L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2007.
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M. André Chassaigne - Mon collègue Jean-Claude Sandrier a dit l’obstination du Gouvernement et de sa majorité à bafouer avec un effroyable cynisme les principes républicains de liberté, d’égalité et de fraternité pour promouvoir le règne sans partage des lois du marché et leur cortège d’injustice…
M. Jean-Claude Sandrier - Très bien !
M. André Chassaigne - J’évoquerai pour ma part la situation de nos collectivités locales, que votre politique asphyxie de manière délibérée. Car votre stratégie est bien de faire le siège de ces derniers remparts d’un État-providence qui vous scandalise tant ! En étranglant les finances locales, vous voulez étrangler les services publics locaux et garantir ainsi la pénétration croissante de la logique de marché dans les moindres interstices de notre territoire et de notre tissu économique. C’est que les collectivités locales sont un des socles de la République mais souvent aussi des creusets de résistance au libéralisme qui, par nature, broie les hommes au profit de l’argent. Par leur proximité, leur vitalité culturelle et sociale, leur rôle en faveur de l’emploi et de l’investissement public - elles sont à l’origine de 70 % des réalisations -, nos collectivités locales sont un moteur indispensable à notre pays. Porter atteinte, comme vous le faites, au principe constitutionnel de leur libre administration par une politique autoritaire de blocage des concours financiers de l’État et d’assèchement des ressources fiscales est proprement inadmissible. Ce l’est d’autant plus que vous vous déchargez cyniquement sur elles de votre responsabilité, en les accusant injustement d’être responsables des déficits publics.
Certes, nous avons la satisfaction de voir qu’après quelques incertitudes, vous avez dû, Monsieur le ministre, sous la pression des élus locaux et de leurs associations, reconduire le contrat de croissance et de solidarité entre l’État et les collectivités locales.
M. le Ministre délégué - Quelle mauvaise foi !
M. André Chassaigne - Il n’en demeure pas moins que pour les communes, notamment, l’indice dit « panier du maire » est bien supérieur à l’inflation. Or, celles qui ne touchent que la dotation forfaitaire verront celle-ci augmenter de 1 % seulement, ce qui est notoirement insuffisant. Ainsi, les seules dépenses de restauration scolaire ont progressé de 7 à 8 % depuis le début de l’année - et encore ne sont-ce là que les éléments de base de la restauration. Alors que la fréquentation des restaurants scolaires ne cesse de croître, on mesure à quelles difficultés sont confrontées les communes.
Vous affirmez par ailleurs comme un motif particulier de satisfaction que les compensations des transferts de compétences aux collectivités locales se font à l’euro près…
M. le Ministre délégué - Oui.
M. André Chassaigne - Mais que signifie pareille référence quand ces transferts touchent des secteurs où les besoins ne cessent de croître de façon alarmante ? Les associations, à l’occasion de la Journée mondiale de refus de la misère, se sont une nouvelle fois alarmées de la situation des plus démunis, qu’il s’agisse de santé, de logement ou d’emploi. Alors que le nombre d’allocataires des minima sociaux a augmenté de 100 000 en 2005 pour atteindre 3,5 millions ; alors que quelque trois millions de personnes sont sans logement ou mal logées en France ; alors qu’un million d’enfants vivent dans la grande pauvreté, vous osez nous donner des leçons de bonne gestion,…
M. le Ministre délégué - Du tout ! Je n’ai rien dit !
M. André Chassaigne - …vous abritant derrière une politique de bon père de famille…
M. le Ministre délégué - Je n’ai pas prononcé ces mots !
M. André Chassaigne - …pour justifier la baisse de la dépense publique et le désengagement de l’État ! C’est se moquer de ceux qui sont en difficulté, et notamment des petites communes, dont beaucoup ne disposent plus du minimum vital.
La vérité, c’est que vous vous défaussez de vos responsabilités sur les élus locaux, les laissant veiller seuls à la préservation des services publics et à la cohésion sociale, les laissant seuls face à l’urgence sociale, à la précarité accrue d’un nombre sans cesse croissant de nos concitoyens. Voilà quelles sont les conséquences de votre politique ! Mais, non content de dissimuler votre indigence politique derrière les oripeaux de la bonne gestion,…
M. le Ministre délégué - Voilà un discours tout en nuances…
M. André Chassaigne - …vous entendez en outre priver les collectivités de leurs ressources fiscales. Le plafonnement de la taxe professionnelle est une mesure scandaleuse, qui ne peut conduire qu’à une hausse des taxes payées par les ménages et à la fermeture ou à la privatisation de services publics locaux - et pour quelle efficacité économique ? Vous savez pertinemment que ce plafonnement génère des effets d’aubaine et que, dès la promulgation de la loi, des bureaux spécialisés ont conseillé aux grands groupes de restructurer leurs bases de taxe professionnelle afin de profiter au maximum de ce plafonnement.
Nous vous avons demandé de bien vouloir au moins différer d’un an l’application de cette mesure, mais nous n’avons pas été entendus. Vous savez pourtant qu’une majorité d’élus locaux estime que cette mesure injuste et injustifiable conduit nos collectivités dans une impasse, et plus fortement encore les communautés de communes et d’agglomération qui ont adopté la taxe professionnelle unique. Mais je comprends que vous teniez à la maintenir, puisqu’elle est emblématique de votre politique, qui ne vise qu’à drainer les richesses du pays vers les marchés financiers au mépris de l’intérêt général.
M. Jean-Claude Sandrier - Absolument.
M. André Chassaigne - Étrangler les collectivités pour mettre au pas la démocratie locale, tuer dans l’œuf toute velléité de politique publique volontariste, tel est le sens - en forme de non-sens - de votre politique. Il faut habiter Neuilly-sur-Seine…
M. le Ministre délégué - Pour ma part, je suis maire de Meaux !
M. André Chassaigne - …pour trouver opportun de stabiliser en volume les dépenses locales ! Et il faut vivre dans une tour d’ivoire pour ne pas mesurer l’aggravation de la misère et de la faillite territoriale.
De quel droit imposer aux collectivités des contraintes manifestement contraires au principe constitutionnel de libre administration ? De quel droit porter des jugements scandaleux sur la gestion des collectivités où les besoins sociaux sont les plus criants, comme l’a fait récemment mon compatriote, le ministre des collectivités, en déclarant que « personne ne comprendrait qu’une collectivité augmente les impôts locaux au titre des compétences nouvelles confiées par la loi et, en même temps, considère être assez riche pour mettre en place une politique de subventionnement généreuse dans des secteurs où elle n’a aucune obligation » ? M. Hortefeux est pourtant membre du conseil général d’Auvergne, où la marge de manœuvre budgétaire n’est que de 23 %. Quant aux départements, 90 % de l’augmentation de leurs dépenses de fonctionnement découlent des transferts de compétences.
Ces propos d’un cynisme confondant m’inspirent, Monsieur le ministre, la question suivante : comment osez-vous prétendre que l’action que vous menez est encore politique au sens noble du terme, alors qu’elle ne vise qu’à conforter la monarchie absolue du marché, dont vous êtes l’un des plus zélés serviteurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)
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