Deuxième séance du mardi 06 mai 2014
Infrastructures de recharge de véhicules électriques
Discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Bruno Le Roux, Mme Frédérique Massat, MM. François Brottes, Jean Grellier, Mmes Fanny Dombre Coste et Béatrice Santais et plusieurs de leurs collègues facilitant le déploiement d’un réseau d’infrastructures de recharge de véhicules électriques sur l’espace public (nos 1820, 1882).
Présentation
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Massat, rapporteure de la commission des affaires économiques.
Mme Frédérique Massat, rapporteure de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique, chers collègues, la France a la volonté d’amorcer le redressement son industrie et de montrer la voie de l’exemplarité énergétique et environnementale.
Le développement de la voiture électrique se situe au croisement de ces deux objectifs phares.
La voiture électrique est d’abord un formidable pari industriel. Elle repose sur la maîtrise du stockage de l’énergie et impose de repenser l’automobile pour l’adapter à de nouvelles contraintes. Les constructeurs français sont aux premiers rangs de cette étape nouvelle de l’histoire des transports.
C’est aussi l’un des piliers de la transition énergétique. Toute transition part du présent. Le présent énergétique de la France, c’est une consommation trop importante de produits pétroliers dans le secteur des transports. Ce secteur représente 32 % de la consommation finale d’énergie sur notre territoire, mais 70 % de la consommation de pétrole. La seule facture pétrolière s’élevait à 55 milliards d’euros en 2012.
La transition énergétique, c’est aussi poser les jalons vers un nouveau paradigme énergétique. Pour beaucoup, la voiture électrique en est le chaînon manquant.
Lorsque la France disposera d’un parc de plusieurs millions de véhicules électriques, ce sera autant de batteries capables de stocker l’électricité produite de façon intermittente par les moyens de production renouvelables. Nous devrons alors construire un nouveau modèle énergétique pour permettre à chaque propriétaire de véhicule, en fonction des heures de pointe ou des heures creuses, d’injecter ou de soutirer de l’électricité sur le réseau.
Croyant fermement en ce nouveau modèle, nous posons les jalons pour qu’il devienne enfin réalité.
Prometteuse, la filière du véhicule électrique connaît pourtant un début timide.
Le nombre d’immatriculations de véhicules 100 % électriques s’élevait à 25 000 à la fin de l’année 2013. Électricité Réseau Distribution France a ainsi été amené à réviser son scénario de pénétration fortement à la baisse : alors que le gestionnaire de réseau prévoyait 1,9 million de voitures électriques à l’horizon 2020, il n’en attend plus désormais que 450 000 à 800 000.
Toutefois, l’année 2013 a été marquée par une forte croissance : 14 000 véhicules ont été immatriculés lors de cette seule année, soit la moitié du total.
La peur de la panne est en grande partie responsable de ce retard à l’allumage. Le facteur psychologique est décisif : l’absence de points de recharge dans l’espace public a dissuadé nombre de Français de choisir ce produit innovant. L’installation de bornes de recharges accélérées ou rapides rassure le conducteur. Elle est d’autant plus nécessaire au départ, lorsque les acquéreurs potentiels sont encore hésitants et qu’il faut les convaincre de faire le premier pas.
La Commission européenne partage d’ailleurs cette analyse. Consciente de l’enjeu du réseau, elle a déposé, le 24 janvier 2013, une proposition de directive sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants de substitution. Cette proposition, si elle était définitivement adoptée, rendrait obligatoire la mise en place d’une infrastructure offrant une couverture minimale pour l’électricité, l’hydrogène et le gaz naturel, de façon à accélérer le choix de ces carburants par les particuliers et les entreprises.
La proposition prévoit des objectifs ambitieux en matière de déploiement des bornes électriques. Elle détermine, pour chaque État membre, un nombre minimum de points de recharge pour véhicules électriques, dont 10 % doivent être publics. Suite à la discussion de la proposition de directive devant la commission des transports et du tourisme du Parlement européen, le texte imposerait un nombre minimum de 55 000 points de recharge accessibles au public sur le territoire français.
La présente proposition de loi devance donc le contenu des textes européens en cours d’examen, ce qui la rend d’autant plus incontournable.
La présente proposition de loi pose un cadre au déploiement d’un réseau essentiel couvrant l’ensemble du territoire.
