L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant diverses dispositions relatives aux arbitres.
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M. André Chassaigne - Ce texte est attendu par des dizaines de milliers d’hommes et de femmes sans lesquels le sport de compétition n’existerait pas. Le groupe des députés communistes et républicains a donc été particulièrement attentif aux dispositions qu’il contient.
La diminution continue du nombre d’arbitres est inquiétante. Certaines disciplines sont même confrontées à une pénurie récurrente et à un taux de rotation élevé des nouveaux venus. Cela s’explique par plusieurs raisons. La multiplication des incivilités voire des violences décourage ainsi nombre de vocations, même au niveau le plus modeste. Dans le domaine du football, sur les 4 000 à 5 000 arbitres qui décident d’arrêter chaque année, 60 % le font en raison de la violence. Néanmoins, l’opacité du système et la diversité des statuts contribuent également à renforcer une telle baisse. Il existe en effet trois types d’arbitres : les arbitres bénévoles, qui constituent plus de 90 % de l’ensemble de la corporation - nous sommes d’ailleurs étonnés que rien ne soit prévu pour eux -, les arbitres indemnisés qui perçoivent essentiellement des remboursements de frais et, enfin, les arbitres assimilés professionnels définis comme tels en raison du niveau de leur rémunération. La volonté légitime de rémunérer correctement les arbitres a, semble-t-il, eu des effets pervers car les rétributions sont inégalement réparties. Concernant le football, les arbitres touchent hors défraiement 2 288 euros par match de Ligue 1, leurs assistants, les arbitres de Ligue 2, percevant la moitié de cette somme. Parmi les 95 arbitres de Ligues 1 et 2, ceux qui sont les plus sollicités peuvent gagner plus de 50 000 euros par saison. S’ajoutent à cela des tensions entre salariés et bénévoles au sein des instances.
Pour remédier à ces inégalités, s’inspirant du rapport rédigé par Mmes Huet et Leclerc remis en avril 2005, la proposition de loi initiale visait à instaurer un cadre juridique de la pratique arbitrale permettant de garantir l’indépendance des arbitres, de préciser le lien juridique unissant l’arbitre à sa fédération, de renforcer la protection des arbitres par l’application de peines aggravées et de donner aux arbitres un cadre juridique pérenne sur le plan social et fiscal. Si nous saluons les dispositions de l’article premier qui accordent le statut de chargé de mission de service public aux arbitres et aux juges, nous regrettons que vous ne visiez que le doublement des peines encourues pour les actes d’incivilité et de violence commis contre les arbitres dans l’exercice de leur mission et que vous vous ne disiez rien des nécessaires mesures de formation des arbitres et des sportifs. Rien n’est prévu non plus s’agissant des actions de prévention qu’il conviendrait pourtant de mener.
M. le Ministre - Pff ! Ils sont insupportables !
M. André Chassaigne - Certes, il faut reconnaître et garantir l’arbitre dans ses missions de « sanctionneur », mais il faudrait aussi le reconnaître et le garantir en tant que pédagogue. Finalement, la mesure que vous proposez aurait pu s’inscrire dans la loi relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives.
