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OBTENTIONS VÉGÉTALES
Discussion d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative aux obtentions végétales (nos 2869, 2878).
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M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne.. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons en cette fin de matinée ne fera pas l’honneur de cette assemblée. Elle nous a été pourtant présentée en termes forts élégants par son rapporteur.
Le Gouvernement nous a fait approuver ce matin - sans débat, malgré l’importance de la question - la ratification de la convention de 1991 de l’Union pour la protection des obtentions végétales, l’UPOV, qui vise à adapter le statut juridique des certificats d’obtention végétale en limitant, notamment, le droit d’usage des semences fermières par les agriculteurs. L’objectif de cette convention est bien d’obliger les agriculteurs à s’acquitter d’une taxe permanente destinée aux obtenteurs des variétés qu’ils cultivent. Nous avons voté contre, n’approuvant pas cette limitation du droit d’usage des semences des paysans. Nous souhaiterions plutôt que, dans le cadre de ces négociations internationales, la France porte la voix d’une agriculture paysanne et familiale, libérée de la tutelle de l’industrie semencière, que cette dernière soit nationale et reposant sur les certificats d’obtention végétale, ou bien américaine et fondée sur les brevets, voire, souvent, sur les organismes génétiquement modifiés.
M. Yves Cochet. Eh oui !
M. André Chassaigne.. Les atours de ces industries sont bien différents, mais leur dangerosité économique est souvent voisine.
Évidemment, nous n’avons pas pu dénier au Gouvernement le droit de ratifier cette convention. Mais voilà que celui-ci fait ressortir du fonds d’un tiroir un vieux projet de loi datant de 1996, qui introduit en droit interne les principes de la convention de l’UPOV de 1991. L’objectif est de réduire l’usage des semences fermières en France en créant une sorte de droit à semer. Au nom de la rémunération des obtenteurs, ce texte va généraliser le principe des « cotisations volontaires obligatoires » apparu en 2001 pour les cultivateurs de blé tendre.
M. Philippe Rouault. Pas pour les petits agriculteurs !
M. André Chassaigne.. Il est ainsi prévu qu’un décret en Conseil d’État donne la liste des espèces concernées et la constitution d’une commission chargée d’évaluer le montant de ce nouveau « droit à semer ».
M. Jean-Marc Roubaud. C’est normal !
M. André Chassaigne.. Là encore, nous rejetterons en bloc un projet qui remet en cause le droit des paysans à travailler.
M. Jean-Marc Roubaud. C’est une caricature !
M. André Chassaigne.. Nous nous opposerons à cette privatisation du vivant.
M. Yves Cochet. Excellent !
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M. André Chassaigne.. Mais, une fois de plus, nous ne pouvons pas contester la mise à l’ordre du jour de ce projet de loi.
La situation est tout autre pour la proposition de loi de nos collègues sénateurs Bizet et Bout. Ces derniers se sont contentés d’extraire l’article 9 du projet de loi de M. Vasseur, qui prévoyait le rallongement de cinq ans de la protection de variétés bénéficiant aujourd’hui d’un certificat d’obtention végétale, lorsqu’il est devenu évident que ce texte, en débat au Parlement, ne serait pas promulgué avant le 6 mars prochain. Le calendrier parlementaire, en effet, n’est pas indéfiniment extensible.
L’article fut donc transformé par nos deux collègues en proposition de loi, afin d’être voté en urgence. Pourquoi le 6 mars ? Simplement parce que deux espèces de blé et d’orge tomberont dans le domaine public à cette date. Deux espèces de pommes de terre, la fameuse Charlotte, mais aussi la ravissante Mona Lisa, seront dans la même situation le 6 avril. Nos collègues sénateurs ont donc eu recours à une procédure législative expresse afin de s’assurer de la bonne effectivité juridique de ces dispositions avant une date que je n’oserai qualifier de fatidique : avec un seul article, les risques de navette sont en effet bien limités.
Ainsi, nos quatre variétés ne tomberont pas dans le domaine public au printemps 2006, mais en 2011 !
Ces variétés de pommes de terre ou de céréales ont pourtant été découvertes voici plus de vingt ans. Leurs certificats d’obtention végétale ont par conséquent rapporté de substantielles sommes à leurs obtenteurs. Les recherches effectuées pour découvrir ces variétés ont été évidemment amorties depuis un grand nombre d’années. Le rallongement de leur protection ne vise donc qu’à accorder une rente supplémentaire à ces obtenteurs…
M. Jean-Marc Roubaud. Mais non !
M. André Chassaigne.. …au détriment des paysans et des jardiniers du dimanche. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Chacun sait que le prix des variétés achetées varie selon l’existence ou non d’une protection. Cette rente se monte tout de même à 670 000 euros par an pour la délicate Charlotte !
