locale.

Imprimer