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Exception d’irrecevabilité
M. le Président - J’ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des députés communistes et républicains une exception d’irrecevabilité, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.
M. André Chassaigne - Je tiens d’abord à saluer le président dans l’exercice de ses nouvelles responsabilités.
Ce projet nous revient après quelques atermoiements. Il comporte de criantes lacunes, en particulier sur la maîtrise publique de la gestion et de la distribution de l’eau, que j’aborderai avant de démontrer que, objectivement, ce texte n’est pas recevable.
La maîtrise publique de l’eau a régressé depuis une vingtaine d’années. En effet, deux grands opérateurs privés, Véolia et Suez-Lyonnaise des Eaux, détiennent 80 % du marché de la gestion de l’eau. Or, cette privatisation n’a pas pour l’usager les effets bénéfiques que les adeptes du libéralisme nous annonçaient, Monsieur Auclair.
M. Jean Auclair - On va voter pour Royal, vous allez le voir, le libéralisme !
M. André Chassaigne - Selon la direction de la concurrence et les chambres régionales des comptes, les différences de prix sont de 20 % à 40 % suivant que la gestion a été ou non déléguée.
Les multinationales prétendent que leur activité n’est pas rentable, que l’amortissement pèse lourd dans leurs budgets, et elles annoncent des marges réduites, voire des pertes.
Les associations de consommateurs ont montré ce qu’il en est en réalité.
D’abord, pour l’entretien du matériel et en particulier des compteurs, les usagers paient un abonnement en continu alors que les techniciens interviennent rarement. Les matériels sont amortis sur une dizaine d’années et changés seulement au bout de 25 ans en moyenne, et les opérateurs privés imputent aux collectivités des dépenses de personnel sans que soit vérifiée la réalité des frais engagés. Ils se livrent ainsi à d’importantes surfacturations.
Surtout, les multinationales de l’eau font leurs plus gros bénéfices grâce aux « provisions pour travaux ». Celles-ci représentent en effet près de la moitié du prix de l’eau. Or, suivant une enquête de Que Choisir, sur les quinze premières années d’un contrat de vingt ans, à peine un tiers des travaux provisionnés sont réalisés.
Enfin, dans le prix payé par les usagers, une partie revient à l’État à travers la TVA, une partie aux agences de l’eau via les redevances pour lutter contre la pollution, une autre aux collectivités pour financer les investissements sur le réseau. Mais n’est-il pas scandaleux que les entreprises délégataires ne reversent ces éléments du prix que 9 à 12 mois plus tard, après avoir fait un profit sur l’argent public ?
Le résultat est que les opérateurs bénéficient d’une marge de près de 60 % en Île-de-France et de 30 % ou plus dans les autres zones urbaines. Les usagers des petites communes rurales, pour la plupart demeurées en régie, paient l’eau moins cher que ceux des villes, qui gèrent pourtant des volumes plus importants avec une moindre longueur de canalisations !
Dès lors, pourquoi les collectivités recourent-elles à la délégation de service public ? Ce n’est en général pas pour des raisons idéologiques. Si elles renoncent à la régie, c’est en raison de la complexité et de la technicité des tâches, ainsi que de l’absence de soutien financier. C’est leur paupérisation qui les pousse à ce choix par défaut ! Les députés du groupe communiste n’ont eu de cesse de dénoncer cette situation, notamment à l’occasion de l’examen du budget des collectivités locales.
C’est pourquoi je propose de confier à un organisme d’État le soutien à la gestion publique de l’eau. Je ne propose donc pas de nationaliser cette gestion de manière autoritaire.