M. Philippe Rouault. Cela fait combien à la tonne ?
M. André Chassaigne. Elle sera, en outre, probablement plus importante encore lorsque seront généralisées les cotisations volontaires obligatoires proposées dans le projet de loi qui sera bientôt soumis à notre assemblée.
Nous aurions naturellement rejeté cet article s’il avait été débattu dans le cadre normal du projet de loi Vasseur. Rien ne justifie, en effet, la distribution de rentes de situation à ces obtenteurs. Néanmoins, tout en refusant un dispositif prévoyant le rallongement de la protection de ces variétés jusqu’à trente ans, ce qui revient à augmenter d’au moins 20 % les revenus des obtenteurs, nous n’aurions pas contesté son caractère général.
Nous sommes toutefois désormais face à un texte de circonstance. Il est destiné uniquement à garantir les revenus des propriétaires de ces quatre variétés dont la protection arrive à échéance. (Protestations sur les bancs de l’Union pour un mouvement populaire.)
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M. Jean-Marc Roubaud. C’est faux !
M. Philippe Rouault. Et ceux des chercheurs ?
M. André Chassaigne.. Vous avez été beaucoup moins attentifs aux chercheurs de l’INRA, lors du passage de l’institut dans le domaine public. Vous avez alors fait preuve de beaucoup moins de rapidité ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Pierre Nicolas, rapporteur. L’INRA en bénéficiera !
M. Jérôme Bignon. N’y a-t-il donc pas de producteurs de semences en Auvergne ?
M. le président. Mes chers collègues, M. Chassaigne a seul la parole !
M. Jean-Marc Roubaud. Il nous interpelle, monsieur le président !
M. le président. Vous n’êtes pas obligés de répondre !
M. André Chassaigne. Le Gouvernement est complice de ce détournement de l’esprit de la loi à des fins particulières en acceptant l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée de cette proposition de loi. Je le dis avec solennité, monsieur le ministre, chers collègues : cela est absolument scandaleux ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jérôme Bignon. Mais non !
M. Philippe Rouault. Vous intervenez à des fins partisanes !
M. Jean Proriol, vice-président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Il ne croit pas ce qu’il dit !
M. Jérôme Bignon. C’est une insulte à nos collègues sénateurs !
M. André Chassaigne. Je suis bien sûr intimement persuadé que les sénateurs cosignataires de cette proposition de loi n’ont pas d’intérêt dans les sociétés propriétaires de ces variétés et je suis bien entendu convaincu que ces obtenteurs, pleins de pudeur, n’auront pas l’outrecuidance de remercier leurs anges gardiens sénateurs !
M. Jean-Marc Roubaud. Il a la patate !
M. André Chassaigne. En faisant adopter cette proposition de loi, ces sénateurs se rendraient-ils coupables d’un trafic d’influence absolument indigne du Parlement d’un pays aimant se considérer comme démocratique ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Bien sûr que non, direz-vous !
M. Jean Proriol, vice-président de la commission. Vos propos dépassent votre pensée !
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M. André Chassaigne. Non, monsieur Proriol ! Je suis scandalisé que l’on débatte de cette proposition de loi aujourd’hui. Cela ne fait pas honneur à notre République.
M. Jean Proriol, vice-président de la commission. La discussion fait partie de la démocratie !
M. Philippe Rouault. La démocratie ? Il ne connaît pas !
M. André Chassaigne. Nous n’avons jamais lu de manuel de droit constitutionnel expliquant que la loi servait à aider ses amis.
M. Philippe Rouault. Révisez plutôt vos manuels d’agronomie !
M. Jean-Pierre Nicolas, rapporteur. Il y a dix ans que cette mesure aurait dû être prise !
M. André Chassaigne. À moins que certains, gonflés de nostalgie, n’aient appris leur droit sous les palmiers de républiques bananières.
Mes chers collègues, j’aurai honte pour tous ceux d’entre vous qui se montreront complices de ce forfait ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Aucun argument, sinon une crampe morale, ne peut justifier le vote de ce texte.
Je ne doute pas de votre honnêteté (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et de votre attachement sincère au principe du rallongement général de la durée de protection des variétés protégées par un certificat d’obtention végétale.
