06-03-2012

La frénésie législative de ce Gouvernement aura duré jusqu’au bout...

Motion de rejet préalable du groupe SRC

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Explication de vote du groupe GDR


Explication de vote - Motion de rejet préalable… par andrechassaigne

M. le président. Au titre des explications de vote, la parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Je ne surprendrai personne en annonçant que nous voterons cette motion.

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État. Si, je suis surpris !

M. André Chassaigne. M. Clément a bien montré à quel point vous étiez, en quelque sorte, obsédés par la compétitivité.

M. Étienne Blanc, rapporteur. Il vaut mieux !

M. André Chassaigne. Vous considérez que toutes les questions qui se posent à notre pays en termes de développement industriel trouvent leurs solutions dans le coût du travail et dans la compétitivité. C’est la raison pour laquelle il y a chez vous une sorte de perversité – pour reprendre un mot employé par M. le rapporteur. Pour parvenir à vos fins, vous braquez le projecteur sur cette unique question. Et comme vous êtes d’excellents comédiens,… (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est un expert qui parle !

M. André Chassaigne. …vous occultez, vous masquez, vous passez sous silence d’autres causes du déclin industriel de notre pays.

Je veux en citer trois.

Il s’agit d’abord de l’étranglement des petites et moyennes entreprises par des donneurs d’ordres, qui sont pour la plupart membres du CAC 40. Vous discutez avec des chefs d’entreprises dans vos circonscriptions et ils vous disent qu’ils sont soumis à des contraintes inacceptables…

M. Jean-Marc Roubaud. Les trente-cinq heures !

M. André Chassaigne. Ils sont souvent à la limite du dépôt de bilan. Attaquez-vous au comportement des donneurs d’ordre ! Si vous le faisiez, vous apporteriez déjà une première réponse aux problèmes de nos PME.

Les industriels des PME nous parlent ensuite de l’insuffisance des leviers financiers publics pour financer la recherche et le développement, pour faire de l’innovation ou pour moderniser l’outil de travail. Ce qui est en cause, ce n’est pas la compétitivité et le coût du travail, ce sont les investissements nécessaires au développement économique !

Nos collègues de la majorité me font penser à ces chiens qui aboient avant même d’avoir reçu un coup sur la tête. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. Monsieur Chassaigne, veuillez ne pas interpeller vos collègues !

M. André Chassaigne. Ils sont particulièrement énervés. Je ne sais pas pourquoi ils sont pris en ce moment d’une espèce de fièvre.

M. le président. Merci de bien vouloir conclure.

M. André Chassaigne. Enfin, il ne faut pas oublier une troisième cause importante : vous ne faites pas confiance aux salariés des entreprises. Donnons plus de droits aux salariés et aux comités d’entreprises pour qu’ils puissent développer des solutions alternatives et montrer à quel point l’intelligence ouvrière peut permettre des améliorations !

M. Richard Mallié. Parlons-en !

M. André Chassaigne. La compétitivité globale de l’entreprise compte aussi, mais les droits nouveaux et le pouvoir des salariés, cela vous fait peur ! (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.) La preuve en est que la première chose que vous avez faite en 2002, en arrivant au pouvoir, a été de détruire la loi de modernisation sociale votée en 2001 car vous ne pouviez pas l’accepter. (Mêmes mouvements.)

Au-delà de cette analyse qui vous a sans aucun doute convaincus – car vous avez tous un ancrage dans nos territoires –,…

M. Yves Nicolin. Ce n’est pas une analyse !

M. le président. Mon cher collègue, votre explication de vote est terminée.

M. André Chassaigne. …il y a aussi dans tout cela quelque chose qui relève de la falsification. Vous dites aux organisations syndicales que vous voulez négocier, vous engagez avec elles une négociation et, finalement, vous faites passer en catimini, avec cet article 40, une atteinte au code du travail.

(…)

Discussion générale


La frénésie législative du Gouvernement aura… par andrechassaigne

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), qui veillera à ne pas provoquer ses collègues, afin que nous puissions l’écouter avec la plus grande attention.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mon intervention sera…

M. Pascal Brindeau. Mesurée !

M. André Chassaigne. …mesurée, oui. Mes chers collègues, vous me semblez particulièrement énervés. L’impression de déliquescence et de brutalité qui se dégage de vos interventions me fait penser à l’un des proverbes bantous inventés par Alexandre Vialatte : « Il ne faut pas piler le mil avec une banane trop mûre. » (Sourires.) Réfléchissez-y.