Nous avons fait le choix de déposer une proposition de loi courte et ciblée, plutôt que d’intégrer de telles dispositions dans le futur projet de loi sur la transition énergétique, dont l’adoption définitive serait sans doute intervenue trop tardivement.
Si l’on qualifie ce réseau d’essentiel, c’est d’abord parce qu’il permettra de faire beaucoup avec peu. En pratique, les besoins de prises sur l’espace public sont faibles : en Europe, 87 % des trajets sont inférieurs à soixante kilomètres, alors que l’autonomie des véhicules électriques est de 120 kilomètres réels.
Il est donc probable que les infrastructures de recharge installées sur le domaine public seront peu utilisées car les propriétaires de véhicule utiliseront en priorité la prise de leur domicile. Nul besoin de millions de prises et nul besoin de milliards d’euros d’infrastructures.
Ce futur réseau peut donc bien être qualifié d’essentiel dans un premier sens : il permettra de rassurer les usagers avec un nombre d’infrastructures construites limité sur le territoire.
Le réseau lancé par cette proposition sera essentiel dans un second sens : ce ne sera pas un réseau principal mais un réseau ayant vocation à compléter celui des collectivités territoriales.
Grâce aux aides de l’ADEME, les collectivités territoriales se sont déjà lancées dans le déploiement de leur réseau local. Selon les chiffres communiqués par ERDF, on dénombrait 5 600 bornes sur la voirie à la fin 2013.
Un premier appel à manifestations d’intérêt, visant à soutenir le déploiement des infrastructures de recharge, a été lancé par l’agence en avril 2011 et il s’est clos le 16 décembre 2013. Un second AMI est ouvert depuis le 10 janvier 2013. Dans le cadre du plan gouvernemental dédié à l’automobile, il est doté d’un budget de 50 millions d’euros.
Les critères d’éligibilité ont été élargis. Peuvent désormais se porter candidates les villes, agglomérations, groupements de villes ou d’agglomérations de plus de 200 000 habitants, les départements, les régions, les syndicats intercommunaux, les établissements publics d’aménagement et tout autre montage juridique dans lequel le financeur est totalement public.
Le montant des investissements doit être supérieur à 400 000 euros, afin de favoriser l’émergence de projets structurants et à l’ampleur significative. La subvention couvre le coût d’investissement à hauteur de 50 % pour l’implantation de bornes de charge normale ou accélérée et de 30 % pour les bornes de recharge rapide. Ces bornes doivent être installées sur la voie publique ou dans des stations ouvertes au public.
À la demande du ministère du redressement productif, le dispositif devrait évoluer prochainement pour élargir encore les critères d’éligibilité et permettre à un plus grand nombre de collectivités de se porter candidates. C’est ainsi que la date de clôture de l’AMI devrait être reportée au 31 décembre 2015 et le seuil de 200 000 habitants remplacé par un seuil d’installation d’au moins une borne pour 2 500 à 3 000 habitants.
Ces éléments illustrent à la fois l’implication forte des collectivités dans la naissance d’un nouveau service public et la volonté de l’État d’inciter ces dernières à déployer leur propre réseau local. Le nombre de bornes installées par les collectivités devrait ainsi atteindre 14 000 à l’horizon 2016.
Le réseau national, amorcé par les collectivités, doit être complété par un réseau « essentiel », dans trois directions. Tout d’abord, ce réseau essentiel doit prendre le relais des collectivités dans les territoires qui ne sont pas couverts ; on pense en particulier, c’est vrai, aux zones rurales. Ensuite, ce réseau essentiel doit offrir des bornes de recharge accélérée ou rapide lorsque les caractéristiques techniques du réseau le permettent et que les besoins des usagers le justifient. Enfin, les réseaux locaux devront être reliés entre eux, à travers des lignes d’envergure nationale.
La proposition de loi comporte des dispositions importantes dans la perspective de la mise en place de ce réseau essentiel.
Elle autorise, en premier lieu, l’État à implanter des bornes de recharge sur le domaine public « lorsque cette implantation s’inscrit dans un projet de dimension nationale », critère dont il appartient à l’État de s’assurer qu’il est rempli. Il ne s’agit donc pas de concurrencer les initiatives locales, il s’agit de les compléter. La dimension nationale s’apprécie au regard du nombre de bornes et de la répartition des bornes à implanter sur le territoire. Le texte prévoit par ailleurs une dérogation à l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques, lequel concerne la redevance d’occupation du domaine public. Cette dérogation est essentielle pour offrir de la visibilité aux opérateurs intéressés et simplifier le montage financier de leur projet pour lequel, je le rappelle, aucune subvention n’est prévue.