Je m’adresse donc à vous, chers collègues, pour vous demander de manifester cette honnêteté par un geste simple : rejetez cette proposition de loi. Vous aurez tout loisir de voter l’article 9 du projet de loi Vasseur, lorsqu’il nous sera soumis, le 7 mars prochain, même si nous nous affronterons alors sur une base plus politique. Il en va de l’honneur de notre assemblée.
Monsieur le président, je demande naturellement un scrutin public sur le vote de ce texte bien trop important pour rester anonyme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
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M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. J’ajoute que les petits exploitants ne sont pas soumis à l’obligation de cotiser.
En fait nous souhaitons pérenniser notre modèle, qui est l’origine de la réussite de notre filière. Je vous donne quelques chiffres pour l’illustrer : la profession semencière représente plus d’une centaine d’établissements de recherche obtenteurs, 300 établissements de recherche, 30 000 agriculteurs multiplicateurs de semences et plus de 2 000 distributeurs. On est loin des 200 familles évoquées par M. Chassaigne. En 2004, le groupement national des industries semencières a recensé la création de 606 variétés de semences : 344 en grandes cultures et 262 en variétés potagères. Ainsi, monsieur Cochet, la sélection végétale contribue également au développement de la biodiversité, à laquelle vous êtes légitimement attaché.
M. Yves Cochet. Pas avec les OGM !
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Article unique
M. le président. J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de loi dans le texte du Sénat.
Sur cet article unique, je suis saisi de plusieurs amendements.
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La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Je m’associe bien entendu aux propos d’Yves Cochet.
J’ai écouté attentivement M. le ministre et le rapporteur et j’ai pu constater, comme tout un chacun, qu’ils étaient particulièrement vagues et discrets sur l’identité des obtenteurs concernés par ce texte. Au-delà de leurs déclarations sur une future loi, qui n’est pas celle dont nous débattons aujourd’hui, ils ont occulté qu’il s’agissait d’un texte de circonstance répondant à l’intérêt particulier de quatre obtenteurs.
Qui sont-ils ? Pratiquent-ils véritablement une recherche intensive ? M. le ministre ou M. le rapporteur sont-ils capables de nous communiquer les résultats des recherches que ces obtenteurs ont développées depuis vingt ans avec l’argent qu’ils ont tiré des COV ?
Le premier obtenteur, pour le blé tendre Galaxie, s’appelle R2N. Peut-être pourra-t-on nous en dire davantage sur son compte. Puisqu’il s’agit d’un texte de circonstance, entrons dans le détail des circonstances : quelles recherches a développées cet obtenteur ?
Le second obtenteur, pour l’orge Flika, s’appelle Florimond Desprez Veuve & Fils. Là aussi, monsieur le ministre, dans la mesure où il s’agit d’un texte de circonstance, il serait intéressant que vous entriez dans le détail : quelles recherches ont été développées grâce aux royalties qui ont été perçues ?
M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Vous devriez le savoir, monsieur Chassaigne, si vous vous intéressez à l’agriculture !
M. André Chassaigne. Le troisième exemple est celui de la Charlotte, une pomme de terre bien connue de tous. L’obtenteur est Germicopa. Pouvez-vous nous dire quelles recherches il a développées depuis vingt ans, quelles sont les nouvelles variétés de pommes de terre qu’on lui doit ?
M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Je croyais que vous aimiez les coopératives, monsieur Chassaigne : c’en est une !
M. André Chassaigne. Enfin, je citerai un dernier cas, qui me laisse plus interrogatif : celui de la superbe Mona Lisa.
M. François Guillaume. C’est un chef-d’œuvre !
M. André Chassaigne. Nous avons eu un mal fou à trouver quel en était l’obtenteur. Pour seule réponse à nos questions, on nous a dit : « non communiqué à ce jour » ou « établissement radié ». Nous avons finalement découvert que l’obtenteur est hollandais. Vos discours sur l’intérêt de la France peuvent ainsi se heurter à quelques vérités.
M. Yves Cochet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Monsieur Chassaigne, vous devriez lire vos dossiers avant de venir en séance. L’affaire du Hollandais dont vous avez parlé est exploitée par une société française. La deuxième société que vous avez citée est l’une des plus importantes de France en termes d’emplois. La troisième est une coopérative agricole. J’avais cru comprendre que la formation politique à laquelle vous appartenez était attachée à la coopérative agricole. Les membres de celle-ci apprécieront. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. André Chassaigne. Vous ne répondez pas à mes questions sur la recherche !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.
(L’amendement n’est pas adopté.)
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