18-03-2003

Discours d’André Chassaigne au Congrès du Parlement

Discours d’André Chassaigne au Congrès relatif à la loi relative à l’organisation décentralisée de la République. Lundi 17 mars 2003.

Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale, Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, mes chers collègues.

Au regard de la gravité de la situation internationale et des dangers que font aujourd’hui peser les Etats-Unis sur le système de sécurité collective, je tenais à soutenir la proposition de mon collègue Michel Vaxès. La tenue de ce Congrès est malvenue ; il est regrettable que le Président de la République n’ait pas accepté de l’ajourner.

Le groupe des députés communistes et républicains s’est clairement prononcé en faveur d’une nouvelle étape de la décentralisation. Nous la concevons en fonction des besoins de la population et de sa demande d’une démocratie de proximité qui rendrait effective la participation du plus grand nombre à la gestion publique.

La décentralisation devrait ainsi conjuguer démocratisation et coopération, l’Etat restant évidemment responsable de la cohésion nationale et du développement équilibré et solidaire des territoires, excluant les notions de concurrence et de subordination.

Pour progresser vers la démocratie participative, il faut une refonte de nos institutions rapprochant les pouvoirs des citoyens avec des élus qui soient des relais efficaces des préoccupations des populations.

Cette exigence politique appelle certes une rupture avec les institutions de la 5e République. Mais ce qu’elle appelle surtout, ce sont de nouvelles conquêtes démocratiques depuis tous les quartiers et les communes. Et ce n’est évidemment pas dans des conseils régionaux bicolores d’où auront été exclues toutes les minorités que ces conquêtes pourront s’effectuer.

Cette exigence de démocratie exige aussi une volonté politique pour construire une nouvelle fiscalité locale et mieux répartir les ressources des collectivités territoriales afin qu’elles puissent exercer pleinement leurs compétences dans le respect de leur autonomie.

Il est évident que notre engagement en faveur de la décentralisation ne peut nous amener à soutenir le projet de loi qui est aujourd’hui soumis à notre suffrage. Il ne répond à aucun de nos objectifs et menace surtout les fondements de notre République.

Ce texte porte tout d’abord une conception rétrograde de la démocratie. Il est marqué par la crainte que les citoyens de ce pays puissent s’approprier le pouvoir démocratique. Le nécessaire développement de la démocratie locale et participative est oublié. Le droit de pétition n’est de fait pas reconnu. Le droit de vote des étrangers aux élections locales est ignoré. Et c’est par ordonnance que des lois de la métropole pourront être étendues aux collectivités d’outre-mer.

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De plus, il induit un vrai recul en matière de libre administration des collectivités locales. L’introduction du principe de subsidiarité dans la constitution est une remise en cause implicite des clauses de compétence générale reconnues aux collectivités locales. Il pourra amener de nombreuses collectivités à cesser d’intervenir dans des domaines qui ne relèvent pas spécifiquement de leur compétence d’attribution.

Ce texte, en revanche, donne des gages au Sénat. Il lui confère une primauté nouvelle au sein du Parlement pour les projets ayant trait aux collectivités territoriales avec un risque réel d’interprétations excessives. Ce privilège donné à une chambre élue au suffrage universel indirect marque un recul de la démocratie représentative.

Aussi, ce projet de loi ne crée aucun acquis, bien au contraire, en matière de libertés publiques.

Mais il remet surtout en cause le principe de l’égalité devant la loi, pourtant au cœur du pacte républicain. L’introduction du droit à l’expérimentation et d’un véritable pouvoir réglementaire pour les collectivités locales engendrera en effet de graves distorsions entre les territoires, avec la perspective d’une France morcelée, éclatée. Le fait de soumettre les citoyens à des règles différentes selon leur lieu de résidence est une remise en cause patente des principes d’unité et d’indivisibilité de notre République. Avec ces dispositions, les règles et la réponse aux besoins ne seront plus les mêmes d’une collectivité à l’autre. Comment pourrons-nous alors revendiquer le principe républicain d’égalité des citoyens en droits ?

Le refus d’inscrire dans la constitution le principe d’égalité devant le service public est significatif du désengagement de l’Etat et plus particulièrement de l’indifférence portée aux territoires ruraux de ce pays. En fait de décentralisation, il nous est proposé un remodelage du territoire autour des seules métropoles régionales. Et à côté des grands discours sur la ruralité, ferment dans nos régions les succursales de la Banque de France, les recettes des finances, mais aussi des services hospitaliers, des maternités… De nouveaux coups sont portés contre les bureaux de Poste, les écoles, les aéroports régionaux… Comment peut-on parler de décentralisation alors que l’Etat se lance aujourd’hui dans une opération d’envergure de déménagement de nos territoires ?

Ce projet marque aussi la volonté du gouvernement de conforter le manque de solidarité existant aujourd’hui entre les territoires. Tout comme la liberté et l’égalité, la fraternité ne sortira pas grandie de cette réforme.

