DROIT D’AUTEUR DANS LA SOCIÉTÉ DE L’INFORMATION
L’ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.
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QUESTION PRÉALABLE
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M. le Rapporteur - Monsieur Dutoit, vous avez commencé votre intervention en criant au loup. Ensuite, vous avez fait référence à une vieille doctrine en parlant de « saut qualitatif » et « d’effet papillon ». Puis, vous avez cité Orwell. Votre intervention était pathétique tant elle était freudienne…
M. André Chassaigne - Oh la la ! Vous vous êtes montré freudien dans d’autres circonstances…
M. le Rapporteur - Dois-je vous rappeler que Big Brother est une image de Staline ?
M. André Chassaigne - Vous choisissez mal votre moment pour donner des leçons de morale !
M. le Rapporteur - Démocratie et marché sont les piliers de la liberté (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Vos références inconscientes sont entièrement tournées vers le système totalitaire. Pure fantasme que votre exception d’irrecevabilité ! (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)
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M. André Chassaigne - La réponse du ministre est un peu rapide, pour ne pas dire cavalière… Quant à celle du rapporteur, elle est scandaleuse ! Renvoyer ainsi M. Dutoit à son « stalinisme »… Comment osez-vous donner des leçons de morale ?
Un texte n’est-il pas irrecevable lorsqu’il remet en cause deux principes fondamentaux de notre République - la liberté et l’égalité ?
En effet, Monsieur le ministre, avez-vous nié que ce texte ouvre la voie au contrôle des réseaux numériques, donc de l’information ? Avez-vous nié qu’il autorise les intermédiaires à dire le droit puisque chaque acte sur les réseaux devra être connu, contrôlé, autorisé ? Voilà pourtant une atteinte anticonstitutionnelle à la liberté ! Avez-vous nié la privatisation de la connaissance avec l’extinction du prêt et la généralisation de la vente forcée ? Voilà pourtant une atteinte à l’égalité ! Avez-vous nié que le seul objectif de ce projet de loi est d’enrichir les multinationales propriétaires de logiciels et de pérenniser la domination de quelques grands monopoles ? Vous feignez de protéger le droit d’auteur : c’est une tromperie ! Au fond, vous ne protégez que le propriétaire. Voilà qui est très emblématique du développement du capitalisme - cette recherche du grisbi - qui veut maîtriser la propriété de l’information.
Vous avez mis en cause M. Dutoit par un argument fallacieux sur la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle : il s’est pourtant très clairement félicité du rôle qu’avait tenu la France !
En contradiction avec les idées que vous avez défendues, vous mettez à l’ordre du jour le grignotage du patrimoine informationnel de l’humanité - voilà qui suffit à justifier le vote de cette motion.
M. Christian Paul - C’est du cannibalisme !
L’exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n’est pas adoptée.
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QUESTION PRÉALABLE
Mme la Présidente - J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.
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M. Christian Paul - Je vous demande donc ce soir, au nom du groupe socialiste, de l’interrompre. Si elle ne vote pas la question préalable, la majorité devrait au moins, au cours du débat, modifier sur des points essentiels ce texte dangereux, inadapté et lacunaire.
M. André Chassaigne - Le ministre commence à réfléchir…
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M. Christian Paul - La question qui suit n’est pas attentatoire, elle provient de l’expérience vécue par des milliers de Français : le but de ce projet de loi est-il de renforcer le monopole de Microsoft sur les systèmes d’exploitation ? C’est d’ailleurs pour avoir lié le système d’exploitation et le format de diffusion de la musique et des films que la firme a été condamnée pour abus de position dominante par la Commission européenne.
M. Jean Dionis du Séjour - Je ne vois pas le rapport !
M. André Chassaigne - C’est là qu’il y a piraterie !
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M. Christian Paul - Ce texte vient à contretemps, il est terriblement daté car la directive qu’il transpose date de 2001, elle-même étant la conséquence du traité OMPI de 1996, quand les premiers logiciels pair à pair commençaient à peine à apparaître. La Commission européenne réfléchirait même à une modification de cette directive.
Ce texte, hélas, arrive aussi trop tôt : vous êtes prisonniers d’un dogme, celui de la chasse aux pirates. Vous n’avez pas procédé à la concertation nécessaire, ni réfléchi à une alternative. Contrairement à ce que déclarait Jack Lang en 1995 à l’occasion de la dernière grande loi sur les droits d’auteurs - « écrire une nouvelle règle du jeu réclame dialogue et créativité » -, on a laissé s’installer une confrontation brutale. Les certitudes paresseuses des uns se sont additionnées aux tabous irréductibles des autres pour refuser toute avancée.
On a même refusé que soit créée une mission parlementaire qui aurait permis d’affronter les vraies questions plutôt que de laisser le rapporteur seul. Mais il a déjà remis sa copie depuis près d’un an et demi.
M. André Chassaigne - Pas besoin de cela pour leur servir la soupe !
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M. Daniel Paul - En tout cas, pas un apôtre zélé du photocopillage et du piratage puisqu’il s’agissait de Jacques Toubon, ministre de la culture défendant en 1994 la loi visant à adapter notre droit à la technique de la photocopie.
Des solutions réalistes existent pourtant, je pense notamment à la défense de la copie privée et à la création d’une licence globale. Sur ces deux fondements, le législateur peut mettre en place dès maintenant un nouveau système de rémunération pour les musiciens. Telle est la position que nous défendrons ! Le téléchargement est dores et déjà considéré dans nombre de cas comme un acte de copie privée ; la rémunération pour copie privée existe et nous devons seulement l’adapter. Toutes les études l’attestent : les internautes sont disposés à s’acquitter de quelques euros par mois pour accéder à la musique du monde. Ils plébiscitent la solution que nous défendons. Les organisations de consommateurs, les associations familiales et de nombreuses sociétés de gestion des droits des artistes la soutiennent également. Cette proposition, à la différence de ce que certains feignent de croire, ne heurtent pas nos engagements internationaux. Ce choix n’impose aucune limite ou exception aux droits exclusifs mais il constitue une adaptation technique à la réalité des échanges numériques, pour le téléchargement comme pour la mise à disposition des œuvres.
Si l’Assemblée choisit d’engager le débat, nous vous demandons d’agir, Monsieur le ministre, pour la légalisation de l’échange des œuvres musicales et du peer to peer. C’est, quant à nous, un nouveau contrat culturel que nous proposerons afin que les Français puissent accéder plus librement à la culture et pour que la création soit soutenue. Quoi qu’il en soit, en l’état, ce texte de répression et de régression est inacceptable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)
M. André Chassaigne - Très bien.
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La question préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, cet après-midi, mercredi 21 décembre, à 15 heures.
La séance est levée à 0 heure 50.