M. Jean Dionis du Séjour - Ah !
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M. André Chassaigne - Nous restons fidèles à la tradition, qui remonte à la Révolution, de réserver au maire la compétence sur la distribution de l’eau. L’objectif doit être pour l’État d’inciter les collectivités à recourir à la régie, afin de leur permettre d’échapper à ces firmes tentaculaires qui les manipulent plus qu’elles ne les servent. Et pour celles qui décideraient de recourir à la délégation de service public, la bonne exécution par les opérateurs privés de leurs obligations contractuelles doit être contrôlée par un organisme public. Cette mission de soutien technique et scientifique pourrait être confiée à l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques. Celui-ci pourrait également assurer une compensation entre les collectivités pour permettre le développement harmonieux des réseaux et favoriser une péréquation des tarifs. Son action se déploierait par le biais des comités de bassin et des agences de l’eau. Les circonstances s’y prêtent particulièrement puisque les deux tiers des contrats de délégation arrivent à échéance en 2009. Dans chaque commune, il est nécessaire qu’un débat ait lieu sur cette question et je sais que des « collectifs eau » se constituent déjà. Le débat porte également sur le prix de l’eau, sa qualité et sur le service rendu. Beaucoup de collectivités - Amiens, Angers, Bastia, Castres, Clermont-Ferrand, Limoges, Nancy… - ont maintenu leur régie ou ont choisi de re-municipaliser l’eau et elles en sont pleinement satisfaites car les prix baissent et les investissements augmentent. L’enjeu est énorme puisque ce sont 850 000 kilomètres de canalisations en fonte qui devront être remplacés au plus vite. Cette agence aurait donc pour mission d’apporter aux collectivités territoriales un appui technique et juridique ainsi que des conseils financiers. Elle assurerait également des missions de formation, d’expertise, de police de l’eau, de surveillance des cours d’eau pour prévenir les inondations et réduire les pollutions, en collaboration avec les agences de l’eau.
Selon l’article 91 du Règlement, l’exception d’irrecevabilité vise à faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles. Or, tel est bien en l’occurrence le cas. Depuis la loi du 1er mars 2005, le principe pollueur-payeur est gravé dans notre Constitution, puisqu’il figure dans l’article 4 de la Charte de l’environnement. Il s’agit d’ailleurs de la reprise d’une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice des communautés, jurisprudence qui veut que les États membres garantissent les réparations résultant des dommages subis. Le projet devait donc appliquer ce principe constitutionnel dans le domaine de l’eau, mais également transposer en droit français la directive cadre de 2000. Or, ces deux exigences ne sont pas satisfaites, bien au contraire ! Le principe pollueur-payeur est contredit par toute une série de dispositions. De nombreuses personnes et entités sont ainsi exclues du champ d’application de ce projet alors qu’elles contribuent à la dégradation quantitative de l’eau, ce par le biais de seuils en deçà desquels certains sont exonérés de leurs responsabilités.
La directive cadre impose en outre de distinguer trois secteurs : l’industrie, les ménages, l’agriculture. Or, ce projet ne retient que l’opposition entre usage domestique et non domestique,…
M. le Rapporteur - Vous n’avez pas tout lu.
M. André Chassaigne - …éludant ainsi la question spécifique de l’agriculture. Il ne s’agit certes pas de faire porter la responsabilité de la pollution aux seuls agriculteurs : le véritable responsable est très largement l’industrie agro-alimentaire qui leur impose leurs conditions d’exploitation. Les agriculteurs sont aussi poussés à la course à la rentabilité en l’absence de prix suffisamment rémunérateurs et sous l’effet de la concurrence mondiale.
M. Jean Auclair - Vous n’êtes plus à la page !
M. André Chassaigne - Le principe décideur-payeur devrait gouverner l’application du principe polleur-payeur. Il n’est pas pour autant concevable d’exclure la filière agricole, prise au sens large, du champ d’application de ce principe, car la société est très attentive aux conséquences environnementales et alimentaires de ses productions.
D’autre part, ce projet ne reprend pas le dispositif fiscal choisi lors de la mise en place de la TGAP, privilégiant plutôt le système en vigueur des redevances. Or, une redevance est essentiellement le produit de l’exploitation d’un service local, perçue qu’elle est auprès de l’usager sur la base de prestations fournies et en fonction de leur prix de revient. Ce système ne relève donc pas du principe pollueur-payeur, qui exige une taxation en fonction de l’impact d’une décision ou d’une activité sur l’environnement, selon un mode de calcul qui valorise les efforts faits pour limiter les risques de pollution. Une telle taxation doit faire évoluer les comportements en dissuadant les pollueurs.
