Assemblée nationale - XIIIe législature
2e séance du mercredi 31 octobre 2007 - 15h
Projet de loi de finances pour 2008 (seconde partie) (nos 189, 276)
Pilotage de l’économie française
M. le président. Nous abordons l’examen des crédits relatifs au pilotage de l’économie française.
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M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, premier orateur inscrit.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, le présent projet de budget fixe les crédits alloués à la mission d’établissement de statistique et d’études économiques confiée à l’INSEE. Le rôle de cet institut est essentiel, car les résultats de ses études donnent, sur la situation économique générale, des informations qui constituent la base des grandes décisions budgétaires, dont nous discutons précisément en ce moment. Les 450 millions d’euros de crédits que nous allons voter sont donc parfaitement justifiés pour permettre aux agents de l’INSEE de continuer à assurer un travail de qualité.
Les informations et les statistiques délivrées doivent être particulièrement impartiales et fiables pour éclairer les débats sur l’action de l’État.
- Cette indispensable neutralité d’analyse est-elle toujours assurée ?
- Le code de bonnes pratiques de la statistique européenne du 25 mai 2005, qui insiste sur l’indépendance, est-il respecté ?
- Les choix récents de nomination à la tête de cette direction très sensible du ministère des finances nous permettent d’en douter et augurent mal de l’avenir de la statistique en France.
Le directeur général de l’institut, Jean-Michel Charpin, vient en effet d’être brutalement remplacé, en conseil des ministres, par l’économiste en chef de l’OCDE, Jean-Philippe Cotis, un proche du chef de l’État. Lorsqu’il était ministre de l’économie et des finances, M. Sarkozy n’était pas satisfait du travail coordonné depuis 2004 par M. Charpin. En particulier, relayant les récriminations du grand patronat, il critiquait ouvertement les mesures du pouvoir d’achat, ce qui avait alimenté des tensions avec la direction générale de l’INSEE. Ce débat a rebondi lors de la dernière université d’été du MEDEF, le Président ayant vivement critiqué le mode de calcul de l’indice des prix à la consommation - qui « ne veut rien dire », disait-il - et remis en question de manière lapidaire cet indice, pourtant élaboré avec minutie, selon des règles harmonisées à un niveau européen. En réalité, cette attaque était une manière de détourner l’attention d’une autre composante essentielle de la mesure du pouvoir d’achat, à savoir l’évolution des revenus. Or le directeur général de l’INSEE proposait précisément de définir un indice du coût de la vie approprié, qui intégrerait les prix, mais aussi les loyers et les facteurs d’énergie notamment. Le rapporteur a d’ailleurs fait des observations très pertinentes à ce sujet.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur spécial. Merci.
M. André Chassaigne. D’autres résultats n’ayant pas l’heur de contenter le pouvoir en place - recensement de la population, mesure des créations d’emplois - ont été autant d’occasions de friction avec M. Charpin. D’où une tentative d’orienter de manière pérenne le travail de l’INSEE dans un sens favorable aux thèses de M. Sarkozy. L’institut a ainsi dû annoncer en catimini qu’il renonçait à publier son enquête annuelle sur le chômage, à quelques mois de l’élection présidentielle. De mauvais résultats en matière d’emploi risquaient de nuire à l’image de la droite, à la veille de cette échéance importante ! La méthode est bien connue : plutôt que de lutter contre une maladie qui s’aggrave, on préfère briser le thermomètre… Le summum dans cette tentative d’influer sur le travail de l’INSEE vient donc d’être atteint avec cette récente nomination.
Dans le même temps, le Gouvernement, notamment au travers de la dernière loi sur l’immigration, cherche à orienter l’INSEE vers des axes de travail très contestables. Ainsi, l’institut devra à l’avenir élaborer des statistiques ethniques sur la base du document « Trajectoires et origines ». Cela débouchera sur la mise en place de catégories raciales sur la base d’un questionnaire demandant, par exemple, à la personne interrogée la couleur de sa peau. Autant demander si une personne a fait l’objet d’une discrimination sur des critères ethniques est légitime, autant un recensement de la population sur des critères raciaux sera une première depuis le régime de Vichy !
Ces attaques répétées contre l’indépendance de la statistique ne sont donc acceptables ni politiquement ni techniquement. Elles remettent en question le savoir-faire de la statistique publique française, pourtant reconnu par la communauté internationale. Si la statistique doit suivre des orientations conformes aux priorités nationales, celles-ci doivent être retenues par le Conseil national de l’information statistique, qui regroupe l’ensemble des experts et des acteurs du débat social. Elles ne peuvent pas être soumises au bon vouloir d’un seul homme, fût-il Président de la République !