La place des collectivités territoriales dans le dispositif est confortée. En effet, les collectivités territoriales restent compétentes pour délivrer les titres d’occupation du domaine public. Elles posséderont donc, le cas échéant, un véritable droit de veto sur le déploiement des bornes sur leur territoire, sur lequel la proposition de loi ne revient pas. Garantie supplémentaire, le troisième alinéa de la proposition de loi prévoit qu’elles seront associées à la définition des modalités d’implantation des infrastructures.
Les travaux en commission des affaires économiques ont donné lieu à l’adoption de deux amendements essentiels.
Le premier permet à l’État de déléguer sa participation, soit à un établissement public, soit par une participation indirecte. Un tel amendement offre la latitude nécessaire à l’État pour élaborer une solution sur mesure, la plus efficace et la moins coûteuse. Le second, dans le but d’assurer la compatibilité des installations avec les caractéristiques techniques du réseau de distribution d’électricité, associe les gestionnaires de réseau de distribution d’électricité à la concertation sur l’implantation des bornes. L’objectif est d’éviter que cette implantation ne mette en péril la sécurité du réseau et que le renforcement de lignes n’entraîne des surcoûts inutiles.
Mes chers collègues, nous sommes face à un chantier d’intérêt national qui appelle une action rapide et efficace. Cette proposition de loi courte et ciblée offre toutes les garanties nécessaires : elle met en place un dispositif léger, mais dans lequel l’État conserve tout de même un contrôle, un dispositif qui préserve aussi toutes les prérogatives, actuelles et futures, des collectivités territoriales.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique.
M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique. Monsieur le président, madame la rapporteure Frédérique Massat, mesdames et messieurs les députés, la France, pays pionnier de l’industrie automobile, demeure aujourd’hui à la pointe de ce secteur, qui a, d’ailleurs, toujours fasciné nos concitoyens. Les noms de Renault, Michelin, Peugeot Citroën, et beaucoup d’autres depuis une vingtaine d’années, font vibrer la fibre patriotique de nos concitoyens, malgré la crise qui a frappé l’industrie automobile et dont elle est en train de se sortir. Toujours à la pointe, notre pays voit une chance unique se présenter à lui : celle de devenir un leader européen et mondial du véhicule électrique, ce véhicule qui devrait redessiner durablement, de manière écologique et populaire, le paysage automobile.
C’est cette mutation que la proposition de loi de Mme Frédérique Massat et ses collègues vise à accompagner et accélérer, pour ne pas dire anticiper. C’est d’ailleurs la traduction de l’un des trente-quatre plans de la Nouvelle France industrielle que nous avions présentés, avec le Président de la République, au mois de septembre 2013. Je ne peux que me féliciter que cette concrétisation soit le fruit d’une initiative parlementaire : c’est la preuve que nous, industries, syndicats, élus des territoires de la nation, Gouvernement, techniciens, experts, travaillons de manière collective. Nous sommes capables d’unir nos forces autour d’enjeux à la fois législatifs, réglementaires, financiers et économiques, industriels et technologiques. La stratégie retenue pour l’élaboration de ces plans industriels repose sur l’alliance entre le public et le privé, alliance qui permet finalement aux industriels de définir les orientations, qui nous permet aussi de les construire avec eux. C’est exactement ce que nous avons décidé de faire dans le cadre de cette proposition de loi, avec votre aide et votre soutien.
Nous construisons donc la France de la mobilité électrique. Le marché du véhicule électrique existe déjà. Levier indispensable à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et des pollutions atmosphériques locales, l’électromobilité peut être mise au service de notre souveraineté énergétique, elle le sera.
Le véhicule électrique connaît aujourd’hui un démarrage assez remarquable. Entre 2012 et 2013, les ventes de véhicules électriques ont crû de 50 %. Le véhicule électrique change d’ailleurs la vie de ceux de nos concitoyens qui l’ont expérimenté ; j’en fais partie, comme, je crois, certains parlementaires.