Nous saluons également la disposition permettant l’exonération fiscale et sociale des indemnités perçues par les arbitres et juges pour un montant plafonné à 14,5 % du plafond annuel de la sécurité sociale, soit 4 505 euros. Cette mesure devrait concerner plus de 150 000 arbitres. En revanche, la disposition refusant le lien de subordination caractéristique du contrat de travail entre l’arbitre et sa fédération ferme dorénavant la porte à toute forme de salariat. En fait, ce texte vise à créer un seul type d’arbitre rémunéré. Pourtant, le rapport de Me Leclerc de Hauteclocque était clair : « La professionnalisation risque d’uniformiser encore un peu plus la population des arbitres… Il s’agit de favoriser l’émergence d’une palette de statuts de l’activité d’arbitre et d’exclure tout prêt-à-porter juridique, pour expérimenter du sur-mesure. » En excluant la possibilité de salariat, vous allez à l’encontre de cette préconisation et vous rejetez toute possibilité d’adopter un statut plus protecteur, pourtant légitime au regard des contraintes de cette activité. Cette disposition n’est pas anodine et vise seulement à protéger la Fédération française de football contre d’éventuels recours devant les tribunaux d’arbitres rétrogradés ou destitués. Un exemple : le conseil des prud’hommes de Nantes a condamné en juillet 2006 la FFF à verser une indemnité de 30 000 euros pour « licenciement sans cause réelle et sérieuse » à un ancien arbitre de haut niveau relégué en National il y a deux ans. Les prud’hommes ont décidé alors de requalifier le lien en CDI compte tenu de la relation qui existait entre la FFF et l’ancien arbitre de Ligue 1. Le tribunal administratif de Dijon a estimé en 2003 que l’arbitre, qui ne dispose d’aucune liberté d’organisation dans son travail s’agissant du choix des matchs et des horaires, se trouve dans une situation de subordination face à la FFF.
Vous le reconnaissiez vous-même voilà un an, Monsieur le ministre : c’est à une réforme d’ensemble qu’il fallait procéder. En proposant de ne modifier que le statut fiscal d’une seule catégorie d’arbitres, vous montrez une nouvelle fois votre priorité : sécuriser juridiquement les pratiques actuelles qui mêlent l’argent et le sport en occultant la réalité quotidienne des milliers de bénévoles dévoués et responsables. En outre, une récente enquête, dont vous auriez pu vous inspirer davantage, nous en apprend un peu plus sur l’arbitrage. L’envie d’être arbitre « au moins une fois » a été multipliée par deux en deux ans - 13 % en 2006 contre 6,7 % en 2004. L’arbitre reste donc encore bien plus considéré comme un sportif que comme un juge ou un policier. Le respect est la valeur essentielle qui lui reste associée.
La vidéo, quant à elle, est plébiscitée comme support technique à l’arbitrage, de même que le grand public souhaite le recours au micro pour mieux comprendre les décisions. Pourquoi ne pas avoir abordé tous ces sujets dans cette proposition ? Un arbitre de rugby déclare ce matin dans La Montagne que la priorité est la communication avec les joueurs et non avec les spectateurs. Celle-ci constitue une aide importante pour un commentateur de télévision qui peut se rendre compte qu’un arbitre ne siffle pas à sa guise. Il se dit fervent partisan de l’utilisation de la vidéo, aide capitale à la prise de décision. Le rugby, poursuit-il, est en accord avec son temps et le football viendra à un tel système. Selon lui, il convient de légiférer.
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M. le Ministre - Ce n’est pas sérieux !
M. André Chassaigne - La seule réponse que vous apportez aux questions qui se posent quant au respect des arbitres, c’est le renforcement des sanctions. Rien n’est fait pour la prévention ni la formation. Cette vision, qu’il faut bien qualifier de marchande, vous éloigne toujours plus de la réalité du sport. Écoutez les préoccupations de Moïse Régnier, président de la Commission des arbitres de football du district du Calvados et dites-moi en quoi votre texte y répond : « Les problèmes de l’arbitrage bénévole sont essentiellement dus à un manque de formation. C’est évident, on l’a constaté dans notre district à travers les feuilles de match que l’on recevait à la Commission. Elles étaient souvent truffées d’erreurs, manquaient d’éléments indispensables pour effectuer notre travail. Par exemple, on y trouvait à peine le score du match - parfois même inversé -, la feuille n’était pas signée… On a alors pensé que ces erreurs administratives en cachaient d’autres sur le terrain. Souvent, les arbitres bénévoles se retrouvent un peu “lâchés dans la nature” avec un sifflet et de vagues notions de la fonction. » Et cet autre témoignage : « Les arbitres ne sont pas suffisamment encadrés. Je me demande si la formation qui leur est actuellement proposée n’est pas un peu dépassée. Il serait intéressant que les anciens viennent à leur rencontre pour leur faire part de leurs expériences. Je trouve que les jeunes arbitres se comportent trop comme des gendarmes. Même si cela part d’un bon sentiment, être trop autoritaire peut déclencher des hostilités qui se traduisent par une violence psychologique voire physique. »
Monsieur le ministre, le rapport de Me Leclerc de Hautecloque présentait une vision complète de la réalité et une série de recommandations. À l’opposé, vous fermez toutes les portes qu’il ouvrait sur la rénovation du statut social des arbitres pour ne retenir que l’option de travailleur indépendant. C’est-là non seulement une erreur mais le signe d’une vision restrictive de la réalité.
