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Audition de Mme Muriel MAMBRINI, chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA)
(extrait du procès-verbal de la séance du 9 novembre 2004)
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M. André CHASSAIGNE : On entend souvent dire que les semences transgéniques ne peuvent pas être réutilisées. Or, votre démonstration démontre plutôt le contraire.
Mme Muriel MAMBRINI : Vous faites sans doute allusion au gène « Terminator ». Produire des semences transgéniques stériles permet de diminuer considérablement le risque environnemental. Cela dit, les hybrides qui sont commercialisés, eux non plus, ne se reproduisent pas.
M. Yves COCHET : L’agriculteur qui devra cultiver des semences transgéniques stériles sera lié par un brevet !
M. le Président : Ce n’est pas nouveau, comme le montre l’hybridation qui a toujours été un phénomène marchand obligeant les agriculteurs à acheter chaque année leurs semences. A l’heure actuelle, très peu d’agriculteurs produisent eux-mêmes leurs semences.
M. Yves COCHET : L’agriculture paysanne le fait. Nous devons absolument auditionner le président de la Fédération française des assureurs pour voir comment assurer le risque de contamination.
M. le Président : Cela est prévu ! Madame Mambrini, nous vous remercions de ces explications.
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Audition de M. Pierre-Benoît JOLY, directeur du laboratoire de recherche sur les transformations sociales et politiques liées aux vivants (TSV) de l’INRA
(extrait du procès-verbal de la séance du 10 novembre 2004)
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M. André CHASSAIGNE : Je poserai deux questions. Tout d’abord, on ressent une inquiétude très forte dans ce pays qui se traduit notamment par la mise en cause de la recherche. Que pensez-vous de l’impact, dans l’opinion publique, de cette mise en cause alors que la recherche était, jusqu’à présent, un secteur respecté à qui l’on attribuait une éthique très forte ? J’aimerais connaître votre sentiment sur la gravité de cette question.
Par ailleurs, pensez-vous que le débat est véritablement faussé par les « fonds de commerce » politiques qui mettent parfois en exergue des interrogations en décalage avec la réalité ?
M. Pierre COHEN : En prolongement de cette question, vous avez indiqué que le sujet des OGM est celui qui fait le plus l’objet de réflexions et de débats en vase clos. Comme le rappelait Mme Robin-Rodrigo, l’Etat a une certaine part de responsabilités dans cette situation. Alors que des procédures d’autorisation ont été mises en place par les pouvoirs publics pour les expérimentations en plein champ, pourquoi les personnes concernées, notamment les maires, n’ont-elles pas accès à cette information ?
Le deuxième point rejoint le propos de mon collègue Guillaume sur le principe de précaution, mais sous un autre angle. S’il y a un risque, la précaution n’est pas d’arrêter, mais de mettre encore plus de moyens pour déterminer si ce risque est réel ou pas, puis d’entamer un vrai débat pour mettre fin à la confusion qui caractérise le débat. Il s’agit de faire la différence entre les connaissances et l’utilisation d’un certain nombre de ces connaissances pour développer des techniques qui conduiraient à une autre vision économique de la production mais aussi de la façon dont on peut organiser l’alimentation du monde dans les années à venir.
Au-delà, il est également nécessaire d’engager un vrai débat politique et de faire un choix, la question étant de savoir si l’on a assez de connaissances pour le faire. Lorsque je discute avec les chercheurs de l’INRA, ceux que je connais estiment qu’ils ont assez de connaissances et sont sereins.
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M. Louis GUÉDON : J’aurais tendance à simplifier le débat : il faut déterminer les avantages et les inconvénients des OGM.
Les avantages qui militent en faveur des OGM sont des rendements très importants, une diminution des coûts de production, la possibilité de nourrir la planète affamée, la résistance des plantes à certaines maladies et donc l’absence de traitements onéreux.
L’inconvénient majeur est le principe de précaution. Comme l’a rappelé M. Guillaume, nous avons connu le veau aux hormones, la vache folle, etc. Nous voulons savoir si, en touchant au vivant par des mutations génétiques, l’OGM va être métabolisé par l’organisme donc détruit, ou bien s’il va agir sur le vivant de celui qui va l’ingérer.
