18-10-2006

L’interdiction du tabac dans les lieux publics

Vous avez attiré mon attention, par courrier du 8 juin dernier, sur la mission d’information sur l’interdiction du tabac dans les lieux publics, initiée par le Président de l’Assemblée Nationale, Monsieur Jean-Louis Debré, et présidée par Monsieur Claude EVIN.

Cette mission, créée par la conférence des Présidents le 2 mai 2006, a auditionné, avec six tables rondes qui se sont déroulées du 7 juin au 11 juillet, plusieurs personnalités pour débattre de ce sujet. Les deux députés du Groupe communiste et républicain à l’Assemblée Nationale qui ont participé à cette mission d’information ont rendu leurs conclusions le 19 septembre dernier, et le rapport d’information fait au nom de cette mission a été publié le 4 octobre. J’ai attendu d’avoir tous ces éléments avant de répondre à votre courrier.

Une nouvelle réglementation concernant la lutte contre le tabagisme sera bientôt édictée : le tabac serait interdit par décret dans les lieux publics en France à compter du 1er février 2007 mais les bars-tabac, restaurants ou discothèques bénéficieraient d’un sursis jusqu’au 1er janvier 2008.

Ce projet me paraît opportun dans la mesure où la consommation de tabac pose un problème immense de santé publique, notamment pour les non-fumeurs. Pour son adoption, le gouvernement a d’ores et déjà choisi la voie réglementaire plutôt que la voie législative. Or ce choix risque d’avoir pour effet de limiter ce projet à la seule extension de l’interdiction, laissant de côté les mesures complémentaires mais tout aussi essentielles que sont les volets préventif et curatif. La mission parlementaire a d’ailleurs limité son champ d’étude à la seule interdiction, organisant les six tables rondes sur le sujet. Enfin, la loi Evin incluait la lutte contre l’alcoolisme, lequel fait davantage de victimes (22.000 décès par an) que la consommation de tabac. On peut donc regretter que le problème général des dépendances ne soit pas pris en compte.

Concernant la législation existante, La loi Evin n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme a interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, à savoir les lieux fermés accueillant du public, les lieux de travail, les moyens de transport collectifs et les établissements accueillant des élèves du primaire et du secondaire. En revanche, cette loi prévoyait que des emplacements séparés et ventilés soient réservés pour les fumeurs, assurant ainsi la protection des non-fumeurs.

L’interdiction de fumer dans les lieux publics ne doit pas aboutir à stigmatiser et rejeter les fumeurs lesquels sont presque tous dépendants. C’est pour cette raison que la simple prohibition contrevient au principe du respect de la vie privée. Malgré ses effets néfastes, fumer reste en effet une liberté et doit donc être autorisé dans les lieux privatifs comme le domicile. Pour cette même raison, fumer doit être autorisé dans les substituts de domicile que sont par exemple les prisons, voire les hôpitaux et éventuellement les hôtels, des emplacements devant au moins y être aménagés pour permettre la consommation de tabac.

L’objectif principal du décret à venir doit être de supprimer la gêne et les atteintes à la santé occasionnées aux non-fumeurs du fait de la présence de fumée de cigarettes, phénomène dénommé tabagisme passif. Mais ces mesures auront aussi des conséquences positives sur le tabagisme actif : dans tous les pays où l’interdiction totale de fumer dans les lieux publics a été décidée, la consommation de tabac a diminué.

Il apparaît par conséquent nécessaire d’étendre l’interdiction de fumer aux lieux fermés ou couverts qui accueillent du public, cette interdiction n’incluant donc pas les clubs privés. Une terrasse de café ou un stade sont des lieux suffisamment aérés pour qu’il y soit autorisé de fumer. A l’inverse, l’interdiction de fumer doit par exemple être étendue aux discothèques, haut lieu du tabagisme passif.

Tout lieu de travail peut être considéré comme accueillant du public. Aujourd’hui même le bureau individuel est concerné puisqu’un arrêt en Conseil d’Etat de 1993 dispose qu’il doit figurer dans le champ de l’interdiction. Faut-il alors confirmer par le décret cette jurisprudence mal appliquée en considérant que des tiers peuvent occuper irrégulièrement ces bureaux ou au contraire faut-il y autoriser la consommation de tabac dans la mesure où il s’agit d’un espace quasi-privatif ? En tout état de cause l’interdiction doit être respectée dans les restaurants et salles communes d’entreprise. Idéalement, un emplacement véritablement hermétique devrait pouvoir être aménagé pour la consommation de tabac du personnel. Mais faut-il rendre obligatoire un tel aménagement, celui-ci n’étant pas toujours réalisable et les salariés ayant la possibilité de sortir du bâtiment de travail pour fumer au-dehors ?

-----

Dans les lycées, comme dans les écoles et les collèges, la consommation de tabac devrait être totalement interdite et ne plus faire l’objet comme aujourd’hui de limitations plus ou moins étendues suivant le règlement intérieur des établissements. Pour les mineurs que sont les élèves, l’interdiction de fumer dans certains lieux ne répond pas en effet au souci d’empêcher le tabagisme passif mais relève d’une mesure éducative touchant la jeunesse. Dans cet esprit, la possibilité de créer un espace fumeurs pour les élèves doit être supprimée de la réglementation. A l’inverse, sur les campus universitaires, les étudiants étant des adultes doivent pouvoir fumer dans les lieux publics non couverts et non fermés.