L’objectif de la nomination de M. Jean-Pierre Cotis n’est-il pas de casser définitivement cet outil indispensable qu’est l’INSEE, à l’image de ce qui se fait dans les autres directions du ministère des finances ? Sa mission est, paraît-il, de « moderniser, dépoussiérer et rénover » l’INSEE. Consistera-t-elle également à poursuivre le « dégraissage » de cette institution, dans un contexte de réduction généralisée des budgets ? L’INSEE, dont l’effectif est actuellement de 6 000 personnes, perd une centaine d’agents par an. On peut craindre que ce mouvement ne s’accélère.
Dans ces conditions, madame la ministre, les députés communistes et républicains sont contraints de voter contre le budget de cette mission ministérielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
[…]
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M. le président. Nous arrivons aux questions.
La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, madame la ministre, les contrats de partenariat public-privé - les PPP - sont au goût du jour. Je serais presque tenté de dire qu’ils suscitent un large engouement grâce à la vaste campagne de publicité dont ils font l’objet.
Le Président de la République en personne ne vient-il pas d’inviter le Premier ministre à faire légiférer le Parlement pour, selon ses propos, « desserrer les contraintes qui limitent encore trop l’utilisation de la procédure propre à ces partenariats ». Il est vrai que le Président souhaite en faire un outil pour « préparer l’avenir de notre pays et financer les grands équipements dont la France de demain aura besoin »…
De deux choses l’une, madame la ministre : ou bien le Président de la République a découvert la formule magique permettant d’obtenir la croissance qu’il appelle de ses voeux. Ou alors, il veut laisser le champ libre aux grands opérateurs privés qui pourraient financer et même gérer les futurs équipements publics que sont les hôpitaux, les universités, les grandes infrastructures ferroviaires, ou, à une autre échelle, les écoles ou les gendarmeries comme cela est déjà le cas dans ma circonscription. En contrepartie d’un loyer versé par la collectivité territoriale ou par l’État, une entreprise privée se verrait confier des missions de service public dans le domaine de la santé, de l’éducation nationale ou des transports.
Une telle politique, madame la ministre, est particulièrement inquiétante, parce qu’elle livre nos services publics aux tentacules asphyxiants des marchés. Les conséquences risquent d’être douloureuses pour les territoires qui feront le choix d’un tel dispositif. Outre le fait qu’on substituera au service public une gestion privée, il est tout aussi évident que les acteurs locaux - PME, artisans et commerçants - subiront de plein fouet cette nouvelle donne économique : pour des raisons de rentabilité et de rapidité des procédures, il paraît peu probable que l’entreprise choisie dans le cadre de ce partenariat privilégie l’entrepreneur local. On le voit déjà avec la construction de gendarmerie où les entreprises locales sont quasi systématiquement écartées de ce type de partenariat.
Madame la ministre, quand le doigt sera mis dans l’engrenage de ce dispositif pervers, comment les collectivités locales pourront-elles échapper à la pression qu’elles subissent pour se substituer à un État défaillant et maintenir en activité une gendarmerie, un hôpital, une prison ou tout autre équipement public ? D’autre part, ces contrats de partenariat ne seront-ils pas le futur outil de financement, malgré toutes les dérives qu’ils entraînent, des grands équipements - par exemple les 2 000 kilomètres de lignes TGV - décidés lors du Grenelle de l’environnement ?
M. le président. Je vous suggère, monsieur Chassaigne, de poser immédiatement votre seconde question.
M. André Chassaigne. Volontiers, monsieur le président.
Madame la ministre, un bilan des pôles de compétitivité est prévu en 2008 afin d’évaluer leur capacité à dynamiser l’économie de notre pays.
De grandes ambitions avaient été assignées à chacun d’eux. Ils devaient être des outils déterminants pour la compétitivité des territoires. Un des principaux objectifs était de permettre aux PME les plus fragiles de bénéficier de l’élan économique ainsi créé pour faire face aux donneurs d’ordres et mieux se protéger contre les délocalisations.
