19-04-2005

OGM - Rapport - tome II : audition de M. François d’AUBERT.

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Audition de M. François d’AUBERT, ministre délégué à la recherche auprès du ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

(extrait du procès-verbal de la séance du 15 mars 2005)

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M. André CHASSAIGNE : Plusieurs personnes auditionnées nous ont dit que la toxicologie française était en souffrance avec, en tout et pour tout, quarante professeurs et que, dans ces conditions, il était impossible de se livrer à une recherche complète, en particulier sur les risques d’évolution du gène, ou encore sur les risques d’allergie.

Vous avez dit, par ailleurs, que la recherche se développe mieux dans le cadre du partenariat public/privé, mais le président du directoire de Génoplante nous a dit que l’objectif de cette recherche est commercial et qu’il s’agit d’améliorer la productivité en agriculture. Ne risque-t-on pas de limiter le champ de la recherche à ce qui est susceptible d’augmenter la productivité, la rentabilité, la compétitivité et, dans ce contexte, la santé publique ne risque-t-elle pas d’être sacrifiée ?

M. François d’AUBERT : Sur le premier point, je ne crois pas qu’il faille installer dans l’esprit de la population l’idée que les OGM sont potentiellement des produits toxiques. Il n’y a pas de raison particulière de les soumettre, en plus de toutes les précautions qui sont prises, à un passage devant des commissions chargées d’évaluer la toxicité.

Nous manquons effectivement de spécialistes en toxicologie, mais aussi de spécialistes en biologie végétale, ce problème concerne tous les domaines de recherche. Comme chacun sait, la recherche est sujette à des phénomènes de mode et si des signaux sont donnés sur l’ampleur de l’effort que nous sommes prêts à consentir, il est probable que la biologie végétale et la toxicologie attireront à nouveau les jeunes chercheurs.

S’agissant des partenariats public/privé, ils sont très équilibrés et ce système mixte intègre beaucoup de recherche fondamentale. On ne peut pas dire que la recherche soit « pilotée par l’aval ». Cela ne correspond d’ailleurs pas à la vocation de l’INRA.

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M. André CHASSAIGNE : Il semble que des négociations vont se tenir dans le cadre de l’OMC sur la définition du brevetage. Selon la conception américaine, l’invention de l’utilisation d’un gène devrait donner lieu à un brevetage sur l’ensemble de la chaîne gène/fonction/utilisation, contrairement au système du certificat d’obtention végétale qui ménage une plus grande souplesse dans l’utilisation des résultats de la recherche. Des discussions sont-elles menées au niveau européen, et pensez-vous qu’il sera possible d’avancer vers une conception du brevetage du vivant permettant d’éviter une victoire de l’approche américaine et la domination économique qu’elle entraînerait ?

M. François d’AUBERT : Deux approches différentes existent, qui tiennent à l’origine même de la recherche sur les gènes.

Rappelons tout d’abord que les gènes ne sont pas brevetables. Ce qui l’est, dans certaines conditions, ce sont les fonctions des gènes. A l’époque des toutes premières recherches sur les gènes, aux Etats-Unis, il avait été envisagé qu’un brevet porte sur chaque fonction de chaque gène. Depuis, les choses se sont assouplies. Aujourd’hui, on considère qu’une nouvelle variété a été créée dès l’instant où existe une lignée stable. C’est l’un des grands principes de la propriété intellectuelle et industrielle dans le domaine de la génétique. L’approche américaine tient au mode d’organisation de la recherche aux Etats-Unis : beaucoup de recherches sont menées au sein des entreprises. De plus, celles-ci fréquentent les centres de recherche universitaire, détectent ainsi les brevets et les utilisent. Notre système du certificat d’obtention végétale, est beaucoup plus équilibré et le but est de faire en sorte qu’il puisse coexister au sein de l’OMC.

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M. André CHASSAIGNE :  Que pensez-vous des décisions prises par certaines collectivités, communes mais surtout régions, tendant à interdire les OGM sur leur territoire ? Dans quelle mesure ces décisions peuvent-elles être prises en compte ? Ne risquent-elles pas d’interférer sur le développement de certaines actions de recherche ? Par ailleurs, pouvez-vous être plus précis sur les mesures prises en cas d’arrachage ? Des instructions seront données, dites-vous. Lesquelles ?

Enfin, faites-vous une différence entre les cultures OGM à but pharmaceutique
- comme les essais de Meristem Therapeutics en Auvergne - et les cultures OGM à vocation purement agricole ?

M. Dominique BUSSEREAU : J’ai le privilège d’être élu local dans une région dont la présidente a fait voter une mesure de ce genre. L’adoption de telles délibérations ne me paraît pas conforme à l’application des lois de décentralisation qui ne prévoient pas ce type de compétence. Pour l’heure, les tribunaux administratifs sont en plein travail du fait de la prolifération des arrêtés anti-OGM et, dans le Gers, des référendums. Il faut attendre que la jurisprudence soit définitivement stabilisée au niveau du Conseil d’Etat et des cours administratives d’appel.

Assurer la sécurisation des biens, autrement dit des essais, me paraît nécessaire, avec évidemment le doigté que suppose une opération de maintien de l’ordre. Il est en tout cas essentiel que, dans tous les départements, les préfets et les gendarmes placés sous leur autorité agissent de la même manière. D’où mon souhait de voir tous les ministères concernés
- écologie, recherche, agriculture, intérieur, défense, justice - se mettre d’accord avant que ne vienne la saison où sortent les faux, sur la manière d’appliquer la même loi sur l’ensemble du territoire, autrement dit d’empêcher les actions sauvages, de quelque nature qu’elles soient.