Une nouvelle fois, les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche voteront contre la proposition de loi dite de simplification du droit. En effet, nous avons déjà eu le loisir de passer en revue les dizaines d’articles dangereux et néfastes que comporte ce véhicule législatif, qui ne simplifie rien et procède à des réformes de fond.

Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, vos explications ne m’ont pas convaincu. Elles sont tellement démesurées au regard du caractère fourre-tout de ce texte et s’appuient sur une dialectique si usée pour en glorifier le contenu qu’elles me rappellent cette phrase de Victor Hugo dans Les Misérables : « Ils confondent avec les constellations de l’abîme les étoiles que font dans la vase molle du bourbier les pattes des canards. » (Rires sur les bancs des groupes GDR et SRC. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Il y a quelques semaines, lors de l’examen du texte en nouvelle lecture par la commission des lois, nos collègues UMP avaient déposé de nouveaux amendements sur des sujets aussi variés que les chambres d’agriculture, les réseaux consulaires ou les palaces cinq étoiles. Il est vrai que la proposition de loi ne comptait que cent cinquante articles hétéroclites et techniques et que, pour veiller à l’intelligibilité de la loi, il était urgent de l’alourdir encore ! Fort heureusement, la plupart de ces amendements ont été repoussés, pour prévenir une censure du Conseil constitutionnel, qui veille au respect de la règle selon laquelle de nouvelles dispositions ne peuvent être ajoutées au stade de la nouvelle lecture. Ce strict contrôle constitutionnel sonne le glas de la frénésie législative de nos collègues, qui semblent trouver chaque jour dans leurs cartons – en cours de préparation – de nouveaux articles à insérer.

Je veux rappeler ici que, selon le rapport du Sénat, seulement 20 % des dispositions du texte correspondent effectivement à une simplification législative. Cela signifie que 120 des articles que nous examinons consistent dans des réformes de fond sur des sujets sensibles. Le rapport épingle ainsi les articles 14 à 20, qui procèdent à une vaste dépénalisation du droit des affaires. À ce sujet, permettez-moi de glisser une remarque : il est étonnant de constater la mansuétude avec laquelle la majorité organise l’impunité des délinquants en col blanc quand on sait la violence répressive qui s’abat sur les petits délinquants d’en bas. C’est vraiment : deux poids deux mesures ! (Protestations sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Yves Nicolin. C’est faux !

M. André Chassaigne. L’article 77, qui réforme le statut des agences de presse, est également mentionné comme n’ayant rien à voir avec une simplification juridique.

Par ailleurs, les députés du Front de gauche ont déjà ferraillé, il y a un mois, contre l’article 48, qui complique la tâche des inspecteurs du travail, et contre l’article 72 bis, qui autorise la circulation des poids lourds de 44 tonnes à cinq essieux au mépris de tous nos engagements environnementaux. Quant à l’article 92 bis A, il crée un statut exorbitant du droit du travail pour les personnels d’encadrement des colonies de vacances.

J’étais également revenu sur les articles 10, 55, 56, 56 bis et 72 : autant d’entailles faites au Grenelle de l’environnement. Cette proposition de loi regorge en effet d’éléments qui détricotent les engagements pris en 2009. Ainsi, vous détruisez dans l’ombre la loi que vous aviez votée à grands renforts de célébrations médiatiques.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. C’est un peu vrai…

M. André Chassaigne. Nous pourrions citer de nombreux autres exemples de cette manipulation sémantique qui veut faire passer pour du toilettage rédactionnel ce qui constitue en réalité des réformes menées à la hache et en catimini. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. François de Rugy. Très bien !

M. André Chassaigne. Je pourrais ainsi mentionner l’article 72 ter, critiqué par la commission des affaires culturelles du Sénat, puisqu’il vise à autoriser les compagnies aériennes à remettre à leurs salariés des documents de travail liés à la maintenance, à la certification et à l’utilisation d’un avion en langue anglaise. C’est un cas typique de fausse simplification, puisque cette mesure, en augmentant les risques de mauvaise compréhension des normes, conduira à diminuer la sécurité.

M. Richard Mallié. Nous ne sommes plus au xixe siècle, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. Il a pourtant été rappelé qu’en 2010 la compagnie Air France a été condamnée par la cour d’appel de Paris à traduire en français sa documentation destinée aux pilotes de ligne, sur le fondement du code du travail, qui prévoit que soient rédigés en français les documents nécessaires au salarié pour l’exécution de son travail.