Dans sa décision du 14 avril 2005, le Conseil constitutionnel a bien précisé cette distinction entre taxe et redevance. Or, dans votre projet, la taxe pour collecte et traitement des eaux pluviales est due par tous les usagers alors que le principe pollueur-payeur voudrait que, pour l’essentiel, ce soient ceux qui concourent effectivement à la dégradation des eaux pluviales qui contribuent à la dépollution. De même, s’agissant de la redevance pour prélèvement, il apparaît contraire à la Charte de l’environnement que les utilisateurs ne soient pas imposés proportionnellement aux prélèvements opérés et à l’impact qu’ils ont sur l’eau et les écosystèmes aquatiques. Une redevance pour modernisation des eaux de collecte s’ajoute de surcroît à des redevances de distribution d’eau et d’assainissement qui intègrent déjà les renouvellements nécessaires de matériel. Et quand les objectifs sont connus, comme pour la redevance pour pollution, ce sont les modalités mêmes du prélèvement qui sont confuses ! Le SDAGE devra ainsi déterminer les catégories d’utilisateurs et les agences de l’eau devront souvent choisir elles-mêmes l’assiette d’imposition à partir d’éléments que le législateur ne définit pas précisément. Cette absence de cadre risque d’entraîner une grande variation des taux suivant les agences, au mépris du principe d’égalité devant les charges publiques. Et la méconnaissance de ce dernier principe est un autre motif d’irrecevabilité !
Enfin, le volet des sanctions devrait également être apprécié au regard du principe pollueur-payeur. Les redevances ne comportent qu’exceptionnellement des dispositifs incitant les usagers à modifier leur comportement. De plus, à l’article 21, le projet institue un fonds de garantie qui peut compenser les responsabilités pour pollution résultant de l’épandage de boues urbaines ou industrielles, ce qui conduit à mutualiser les charges éventuelles et donc à déresponsabiliser les pollueurs potentiels. En outre, au mépris de l’exigence de « réparation des dommages » contenue dans l’article 4 de la Charte de l’environnement, le projet ne mentionne pas de manière systématique la remise en état comme élément pouvant être imposé à un contrevenant par un tribunal.
Pour toutes ces raisons, je souhaite que notre Assemblée vote en faveur de cette exception d’irrecevabilité.
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Mme la Ministre - Ce projet satisfait totalement à la Constitution, à la Charte de l’environnement et à la directive cadre. Ainsi, l’agriculture est traitée comme les autres activités, à travers une redevance représentative des pollutions dues aux élevages - la redevance UGB -, une redevance représentative des pollutions dues aux grandes cultures et une redevance sur les produits phytosanitaires représentative de l’ensemble des impacts de cette activité. Je vous invite donc à rejeter cette exception d’irrecevabilité.
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques - Très bien.
M. Claude Gaillard - S’agissant par exemple de l’eau potable, Monsieur Chassaigne, l’égalité devant les charges publiques n’a aucun sens puisque les situations sont par nature très différentes. Les collectivités qui peuvent puiser dans une nappe phréatique non polluée n’ont pas les mêmes difficultés que celles qui doivent puiser dans les eaux de surface. À moins de nationaliser le secteur de l’eau, comment pourrait-il y avoir égalité ? À Nancy, par exemple, les prélèvements sont effectués à raison de 2 m3 par seconde dans la Moselle, qui fait 3,5 m3 à l’étiage. Dès lors, les dispositifs de captage et de traitement sont très coûteux.
S’agissant de la taxation et de la redevance, une sanction est prise en fonction du traitement et de la nature des effluents rejetés.
Vous vous êtes lancé dans une diatribe contre deux grands groupes français : en tant que Français, je ne peux quant à moi que me réjouir s’ils sont les meilleurs du monde.
M. le Président de la commission - Très bien.
M. Claude Gaillard - S’agissant du choix entre la régie et la délégation de service public, chaque collectivité doit assumer ses responsabilités. Nancy est restée en régie et si j’ai choisi qu’il en soit ainsi, c’est que, pendant des années, nous nous sommes attachés à former notre personnel, car on ne peut bien négocier avec une entreprise privée que si l’on dispose de compétences à l’intérieur de ses propres services. Les communes qui optent, elles, pour la délégation, doivent définir un cahier des charges. Nul besoin, donc, de chercher midi à quatorze heures, la situation est limpide et s’il apparaît que des exagérations ont lieu, il revient aux collectivités de faire face, car elles en ont les moyens et les compétences.