C’est un véhicule propre, écologique, sans émission polluante et sans aucune nuisance sonore. D’ailleurs, l’accoutumance au silence n’est pas la moindre des surprises des usagers de tels véhicules. C’est surtout un véhicule économique à l’usage. Au-delà de l’achat du véhicule, avec la location de la batterie, on peut faire un plein à deux euros, chez soi, pendant qu’on dort, ou pendant les week-ends où l’on n’utilise pas le véhicule.
Notre pays, c’est assez remarquable, est le premier marché d’Europe pour les véhicules électriques et hybrides de nouvelle génération. En la matière, nos constructeurs ont pris une avance décisive et reconnue, et ils produisent les véhicules sur le territoire national. La Zoé de Renault est produite à Flins et les moteurs sont assemblés dans les usines du constructeur sises à Cléon.
Au plan mondial, le marché cible est considérable et les ventes sont déjà en forte progression partout dans le monde, à un rythme beaucoup plus rapide que les ventes des véhicules hybrides qui s’étaient finalement imposés. Il est intéressant de noter l’optimisme des constructeurs, particulièrement Renault et Nissan, qui ont chacun un modèle de véhicule électrique. Ils observent que la courbe d’ascension des ventes des véhicules électriques est beaucoup plus forte que celle des véhicules hybrides à l’époque – il y a une quinzaine d’années – où ils se sont imposés. De même, une étude du ministère de l’énergie des États-Unis révèle que la croissance des ventes des nouveaux modèles électriques dans leurs deux premières années de commercialisation est deux fois plus forte que celle des modèles hybrides à leur lancement, et ces derniers ont conquis en dix ans une part de marché de 3 %.
Nos anticipations rejoignent celles des dirigeants de Renault, qui imaginent une part de marché de long terme d’environ 10 %. Ce n’est pas négligeable pour le leader naturel que nous sommes en train d’imposer dans le monde.
Le gouvernement américain s’est fixé un objectif de 1,2 million de véhicules électriques en 2015. En Europe, la croissance des véhicules électriques connaît également une progression très forte : l’Agence européenne pour l’environnement indique que les ventes ont été multipliées par vingt entre 2010 et 2012. D’après une étude réalisée par le cabinet Navigant Research, les ventes mondiales de véhicules dotés d’une technologie électrique – hybrides, hybrides rechargeables et électriques – représenteront plus de 35 millions d’unités dans le monde en 2022.
II faut noter que le véhicule électrique n’est pas réservé au milieu urbain et aux grandes agglomérations. Les statistiques disponibles sur les douze premiers mois de vente de la Renault Zoé montrent, à cet égard, l’importance des villes de moins de 50 000 habitants, où les transports en commun ne sont pas toujours suffisamment développés et où les trajets entre le domicile et le travail ne sont pas desservis. Et je me félicite qu’une élue rurale, par ailleurs présidente de l’Association nationale des élus de montagne, soit à l’origine de cette proposition.
L’État a commencé, dès le mois de juillet 2012, à jouer son rôle en faveur du véhicule électrique. Citons le bonus écologique consolidé, pour la deuxième année, à 6 300 euros pour les véhicules électriques, qui rend l’acquisition d’un tel véhicule compétitive par rapport à celle d’un véhicule à moteur thermique ; citons les commandes de véhicules de l’État, qui ont été réorientées, avec au moins 25 % de véhicules électriques et hybrides, l’État passant ainsi de moins de 100 véhicules électriques et hybrides en 2012 à plus de 1 270 en 2013 ; citons le soutien à l’innovation au travers du programme des investissements d’avenir, dit « grand emprunt », qui bénéficie à un certain nombre d’entreprises équipementières. Sur certaines briques technologiques, elles sont soutenues par la puissance publique. Je veux remercier ici Louis Gallois, qui a été à l’origine de ces décisions, avec notre expertise et le soutien de la direction de l’industrie.
Non seulement le véhicule électrique constitue une innovation technologique mais c’est un métier nouveau que les constructeurs apprennent. Le moteur électrique est une technologie dont ils font l’acquisition. C’est aussi un changement de société, ce qui explique son attractivité. La nouveauté de ce type de véhicule suscite aussi des demandes chez des clients potentiels qui veulent pouvoir faire le plein à domicile, ou sur leur lieu de travail. La question du rechargement est donc cruciale.
Nous possédons déjà le plus ancien et le plus dense réseau d’Europe, avec plus de 8 000 points de charge opérationnels ou programmés.