Dans ce débat, quels que soient les aspects sociologiques, l’importance de l’enjeu est telle que la réponse ne sera vraiment donnée que par le débat scientifique et la recherche. Le débat politique doit coller à la recherche et exiger que celle-ci donne des réponses précises, comme nous l’avons vu dans les avancées médicales importantes. Si les grandes épidémies ont été éradiquées dans le monde, c’est parce que la vaccination a été autorisée, mais seulement lorsqu’on a été certain du résultat sur le plan scientifique.
Pour l’anecdote, quand autrefois la vaccine se faisait de bras à bras, je vous rappelle que le collège des Oiseaux et ces demoiselles de la bonne société ont toutes eu la vérole parce que le sergent de la légion, qui était venu avec sa vaccine, était lui-même syphilitique. C’est une bonne histoire que l’on se raconte entre immunologistes, 150 ans plus tard. Pour conclure, quelle est votre position dans ce débat, car n’est-ce pas à la science de donner la réponse devant laquelle nous devons nous incliner.
M. Jean PRORIOL : Je souhaite poser deux questions. Tout d’abord, je suis frappé sur le plan sociologique, pour la frilosité de la communauté scientifique. Vous dites qu’elle a des certitudes mais elle ne les exprime pas et elle refuse quelque peu le débat médiatique. On peut accuser l’Etat, les élus, les multinationales mais, à cet égard, peut-être faut-il remonter à la communauté scientifique qui a aussi des devoirs d’information ? On nous dit qu’elle est plutôt favorable dans son ensemble mais jamais elle ne l’exprime de façon nette et précise, ou pas assez à notre sens, ce qui fausse le débat.
Toujours sur le plan sociologique, en tant qu’élus, nous recevons un certain nombre de lettres ayant pour objet les essais. Avez-vous effectué un recensement de ces documents dont je vous donne un aperçu : « Madame, monsieur le maire, mesdames et messieurs les conseillers municipaux, je vous invite à prendre, sur un modèle de délibération, des délibérations de votre conseil municipal : Article unique : le conseil invite l’Etat à prendre en compte l’intérêt de la santé et nous demandons au conseil municipal d’interdire tout essai. » Ces courriers sont signés par les « associations partenaires » - les Amis de la Terre France, Greenpeace, Agir, Attac, etc. - mais sont anonymes. Comment analysez-vous cela ? Avez-vous recensé le nombre de délibérations prises et quelle valeur leur accordez-vous ?
M. le Président : Je vais ajouter quelques questions. Pourquoi le débat de 1992 à l’Assemblée nationale, préparé par le rapport Chevalier, s’est-il passé dans l’indifférence générale ? Pourquoi Greenpeace, les Amis de la Terre, France Nature Environnement n’ont-ils pas réagi ? Les seuls à l’avoir fait étaient des scientifiques qui avaient fait circuler une pétition disant que l’on bridait totalement la recherche.
Au niveau sociologique, l’expérimentation en champs ouverts, dans un espace dit public, vous apparaît-elle nécessaire ? Je lie ma question à celle de notre collègue Chassaigne.
Par ailleurs, on voit apparaître aujourd’hui, dans le cahier des charges de l’agriculture biologique, une agriculture non-OGM. Quand cette clause est-elle apparue dans l’agriculture biologique ? Qui a souhaité l’introduire et lier ce label de qualité à l’absence totale d’OGM ?
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M. André CHASSAIGNE : Concernant les difficultés d’application de la procédure d’autorisation de la dissémination volontaire, je n’ai pas été tout à fait convaincu. Vous avez rappelé la procédure : information des élus, enquête de terrain effectuée par les agents des DRAF, publication du dossier, avis et décision. Cette procédure fait-elle l’objet d’une évaluation, au niveau national ?
Deuxième question : alors que nous avons tous un souci de transparence, vous êtes passé très rapidement sur l’indication du lieu et des entreprises réalisant les 15 hectares de cultures OGM commerciales autorisées en France. J’aimerais savoir ce que recouvrent ces hectares qui ont obtenu une autorisation de mise en marché.
Troisième question : je n’ai pas compris la différence entre les OGM et les dérivés d’OGM. J’y vois presque une contradiction par rapport à l’exposé d’hier. Je ne suis pas un scientifique, mais il me semblait qu’une fois le produit génétiquement modifié, que les dérivés l’étaient également.
