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L’ordre du jour appelle la discussion du texte de la CMP sur les dispositions restant en discussion du projet de loi sur l’eau et les milieux aquatiques.
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M. André Chassaigne - Je salue d’abord le fait que les discussions concernant les réseaux d’eau ont permis de tenir compte des conditions spécifiques liées à l’habitat isolé. Comme je le proposais par amendement, pour les petits réseaux d’eau potable des zones rurales ou montagneuses, alimentés par captage, et ne pouvant être raccordés au réseau communal à des conditions techniques ou économiques acceptables, les obligations d’analyses et de contrôle effectués par les services de l’État, actuellement trop lourdes financièrement, vont être assouplies. La CMP a en effet accepté que l’article L. 1321-4 du code de la santé publique ne s’applique plus aux eaux destinées à la consommation humaine provenant d’une source individuelle fournissant moins de 10 mètres cubes par jour en moyenne ou approvisionnant moins de 50 personnes.
Finalement, cette exception n’est pas en opposition avec la directive européenne du 6 novembre 1998. Comme quoi, l’argument massue de « l’euro-incompatibilité », asséné en première lecture contre mon amendement, le fut un peu vite, comme souvent d’ailleurs !
Nous nous félicitons également de ce que la redevance élevage soit à un niveau qui sauvegarde la spécificité de l’élevage extensif en montagne, après une large concertation entre les parlementaires mobilisés sur ce sujet et les organisations agricoles.
Mais nous pouvons avoir un regret partagé : en ce qui concerne la pollution agricole, le texte ne tient pas compte des bonnes pratiques et des efforts accomplis par les éleveurs, puisqu’il est, comme l’a dit le rapporteur, fondé seulement sur la confiance. Pour aller plus loin, il aurait fallu inscrire dans la loi que les redevances et taxes collectées au titre de la lutte cotre la pollution agricole seraient mobilisées pour développer un autre type d’agriculture plus respectueuse de l’environnement et non vouée à la productivité à outrance.
Par ailleurs, le texte comporte des avancées. Ainsi, il conforte les services publics d’assainissement non collectif. Mais sur les sujets essentiels du droit à l’eau et de la maîtrise publique, aucun progrès notable n’a été accompli.
L’eau est, avec l’énergie et le téléphone, l’un des trois biens essentiels auxquels chacun devrait avoir accès, comme l’a affirmé la loi de 1998 relative à la lutte contre l’exclusion. Le droit à l’eau est aussi consacré depuis 2002 comme un droit fondamental par le pacte international pour les droits économiques, sociaux et culturels. En signant ce texte, la France s’est engagée à ce que l’eau soit accessible à tous, dans des conditions abordables et avec un souci d’équité. Certes, il sera inscrit dans le droit français, et vous pouvez en être fière. De plus en plus de foyers ont des difficultés à régler leur facture d’eau : avec l’augmentation constante des prix, la facture approche pour une famille moyenne 500 euros par an, alors que sept millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Or, à la différence de l’énergie, l’eau est encore considérée comme une marchandise comme les autres, et le texte est donc insuffisant pour rendre concret le droit à l’eau.
Le recours au Fonds de solidarité logement n’est pas à cet égard une réponse suffisante. C’est pourquoi nous proposions qu’un volume minimum d’eau soit garanti chaque jour pour chaque habitant. Malheureusement, cette proposition n’a pas été retenue.
L’application effective du droit à l’eau passe également par la réduction des inégalités face au prix et au traitement de l’eau. Pour y parvenir, il faut une maîtrise publique de la distribution de ce bien. Or, la maîtrise publique de l’eau régresse depuis plus de vingt ans, et les deux multinationales que sont Veolia et Suez-Lyonnaise des Eaux totalisent à elles seules près de 80 % des contrats de délégation de service public.
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M. Maurice Giro - Ne passez donc pas de contrats avec elles !