Disons un mot des réseaux Autolib, des réseaux d’autopartage développés dans la métropole et quarante-deux communes de l’agglomération parisienne, des réseaux qui sont en cours d’implantation dans les métropoles de Lyon et de Bordeaux. Les réseaux de stations de recharge peuvent accueillir des véhicules électriques n’appartenant pas au réseau d’autopartage. Vous pouvez être propriétaire d’un véhicule électrique et recharger votre véhicule grâce à un abonnement spécifique, ouvert aux tiers. Il n’est donc pas nécessaire d’implanter en double les stations de recharge dans les métropoles déjà équipées grâce à l’inventivité et l’audace des édiles locaux. Ils ont su agir à Paris, Lyon et Bordeaux.
Notre objectif est ambitieux. Il s’agit de doubler, avant la fin de l’année 2014, ce nombre de 8 000 points de charge et de parvenir à une couverture satisfaisante sur l’ensemble du territoire national. Tel est précisément l’objectif de votre proposition de loi, madame la rapporteure. Cela permettra bien sûr à tous nos concitoyens un libre accès à l’électromobilité. Rappelons-le, 85 % des Français parcourent moins de soixante-cinq kilomètres par jour. Il n’est donc pas nécessaire de placer une borne de recharge devant chaque platane de nos routes départementales pour disposer d’un maillage qui réponde aux besoins sur la totalité du territoire, quelle que soit la localisation des propriétaires et usagers de véhicules électriques.
La couverture actuelle doit beaucoup aux efforts conjugués des collectivités locales, qui ont été pionnières, de l’État, qui a financé leurs initiatives avec le grand emprunt, puisque 50 millions d’euros y avaient été dédiés ab initio. Dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt de l’ADEME, l’État a couvert jusqu’à 50 % des coûts d’installation des bornes.
Sur ce montant de 50 millions d’euros, seuls 8 millions d’euros ont été engagés. À ma demande, le Gouvernement a élargi, en 2013, les conditions d’accès à ce soutien de l’État à tous les départements, à toutes les régions, ainsi qu’aux villes et groupements de villes de plus de 200 000 habitants. Les associations d’élus, notamment l’Association des maires de France, ont demandé que l’on abaisse ce plancher pour que d’autres communes, moins peuplées, puissent elles aussi envisager l’installation des bornes de recharge ; ce sera fait, me dit-on, dans les prochaines semaines.
Cette politique d’adaptation aux réalités du terrain se poursuit dans le cadre du plan industriel piloté par le préfet Francis Vuibert que j’ai chargé de coordonner et de rassembler l’ensemble des acteurs – constructeurs, collectivités locales et, maintenant, Parlement – pour que l’alliance des uns et des autres puisse produire les bonnes décisions publiques dans la perspective de la finalisation de ce maillage.
Pour l’instant, le maillage du pays n’est pas homogène : c’est bien là le problème. Il faut donc multiplier les zones équipées par des bornes de recharge normale ou de recharge accélérée : tel est l’objet de plusieurs dispositions de la loi du 24 mars 2014 dite ALUR. Celle-ci permet par exemple de créer des places équipées de bornes de rechargement dans certains endroits – notamment les parkings de supermarchés. Il faut aussi relier entre elles l’ensemble des initiatives locales qui sont dispersées sur le territoire : vous l’avez très bien expliqué, madame la rapporteure. C’est l’objectif territorial de cette proposition de loi que le Gouvernement soutient, et qui permettra l’intervention d’un État coordonnateur avec les collectivités territoriales.
Il s’agit donc, premièrement, de faciliter l’émergence d’un maillage national pour compléter le maillage territorial de proximité ; deuxièmement, de contribuer à la visibilité du réseau de recharge par l’équipement des voies les plus fréquentées par des bornes de recharge rapide ou de recharge accélérée ; troisièmement, d’anticiper l’extension future de l’usage du véhicule électrique pour les trajets interurbains.
Vous savez qu’un GIE – un groupement d’intérêt économique – rassemble l’ensemble des partenaires. Les constructeurs, ERDF, et tous ceux qui sont attachés au développement de ce réseau se sont ainsi unis pour mettre en place un service de géolocalisation des bornes de recharge, afin que les automobilistes puissent savoir à tout moment, en regardant leur tableau de bord, où se trouve la prochaine borne, et si celle-ci est une borne de recharge normale ou de recharge accélérée.
Mme Frédérique Massat, rapporteure. Et si cette borne est libre !