Concernant le tabac dans les transports en commun, les usagers, pour leur plus grande part, respectent l’interdiction de fumer dans les transports ferroviaires, à l’exception notable des TER. A l’inverse, les quais de gare, les abribus et les quais de métro aérien sont le plus souvent des lieux ouverts : ne serait-il pas légitime de déroger à la règle de l’interdiction en ce qui les concerne ?

Dans les cafés et restaurants, globalement, les droits des non-fumeurs ne sont pas respectés, parfois tout simplement faute de places pour aménager deux zones. Et quand deux zones sont effectivement aménagées, une enquête montre que neuf fois sur dix les deux espaces ne sont pas isolés.
C’est pourquoi il serait proposé la disparition pure et simple de la zone fumeurs dans ces établissements, l’aménagement de fumoirs étant impossible dans la plupart des cas.

Cependant, étendre l’interdiction de fumer ne suffit pas. Si elle est bien appliquée dans les moyens de transport, les magasins et les cinémas, la loi Evin est mal appliquée dans les administrations, à l’Education nationale, dans les hôpitaux, dans les cafés, hôtels, restaurants. Certes, les zones d’interdiction doivent être étendues, mais pour que cette extension produise un effet encore faut-il que la réglementation en vigueur fasse l’objet d’une réelle application.

Les premiers concernés par le contrôle sont les personnes ayant des lieux accueillant du public sous leur responsabilité. Les restaurateurs doivent par exemple mieux faire respecter la loi dans leur établissement. Leur responsabilité doit donc être clairement affirmée pour que les salariés et usagers puissent solliciter l’intervention des corps de contrôle et éventuellement évoquer cette responsabilité devant la justice.

Mais encore faut-il que ces mêmes corps de contrôle soient bien définis par le décret pour clarifier leurs responsabilités respectives et que des moyens importants soient déployés pour que ce contrôle soit effectif. La loi relative à la politique de santé publique d’août 2004 a certes donné compétence en matière de respect des interdictions de fumer à l’inspection du travail, aux inspecteurs de la DASS et aux ingénieurs du génie sanitaire. Mais il apparaît essentiel que les agents des corps de contrôle soient rapidement habilités et assermentés, sinon la réglementation demeurera une coque vide. Enfin, l’interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif relève également de l’ordre public. C’est pourquoi il faut réaffirmer que son contrôle doit être également le fait de la police judiciaire mais aussi le cas échéant des polices municipales.

Si la réglementation n’est pas appliquée dans les entreprises ou les administrations, les salariés et les usagers doivent pouvoir évoquer la responsabilité directe de l’employeur, du propriétaire du local ou de l’Etat. Cela passe par la possibilité pour les syndicats et les associations à qui on confie souvent le respect de la loi d’exercer les droits reconnus à la partie civile. Un nouveau recours pourrait également prendre la forme d’une « action de groupe » permettant à un certain nombre de victimes d’intenter une action en justice au nom de toutes les victimes subissant le même préjudice. Enfin, les indemnités versées en dédommagement ne doivent plus être d’un montant symbolique comme aujourd’hui.

La tentation est grande pour le Gouvernement de se contenter de la solution peu onéreuse de l’interdiction plutôt que de s’engager financièrement dans un vaste plan de prévention. En effet, l’interdiction de fumer dans les lieux publics ne résout pas l’intégralité du problème. Les enfants sont ainsi atteints dans leur santé par la consommation de tabac de leurs parents au domicile familial. Bien des parents cherchent à cet égard à arrêter de fumer moins pour leur propre bénéfice que pour celui de leurs enfants. C’est pourquoi une vaste campagne médiatique de prévention devrait insister sur les conséquences du tabagisme passif sur les non-fumeurs à la fois dans les lieux publics et privés. En tant que fournisseurs de tabac, les cafetiers-buralistes devraient être associés à ces campagnes. Enfin, les partenaires sociaux devraient également être sensibilisés à cette question.

Fumer coûte cher mais arrêter de fumer coûte tout autant. Or, la dépendance vis-à-vis du tabac est particulièrement forte dans les couches les plus défavorisées de la société, chômage et précarité augmentant le stress. C’est pourquoi, il conviendrait de permettre le remboursement par la sécurité sociale, sur prescription, des substituts à la nicotine, ce qui permettrait suivant une étude anglaise de doubler l’usage de ces substituts.

Cela entraînerait dans un premier temps une forte dépense pour l’assurance-maladie. Mais le coût pour la collectivité de la prise en charge des maladies liées à la consommation de tabac est tout aussi élevé. Il pourrait également être prévu que les entreprises contribuent, dans une proportion à définir, au remboursement de ces mêmes substituts nicotiniques, les entreprises étant également responsables de la bonne santé de leurs salariés dont le stress est souvent directement issu des conditions de travail. Ensuite, les jeunes devraient pouvoir se fournir directement et gratuitement en substituts nicotiniques auprès des infirmeries de leur établissement qui en assureraient le suivi. Enfin, il devrait être adopté un véritable plan national de développement des services de tabacologie en milieu hospitalier ou en médecine de ville.

Telles sont les précisions que je tenais à vous apporter.

Pour en savoir plus : André Chassaigne

Imprimer