M. André Chassaigne - Cette quasi-privatisation de la gestion de l’eau se solde par des tarifs très élevés, que les opérateurs justifient par différents tours de passe-passe comptables. Exemple : le matériel n’est le plus souvent changé qu’au bout de vingt-cinq ans, alors qu’il est amorti sur dix ans. Ou encore : les opérateurs imputent aux collectivités des dépenses de personnel qui ne correspondent pas toujours à la réalité des frais engagés. De fortes surfacturations sont ainsi opérées sur le dos du contribuable. Il y a aussi les fameuses « provisions pour travaux », qui contribuent pour moitié au prix de l’eau. À peine un tiers des travaux provisionnés étant effectivement exécutés, on imagine aisément les sommes considérables qui sont indûment retenues.
M. Philippe Rouault - Il appartient aux élus de contrôler !
M. André Chassaigne - Il faut se rendre à l’évidence : les multinationales de l’eau prospèrent grâce à des pratiques condamnables - car les marges bénéficiaires sont bel et bien au rendez-vous, malgré les déclarations des unes et des autres !
Pourquoi les collectivités acceptent-elles de payer plus cher une prestation déléguée qui n’apporte rien de plus, voire une qualité moindre que celle obtenue en régie ?
M. Maurice Giro - Parce que ce n’est pas leur métier que de distribuer l’eau.
M. André Chassaigne - La raison n’est pas idéologique, puisque les collectivités qui optent pour la délégation sont de toutes sensibilités. Si elles renoncent à la régie, c’est plutôt à cause de la complexité et de la technicité des tâches, ainsi qu’à cause de l’absence de soutien financier à la prise en charge directe de la gestion de l’eau. C’est pourquoi nous proposions de confier à une structure nationale le soutien à la gestion publique de l’eau par les collectivités. Nous n’avons malheureusement pas été entendus.
Nos propositions n’étaient pourtant pas maximalistes. Nous ne proposions pas de nationaliser purement et simplement la gestion de l’eau, solution qui n’aurait au demeurant rien pour me déplaire. Fidèles à cette tradition issue de la Révolution française qui veut que la compétence de distribution de l’eau soit réservée au maire, nous proposions simplement - sans remettre en cause le rôle des comités de bassin, des agences de l’eau ou des SAGE - que l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’ONEMA, soit chargé de cette mission de soutien technique et scientifique. Il aurait pu aussi être chargé d’assurer une compensation entre les collectivités pour permettre le développement harmonieux des réseaux et aller vers une péréquation des tarifs.
Mais nos propositions en matière de droit à l’eau et de maîtrise publique n’ont pas été retenues. Dans ces conditions, les députés communistes et républicains se voient contraints, Madame la ministre, de voter contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)
M. le Président - Sur l’ensemble du projet de loi, je suis saisi par le groupe UDF d’une demande de scrutin public.
M. Claude Gaillard - Je salue tout d’abord la sagesse - sénatoriale, sans doute - et la patience dont a fait preuve Mme la ministre. Ces qualités nous ont permis de discuter de ce texte dans de bonnes conditions. Je salue aussi l’implication du rapporteur, sa compétence et son écoute. Je l’en remercie au nom de mon groupe et, j’en suis sûr, au nom de tous. (« Très bien ! » sur divers bancs ) Je rends également hommage à la qualité des contributions de tous les collègues qui sont intervenus sur ce projet, car ils nous ont permis d’aller au fond des choses. Ayant moi-même travaillé depuis des années sur ces sujets, je vous sais gré, Madame la ministre, d’être celle qui aura enfin permis à la loi sur l’eau d’aboutir.
Ce texte renforce le rôle pivot des agences de l’eau, ce qui met fin à une forme de centralisation rampante qui était de nature à remettre en cause les agences de l’eau et les comités de bassin. Nous arrivons désormais à un bon équilibre et à une simplification du paysage.