M. Arnaud Montebourg, ministre. La réponse à la question que se posent les automobilistes : « Où est la prochaine borne ? », sera donc bientôt disponible sur leur tableau de bord.
La proposition de loi de Mme Massat présente donc l’avantage d’être opérationnelle et pragmatique. Elle relève d’une logique incitative et novatrice. Elle n’est pas autoritaire, ne cherche pas à tout réglementer, et permettra de répondre en peu de temps aux besoins de ces projets d’infrastructures nationales. Pour se développer dans les territoires, ces projets ont besoin des dispositions prévues dans cette proposition de loi. Ils pourront ainsi s’implanter sur le territoire communal, avec l’accord des collectivités territoriales concernées, sans payer de redevance pour occupation du domaine public.
Un consortium sera formé d’entreprises privées qui décideront d’investir à leurs frais et rentabiliseront leur investissement en faisant payer l’usage des installations. Ce consortium fera connaître ses propositions de maillage national et sollicitera les communes concernées, qui seront libres d’accepter ou de refuser. Pour ma part, je ne vois pas pourquoi elles refuseraient ; certes, en acceptant, elles renoncent à exiger une redevance pour occupation du domaine public, mais en contrepartie, elles profitent d’un équipement qui rend grandement service à leurs administrés.
L’État pourra éventuellement exercer un contrôle sur ces projets : il ne faut pas que les bornes de rechargement soient très nombreuses dans les zones très peuplées, mais qu’il n’y en ait aucune dans les zones moins densément peuplées ; au contraire, il convient de veiller à l’égalité des territoires. Ces projets seront donc replacés sur une carte globale rassemblant à la fois les initiatives privées et publiques, les projets de proximité et le maillage national. Ils seront soumis à l’approbation des ministres chargés de l’industrie et de l’écologie.
En définitive, le texte qui vous est proposé – et qui recueille le soutien du Gouvernement – permettra de simplifier l’implantation des infrastructures nécessaires à la recharge des véhicules électriques, d’exonérer le paiement d’une redevance pour occupation du domaine public, et d’imposer une concertation préalable entre l’entreprise chargée du projet et les collectivités territoriales. Ces dernières conserveront leur pouvoir souverain en matière d’autorisation d’occupation du domaine public. Les gestionnaires des réseaux électriques seront également impliqués dans cette concertation préalable : ce point a été abordé lors de l’examen de ce texte en commission.
Le réseau national de stations de recharge résultera ainsi de la mise en cohérence d’infrastructures d’origines diverses : initiatives des collectivités territoriales, initiatives privées en cours – notamment dans les centres commerciaux, les supermarchés et les concessions automobiles. Il comprendra également des infrastructures réalisées par des entités privées ou publiques accompagnées par l’État, qui ont vocation à offrir une solution de recharge rapide ou accélérée.
Tout cela se fera sans dépenser plus d’argent public que ce qui a déjà été engagé. Notre projet consiste à faire en sorte que l’investisseur privé se rémunère sur l’usage de l’infrastructure, et pas par le biais de procédures lourdes comme les subventions, l’abondement, ni en ponctionnant l’investissement public des collectivités territoriales. Le Gouvernement a donc, en commission des affaires économiques, levé le gage : il compensera les éventuelles pertes de ressources pour les collectivités locales qu’entraînerait l’adoption de la présente proposition de loi.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, madame la rapporteure, je vous remercie pour ce travail constructif mené en commun, qui nous permet d’affermir la destinée de notre industrie automobile. Vous verrez que cette proposition de loi nous donnera un avantage comparatif certain dans le monde, car nous serons l’un des premiers pays à décider d’installer une infrastructure nationale de bornes de recharges destinées aux véhicules électriques. C’est déjà, en soi, une avancée qui mérite d’être saluée. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
[…]
Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
M. Martial Saddier. Vive la ruralité !
M. André Chassaigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par nos collègues socialistes devrait, sur le principe, recueillir un large assentiment. La construction rapide d’un réseau national de bornes de recharge électrique est un levier indispensable au développement de l’usage des véhicules électriques sur le territoire national. Pour reprendre les mots de Mme Frédérique Massat, nous sommes dans « l’exemplarité énergétique et environnementale ». Je rappelle d’ailleurs que de nombreux élus sont mobilisés sur ces questions. Je pense notamment au club des voitures écologiques qui soutient des propositions très précises comme celle sur la signalisation des bornes, ce qui montre à quel point cette problématique est prise en compte dans l’hémicycle, et au-delà par d’autres acteurs de la voiture écologique.