Contrairement à vous, nous ne les tenons pas pour des irresponsables qu’il faudrait chapeauter pour leur expliquer ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Chacun doit assumer ses responsabilités, et cela vaut pour elles également.
Rien de véritablement convaincant n’ayant été exposé, le groupe UMP ne votera pas l’exception d’irrecevabilité.
M. Germinal Peiro - L’opinion du groupe socialiste est différente. Notre collègue Chassaigne a eu le mérite d’aborder la question des grands groupes. Nous nous réjouissons, nous aussi, que la France en compte d’efficaces, mais le problème est que, sous prétexte de « liberté », ils se trouvent en position de quasi-monopole. André Chassaigne a donc regretté à juste titre qu’aucune disposition de nature à aider les petites collectivités à faire des choix éclairés ne figure dans ce projet. Les maires des villages savent pourtant que leur marge de manœuvre est très limitée, faute de compétences parmi leur personnel. La conséquence en est que, s’il n’y a pas d’intercommunalité, ils doivent se tourner vers le secteur privé. M. Chassaigne n’a pas demandé la nationalisation de ces groupes ; il a déploré que la gestion publique de l’eau ne soit pas encouragée. Pire : elle est entravée. Ainsi, le département des Landes faisait varier ses aides aux collectivités selon qu’elles avaient adopté la régie directe ou choisi la délégation de service public. Non seulement le préfet a attaqué M. Emmanuelli, président du conseil général, devant le tribunal administratif, mais, par ce texte, vous avez supprimé cette possibilité. Après quoi, ayant ainsi interdit aux départements d’exercer leurs prérogatives comme bon leur semble, vous invoquez le principe de la libre administration ! De là à penser que vous préférez la gestion par le secteur privé, il n’y a qu’un pas, que nos concitoyens ne tarderont pas à franchir.
André Chassaigne n’a pas dit, non plus, que les prix devraient être les mêmes sur tout le territoire, car il sait, comme nous tous, que toutes les situations ne sont pas égales. Mais il convient, là encore, de laisser les collectivités choisir - à condition de leur en donner les moyens. Qui peut nier qu’à l’occasion de la renégociation des contrats, des exemples de bénéfices exagérés aient été mis au jour ? Ces profits excessifs ont été payés par tous les contribuables. Or, même si nous sommes heureux qu’ils existent, notre rôle n’est pas d’augmenter le bénéfice des grands groupes, mais de nous assurer que le meilleur service est rendu à nos concitoyens, dont on ne peut pas dire que leurs revenus aient beaucoup augmenté ces dernières années.
Il est enfin extraordinaire que le principe pollueur-payeur ne soit pas une fois mentionné dans ce texte alors que, sans même parler de la loi de 1992, il figurait déjà dans la loi de 1964. Pour être moi-même issu du milieu agricole, je suis parfaitement conscient que l’on ne saurait imputer en une fois des charges insupportables à tout un secteur. Pour autant, chacun doit être mis face à ses responsabilités, sans que nul puisse en être exonéré.
Voilà pourquoi le groupe socialiste votera l’exception d’irrecevabilité.
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M. Jean Dionis du Séjour - Défendant une exception d’irrecevabilité, notre collègue André Chassaigne est dans son rôle. Le groupe UDF, pour sa part, est plutôt favorable au débat, sauf dans les cas flagrants d’inconstitutionnalité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Les questions abordées sont d’ailleurs intéressantes, et d’abord celle de la gestion publique de l’eau. Sans doute, comme l’a dit Germinal Peiro, les collectivités ont-elles laissé la bride trop lâche aux grands groupes. Elles devront donc la resserrer, et en venir à une meilleure gestion, mais cela se fera dans le cadre de la libre administration des collectivités territoriales. Quant au principe constitutionnel du « pollueur-payeur », est-il bafoué dans ce texte ? Pour le groupe UDF, la question, d’importance, mérite que l’on s’y arrête. On sent bien que l’on tend vers une nouvelle orientation, qui serait de basculer d’un système dans lequel le payeur est le consommateur à un autre, dans lequel le payeur serait le pollueur. Mais voilà qui est plus facile à dire qu’à mettre en œuvre. Contrairement à ce qu’a soutenu M. Chassaigne - et Mme la ministre lui en a fait reproche à juste titre -, les agriculteurs sont loin d’avoir été oubliés…