L’élément dynamisant de ces pôles devait être le décloisonnement de l’université, de la recherche et des entreprises. Cette disposition séduisante présente pourtant un risque, désormais amplifié par la loi sur l’autonomie des universités : celui de voir les entreprises exercer une forme de tutelle sur la recherche et sur l’université. Quant aux mesures fiscales de ces pôles de compétitivité, on ne peut pas dire qu’elles soient le fruit d’une grande imagination : c’est l’éternelle recette, usée jusqu’à la corde - mais qui vous reste particulièrement chère, madame la ministre - des exonérations de charges sociales et fiscales dont profitent les grands groupes qui sont au cœur du dispositif.
Dans ces conditions, les territoires les mieux lotis pourraient bien être les grands bénéficiaires, au détriment de ceux qui connaissent les plus grandes difficultés.
Cette inquiétude, partagée par l’ensemble des élus, notamment ruraux, est malheureusement confortée par la réduction drastique des territoires éligibles à la prime d’aménagement du territoire. Pour la région Auvergne - que je connais bien - 20 % seulement de la population sont désormais éligibles, contre 50 % précédemment. Les conséquences commencent à se faire sentir et les chefs d’entreprise, notamment de PME, nous interpellent régulièrement.
Toujours en Auvergne, le pôle ViaMéca bénéficie d’un environnement attrayant au niveau universitaire, notamment avec l’institut français de mécanique avancée - l’IFMA - et au niveau industriel avec la présence de grands groupes tels Alcan et Eramet. Cet environnement a-t-il permis de renforcer un bassin d’emplois comme celui de Thiers, durement touché par la politique des donneurs d’ordres que sont les grandes entreprises de l’industrie automobile ? Avec un tissu de PME particulièrement dense et une tradition industrielle qui est au cœur des objectifs assignés à ViaMéca, ce bassin aurait dû bénéficier de la dynamique créée par ce pôle de compétitivité.
Madame la ministre, ma question est donc la suivante : pouvez-vous nous donner l’assurance que le prochain bilan d’étape du pôle ViaMéca nous offrira une vision suffisamment claire des retombées économiques sur le bassin d’emplois thiernois ? Nous sommes bien là au cœur du pilotage de l’économie du pays, madame la ministre !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
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Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi. Monsieur le député, les partenariats public-privé, ne témoignent pas d’une défaillance de l’État, mais, bien au contraire, de son intelligence, de sa capacité à confier aux plus compétents et aux plus talentueux ce qu’il n’a pas vocation à entreprendre - construire des voies ferrées ou des routes, par exemple. Bref, l’État utilise les compétences et les talents là où ils sont.
M. François Goulard. Très bien !
M. André Chassaigne. C’est une autre culture !
Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi. Peut-être, mais c’est une démarche intelligente qui consiste à faire appel aux compétences là où elles sont et à utiliser les talents dans le souci de l’intérêt général dans le cadre d’une construction juridique, qui permet par ailleurs le partage des risques…
M. François Goulard. En effet !
M. André Chassaigne. Ce n’est pas très gaulliste !
Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi. …et qui motive du reste grandement les prestataires au succès de l’opération, beaucoup plus efficacement qu’une simple sous-traitance. Elle permet par ailleurs d’échelonner les dépenses publiques tout en les maîtrisant et nous donne l’occasion de lancer de grands investissements dont notre pays a besoin, et que l’État n’a pas nécessairement vocation à financer, compte tenu de nos contraintes budgétaires.
L’ordonnance du 17 juin 2004, qui a créé les contrats de partenariats, a fait des émules à l’étranger où cette ordonnance sert bien souvent d’exemple, même à des pays soumis à la common law qui s’inspirent de son esprit novateur et de son excellent modèle de partage de risques.
La mission d’appui aux PPP qui a été créée au sein de mon ministère et de celui en charge du budget pour accompagner les administrations et les collectivités a déjà eu à connaître de cinquante projets dont dix-sept émanant de collectivités locales. Nous devons évidemment aller plus loin. Le recours aux PPP reste encore l’exception. C’est pourquoi le Président de la République a demandé au Premier ministre de relancer le recours aux PPP, et mon ministère travaille en ce moment sur des propositions pour enclencher une véritable dynamique de recours aux PPP dans l’intérêt de nos finances publiques, et pour répondre à nos concitoyens qui attendent des services publics et des infrastructures de qualité.