Selon le ministre, le parc de points de charge ouverts au public sur le territoire national a atteint les 8 000 à la fin de 2013, Mme Massat ayant cité le chiffre de 5 500 bornes sur la voirie. En tout cas, le nombre de points de charges est inférieur à 8 000. De l’avis de tous, ce chiffre est bien trop faible, tant au regard de la progression des ventes de véhicules électriques – 14 000 véhicules vendus l’an passé – que des perspectives qui s’offrent aux constructeurs en termes de développement industriel.
L’objet du texte est concrètement d’autoriser l’État, ou – le mot est important – un opérateur dans lequel l’État détiendrait une participation, à implanter des bornes de recharge de véhicules électriques et hybrides rechargeables sans être tenu au paiement d’une redevance. Il faut en outre que cette implantation s’inscrive dans un projet de dimension nationale, dimension qui s’apprécie notamment au regard du nombre de régions concernées.
Le texte précise que les modalités d’implantation des infrastructures font l’objet d’une concertation entre le porteur du projet et les collectivités territoriales concernées. À l’heure actuelle, seules les communes ou les intercommunalités sont compétentes pour implanter des bornes de recharge sur l’espace public. Ceci ne permet pas d’assurer un maillage complet du territoire, comme cela a été dit en commission et répété par les orateurs qui sont intervenus avant moi.
De fait, la répartition sur le territoire n’est pas homogène. Paris et son syndicat Autolib’ disposent du parc le plus abouti et le plus dense d’Europe avec plus de 5 000 bornes de recharge, dont une partie ouverte aux tiers non utilisateurs des voitures en libre-service. Certains départements sont mieux équipés que d’autres. Le Rhône, les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône, le Bas-Rhin, le Nord, la Gironde, l’Indre-et-Loire disposent ainsi de plus de 100 prises de charge publiques.
Jusqu’à une période récente, le Gouvernement n’envisageait pas la création d’un opérateur national d’infrastructures de recharge pour installer un réseau de bornes qui viendrait compléter celui mis en place à l’initiative des collectivités territoriales. Il y a un an, vous insistiez encore, monsieur le ministre, sur le fait que les collectivités locales sont seules à connaître les flux des trajets domicile-travail dans leurs territoires, et qu’il leur revenait par conséquent la charge d’installer et de gérer ces bornes de recharge.
M. Arnaud Montebourg, ministre. C’est vrai, mais c’était il y a un an !
M. André Chassaigne. Cependant, vous concédiez déjà que cela irait plus vite avec un opérateur national, mais jugiez dans le même temps plus pertinent que les collectivités assurent ce maillage territorial.
Malgré les zones d’ombre sur les conditions de mise en œuvre de la présente proposition de loi, nous saluons, pour une fois, le revirement que vous avez opéré en reconnaissant le rôle qui peut et doit être celui de l’État pour garantir l’égal accès de tous à ces équipements.
M. Arnaud Montebourg, ministre. C’est une évolution !
M. André Chassaigne. Cela crédibilise l’effort annoncé lors du plan automobile de 2012 pour faciliter la mise en place des infrastructures publiques accessibles à tous les usagers.
Le texte qui nous est proposé octroie à l’État une compétence pour déployer des bornes de recharge. Mais j’évoquais aussi des zones d’ombre. Quelles sont-elles ?Premièrement, l’État pourra déployer ces infrastructures de recharge soit pour son propre compte, soit par l’intermédiaire d’un opérateur national dans lequel il détient directement ou indirectement une participation. La participation dans l’opérateur national pourra d’ailleurs être détenue par un établissement public comme l’ADEME, voire, plus indirectement, par la Caisse des dépôts.
Le texte exonère, dans ce cadre, l’État ou l’opérateur national de toute redevance. Cette dérogation au droit commun de la domanialité publique vise, selon les promoteurs du projet, à simplifier les procédures pour l’opérateur et se justifierait notamment par le fait que, contrairement au déploiement des réseaux locaux, aucune subvention n’est ici prévue.
Si la proposition de loi associe les collectivités territoriales en prévoyant que leurs organes délibérants seront compétents pour se prononcer sur la délivrance des titres d’occupation du domaine public, rien ne vient toutefois garantir un droit de regard de l’État et des collectivités locales sur les politiques tarifaires qui seront appliquées à l’exploitation de ces bornes.