M. André Chassaigne - Je n’ai pas dit cela !
M. Jean Dionis du Séjour - Si. Pour nous, dans ce texte, s’exprime encore la méfiance à l’égard des agriculteurs, considérés comme des fraudeurs dont il faudrait donc mesurer l’activité avec des compteurs. Nous tenterons de faire bouger les choses au cours du débat, mais une chose est certaine, le projet n’est pas laxiste à l’égard des agriculteurs. Que dire, d’ailleurs, des autres pollueurs ? Au bord de la Garonne, où j’habite, par temps d’orage les eaux de ruissellement sont noires et charrient des substances gravement toxiques. A-t-on décidé de taxer les automobilistes ou les collectivités ? Non, et tout le monde se cache ! Qui, dans ce cas, est le pollueur ?
Ce débat politique est complexe, mais il faut l’engager et non tenter de l’éviter par une exception d’irrecevabilité à la Ponce Pilate, que le groupe UDF ne votera pas.
L’exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n’est pas adoptée.
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Question préalable
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M. André Chassaigne - Cette question préalable avait pour objectif de montrer les insuffisances du texte et les questions qui méritent encore débat. J’en retiens quatre points essentiels. D’abord, la question de l’impact de l’usage de l’eau sur les écosystèmes aquatiques et les populations n’est pas traitée avec précision : qui supporte le coût de la pollution ? Le texte concrétise une application particulièrement « souple » de certaines redevances. Il faut sur ce point être beaucoup plus précis. J’espère que les amendements permettront d’éclaircir certains points, mais ce défaut justifie à lui seul le vote de la motion.
Ensuite, il est clair que la question du pollueur-payeur va revenir de façon récurrente dans nos débats - on parle aussi du consommateur-payeur, mais pour ma part, je préfère évoquer le décideur-payeur. Contrairement à ce qu’a dit Jean Dionis du Séjour dans un de ces raccourcis dont il a l’habitude, je n’envisage pas de surtaxer les agriculteurs : j’ai bien précisé d’abord que c’est l’ensemble de la filière agricole qui doit être concerné, et ensuite que s’ils sont poussés à pratiquer une agriculture productiviste, c’est d’une part parce que les prix ne sont pas assez élevés et qu’ils sont soumis à une concurrence mondiale très forte, et d’autre part que de grands groupes chimiques essayent d’écouler leurs produits par tous les moyens. Il faut donc approfondir cette question du pollueur-payeur.
Le troisième point est celui des moyens. Pour mettre en œuvre la directive-cadre sur l’eau, pour accomplir les investissements nécessaires, pour réaliser la solidarité entre urbain et rural, il faut des moyens, qui sont évalués à 14 milliards pour les agences. Cette estimation s’appuie sur un constat. Il faudra donc, durant ce débat, que le coup de pouce nécessaire soit accordé.
Enfin, je développerai plus tard le sujet du droit à l’eau, qui est sans aucun doute notre première responsabilité. C’est un droit fondamental qui doit être inscrit dans la loi, et j’espère que les amendements en ce sens seront adoptés. C’est pour ces raisons que nous voterons cette question préalable.
La question préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.
[…]
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M. André Chassaigne - Je souhaite à mon tour saluer votre pugnacité, Madame la ministre, pour que ce texte puisse être mené à son terme avant la fin de la législature. Je salue également le travail du rapporteur, fruit de longs mois d’échanges, qui exige d’être poursuivi encore. Plusieurs amendements demandent ainsi à être étudiés de près, et nous ne doutons pas que certains, importants, seront acceptés, de quelques bancs qu’ils émanent.
Je me limiterai ici à la question du droit à l’eau, à juste titre défendu par de nombreuses ONG et par les associations de consommateurs. La loi de lutte contre les exclusions de 1998 a défini l’eau comme l’un des trois biens essentiels auxquels chacun doit avoir accès, avec l’énergie et le téléphone. Cela exige des mesures de solidarité, à l’instar de celles prises pour l’électricité, le gaz et le téléphone. Or, le droit à l’eau demeure encore trop souvent théorique, l’eau étant tenue pour une marchandise comme une autre.