M. François HERVIEU : Pour répondre à votre dernière question, le caractère génétiquement modifié ne se réfère nécessairement qu’à une structure génétique particulière qui est l’ADN. Ainsi, lorsqu’on parle d’organisme « génétiquement modifié », cela ne peut concerner que de l’ADN modifiée génétiquement, avec une structure ADN présente ou pas dans la cellule ou le produit.
Par exemple, une tomate peut être un vrai OGM, c’est-à-dire un organisme vivant capable de se multiplier et de se reproduire. A partir de cette tomate, vous pouvez produire des dérivés d’OGM, tels une sauce tomate ou un ketchup, ou des produits encore plus raffinés dans lesquels vous ne trouverez pas du tout de trace d’ADN, tel un jus qui correspondrait essentiellement à une composante eau. Si vous leur appliquez une méthodologie de détection d’analyse par réaction de polymérisation en chaîne (PCR), vous êtes dans l’incapacité de trouver une structure ADN.
L’exemple type souvent cité est le suivant : si vous pressez une graine de colza pour en extraire une huile de haut raffinage, je vous mets au défi de trouver de l’ADN. Pour autant, cette huile est issue d’un produit OGM.
La législation prévoit une obligation d’étiquetage pour répondre aux attentes du consommateur. Toutefois, ces obligations d’étiquetage ne sont pas fondées sur une notion de risque, mais sur la perception que l’on a de l’attente des consommateurs en terme d’information.
Pour ce qui est de la démarche de nos agents sur le terrain, nous avons la charge de vingt-cinq communes en France. Quatre agents sont principalement concernés, puisque ces essais sont menés dans des régions très précises. Je fais toute confiance aux agents travaillant avec nous. On peut toujours aller vérifier ce qu’allègue un agent habilité et assermenté, mais si l’on remet en cause le travail effectué, je ne vois pas comment le système peut fonctionner. Ce qui ressort des rapports écrits, ce ne sont pas des éléments inventés par l’agent.
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M. André CHASSAIGNE : Vous avez parlé de 250 à 300 dossiers en six séances, soit une cinquantaine de dossiers par séance présentés par des experts nommés. Qui sont ces experts ? Leur indépendance est-elle garantie par rapport à l’industrie, mais aussi par rapport aux laboratoires publics ?
Les industriels et les laboratoires privés obtiennent des agréments pour des expérimentations. Mais n’y a-t-il pas un risque qu’au bout d’un certain nombre d’années le fruit de leurs expérimentations tombe dans le domaine public et qu’il n’y ait plus de contrôle alors ? Vous avez vous-même évoqué le contrôle a posteriori. Je souhaitais obtenir quelques précisions sur les contrôles et sur l’évaluation, en aval, des décisions.
Vous avez également parlé du maïs transgénique de classe 1, qui ne concerne que le préparateur et son environnement, je souhaiterais que vous nous donniez quelques explications sur le passage éventuel de ce maïs transgénique dans la consommation. Qui donne un avis dans ce cas ?
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M. Roland ROSSET : En ce qui concerne l’indépendance des experts, il faut d’abord préciser que tous les scientifiques faisant partie de la commission sont des scientifiques qui font de la transgénèse, qui l’ont pratiquée et qui, par conséquent, en connaissent sinon tous les secrets, du moins tous les pièges. La question de l’indépendance a été posée sous deux aspects.
Le premier problème est le cas du scientifique qui, en dehors de son laboratoire, est le conseiller ou bien même participe au développement d’une entreprise. Si je suis confronté à cette situation, j’ai le choix entre deux attitudes. La première est de ne pas confier à cet expert ce qui relève d’entreprises concurrentes ou ayant la même activité, pour respecter la confidentialité. C’est le cas le plus fréquent. Il concerne actuellement deux membres de la commission. La seconde serait de procéder au remplacement de ces experts.
Le second problème tient aux pressions dont les experts peuvent faire l’objet
- et desquelles nous ne sommes jamais à l’abri. Nous sommes, de temps en temps, l’objet d’interventions et c’est l’occasion de distinguer le bon expert du mauvais. Un bon expert est celui qui, non seulement a des compétences, mais qui sait aussi rester indépendant. Je suis émerveillé à chaque séance de l’étendue des connaissances des membres de cette commission ; ce sont d’extraordinaires scientifiques qui connaissent non seulement leur domaine mais tout ce qui s’y rapporte.