M. Martial Saddier. M. Chassaigne a raison !
M. André Chassaigne. Nous avons donc des interrogations, monsieur le ministre – je vous vois souffler.
M. Arnaud Montebourg, ministre. Non, rien ne me fait souffler. Je répondrai méticuleusement à vos interrogations !
M. André Chassaigne. Tant mieux, c’est pour cela que je pose des questions.
Comment seront fixés ces tarifs d’exploitation ? Quel contrôle public pourra s’exercer sur l’opérateur ? Quelle garantie aurons-nous d’un égal traitement des usagers sur l’ensemble du territoire – la fameuse péréquation tarifaire ?
Autre zone d’ombre : le maillage proprement dit. Si l’on peut penser que les autoroutes et les zones les plus densément peuplées seront rentables et donc rapidement équipées, quelles garanties et quelles obligations précises pèseront sur l’opérateur pour que ne subsistent pas de zones blanches ? Vous avez tenu à cet égard, monsieur le ministre, des propos qui, pour le moment ne sont pas vraiment rassurants, voire contradictoires avec ceux de notre rapporteure.
D’un côté, Mme Massat a assuré en commission qu’aucune commune ne sera délaissée. Dans sa présentation, elle est clairement revenue sur l’exigence de complémentarité avec les initiatives locales pour les territoires non couverts.
Mme Frédérique Massat, rapporteure. Tout à fait !
M. André Chassaigne. De l’autre, monsieur le ministre, vous avez expliqué très clairement que les opérateurs au capital desquels l’État aura pris une participation, modeste mais réelle, déploieront des infrastructures « dans les lieux où ils pensent pouvoir rentabiliser leur investissement ». Il s’agit donc, non pas d’une logique de service public universel, mais d’une stratégie de déploiement d’un réseau minimal,…
Mme Frédérique Massat, rapporteure. Essentiel, pas minimal !
M. André Chassaigne. …ciblé sur les secteurs rentables.
M. Martial Saddier. C’est l’abandon d’une partie de la France !
M. André Chassaigne. Ce que je viens de dire devrait déclencher des applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Plusieurs députés du groupe UMP. Bravo ! (Sourires.)
M. André Chassaigne. C’est une approche que les députés du Front de gauche désapprouvent. Elle présente les mêmes écueils fondamentaux que celle qui a été retenue en matière de téléphonie mobile ou d’internet à haut débit, secteurs où la fracture territoriale demeure une réalité. Nous voyons là certaines insuffisances mais aussi une aubaine non maîtrisée pour des opérateurs privés.
Cependant, nous ne nous opposerons pas à ce texte. Nous estimons en effet, comme d’autres, que le développement du véhicule électrique est un enjeu environnemental et industriel de premier plan. Nous devons, bien évidemment, soutenir la filière française du véhicule électrique, qui est une illustration parmi d’autres du formidable gisement d’emplois que représente la transition énergétique. Les constructeurs automobiles français captent aujourd’hui 80 % des parts de marché du véhicule électrique pour les particuliers, contre 53 % pour l’ensemble des véhicules particuliers, sans parler des nombreux équipementiers électriques.
L’enjeu écologique n’est pas moins décisif en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La moyenne actuelle des émissions du parc automobile français est encore de 176 grammes de C02 par kilomètre. Elle devrait atteindre 130 grammes en 2020. C’est dire les enjeux !
Le véhicule électrique peut et doit jouer un rôle majeur dans le recul de nos émissions. Il y va d’ailleurs également de la santé de nos concitoyens, le transport routier représentant à lui seul aujourd’hui 30 % des émissions d’hydrocarbures aromatiques polycycliques et 20 % des émissions de particules fines. Ce texte constitue donc l’une des étapes d’un incontournable et indispensable processus de transformation sociale et écologique. C’est pourquoi, nous aurions pu émettre un vote favorable. Toutefois, nous nous abstiendrons, en raison des points que j’ai soulignés. Mais peut-être allez-vous m’apporter des réponses suffisamment claires pour dissiper ces zones d’ombre, monsieur le ministre.
M. Arnaud Montebourg, ministre. Je vais essayer de vous convaincre !
[…]
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
Voir le dossier législatif sur le site de l’AN.