Cette proposition, trop largement inspirée du seul football…
M. François Rochebloine - Pas du tout !
M. André Chassaigne - …demeure bien modeste au regard de toutes les attentes exprimées et de tous les dysfonctionnements constatés. Nous nous abstiendrons donc.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles - Quel courage !
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La discussion générale est close.
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M. le Ministre - Monsieur Néri, je n’ai pas évoqué la formation parce que ce n’est pas du domaine de la loi. Pourtant, nous faisons beaucoup, puisque ce sont près de 300 000 euros qui sont consacrés, cette année, à la formation des jeunes arbitres. L’aide apportée à l’UNSS, dans le cadre de son dispositif « Jeunes officiels », en témoigne tout particulièrement. Ces dernières années, sous l’égide de son directeur, l’UNSS a formé près de 60 000 officiels, arbitres et responsables associatifs. L’UNSS apprend à ces jeunes à devenir des dirigeants et des arbitres. En outre, de plus en plus de conventions sont signées entre les fédérations sportives et l’UNSS pour amener du sang nouveau dans les instances de direction.
Au sein de l’ensemble des filières de haut niveau portées par le ministère, qu’il s’agisse du pôle espoirs ou du pôle France, j’ai souhaité qu’un jeune puisse devenir « arbitre de haut niveau », au même titre que d’autres aspirent à devenir sportifs de haut niveau. En matière de formation, il est donc faux de dire que rien n’est fait. Bien entendu, ces dispositifs sont aussi soutenus par les fédérations sportives, mais le ministère ne reste pas inactif. Lorsque j’ai pris mes fonctions, on était bien loin de consacrer 300 000 euros par an à la formation ; la somme était plutôt proche de zéro, qu’on l’exprime en francs ou en euros !
Comme l’a expliqué votre rapporteur, le fait d’être inscrit au régime général de la sécurité sociale tout en conservant le statut de travailleur indépendant offre un surcroît de protection, en particulier en cas d’accident du travail.
Enfin, M. Néri a prétendu que nous avions abrogé l’obligation faite aux fédérations de couvrir leurs arbitres par une assurance en responsabilité civile. Cela n’est pas exact : l’article 321-1 du code du sport maintient cette exigence.
Monsieur Chassaigne, vous avez évoqué les problèmes de micros et d’arbitrage vidéo : vous conviendrez que ce sujet ne relève absolument pas du domaine de la loi. Notre ambition, et ce texte y contribue, est de garantir l’unité du sport. Ce que je ne supporte pas, c’est qu’on ait, d’un côté, des arbitres professionnels de très haut niveau, et, de l’autre, des arbitres du quotidien qui exercent sur tous les terrains de France. Notre force, c’est l’unité du sport français. Il faut donc éviter de créer des statuts différenciés pour tel ou tel type d’arbitre.
Le présent texte est attendu depuis longtemps. Ceux qui le critiquent aujourd’hui - en ayant du reste quelques difficultés à mobiliser des arguments de fond - eussent été bien inspirés de s’emparer du sujet lorsqu’ils étaient aux responsabilités. Pour les 153 000 arbitres qui attendent cette évolution - et le sourire du président de l’AFCAM me conforte dans cette impression -, un grand pas va être franchi avec son adoption. Cette loi apportera beaucoup, en permettant de stabiliser une véritable mission de service public, liée à l’intérêt général. Je remercie encore les parlementaires de leur initiative. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)
M. le Président - J’appelle les articles de la proposition de loi dans le texte du Sénat.
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