15-06-2004

Modalités d’application de la réforme de la Politique Agricole Commune

[…]

M. André Chassaigne - Ce débat s’ouvre presque un an exactement après l’accord, ou plutôt après votre démission de Luxembourg, Monsieur le ministre ! Voilà un anniversaire que nous aurions préféré ne pas fêter…

Réformée trois fois depuis 1992, la politique agricole commune a entretenu pendant cette douzaine d’années une crise quasi permanente de presque toutes les productions. Des millions de paysans ont ainsi disparu et la difficulté ne peut que s’exacerber.

Un débat assez curieux s’est ouvert aux Etats-Unis, voici quelques années : jugeant inhumaine la pratique de la pendaison, certains juristes ont voulu lui préférer l’injection létale - la mort douce plutôt que la mort violente. Jamais ces philanthropes n’ont posé la question de fond, celle de l’inhumanité de la peine de mort elle-même ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Vous jugez le rapprochement contestable ? Mais n’avez-vous pas scellé à Luxembourg la mort de notre agriculture et, aujourd’hui, ne voulez-vous pas nous faire débattre des modalités de cette mise à mort, en cherchant probablement à nous convaincre des bienfaits de la méthode douce ? Votre politique agricole, c’est la politique de la morphine ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Jamais, au cours de l’année passée, vous n’avez saisi le Parlement des propositions de réforme de la Commission ! Le gouvernement a, seul et de façon discrétionnaire, engagé notre pays sur la voie suicidaire du découplage et de la baisse des prix agricoles. Dès lors, nos gesticulations de ce jour apparaîtront bien futiles à tous les agriculteurs de notre pays.

Leurs organisations représentatives ne s’y sont d’ailleurs pas trompées : toutes ont sévèrement dénoncé vos propositions, après le Conseil supérieur d’orientation du 18 mai dernier. La Coordination rurale a condamné une « trahison qui livre les agriculteurs européens en pâture à l’idéologie libre-échangiste », la FNSEA une réforme « qui risque de conduire à l’élimination des plus fragiles » et la Confédération paysanne des « politiques de bas prix qui mettent les paysans en faillite, s’accompagnent de délocalisations et de concentration des productions, et découragent les installations ».

M. le Président de la commission des finances - Démagogie !

M. André Chassaigne - Quant au MODEF, il demande que « la France prenne l’initiative d’une autre politique agricole commune ».

M. le Président de la commission des affaires économiques - Parlez-vous au nom du MODEF ?

M. André Chassaigne - Votre splendide isolement prêterait à sourire si le sort de centaines de milliers de paysans et de salariés n’était en jeu. Votre acharnement pathétique à transformer en victoire les accords de Luxembourg m’évoque le comportement de l’empereur d’Allemagne Henri IV à Canossa : l’histoire n’a retenu de cet épisode que son humiliation ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Il est vrai que le commissaire Fischler n’est pas le pape Grégoire VII, mais le gouvernement semble incapable, lui, de reconnaître l’acuité du problème. En lançant sa croisade pour la baisse des prix des produits de grande consommation, le ministre de l’économie, par exemple, accorde un blanc-seing à la grande distribution pour pressurer encore davantage les paysans. Comment peut-on ainsi déléguer la lutte contre l’inflation aux pires vautours ? Vous ne pouvez pourtant ignorer que, derrière ces Auchan ou Carrefour qui s’autoproclament défenseurs des consommateurs se cachent les plus grosses fortunes de France, des affairistes dont le monopsone est en grande partie responsable de la chute brutale des prix à la production…

M. le Président de la commission des finances - Qu’avez-vous fait contre, lorsque vous étiez au pouvoir ?

M. André Chassaigne - Obsédé par cet objectif suicidaire de baisse permanente des prix, le Gouvernement ne peut que se montrer applicateur zélé de la réforme de la PAC. Les modalités qu’il a annoncées le 18 mai ne seront pas de nature à apaiser les inquiétudes des agriculteurs. La nouvelle gestion des aides se ferait par exemple à budget constant ; jusqu’en 2013, la France conserverait chaque année dix milliards d’euros de retours agricoles, mais ce que vous présentez comme une assurance est en fait de bien mauvais augure. En effet, compte tenu de la réduction prévisible des prix agricoles, conséquence de la dérégulation et des capitulations de M. Lamy à l’OMC, cette stabilité budgétaire ne pourra qu’amplifier la baisse des revenus agricoles. Cette nouvelle gestion des aides pourra d’autant moins recueillir notre assentiment que c’est par prélèvement sur les aides du premier pilier que seront abondés les crédits destinés au développement rural et à la gestion des crises de production… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Cette usine à gaz prouve certes que vous n’êtes pas adepte des méthodes brutales, Monsieur le ministre. Vous avez indubitablement cherché à protéger nos paysans des ventes de l’ultra-libéralisme, à maintenir des liens entre les droits à prime et le foncier, à dissuader la spéculation foncière et à encourager l’installation de jeunes. Mais, par là-même, vous reconnaissiez implicitement les défauts de la nouvelle PAC. Dès lors, pourquoi avez-vous signé le prétendu compromis de Luxembourg, comme si la source des problèmes n’était pas là ?

