18-10-2005

Explication de vote.

LOI D’ORIENTATION AGRICOLE (suite)

L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi d’orientation agricole.

M. le Président - Je rappelle qu’en application de l’article 54, alinéa 3, de notre Règlement, le temps de parole ouvert aux orateurs de chaque groupe est limité à cinq minutes.

[…]

M. André Chassaigne - Monsieur le président, Monsieur le ministre, chers collègues,

Pendant cette longue discussion, nous avons analysé, détricoté, interrogé ce projet de loi d’orientation. D’importants doutes se sont élevés, sur tous les bancs. Mais nous n’avons pu que constater, Monsieur le ministre, que vous n’en avez pas levé beaucoup !
Ainsi, lorsque notre collègue Guillaume a rappelé que la création du fonds agricole ne garantirait aucune séparation entre le patrimoine personnel et le capital d’exploitation… vous n’êtes pas intervenu.
Lorsque j’ai montré, avec d’autres, que la création de ce fonds alourdirait les charges financières des exploitations et donc fragiliserait l’agriculture française… vous n’avez pas démenti.
Lorsque des orateurs issus de tous les bancs ont dénoncé les conséquences de la valorisation de ces fonds sur l’installation des jeunes… vous n’avez rien dit. Vous avez même confirmé nos craintes en acceptant de voter des dispositions atténuant les conséquences fiscales de la création de ce fonds…
Lorsque des parlementaires, de l’opposition comme de la majorité, se sont inquiétés des conséquences de la généralisation des pas de porte sur le maintien d’une agriculture familiale… vous êtes resté muet.
Lorsque nous avons dénoncé l’augmentation des prix du fermage, sa précarisation et le risque d’expulsion de fermiers au bout de vingt trois ans de travail… vous vous êtes tu.
Lorsque l’opposition a démontré que la remise en cause du contrôle des structures conduira à l’agrandissement sans limite des exploitations et à une concentration sauvage des terres… vous n’avez pas cherché à répondre.
Et lorsqu’il fut patent que le mélange de toutes ces mesures bloquerait le renouvellement des générations en agriculture et pousserait à la disparition de dizaines de milliers d’exploitations… vous avez levé les yeux au ciel.

Nous vous avons interpellé sur le revenu paysan et pour une juste rémunération de leur travail. Nous vous avons interrogé sur l’évolution des critères d’octroi de la DJA et la nécessité de soutenir les démarches d’installation progressive. Nous avons demandé de faire évoluer le statut des cotisants solidaires… Aucune réponse.
Et quand il vous a été proposé de renforcer l’attractivité des métiers agricoles et d’améliorer les conditions de travail des salariés agricoles, vous leur avez retiré le droit aux 35 heures !

Nous avons revendiqué un relèvement des retraites agricoles. Vous nous avez promis de réunir un groupe de travail sur ce sujet… Un an à peine après que le gouvernement s’est assis sur les conclusions d’une commission réunie sur ce point.
Nous pourrions mettre tous ces silences sur le compte d’un projet de loi bâclé et d’une troublante méconnaissance des enjeux de l’agriculture d’aujourd’hui. C’est en partie vrai, d’ailleurs. Mais ce serait trop facile.

En effet, nous ne pouvons imaginer que la dangerosité de ce projet de loi ne soit pas volontaire. La réalité, c’est tout simplement que vous avez fait le choix de soumettre ce secteur économique au capitalisme financier le plus débridé.
Les paysans de France se battent aujourd’hui pour que leur travail soit rémunéré à sa juste valeur. Et leurs pires ennemis, ce sont les pressions sur les prix imposés par la libéralisation du commerce international, les chantages de la grande distribution et la domination des industries agroalimentaires.
Vous auriez pu chercher à protéger les agriculteurs de ces prédateurs. Vous avez préféré domestiquer notre agriculture, en la plaçant durablement sous le joug des intérêts de la finance : alors que 40% des paysans ont un revenu inférieur au SMIC, alors que ce revenu baisse de 2,5% par an depuis l’an 2000…

Plusieurs députés UMP - C’est faux !

M. André Chassaigne - … vous les obligez à ce qu’à l’avenir, leur travail rémunère aussi le capital de ceux qui auront investi dans leurs exploitations…

Dans les faits, ce que vous considérez être une adaptation de l’agriculture aux conditions économiques du moment ne sera au final qu’un enterrement de première classe. Comment voulez-vous en effet que la majorité des paysans de France supportent ce choc supplémentaire, après tous ceux qui leur ont été portés depuis quinze ans ?

Mais surtout, Monsieur le ministre, vous avez occulté l’essentiel : cette soi-disante modernisation de notre agriculture n’est qu’un jeu de dupes, une simple anticipation des prochains marchandages de l’Europe à l’OMC sur l’évolution des aides et des prix agricoles. Avec cette loi, vous préparez et cautionnez l’abandon par l’Europe, ces prochaines semaines à Hong-Kong, de la préférence communautaire et de la souveraineté alimentaire.
Pour conclure, comment les paysans pourront-ils survivre si vous laissez se poursuivre cette baisse des prix agricoles, si vous votez aujourd’hui une hausse de 50% du prix des fermages, si vous laissez augmenter le prix des carburants, et si vous alourdissez leurs charges financières ?

Comment des jeunes pourront-ils s’installer si le prix des exploitations augmente de façon vertigineuse, bloquant toute possibilité de reprise, et si vous désarmez la profession des outils qu’elle a mis en place pour assurer le renouvellement des générations ?

Un député UMP - Vous voulez parlez des kolkhozes ?

M. André Chassaigne - Quel sera donc dans ces conditions le visage de notre agriculture dans dix ans ? Celui d’une agriculture sociétaire, intégrée aux circuits du capitalisme mondialisé. Celui de gigantesques fermes reposant sur l’exploitation de travailleurs salariés.

Bref, une vision d’abandon qui justifie évidemment le rejet de ce texte par les députés communistes et républicains (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

[…]

A la majorité de 376 voix contre 150 sur 528 votants et 526 suffrages exprimés, l’ensemble du projet de loi est adopté.

[…]

Pour en savoir plus : Assemblée Nationale

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