À cette initiative, nous devons ajouter celle de l’accès privilégié à la commande publique, autrement connu sous le nom barbare de « SBA à la française ». La combinaison de ces deux initiatives devrait permettre, puisque vous en soulignez l’importance, de favoriser l’accès des petites et moyennes entreprises aux côtés d’un certain nombre de grands groupes aux grands chantiers. Pour des grands projets d’infrastructure, il est souvent extrêmement utile d’avoir recours à un grand opérateur, mais il n’est pas exclu de lui demander d’avoir à ses côtés - et c’est très souvent le cas - un certain nombre de petites et moyennes entreprises locales.
Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi. En ce qui concerne les pôles de compétitivité, plus particulièrement ceux situés en Auvergne, si j’ai bien compris, monsieur Chassaigne (Sourires), je voudrais vous répondre de manière plus large.
Nous avons aujourd’hui soixante et onze pôles de compétitivité labellisés, dix-sept mondiaux et à vocation mondiale. L’ensemble de ces pôles maillent notre territoire, rassemblant les entreprises, les universités, les écoles, les laboratoires. Ce projet tout à fait novateur a permis à l’ensemble des acteurs de travailler ensemble et de se concentrer sur la réalisation de projets, ce qui est bien souvent la meilleure façon de surmonter les préventions. L’effort collectif est en effet indispensable pour réaliser des projets ambitieux.
Vous avez évoqué diverses dispositions, et notamment des exonérations fiscales et sociales, dont je serais, à vous entendre, particulièrement friande. Sachez donc que les exonérations de cotisations sociales ont été abandonnées dans la dernière loi de finances pour 2007, au profit d’un relèvement de 30 % à 45 % du taux de subvention des PME.
D’autre part, les exonérations fiscales, qui doivent respecter le plafond de minimis, ne représentent qu’environ 10 % des crédits alloués aux pôles de compétitivité. La très grande majorité des crédits que l’État accorde à ces derniers est en revanche consacrée au financement sur projets. Or, en la matière, et à la grande satisfaction du Gouvernement, les régions dites rurales tirent assez bien leur épingle du jeu. En Auvergne - pour prendre un exemple au hasard (Sourires) -, les trois pôles de compétitivité que sont Céréales Vallée, InnoViande et ViaMéca et ont vu labelliser neuf de leurs projets, ce qui représente une contribution de l’État de 9,6 millions d’euros, soit 2,2 % du total alloué aux territoires.
Aussi peu légitime soit-il de faire un tel rapprochement quand il est question du développement du territoire, on peut tout de même rapporter ce chiffre de 2,2 % à la contribution de l’Auvergne au produit intérieur brut total de la France, qui est de 1,8 %. Cette zone ne me semble donc pas particulièrement dévalorisée.
M. Georges Mothron. C’est bien payé !
Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi. Au sein notamment du pôle ViaMéca, que vous avez mentionné, cinq projets ont été labellisés par l’État, qui les accompagne à hauteur de plus de 4 millions d’euros. L’un d’entre eux, le projet de forage à grande vitesse vibratoire, implique une PME thiernoise que vous connaissez bien, Dapta Technologies, qui, après avoir connu des difficultés, relève aujourd’hui la tête, grâce probablement à ce pôle compétitivité et grâce aussi, bien sûr, à la qualité de ses salariés et de sa direction.
Monsieur le député, vous avez enfin évoqué, à juste titre, le bilan des pôles de compétitivité, auquel nous y travaillons actuellement et qui sera, je l’espère, présenté devant votre assemblée.
Ce projet innovant a inspiré d’autres pays européens et a parfois même permis des rassemblements entre des clusters étrangers et nos pôles de compétitivité français. Le bilan, qui sera publié au mois de juin, en tirera toutes les conclusions applicables. Il permettra, je l’espère, d’améliorer le dispositif et, surtout, de l’installer dans une forme de pérennité qui permettra aux acteurs économiques de continuer à travailler ensemble, car c’est ainsi que l’on peut participer à la création de valeur dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. André Chassaigne. Je vous remercie, madame la ministre.
M. le président. Avec des réponses aussi fournies, vous avez effectivement été bien servi, monsieur Chassaigne !
M. François Goulard. Et l’Auvergne avec lui !
M. le président. Nous avons terminé les questions.
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Mission « Pilotage de l’économie française »
M. le président. J’appelle les crédits de la mission « Pilotage de l’économie française », inscrits à l’état B.
M. le président. Je mets aux voix les crédits de la mission « Pilotage de l’économie française ».
(Les crédits de la mission « Pilotage de l’économie française » sont adoptés.)