16-01-2004

Démocratie directe.

Monsieur le ministre, je vous le demande : ne faites pas la politique des territoires ruraux avec les restes, en ramassant les miettes..

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES RURAUX (suite)



[…]

M. André Chassaigne - Pour enchaîner aussi harmonieusement que possible, je commencerai par une citation. « Je ne peux plus supporter le double langage de ceux qui expliquent qu’ils veulent redonner vie à nos campagnes et qui, dans le même temps, les laissent étouffer en silence, à mesure que sont démantelés les services publics qui furent la clé de voûte de notre cohésion nationale et la garantie de l’égalité des chances pour nos territoires. » Il ne s’agit pas d’un extrait de ma question préalable, mais d’un passage d’une lettre envoyée par M. Lassalle au Garde des sceaux, le 10 septembre dernier ! (Exclamations diverses) Et notre collègue, visiblement, est resté fidèle à sa position (« Très bien » sur les bancs du groupe socialiste).

La pauvreté de ce projet est le résultat d’une approche par trop réductrice. Vous vous êtes contenté, Monsieur le Ministre, de corriger des dispositions législatives que vous jugiez inadaptées ou handicapantes pour le monde rural, mais vous n’avez pas essayé de concevoir un projet politique abouti. Vous ne vous êtes pas appuyé sur les dynamiques de développement local, portées un peu partout par la population, par les associations, par les élus et par les collectivités. Or, seule une analyse de toutes ces expériences aurait permis de dessiner les contours d’un vrai projet de développement.

Il est vrai qu’une telle démarche ne pouvait que heurter les principes qui guident ce gouvernement : elle supposait d’écouter, de consulter, d’associer la population civile à l’élaboration de la loi !

C’est en revanche celle que j’ai adoptée, à mon humble niveau. Dans ma circonscription, j’ai installé il y a un an un conseil chargé d’étudier le problème du développement rural. Une centaine de citoyens y ont réfléchi, au sein d’ateliers thématiques, à un projet politique alternatif : ce sont leurs idées que j’ai reprises dans une trentaine d’amendements.

En bons libéraux, vous ne parvenez à concevoir le développement que comme le fruit d’initiatives individuelles et la juxtaposition de revendications corporatistes. Votre politique se limite par conséquent à encourager ces initiatives individuelles, notamment par des dispositions fiscales. Malheureusement, cette logique fonctionne encore moins à la campagne qu’en ville : les zones rurales sont dominées et les richesses qui y sont créées sont accaparées par les banques et par les industries agroalimentaires. Ainsi, en Auvergne, il y a trois ans, l’excédent des dépôts bancaires sur les crédits bancaires s’élevait à huit milliards d’euros. Autrement dit, les apports financiers des Auvergnats intègrent massivement les circuits bancaires au service des marchés financiers, au lieu de nourrir le développement endogène de la région.

M. Antoine Herth - C’est une vieille histoire ! C’est ainsi qu’on a construit Paris.

M. André Chassaigne - Cette fuite de l’épargne ne peut qu’aggraver le sous-développement et les excès spéculatifs. Imaginons un instant que cet argent soit, à l’inverse, mobilisé pour l’emploi, la formation, les salaires, les collectivités territoriales…

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M. Jean Dionis du Séjour - Mais il faut d’abord créer cette richesse !

M. André Chassaigne - Les industries présentes en zone rurale sont essentiellement des industries de main d’_uvre, dites à faible valeur ajoutée, non parce que leur travail est peu rentable, mais parce que le produit de ce travail est acheté à faible prix, soit par les maisons mères de ces entreprises, soit par leurs donneurs d’ordres : la valeur ajoutée ainsi créée est aussitôt accaparée par les grands centres de pouvoir cependant que les travailleurs ne font que survivre avec des salaires de misère.

Ces stratégies entraînent bien évidemment un appauvrissement des territoires. A force de sous-payer et de privilégier l’emploi sous-qualifié, le plus exposé à la concurrence internationale, on réduit toujours davantage le nombre des actifs qualifiés.

Les données sont identiques dans le secteur agricole. Le produit du travail des agriculteurs, en l’absence de prix rémunérateurs, est bien souvent acheté à des prix terriblement bas, par les centrales d’achat ou par des coopératives locales incapables de résister aux prétentions des grands groupes de l’agroalimentaire et de la grande distribution. Là encore, la valeur ajoutée ne profite qu’à ces groupes et à leurs actionnaires.

L’exploitation du travail agricole est confortée par les orientations de la politique agricole commune qui, à force d’encourager la baisse des prix, a réussi à socialiser l’agriculteur pour l’enferrer dans une logique productiviste.

A cela il faut répondre par la création de structures économiques permettant de maintenir dans nos territoires la valeur ajoutée qui y est créée, afin d’enclencher une dynamique de développement durable. Aussi l’Etat et le législateur ont-ils le devoir de soutenir les initiatives territoriales.

Les collectivités publiques en ont la possibilité, par les pouvoirs dont elles disposent. Beaucoup s’y sont essayées en recrutant de façon précaire des agents de développement. Au moment où des emplois sont menacés de disparition, elles attendent que l’Etat prenne acte de l’utilité de ces agents et reconnaisse ces métiers. L’animation territoriale est en effet un préalable au développement local.

Le vieillissement des artisans, agriculteurs et commerçants est en outre un des problème auxquels les zones rurales sont confrontées. Il est une conséquence en même temps qu’une source de la faible attractivité de ces territoires. Dans ces conditions, il est évident qu’aucun développement économique ne sera possible sans un renouvellement de ces actifs. Or votre projet n’aborde quasiment pas la question.

