Application du principe de précaution aux ondes électromagnétiques
Discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Laurence Abeille relative à l’application du principe de précaution, défini par la Charte de l’environnement, aux risques résultant des ondes électromagnétiques (nos 531, 654 et 585).
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Discussion générale
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Ondes électromagnétiques - Application du… par andrechassaigne
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, madame la ministre délégué, mes chers collègues, les députés du front de gauche soutiennent cette proposition de loi écologiste et regrettent qu’elle ait été sensiblement vidée de sa substance en commission.
Avant d’en venir aux propositions pour mieux réglementer les systèmes de communication sans fil, je voudrais affirmer, madame la ministre, qu’en tant que défenseurs de l’égalité réelle des territoires, nous souhaitons bien évidemment un déploiement égalitaire des technologies sur tous les territoires. Lutter contre la relégation de certains quartiers et la désertification de certaines zones rurales passe par un accès égal aux technologies et aux modes de communication les plus performants.
Mais il nous faut bien faire le constat que le déploiement de ces mêmes technologies crée un certain nombre de problèmes. Nous avons la responsabilité de les prendre en compte. Le questionnement scientifique actuel sur la nocivité des ondes électromagnétiques ne doit pas être occulté, encore moins au motif à peine déguisé que cela perturberait le libre commerce et les juteux bénéfices des entreprises concernées. La santé humaine relève de l’intérêt général et doit passer avant les profits de quelques-uns.
Plusieurs éléments sérieux et impartiaux montrent en effet que les inquiétudes exprimées sur la dangerosité des ondes émanant des systèmes de communication sans fil sont fondées.
M. Lionel Tardy. À quelles études faites-vous référence ?
M. André Chassaigne. Dès lors, il est de notre devoir de prendre en compte les risques d’une trop grande exposition à ces ondes.
C’est donc dans le croisement dialectique de ces deux exigences que nous soutenons le présent texte. Il n’y a là aucun paradoxe : c’est bien en « sécurisant » les technologies que nous développerons leur acceptabilité sociale, et que nous faciliterons donc leur déploiement.
Les problèmes, rappelés par la ministre et les rapporteurs, sont de plusieurs ordres : ils concernent les antennes relais, les téléphones portables eux-mêmes, les réseaux de type 3G et 4G, et le wifi. Au total, ce sont les émissions tous azimuts, en diverses fréquences et d’intensités multiples, qui créent un brouillard électromagnétique artificiel croissant.
Face à ce constat, le législateur doit demander le respect du principe ALARA, qui vise à réduire les expositions à un niveau aussi faible que possible. Nous regrettons que cette disposition ait été supprimée en commission.
En l’état actuel des connaissances, nous sommes favorables à l’instauration d’un plafond d’exposition du public aux hyperfréquences à 0,6 volt par mètre. Du reste, ce seuil a été préconisé par le Conseil de l’Europe, pas plus suspect que moi de fondamentalisme vert ! (Sourires.)
C’est également celui qui figurait dans une proposition de loi déposée par notre ancien collègue Jean-Pierre Brard sous la douzième législature. Ce texte avait été cosigné par des représentants de tous les groupes, dont une future ministre de l’environnement, Nathalie Kosciusko-Morizet.
Il est également regrettable que la protection des enfants dans les crèches et les écoles ait été escamotée de ce texte. Il est en effet nécessaire d’introduire l’idée que les connexions filaires devraient être préférées au wifi, émetteur d’ondes, dans les établissements scolaires.
Enfin, il n’est pas acceptable de reculer sur la prise en compte de l’électrosensibilité. Pour connaître les cas douloureux de plusieurs personnes accueillies dans mon village, j’y suis particulièrement attaché. J’ai donc cosigné un amendement de mes collègues du groupe écologiste, afin de réintroduire cette préoccupation dans le texte.
Dès 2008, j’avais alerté la ministre de l’époque sur cette question. Il m’avait été répondu que l’ensemble des symptômes de l’électrosensibilité « ne faisait partie d’aucun syndrome reconnu ». Justement, n’est-il pas temps d’étudier officiellement les cas, afin d’aboutir à une définition rigoureuse de ces troubles et d’apporter une réponse adaptée ?
D’une façon générale, force est de reconnaître que le lobbying des opérateurs a conduit à vider sensiblement cette proposition de loi de son contenu. Je pense notamment à la suppression de l’obligation de permis de construire pour toute implantation ou modification d’antenne-relais.