Outre ces différentes dispositions, je voudrais insister aujourd’hui sur une question qui me tient à cœur, celle de la modulation du temps de travail. Je veux bien entendu parler de l’article 40 du présent texte, contre lequel je m’étais battu nuitamment, en janvier, alors que notre hémicycle était beaucoup moins garni qu’il ne l’est aujourd’hui. M. Warsmann et le ministre ont, semble-t-il, promis aux syndicats de le supprimer. Hélas ! nous avons bien compris, tout à l’heure, que tel n’était pas leur objectif.

Cet article vise à permettre aux patrons de se passer de l’accord des salariés pour augmenter leur temps de travail, sans variation du salaire prévu. J’avais pourtant rappelé la jurisprudence de la Cour de cassation en vertu de laquelle « l’accord collectif s’applique au contrat de travail, sauf disposition plus favorable du contrat de travail » et donc qu’un « accord collectif ne peut pas modifier un contrat de travail, sauf accord du salarié ». Au lendemain de nos débats, la CGT avait dénoncé un « coup de force » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…

M. Richard Mallié. Les coups de force, c’est la CGT qui les fait !

M. André Chassaigne. …puisque des accords compétitivité-emploi étaient en cours de négociation entre les partenaires sociaux. Contrairement à ce que vous dites, les confédérations syndicales sont évidemment hostiles au principe même de ces accords, qui privent le salarié de la possibilité de donner son autorisation individuelle à une modification de son contrat de travail concernant son temps de travail, dès lors qu’elle relève d’un accord collectif.

Nous sommes opposés à ces accords compétitivité-emploi qui détruisent les droits des salariés au moment même où ceux-ci sont les plus exposés à la violence économique suscitée par la crise du capitalisme. Ces accords ont pour but de permettre au patronat de s’exonérer du code du travail et des conventions collectives, avec, à la clé, une augmentation du temps de travail et une baisse des salaires. Ainsi, l’article 40 est clairement le cheval de Troie législatif de cette forme de chantage à l’emploi voulue par Nicolas Sarkozy.

Alors même que les négociations sont en cours, c’est faire preuve d’un manque de respect total pour le dialogue social que de faire passer la disposition via un article d’une proposition de loi de simplification du droit. Cela montre une fois de plus le caractère inopportun de ces textes. Aujourd’hui, nous voudrions nous assurer que cet article est bel et bien supprimé, mais vous nous avez annoncé que vous alliez le maintenir, qui plus est en justifiant ce maintien par un argument fallacieux sur l’accord des organisations syndicales.

Laissez-moi vous rappeler les propos d’une conscience de notre temps : avec les accords compétitivité-emploi, il s’agit de « brandir la menace de la délocalisation pour obtenir un recul social ». L’auteur ajoute : « Lorsque l’équilibre du marché du travail ne garantit plus l’équilibre des forces dans la négociation, la loi du contrat devient fatalement la loi du plus fort. » Et de conclure : « On ne résoudra rien par la coercition ! » S’agit-il d’un éditorial de L’Humanité ? Non, c’est M. Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, qui s’exprimait ainsi dans le journal Les Échos, en 2004 !

M. Pascal Brindeau. Excellente lecture !

M. André Chassaigne. Le Front de gauche voit dans cette dérive une funeste institutionnalisation du dumping social. La « compétitivité » est devenue le prétexte utilisé par la droite libérale pour faire avaler au peuple les potions les plus amères. Après la TVA sociale, cet article introduirait dans notre droit l’augmentation imposée du temps de travail sans contrepartie salariale. Pourtant, cette surenchère antisociale est illusoire. Les produits fabriqués dans des pays sans protection sociale seront toujours moins « coûteux » que ceux de notre industrie. L’opération qui est menée est donc mensongère. Votre objectif véritable est bien de faire des cadeaux supplémentaires au patronat.

Le quinquennat qui s’achève aura décidément été celui de la maltraitance des salariés. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Yves Nicolin. Mensonge !

M. André Chassaigne. Cette proposition de loi est inacceptable, sur le fond comme sur la forme.

Mes chers collègues, en guise de conclusion, je vous livre la sentence prononcée par notre brillant collègue sénateur Patrice Gélard, vice-président UMP de la commission des lois de la Haute Assemblée, au sujet de cette proposition de loi : « Il faut en finir avec les textes de ce genre : la simplification du droit est nécessaire, mais doit passer par des lois plus ciblées, centrées sur un domaine ou un code. Les propositions de loi Warsmann ont pris des dimensions invraisemblables et multiplient les cavaliers, au mépris de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. » Nous souscrivons à ces propos ; les députés du Front de gauche voteront contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Pour en savoir plus : Voir l’examen en première lecture

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