S’agissant des expérimentations à visée thérapeutique, ceux qui tenteraient de s’y attaquer, alors qu’elles auront été autorisées, prendraient un risque politique considérable devant l’opinion publique : si l’on peut s’interroger, en tout cas dans nos pays développés, sur l’intérêt pratique d’un maïs résistant, il est difficile de contester le bien fondé d’essais à but pharmaceutique visant à faire progresser la recherche sur certaines maladies graves.

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M. André CHASSAIGNE :  N’est-ce pas également une question de volume ?

M. Gilles-Éric SÉRALINI : Sans doute, mais cela reste lié à la question du coût.

M. André CHASSAIGNE :  Peut-on réellement fabriquer en milieu fermé l’équivalent de ce que l’on produit sur quinze hectares ?

M. Gilles-Éric SÉRALINI : On peut optimiser la production avec des incubateurs en continu. L’insuline, par exemple, est entièrement produite en milieu fermé.

M. le Rapporteur : On peut optimiser, mais pas faire exactement la même chose…

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M. André CHASSAIGNE :  N’étant pas un scientifique, je voudrais savoir ce que vous entendez exactement par « traçabilité » ?

M. Gilles-Éric SÉRALINI : C’est ce qui permet de suivre précisément l’OGM, par des méthodes scientifiques, de la fourche à la fourchette, afin de savoir si l’on est contaminé ou non, où il se trouve, et de pouvoir le doser.

M. le Président : La séquence génétique est introduite avec une séquence complémentaire d’ADN, dite amorce, qui est une suite de bases connues servant de marqueur. Encore faut-il que cette suite soit déclarée. J’ai pour l’instant toujours entendu dire que les amorces utilisées étaient les mêmes, et qu’il était donc possible de doser et de tracer. M. Séralini affirme que, pour certains OGM récents, on a utilisé de nouvelles amorces.

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M. André CHASSAIGNE :  Nous sommes bien d’accord sur le fait qu’il ne saurait être question de lâcher dans la nature des gènes produisant des principes médicamenteux dangereux.

M. Gilles-Éric SÉRALINI : Et non homologués.

M. André CHASSAIGNE : Nous partageons tous votre souci. Mais n’y a-t-il pas une forme de dramatisation lorsque vous appelez à généraliser cette traçabilité à des OGM à but strictement agricole qui, d’après ce que nous avons entendu lors des auditions ou des visites sur le terrain, ne présentent pas les mêmes risques ?

M. François GUILLAUME : Très juste !

M. Gilles-Éric SÉRALINI : Des OGM agricoles diffusant deux ou trois insecticides, dont un non caractérisé et jamais testé sur cellules humaines, me paraissent poser un problème au moins aussi grave qu’un OGM produisant de la lipase gastrique.

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M. André CHASSAIGNE :  Si nous parvenons à mettre un jour en place une commission de la société civile sur les biotechnologies, il faudra essayer d’y parler de façon moins cryptée… Vous êtes des scientifiques, vous avez une certaine façon de vous exprimer ainsi qu’une éthique qui vous interdit d’exprimer des jugements péremptoires. Je peux le concevoir, cette démarche est certes indispensable, mais un parlementaire non scientifique aurait aimé entendre une conclusion claire et nette, du style : M. Séralini exagère - ou l’inverse… Sans réponse précise, comment pouvons-nous répondre, dans nos circonscriptions, aux jugements à l’emporte-pièce qui s’appuient précisément sur ce type d’article ? Je partirai de cette réunion un peu frustré…

M. Luc MULTIGNER : Je suis quotidiennement confronté à ce problème de communication sur des dossiers très chauds, comme celui des éthers de glycol. Il est essentiel de savoir communiquer avec prudence : dans ce monde où l’on parle sans cesse du principe de précaution, les scientifiques devraient commencer par se l’appliquer à eux-mêmes au moment d’interpréter leurs résultats.

Je ne me permettrai jamais de qualifier publiquement le travail d’un tel à l’aide de quelque adjectif que ce soit. Mais il est beaucoup plus facile de capter l’attention d’un journaliste en lui disant : « J’observe une situation catastrophique » plutôt que : « Je n’observe rien », auquel cas on comprendra : « Tout va très bien, madame la marquise » ou encore : « Circulez, il n’y a rien à voir » !

Entre les interrogations légitimes, auxquelles je consacre toute mon activité d’épidémiologiste à essayer de répondre, et les affirmations qui peuvent dépasser le strict cadre du travail scientifique, il est très difficile de satisfaire votre demande, M. Chassaigne… Cela dit, pour en rester à la seule question des scénarios d’exposition maximaliste, j’ai bien entendu M. Séralini prononcer à plusieurs reprises les mots « dix mille fois », alors que je ne trouve, dans sa publication, que les mots « dix fois » à la page 14, et « cent fois » à la page 16…

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M. Luc MULTIGNER : Voilà ce que j’aurais mis dans ma conclusion… Mais laissons là ce détail.

Pour répondre à la question de M. Chassaigne, essayons de trouver un exemple simple. Si vous faites incuber des cellules dans une concentration d’alcool comparable à celle d’un bon bordeaux - 130 g/l -, il va se passer plein de choses à l’intérieur de vos pauvres cellules… Boire ce bordeaux - à dose raisonnable s’entend - présente-t-il pour autant un réel danger ? Il y a de la marge entre ce que l’on observe dans une donnée expérimentale et les conclusions que l’on peut en tirer en termes d’exposition au risque ! Que dit-on dans cette expérience, à supposer qu’elle ait été validée ?

M. le Président : M. Séralini, les référés ont-ils validé votre étude ?

M. Gilles-Éric SÉRALINI : Elle a été expertisée pour publication.

Pour en savoir plus : Assemblée Nationale

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