Durant les débats à venir, notre responsabilité est considérable pour avancer après l’amendement adopté par le Sénat. Le Fonds de solidarité logement n’est pas une réponse suffisante, d’autant que la France a signé en 2002 le Pacte international pour les droits économiques, sociaux et culturels, qui reconnaît l’eau comme un bien fondamental, devant être accessible à tous à un prix abordable. Or, de plus en plus de foyers ont des difficultés à régler leurs factures d’eau, en constante augmentation du fait d’opérateurs privés obsédés par la recherche du profit maximal. Près de sept millions de nos concitoyens vivent en-dessous du seuil de pauvreté fixé à 788 euros par mois : c’est à eux qu’il nous faut penser quand nous savons que la facture d’eau peut représenter jusqu’à 500 euros par an pour une famille moyenne.
Le Sénat a, à juste titre, adopté un amendement précisant que « dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement acquis, l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a droit d’accéder à l’eau potable à des conditions économiquement supportables. » Cet amendement représente une avancée incontestable. Nous avons, pour notre part, la responsabilité de rendre ce droit effectif en complétant le code général des collectivités territoriales pour préciser que l’accès à l’eau doit être suffisant pour assurer la santé et le bien-être des personnes ; que la fourniture d’eau ne peut être interrompue dans un immeuble que si tous les occupants légaux y consentent ou si l’immeuble est déclaré insalubre avec interdiction d’habiter et, en ce cas, seulement après le départ de tous les occupants ; que les abonnés doivent être informés des différentes modalités de mise en œuvre du droit au logement ; qu’un débit minimal de fourniture doit être assuré, dont les conditions d’installation et le volume sont déterminés par le règlement de service ; enfin - pourquoi pas ? - que le maire ou, à défaut le préfet, peut imposer le rétablissement de la fourniture d’eau dans un immeuble à usage d’habitation. Nous pourrions reprendre l’amendement déposé par nos collègues socialistes qui permettait aux communes, dans le cadre du règlement de service, de prévoir des mesures spécifiques.
Le droit à l’eau doit aussi être garanti dans les hameaux de montagne qui ne sont pas aujourd’hui desservis par un service public communal d’adduction. Des habitations possédant leur propresourceetleurproprecaptagey sont aujourd’hui menacées par des contrôles excessifs et disproportionnés.
M. Jean Lassalle - Tout à fait.
M. André Chassaigne - Ainsi, à partir de deux maisons, les DDASS, considérant qu’il s’agit d’un réseau collectif, peuvent-elles imposer trois analyses annuelles au point de captage, au réservoir et au robinet, dont le coût total peut représenter jusqu’à 1 500 euros par an. Dans ces territoires isolés de montagne, des personnes âgées voient ainsi leur droit à l’eau menacé par cette réglementation, que nous souhaitons donc assouplir par voie d’amendement. J’en avais en première lecture déposé un qui avait été adopté avant d’être repoussé par le Sénat, que notre collègue Saddier a fort pertinemment repris et qui vise à tenir compte des réalités de terrain. On ne peut pas systématiquement appliquer aux zones isolées de montagne les mêmes réglementations qu’ailleurs, si l’on souhaite laisser les personnes âgées y finir tranquillement leur vie et inciter de jeunes familles à s’y installer. Lorsqu’il n’est possible ni techniquement ni financièrement de raccorder certains hameaux au réseau communal, il faut adapter la réglementation. C’est une mesure de bon sens. Je suis convaincu que celui-ci peut l’emporter et que nous pouvons adopter un amendement consensuel, ultérieurement complété par décret. Ne pénalisons pas une nouvelle fois les territoires ruraux en y imposant des normes excessives. (Approbation sur les bancs du groupe socialiste et du groupe UDF)
M. Martial Saddier - Il a raison.
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M. Claude Gaillard - Pour le montant de redevances, on a évoqué un plafond de 12 à 14 milliards. Si l’on examine le contenu du 9e programme, il faut plutôt 11,6 milliards, ce qui, déjà, suppose une augmentation de redevance qui, dans mon bassin, sera de 30 %. À 14 milliards, on augmente encore plus, donc l’eau devient très chère et se pose le problème de la tarification sociale. Se fixer une grande ambition à 14 milliards, pourquoi pas ? Mais nous verrons ce qu’il en est, sur le plan politique, de la possibilité d’augmenter aussi rapidement la redevance et donc le prix du mètre cube. De même, créer des fonds départementaux, c’est instituer, mécaniquement, un nouveau prélèvement. Prenons garde à ne pas augmenter trop le prix de l’eau.