À partir de maintenant, il sera possible de travailler intelligemment ensemble : comité, agences, conseils généraux, petites communes… La solidarité est territoriale, mais aussi sociale, avec l’affirmation du droit à l’eau. Nous marquons aussi notre solidarité avec les agriculteurs, via un fonds de garantie qui leur permettra d’utiliser dans de bonnes conditions ces sous-produits de la vie urbaine que sont les boues et ainsi de rendre service à l’ensemble de la collectivité, étant entendu que 80 % des Français vivent en ville.
Je voudrais dire un mot des délégations de service public. Il est trop facile de critiquer à la tribune les grands groupes et de faire comme s’il y avait d’un côté ceux qui les soutiennent, de l’autre ceux qui les combattent. Que je sache, il y a des collectivités locales de gauche comme de droite qui font le choix de la délégation de service public.
M. André Chassaigne - Je l’ai dit.
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M. Claude Gaillard - C’est aux élus locaux de décider s’ils préfèrent la régie ou la délégation, c’est également à eux, s’ils choisissent la délégation, d’exercer un contrôle. Personnellement, j’ai plaidé dans ma collectivité pour la régie, mais il n’y a pas à critiquer les élus qui choisissent un mode de gestion plutôt qu’un autre. Les choses ne sont pas toutes blanches ou toutes noires…
Un député UMP - Ni toutes rouges !
M. André Chassaigne - Je n’ai jamais dit le contraire.
M. Claude Gaillard - Il faudra continuer à avancer. Je me bats par exemple depuis dix ans pour faire des agences de l’eau des centres de ressources et des lieux de compétences, qui puissent notamment aider les collectivités territoriales à négocier au mieux avec les grands groupes. Il faudra y réfléchir.
Quoi qu’il en soit, le groupe UMP se réjouit des conditions paisibles et sereines dans lesquelles nous avons examiné ce texte, qu’il votera également avec joie. Tout n’y est pas parfait, mais il représente néanmoins une avancée dont nous pouvons être fiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)
M. le Président - Nous en arrivons au texte de la commission mixte paritaire. Conformément à l’article 113 alinéa 3 du Règlement, je vais appeler l’Assemblée à statuer d’abord sur l’amendement dont je suis saisi.
Mme la Ministre - L’amendement 1 du Gouvernement est un amendement de coordination, qui supprime un dispositif identique introduit à l’article 73 de la loi de finances pour 2007.
M. le Rapporteur - Favorable.
M. Marc Le Fur - Cet amendement nous donne l’occasion de lever une dernière ambiguïté sur la question du financement de l’assainissement individuel. L’Assemblée avait envisagé la solution du crédit d’impôt, qui n’a pas été retenue par la commission mixte paritaire. La solution que vous proposez est, elle, de nature budgétaire : l’assainissement individuel serait financé dans le cadre du fameux milliard alloué aux agences de bassin et réservé aux communes rurales - qui constitue en quelque sorte la suite du FNDAE, mais pour des montants plus importants. Nous n’avons rien contre cette solution, mais à la double condition que ce milliard ne soit pas obéré par le premier gel budgétaire, en janvier ou février, et qu’une fraction significative en soit affectée à l’assainissement individuel, sachant que les fonds sont adressés aux communes rurales et peuvent donc également servir à des travaux d’adduction d’eau ou d’assainissement collectif. Il me semble que le système du crédit d’impôt était plus simple, puisque les crédits étaient directement affectés aux particuliers - je rappelle que la mise aux normes représente une dépense d’environ six à huit mille euros pour une maison individuelle.
Mme la Ministre - Je vous confirme que les agences de l’eau aideront l’assainissement non collectif, notamment dans le cadre du milliard prévu à l’article 36. J’y veillerai en rédigeant les textes d’application et les instructions données aux agences de l’eau (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
L’amendement 1, mis aux voix, est adopté.
À la majorité de 50 voix contre 8, sur 58 votants et 58 suffrages exprimés, l’ensemble du projet de loi, modifié, est adopté.