Céder aux réclamations partiales et intéressées des multinationales des télécommunications, c’est occulter l’humain. C’est tout l’inverse du changement attendu par nos concitoyens. À l’inverse, les députés que je représente soutiennent une meilleure information préalable des riverains, qui permettra la concertation et la recherche de solutions alternatives satisfaisantes.
Je voudrais développer l’approche, que je crois spécifique, des députés communistes et citoyens sur cette question. Nous ne nous cantonnerons pas à une attitude qui consisterait à ne pointer que les méfaits des technologies et à se limiter à l’application du principe de précaution. Il s’agit aussi de dénoncer la logique générale qui prévaut dans l’implantation des nouvelles technologies, à savoir le tout-privé, la marchandisation et la mise en concurrence.
C’est à l’État de reprendre la main en matière d’aménagement numérique et technologique du territoire, notamment par l’implantation et le maintien de services publics. Nous le savons, les acteurs du secteur privé poursuivent un objectif, la rentabilité. Ils n’ont que faire de la situation des territoires enclavés ou des conséquences de certaines technologies sur la santé.
Chers collègues, faisons le bilan en toute transparence des privatisations successives et de l’ouverture à la concurrence dans le domaine des télécommunications. Les situations fortement conflictuelles liées à l’implantation d’antennes-relais montrent qu’il est inconcevable d’avoir dessaisi l’État de ses prérogatives au profit d’opérateurs privés.
Les députés du front de gauche estiment que c’est d’abord de la logique libérale qu’il faut faire le procès. Ainsi, en matière de téléphonie ou d’accès à internet, au lieu d’avoir une infrastructure de réseau unique et égalitaire, respectueuse des réglementations et de la santé, installée sous l’égide de l’État, chaque opérateur peut déployer son propre réseau ! C’est cette multiplicité, imposée par le dogme de la concurrence et de la marchandisation, qui crée des redondances et entraîne des expositions aux champs électromagnétiques bien supérieures aux seuils préconisés.
Mme Laure de La Raudière. Mais non !
M. André Chassaigne. Pour multiplier les profits des entreprises, on a volontairement amputé le secteur public de sa capacité d’action. Or cette concurrence organisée a un autre effet pervers : l’absence flagrante de transparence et de concertation.
J’en veux pour preuve les projets de déploiement d’antennes-relais, dont une ancienne ministre de l’écologie, déjà citée, a pu dire que les riverains en découvraient l’existence « en ouvrant leurs volets » !
Les conflits sont nombreux sur le terrain, et l’exaspération des citoyens appelle des réponses concrètes. Il ne s’agit pas, bien évidemment, de renoncer à la téléphonie mobile, dont le réseau doit être étendu, notamment dans les zones rurales. Il s’agit simplement d’éviter que son développement incontrôlé en fasse le prochain grand problème de santé publique, et il s’agit ainsi de gagner la confiance de la population.
Compte tenu de la configuration des réseaux développés, c’est une part extrêmement importante de la population qui est concernée ou qui va l’être. Et nous savons que les jeunes sont particulièrement touchés par les ondes, du fait de l’utilisation précoce qu’ils font des nouvelles technologies.
En somme, c’est bien le dépeçage des services publics dans le but de confier ces technologies aux seuls acteurs privés qui est la racine du problème. De ce point de vue, j’appelle nos collègues écologistes à plus de cohérence et les incite à ne pas se contenter de mettre en cause les effets des ondes mais à s’interroger sur un système tout entier, qui est, de fait, le principal responsable ! Un positionnement clair exige non seulement de faire prévaloir des normes ambitieuses en matière environnementale, mais aussi de rompre avec les logiques de privatisation, de marchandisation et de mise en concurrence, en bref : de permettre une gestion publique, collective et démocratique des réseaux.
Seule la planification écologique, en rupture avec les vieilles recettes du néolibéralisme, de l’austérité budgétaire et de la « concurrence libre et non faussée » chère à l’Union européenne, permettra de concilier les avancées technologiques avec la préservation de la santé et de l’environnement.