Pour encourager l’installation, vous instituez une réserve nationale de droits non utilisés. Mais quel avenir auront les jeunes qui en bénéficieront s’il s’avère, au bout de trois ou quatre ans, que son exploitation n’est pas viable, du fait de la baisse des prix ? Et nous contestons vigoureusement le choix de calculer les aides découplées en fonction de références historiques : il aura surtout pour effet d’assurer une rente aux 20 % des agriculteurs qui perçoivent aujourd’hui près de 80 % des aides, et donc d’affaiblir encore davantage les petits, qui animent pourtant nos campagnes.

-----

En outre, il est plus que probable que les barrières que vous opposez à la spéculation ne permettront nullement de freiner la croissance des prix du foncier et l’agrandissement des exploitations. Et d’ailleurs, comment justifier que les droits à prime puissent devenir marchands ? La surtaxation des échanges de droits sans terres ne réduira jamais les risques de spéculation sur les terrains auxquels sont attachés ces droits à prime. Une fois de plus, il s’agit de promouvoir une agriculture capitaliste, organisée sur des exploitations très étendues et supposant un développement du salariat agricole. La terre appartiendra de moins en moins à ceux qui la travaillent, et de plus en plus aux gros qui se contentent de la posséder !

Enfin, subordonner l’octroi des aides au respect de critères environnementaux pose plus de problèmes que cela n’en règle. Passons sur la complexité du dispositif : quelle foi accorder aux nouveaux croisés européens de cette conditionnalité écologique ? Ce sont les mêmes qui, pendant des années, ont poussé à l’utilisation croissante des engrais chimiques, au nom de la productivité ! D’autre part, alors que le premier critère devrait être le respect du vivant, l’Europe ne vient-elle pas d’autoriser la mise sur le marché d’organismes transgéniques ? Quelle cohérence y a-t-il de commander aux agriculteurs, dans le même temps, d’implanter en bandes enherbées 3 % de la surface de céréales et d’oléoprotéagineux ? La conditionnalité n’est en fait que le paravent d’une politique vouée tout entière à servir les intérêts des affairistes de l’agriculture et de l’agro-alimentaire.

Pour toutes ces raisons, comme la très grande majorité de nos agriculteurs, les députés communistes et républicains rejettent fermement la nouvelle politique agricole commune et les modalités d’application que vous proposez. Fidèles à nos principes, nous continuerons de revendiquer une politique de prix rémunérateurs pour les paysans et la promotion de notre souveraineté alimentaire, qui sont les conditions indispensables du maintien d’une agriculture sur nos territoires (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

[…]


[…]

M. Michel Raison - L’agriculture est une activité sérieuse, complexe, mais certainement pas subalterne. Elle contribue à notre puissance économique et doit donc faire partie de la stratégie nationale.

La PAC a toujours été une chance et un moteur extraordinaires pour notre pays. Je souffre chaque fois qu’elle est présentée comme une empêcheuse de tourner en rond. En 1984, on a combattu les quotas, aujourd’hui on se bat pour les garder…

La réforme de Luxembourg a provoqué également un coup de tonnerre. Faut-il rappeler que notre combat doit être replacé dans son cadre mondial ? Il est rude, mais vous avez notre confiance, Monsieur le ministre - une confiance exigeante, bien sûr.

Une fois les négociations passées, le pragmatisme doit suivre, par la mise en place des armes de la compétitivité nationale - réforme des offices, fiscalité, politique de l’eau biocarburants… -, et avec un objectif de visibilité.

Nous devons aussi être conscients de la diversité de notre agriculture : diversité du climat, du relief, du sol, des productions, mais aussi des hommes et de leurs goûts. Méfions-nous de ce qu’on appelle le « modèle européen » ou le « modèle français » : comment pourrait-il y avoir un modèle avec tant de diversité ?

De même, soyons conscients de l’existence, au-delà de la PAC et des aides, d’un marché.

M. André Chassaigne - Qui cache des choix politiques !

M. Michel Raison - Grâce à la PAC, Monsieur Chassaigne, nous allons peut-être réparer les méfaits du communisme dans les pays de l’Est ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Le marché, ce sont notamment des clients, qui forment la société, laquelle est sensible à l’image de ses agriculteurs. Les détracteurs de l’agriculture moderne, les marchands de peur font passer leur message à travers des affirmations ; à nous de leur répondre en ne nous contentant pas d’affirmer, mais en démontrant, dans un langage compris de tous. A nous de dire que, grâce à cette agriculture moderne, nos concitoyens ne connaissent aucun souci d’approvisionnement, même dans des circonstances comme la sécheresse de 2003 - qui, on l’oublie trop facilement, aurait à cet égard posé de graves problèmes il y a seulement une cinquantaine d’années. De même, en matière de sécurité alimentaire, nous sommes pratiquement arrivés au risque zéro.

Soyons également attentifs aux revenus et aux conditions de travail des agriculteurs - avec lesquels les 35 heures créent une fracture. La future loi de modernisation devra tenir compte de tous ces paramètres. Nous ne sommes plus en 1960, et l’on ne saurait s’arc-bouter à ce qui est dépassé. Pour qu’un jeune ait envie de devenir paysan, il faut en particulier qu’il puisse avoir un projet de carrière et qu’il ne soit pas condamné au SMIC à vie. La France ne peut pas se passer de ses artistes-sculpteurs de paysages : travaillons tous ensemble pour qu’elle ne soit pas un pays sans paysans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

[…]

Pour en savoir plus : Compte-rendu analytique de la séance sur le site de l’Assemblée Nationale

Imprimer