Ce texte respecte la philosophie du pollueur-payeur.
M. André Chassaigne - Non.
M. Claude Gaillard - Mais avec une dimension mutuelle. Il est en effet difficile de savoir qui pollue beaucoup et comment le faire payer. Monde agricole, industries et consommateurs ont déjà fait des efforts depuis des années. Certains diront que la demande est excessive pour le monde agricole, mais le texte manifeste bien la volonté de faire payer de façon équitable, en fonction de la pollution.
M. Yves Cochet - Ici, c’est plutôt le principe du pollué-payeur.
M. Claude Gaillard - C’est difficile. D’ailleurs la précédente majorité n’y est pas parvenue en cinq ans et il a fallu à celle-ci quatre ans et demi. Je salue donc les efforts de tous pour aboutir à un texte équilibré sans être définitif et qui nous permet de progresser vers l’objectif 2015. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)
M. Jean Auclair - Je n’ai pas voté la loi sur l’eau en raison de son article 37. Élu de la Creuse, département d’élevage s’il en est, je peux d’autant mieux vous l’expliquer que je suis le seul éleveur de cette assemblée.
M. André Chassaigne - Et négociant !
M. Jean Auclair - Faire payer une redevance élevage au titre du principe pollueur-payeur aux éleveurs du Massif Central est une erreur magistrale. Ils ne sont en rien des pollueurs, même si leur exploitation dépasse les 1,4 UGB - unités de gros bétail - à l’hectare. Les bovins nourris d’herbe et de foin ont des excréments très pauvres en matières azotées.
M. André Chassaigne - C’est vrai.
M. Jean Auclair - D’ailleurs, le Massif Central est une des zones qui ont les teneurs les plus faibles en nitrates dans les eaux de surface. Dire à ces éleveurs, qui sont de très bons aménageurs de l’espace, qu’ils polluent relève de l’absurdité.
M. Jean Lassalle - Très bien.
M. Jean Auclair - En outre, ce sont souvent les moteurs de l’activité économique.
Voyons les arguments qu’on m’oppose. Les éleveurs paieraient déjà. Faux, archifaux ! Peu d’éleveurs seraient concernés. Faux. La plupart auront un chargement supérieur à 90 UGB à l’hectare, la moyenne en Limousin étant actuellement de 128. Ensuite, on m’oppose que les éleveurs ont bénéficié des programmes de maîtrise des pollutions d’origine agricole. C’est presque faux. Dans mon département, 224 exploitations sur 5 000 ont bénéficié du PMPOA 1 et 9 du PMPOA 2, soit 4 %. On dit encore que les organismes professionnels agricoles sont d’accord avec la mise en place de cette redevance. Faux ! Ceux du Nord, de l’Ouest et de l’Est, peut-être, qui cherchent à faire partager l’ardoise par les autres. Dans le Massif Central, FNSEA, CDJA, etc, le dénoncent.
M. André Chassaigne - Et le Modef.
M. Jean Auclair - Et le Modef, pour vous faire plaisir.
Allez-vous vous prêter à cette manœuvre ? La France agricole, ce n’est pas que le Nord, l’Ouest ou l’Est. Elle est riche de sa diversité. Les OPA n’ont pas à nous dicter le chemin à suivre. J’ai donc déposé des amendements en faveur de la profession, et en particulier des éleveurs du Limousin.
Le Sénat a bien exempté de la redevance les exploitations situées en zone de montagne jusqu’à 150 UGB par hectare. Cela ne sert à rien. En zone de montagne, le chargement en vaches allaitantes est toujours inférieur à 1,4 UGB.