Quant à l’agriculture, elle appelle une politique d’installation autrement plus ambitieuse que l’actuelle. Est-il normal que près d’un agriculteur sur deux ne reçoive de l’Etat aucune aide financière à l’installation ? Tous ces agriculteurs, dits hors cadre ou hors normes, restent trop souvent considérés comme des agriculteurs de seconde zone. Il serait temps que la mentalité de l’Etat évolue !

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A l’artisanat se posent la question de la formation des jeunes et celle de leur installation. Là non plus, des démarches individuelles ne suffiront pas, il faut des structures collectives de soutien financier et technique. Ne pourrait-on par exemple favoriser une multiplication des coopératives d’activités et d’emplois, qui ont fait leurs preuves ?

Mme Geneviève Perrin-Gaillard - Voilà !

M. André Chassaigne - Tout le démontre : les initiatives individuelles qui ne bénéficieraient pas de forts soutiens publics ou privés sont voués à l’échec. Le développement ne viendra que de démarches collectives. La construction volontariste de solidarités nouvelles est le préalable à toute dynamique économique et sociale.

C’est pourquoi il est vital de développer la vie démocratique locale. Du débat et de la confrontation d’idées pourront émerger des idées d’avenir. Il s’agit donc de conforter les lieux de débat existants en étudiant par exemple les modes de scrutin proportionnels à l’élection des communes, des délégués des chambres d’agriculture ou des administrateurs de la MSA.

Nous ne répéterons jamais assez qu’il s’agit aussi de mobiliser les ressources permettant de financer ce développement économique. Or, à force de campagnes boursières, le crédit agricole n’est plus le pôle public de financement de l’économie rurale. Ne serait-il pas souhaitable de revenir sur cette évolution de la banque mutualiste ?

Il faut également renforcer les modes de gestion collectifs des biens économiques en zone rurale ; la constitution de sociétés coopératives devrait ainsi être encouragée et les coopératives agricoles, quelles que soient leurs dimensions, devraient pouvoir être directement contrôlées par les associés coopérateurs, pour éviter qu’elles finissent par s’apparenter à des sociétés anonymes de droit commun.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard - Très bien !

M. André Chassaigne - Il faut enfin créer dans nos communes de nouveaux espaces de démocratie directe où traiter des questions telles que celle des services de proximité.

Evidemment, un tel projet pour le monde rural requiert, pour réussir, le ferme soutien des représentants de la nation. Le législateur doit donc autoriser certaines évolutions juridiques. J’espère que les amendements que j’ai déposés dans cette optique recevront le soutien de cette assemblée, à défaut d’avoir reçu celui de la commission.

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M. Kléber Mesquida - Le nôtre vous est acquis !

M. André Chassaigne - Merci, cher camarade !

L’Etat doit, pour sa part, assumer totalement ses responsabilités, en donnant à la France rurale les mêmes chances de développement qu’à la France urbaine. Nous revendiquons surtout l’égalité des droits, et donc l’accès aux services publics pour tous les citoyens. Aussi longtemps que l’Etat laissera nos territoires se vider de leurs services de proximité, aucun projet de développement du monde rural ne sera viable : sans écoles, sans bureaux de poste ou cabinets médicaux, sans connexion aux réseaux de communication ni d’accès à la culture, nos territoires n’ont aucune chance de sortir de la spirale du sous-développement. C’est pourquoi l’absence de dispositions à ce sujet dans ce projet est extrêmement préoccupante.

La Constitution ne nous octroie pas le droit de solliciter de l’Etat un quelconque soutien budgétaire pour la France rurale. C’est pourquoi plusieurs de mes amendements relatifs à l’aide aux artisans et commerçants installés en zone rurale ou à l’installation progressive en agriculture ne pourront pas être discutés, conformément à l’antidémocratique article 40. Je conclurai donc en demandant que le vote de ce projet destiné au développement des territoires ruraux puisse aussi marquer la solidarité de la nation à l’égard de ses territoires.

Comment résister, pour finir, à citer Alexandre Vialatte ? « Le huitième jour, Dieu créa l’Auvergnat. Avec les restes. En ramassant les miettes, il lui montra les riches plaines de la terre, la vallée du Mississipi, la plaine Saint-Denis, la molle vallée du Gange.

« Seigneur, dit l’Auvergnat guidé par son instinct, si vous le permettez, je prends le Puy-de-Dôme.

- Personne n’en veut, dit Jéhovah.

- Précisément, dit l’Auvergnat, il ne faut pas la laisser perdre.

- Mais les volcans ne sont pas éteints, dit le Seigneur.

- J’attendrai donc, dit l’Auvergnat, qu’ils refroidissent
 ».

Et il s’assit dans l’antichambre en comprimant son parapluie contre son cœur. Il sentait bien qu’il n’y avait que lui pour faire manger les volcans à ses chèvres. Il attendait l’eau minérale. Il s’apprêtait à lancer Chaudes-Aigues, et même Deauville. Il se demandait combien consigner le quart de Vichy » (Sourires sur tous les bancs).

Monsieur le ministre, je vous le demande : ne faites pas la politique des territoires ruraux avec les restes, en ramassant les miettes (Sourires et nombreux applaudissements).

[…]

Prochaine séance, mardi 20 janvier, à 9 heures 30.

La séance est levée à 0 heure 5 le vendredi 16 janvier.

Pour en savoir plus : Compte-rendu analytique sur le site de l’Assemblée Nationale

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