C’est pourquoi la présente proposition de loi est un premier pas nécessaire, mais qui appelle des réformes plus ambitieuses. Quoi qu’il en soit, les députés du front de gauche la soutiendront. Ils voteront les amendements de leurs collègues écologistes, tendant à réintroduire les nombreuses dispositions utiles qui ont fait les frais du lobbying des opérateurs. Ils souhaitent l’adoption d’un maximum de dispositions permettant de préserver la santé de nos concitoyens, sans renoncer à un déploiement égalitaire des technologies.
Si nous n’avons pas le courage de mettre en œuvre ces dispositions – préférant user, plus tard dans la soirée, d’artifices de procédure –, il reviendra à Alexandre Vialatte, cet écrivain que j’aime tant, d’avoir le mot de la fin : « Rien n’arrête le progrès, il s’arrête tout seul. » À méditer, chers collègues… (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et écologiste.)
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Mme Laurence Abeille, rapporteure. (…) Monsieur Chassaigne, merci beaucoup pour votre intervention. Nous partageons la plupart de vos propos. Nous avons aussi eu ensemble des débats intéressants en commission. Vous avez évoqué la situation économique des opérateurs de téléphonie mobile : le président de l’ARCEP, M. Silicani, a souligné, lors de ses vœux, la semaine dernière, que les opérateurs dégageaient encore des résultats financiers tout à fait satisfaisants. Par ailleurs, je vous remercie pour vos propos sur la question de l’électrohypersensibilité et du principe ALARA, ainsi que sur la question de l’information des citoyens. Je n’y reviens pas plus longuement, puisque je suis d’accord avec vous : il ne s’agit pas d’apaiser des peurs mais bien de protéger la santé.
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Motion de renvoi en Commission (défendue par le groupe SRC)
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Ondes électromagnétiques - Explication de vote… par andrechassaigne
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. André Chassaigne. J’ai eu l’occasion, sinon de le dire, du moins de le faire comprendre : le groupe GDR votera contre cette motion de renvoi.
Certes, nous ne sommes pas là pour distribuer des bons et des mauvais points. Mais je salue votre intervention, monsieur le président de la commission. Nous pouvons tous ici considérer que vous avez été animé par le souci de répondre aux interrogations, aux inquiétudes mais aussi à notre mécontentement devant ce qui se passe ce soir. Vous avez parlé avec respect en prenant un engagement. J’espère qu’il sera tenu. « C’est une belle harmonie quand le faire et le dire vont ensemble », disait Montaigne : puissiez-vous être fidèle à son propos.
Je voudrais remercier le groupe écologiste d’avoir initié ce débat. Il a été très riche et aurait pu l’être davantage encore si l’ensemble des orateurs socialistes étaient intervenus. Ils auraient eu sans aucun doute des choses extrêmement intéressantes à dire si certains n’avaient pas dû se plier à la raison d’État et renoncer à leur discours.
Si je peux me permettre, madame ministre, vous avez certes un rang élevé, mais vous avez un peu manqué d’humilité dans vos propos qui ont été très péremptoires. Une ministre peut manquer d’humilité et tenir des propos péremptoires, mais la moindre des choses, quand elle est au banc du Gouvernement derrière son micro, c’est de répondre avec précision aux interrogations des députés. C’est une règle de base qu’il faut bien comprendre et ne jamais oublier. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)
Chacun s’apprête à voter : avec ses convictions ou, au contraire, en mettant ses convictions dans sa poche. Mais il y a des gens que nous ne verrons pas ce soir : je pense en particulier à ceux qui sont en souffrance et qui ne sont pas des malades mentaux, les électrosensibles. Ils vont ressentir ce qui s’est passé ce soir comme un coup très dur, compte tenu de ce qu’ils vivent chaque jour. J’insiste sur ce point et donc sur l’exigence de rediscuter très rapidement de ce texte.
M. le président. Merci de conclure, monsieur Chassaigne.
M. André Chassaigne. Il y a aussi ceux qui sont là, partout, entre les bancs, sans qu’on puisse les voir et qui ont un rôle déterminant : ils appartiennent aux grandes multinationales des télécommunications. Eux, sont contents ce soir. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)
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M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin sur la motion de renvoi en commission :
Nombre de votants 82
Nombre de suffrages exprimés 82
Majorité absolue 42
Pour l’adoption 59
contre 23
(La motion de renvoi en commission est adoptée.)
M. le président. S’agissant d’un texte inscrit à l’ordre du jour d’une séance réservée à un groupe minoritaire, il appartiendra à la conférence des présidents de proposer les conditions de la suite de la discussion.
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