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Mme la Ministre - Je vous remercie à nouveau, Monsieur le rapporteur, ainsi que la commission, pour le remarquable travail accompli. L’article 42 A ayant été voté conforme, nous n’évoquerons pas plus avant la question des eaux libres et des eaux closes. Toutefois, je m’étais engagée à vous indiquer quel serait le contenu du décret d’application, ce que je fais avec plaisir. Le décret précisera notamment la notion du « passage du poisson » en tenant compte du cycle des espèces, y compris celui des alevins. Il rappellera aussi que la qualité d’« eau close » est justifiée par la topographie et non par l’action du propriétaire. Si une communication temporaire, à l’occasion d’événements exceptionnels tels que des crues violentes, ne saurait modifier le statut d’une eau close, le cas de cours d’eau intermittents, comme on en trouve dans les régions méditerranéennes ou de montagne, et les particularités de ces zones seront prises en compte. Enfin, le décret précisera l’interdiction d’introduire dans les eaux closes des espèces susceptibles de provoquer des déséquilibres biologiques. Bien entendu, le projet de décret sera largement concerté avec les diverses parties et soumis à l’avis du Comité national de l’eau.
[…]
Monsieur Chassaigne, vous avez traité du contrôle des eaux de source en milieu rural ou de montagne. Comme vous, je considère que ce contrôle doit être adapté aux situations locales. C’est pourquoi j’envisage de lancer, avec le ministre de la santé et le ministre de l’intérieur, une mission d’inspection pour en définir les modalités. La qualité de l’eau doit, bien sûr, être conforme aux normes sanitaires dans un souci de protection de la santé publique, que la population soit rurale ou citadine.
Vous avez également évoqué la spécificité des milieux ruraux et de montagne. Je vous rappelle que ce projet propose un effort de solidarité sans précédent à leur égard, avec un plancher d’aide des agences de l’eau de un milliard pour la période 2007-2012.
[…]
M. André Chassaigne - C’est vrai.
Mme la Ministre - Alors que le total des régions Auvergne, Bourgogne, Limousin et Lorraine représente à peine 3,6 % des éleveurs et des unités de bétail concernés par la redevance, les régions Bretagne, Pays-de-Loire et Basse-Normandie comptent, ensemble, les deux tiers des éleveurs redevables et 71 % des unités de bétail concernées par la redevance. Les seuls élevages qui paient une redevance dans le Massif Central sont les gros élevages qui risquent à eux seuls de polluer les rivières préservées de ces régions. Il en existe : comme l’a relevé un quotidien du soir, la plus grosse prime agricole d’élevage versée en France concerne un éleveur du Limousin propriétaire de 5 000 taurillons…
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Article premier a
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M. Jean Launay - Le Sénat a introduit une disposition qui évoque le droit à l’eau. Avec l’amendement 302 rectifié, nous voulons concrétiser ce droit, en écrivant : « Les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et les syndicats mixtes chargés des services publics de distribution d’eau potable et d’assainissement peuvent prendre toutes les mesures administratives, techniques, économiques et financières nécessaires pour mettre en œuvre ce droit à l’eau ».
Si nous laissons le texte tel qu’il nous vient du Sénat, nous ne passerons jamais à la phase de mise en œuvre du droit. Il faut donc donner la possibilité aux collectivités de le mettre en œuvre. En 2005, seules 20 000 personnes ont été aidées pour payer leurs factures d’eau, par le fonds de solidarité pour le logement. En prévoyant la possibilité de prendre des mesures, notamment financières, pour assurer le droit à l’eau, il s’agit d’éviter que ne se créent des stocks de dette, en rendant l’eau plus accessible aux ménages démunis, et pas seulement aux ménages endettés, pour faire en sorte que les plus pauvres aient effectivement droit aux vingt litres d’eau minimum par jour et par personne.
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M. André Chassaigne - Je soutiens cet amendement qui permettrait de rendre effectif le droit à l’eau voté par le Sénat. La réponse de Mme la ministre n’est pas suffisante. Ce droit ne peut pas être garanti seulement en période hivernale. Les collectivités doivent être libres de mener la politique publique qu’elles souhaitent en matière d’accès à l’eau et si certaines veulent aller plus loin, cet amendement le leur permettrait. Je ne comprends pas le blocage autour de la formulation proposée.
L’amendement 302 rectifié, mis aux voix, n’est pas adopté.
L’article premier A modifié, mis aux voix, est adopté.
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