Sur le problème de l’indépendance, il y a donc deux aspects, le premier est l’implication directe dans une entreprise travaillant sur ce que l’expert est censé juger, ou dans une activité concurrente. Il me revient alors de veiller à ce que cet expert n’intervienne pas dans ces appréciations. Puis, il y a le problème plus général des pressions extérieures.
Pour ce qui est des contrôles, les agréments sont jusqu’à présent donnés pour cinq ans. Au bout de cinq ans, nous revoyons passer les dossiers, et c’est actuellement le cas. Dans la nouvelle loi, tout ce qui concerne les classes 1 et 2, c’est-à-dire les niveaux de risque les plus bas, fera l’objet d’une simple déclaration. Nous ne reverrons plus ces dossiers. Seuls les agréments correspondant aux classes 3 et 4 seront éventuellement revus au bout de cinq ans. Vous soulevez là un problème important, que j’appelle gentiment la « dérive des projets » dans les laboratoires. On commence par un élément anodin, puis, on en rajoute et il y a dérive. Vous avez raison de poser la question et je n’ai pas de réponse à y apporter. Mais il faudra dans la nouvelle loi que vous prévoyiez le moyen de revoir les avis et agréments donnés.
M. François GUILLAUME, Président : M. Chassaigne demandait également qui nomme les experts. Je suppose que c’est le ministre ?
M. Roland ROSSET : La nomination est faite par les ministres de la recherche et de l’environnement, sur proposition. Quatre sont proposées par le ministre de la recherche, un par le ministre de l’éducation nationale, quatre par le ministre de l’environnement, deux par le ministre de la santé, un par le ministre des armées, un par le ministre de l’intérieur et un par le ministre de l’industrie.
Les industriels souhaiteraient que le ministre de l’industrie s’implique dans ces problèmes d’OGM.
Les ministres de la recherche et de l’environnement sont très présents. Le ministre de la santé l’est aussi parce qu’il est utilisateur. Le ministre de l’intérieur ne s’est pas trop manifesté jusqu’à présent mais demande maintenant à être tenu au courant et pour le ministre de la défense, c’est, en fait, un militaire que je connais bien, qui est un scientifique des laboratoires de l’armée où il s’occupe de bioterrorisme et autres sujets de ce type ; nous avons donc une interface opérationnelle.
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Audition de M. Marc FELLOUS, président de la Commission du génie biomoléculaire et de M. Antoine MESSÉAN, vice-président
(extrait du procès-verbal de la séance du 16 novembre 2004 )
Présidence de M. François GUILLAUME, Vice-président, puis de M. André CHASSAIGNE, Secrétaire
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(M André Chassaigne remplace M. François Guillaume à la présidence.)
M. André CHASSAIGNE, Président : Je vous remercie, M. Fellous, de cet exposé extrêmement intéressant, comportant non seulement des explications, mais aussi des propositions. Nous allons maintenant passer à des questions qui vous permettront d’apporter des précisions.
M. le Rapporteur : Je vous remercie de la qualité de votre exposé et de toutes les recommandations futures que vous nous avez présentées.
Dans les expérimentations au champ que vous avez déjà réalisées, pouvez-vous nous parler de celles qui vous ont posé des problèmes de dissémination « pathogène » pour les plantes ou les animaux. Cela a-t-il donné lieu à l’arrêt des expérimentations ?
M. Antoine MESSÉAN : Je précise que nous ne sommes pas gestionnaires du risque, puisque le suivi officiel des essais, une fois qu’ils sont en place, est assuré par les services du ministère de l’agriculture. Mais nous bénéficions du retour d’expérience, les comptes rendus d’expérimentation et ceux des services officiels du ministère de l’agriculture nous étant communiqués a posteriori.
A ma connaissance, il n’y a pas eu d’arrêt d’essais pour des raisons d’impacts environnementaux. Tout au plus certains essais ont-ils fait l’objet de procès-verbaux pour non-respect des mesures de précaution de type distance d’isolement. Comme nous l’avons dit, la question de l’impact environnemental est fortement liée à l’échelle à laquelle on travaille.
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M. André CHASSAIGNE, Président : Nous vous proposerons sans doute, si vous en êtes d’accord, de participer à une de nos tables rondes contradictoires tant il nous semble intéressant que la richesse de vos propos puisse être confrontée à d’autres avis.
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