Madame,
Je tenais à répondre à la carte-pétition que vous m’avez envoyée, réclamant la création d’une commission d’enquête chargée d’étudier les créances de la France sur les pays du sud et leur impact pour le développement.
D’abord, je tiens à vous dire que je souscris tout à fait à cette idée. Ainsi, mon ami Jean-Claude LEFORT, député du Val de Marne et représentant du groupe communiste à la commission des affaires étrangères, a solennellement demandé la création d’une telle commission d’enquête, le 15 novembre dernier, à la tribune de l’Assemblée. Malheureusement, le règlement de l’Assemblée Nationale conditionne la création d’une commission d’enquête à l’accord de la majorité…
J’étais moi-même intervenu, en janvier dernier, lors des séances des questions au gouvernement, pour demander l’annulation de la dette des pays touchés par le tsunami et la relance des objectifs du millénaire de l’ONU ; je vous joins cette question.
Plus fondamentalement, je tiens aussi à dénoncer la politique d’aide au développement de la France : nous savons que, pour respecter les règles commerciales de l’OMC, les accords ACP dit de Lomé ont récemment été vidés de leur substance. Nous savons aussi que les crédits de l’aide publique en développement (APD) restent à un niveau infime, à tel point que le gouvernement essaie aujourd’hui de comptabiliser les allègements de dette publique parmi les crédits de l’APD. Nous savons aussi que beaucoup de peuples, notamment en Afrique, remboursent chaque jour la dette contractée le plus souvent par leurs dirigeants, notamment dans les années 80, à une période où ces chefs d’Etat étaient d’autant plus soutenus par la France qu’ils étaient corrompus.
Je tiens aussi à rappeler, afin de justifier un programme d’annulation de la dette, que cette dette a été contractée en francs ou en dollars, par des pays dont les monnaies ont été depuis dévaluées. Et que donc, de fait, ils ont souvent déjà remboursé leurs dettes. Prenons un exemple : ainsi, quand le Mali empruntait 100 francs en 1980, et que, pure hypothèse, un franc CFA de cette époque vaille un franc, le Mali devait rembourser 100 francs CFA, avec les intérêts.
Mais avec la dévaluation de 50% du franc CFA, conséquence des difficultés économiques des pays africains, le montant de leur dette des pays en développement a mécaniquement doublé : les cent francs de dette valent désormais 200 francs CFA, le Mali doit donc rembourser deux fois plus qu’il n’a emprunté ! C’est avant tout pour cette raison que la dette de ces pays en développement a explosé. C’est profondément injuste, et toutes les réductions partielles, les remises de dette présentées par nos dirigeants comme des cadeaux ne parviendront pas à cacher le racket des pays riches à l’égard de leurs ex-colonies.
Ainsi, autant l’annulation de cette dette est nécessaire, autant nous devons bien garder à l’esprit qu’elle ne suffira pas, loin de là, à aider ces pays à sortir de la spirale de la pauvreté.
L’intégration de leurs économies dans la mondialisation capitaliste, la spécialisation de leurs économies dans des productions à basse valeur ajoutée (produits agricoles…), la corruption des élites politiques de ces pays, sont autant de freins au développement qu’il convient de briser.
En vous remerciant pour votre carte, je vous prie d’agréer, Madame, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
André Chassaigne