Quelle solidarité inter-régionale pourra en effet s’instituer en aiguisant la concurrence entre les régions ? La décentralisation du pouvoir économique favorisera nécessairement les régions déjà richement dotées au détriment des plus pauvres.

La façon dont est abordé le volet financier de la réforme confirme cette indifférence pour ces valeurs de solidarité. Cette question n’est abordée que sous l’angle du pouvoir fiscal des collectivités locales et du lien de ce pouvoir avec l’Etat. Mais le problème de la réforme radicale nécessaire des impôts locaux, qui sont parmi les plus injustes, n’est pas posé ; le problème des inégalités de bases d’imposition entre les collectivités, qui limitent bien plus leur libre administration que la centralisation de l’impôt, n’est pas abordé. La simple évocation de dispositifs de péréquation est un progrès bien trop timide.

Non seulement ce projet ne donne pas de liberté supplémentaire à nos concitoyens mais il remet directement en cause le principe d’égalité dans notre droit. De fait, il cherche à démanteler toutes les fonctions de solidarité de l’Etat qui font la fraternité.

La liberté oubliée, l’égalité bafouée, la fraternité délaissée : ce sont bien les fondements de la République qui sont aujourd’hui menacés.

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Nous ne sous-estimons donc pas l’ampleur de la réforme que nous devons décider aujourd’hui d’inscrire ou pas dans la constitution. Sont posés avec cette loi constitutionnelle les principes d’un véritable projet de société qui dépasse le strict objectif de décentralisation. Le cadre actuel de la constitution aurait permis de mener une nouvelle étape de la décentralisation. Il a été jugé qu’une loi ne suffirait pas à mener ce projet : c’est bien qu’il ne s’agit pas simplement de décentralisation. Ce qui est en jeu aujourd’hui c’est en fait la modification de l’architecture administrative et institutionnelle de notre République.

Cette loi est un véritable projet de société ; un projet de régression sociale et démocratique. Elle s’inscrit dans la perspective de constitution d’une Europe fédérale soumise aux dogmes libéraux du traité de Maastricht. Le transfert aux collectivités locales de nouvelles compétences vise avant tout à réduire les dépenses publiques et sociales.

Ce texte dessine ainsi une France où les compétences de l’Etat seront limitées à ses prérogatives régaliennes et répressives. Ce projet de révision constitutionnelle, tout comme la privatisation de nos services publics, atteste de la détermination du gouvernement à détruire tous les liens de solidarité construits par l’Etat.

Il s’inscrit de fait dans un projet global de société ultralibérale, fondée sur la déréglementation, les privatisations, l’affaiblissement des budgets sociaux, les attaques contre la sécurité sociale et les retraites, l’aggravation des inégalités…

Cette réforme, est-ce étonnant, a reçu le soutien du MEDEF. Le patronat a bien compris qu’il s’agit de mettre à sa disposition les institutions de la République. Cette loi de décentralisation aspire simplement à mettre l’Etat au service des entreprises au nom d’une soi-disante efficacité, dans la continuité de ce que le gouvernement met en œuvre depuis bientôt un an.

La République, mesdames et messieurs, représente pour nous des valeurs à réaliser. On ne l’instrumentalise donc pas. La République ne doit être au service de personne. C’est pour cette raison aussi que nous n’acceptons pas de mêler une disposition d’organisation administrative aux principes fondamentaux de la République inscrits dans l’article premier de la Constitution.

Une réforme de cette ampleur aurait donc dû prendre le temps du débat démocratique. Mais vous avez préféré, monsieur le Premier ministre, la faire voter en urgence. Et les citoyens ont été volontairement éloignés de ce débat.

Les Parlementaires n’ont pu obtenir aucune précision sur les domaines concernés par cette décentralisation. Seules les lois organiques lui donneront tout son sens. Nous les attendons avec d’autant plus d’inquiétude et de vigilance que la première liste des transferts annoncés confirme les craintes exprimées durant les débats.

Cette défiance à l’égard de nos concitoyens a même conduit le Président de la République, contrairement à ses promesses de campagne, à préférer réunir ce Congrès plutôt que d’organiser un référendum. Or vous n’ignorez pas que selon l’esprit de la constitution le Congrès ne doit être réuni que pour des lois constitutionnelles mineures. Un référendum s’imposait pour un texte aussi important. Ce manque de respect des procédures constitutionnelles et démocratiques augure bien mal de l’avenir de cette République décentralisée.

Nous ne souscrivons donc ni à votre démarche ni au fond du projet qui nous est présenté. Nous ne voterons donc pas ce texte. Les parlementaires communistes et républicains, tout comme les populations qu’ils représentent, resteront attentifs et mobilisés pour la discussion des lois organiques que vous préparez. Avec un objectif : vous empêcher de réaliser vos desseins rétrogrades.



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Intervention d’André Chassaigne à la tribune du Congrès à Versailles lundi 17 mars 2003 lors du vote sur « la loi constitutionnelle sur l’organisation décentralisée de la République ». Quatre députés et cinq sénateurs, représentant chacun un groupe de l’Assemblée Nationale ou du Sénat se sont exprimés avant le vote.

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