EXPLICATION DE VOTE PROJET DE LOI DE DECENTRALISATION RESPONSABILITES LOCALES.
ANDRE CHASSAIGNE, GROUPE DES DEPUTES COMMUNISTES ET REPUBLICAINS.
Monsieur le président, Monsieur le Ministre, Chers collègues,
Le projet de loi soumis au vote d’aujourd’hui a été au centre du débat électoral. Il a été rejeté massivement, en particulier dans son volet financier. Les citoyens et les élus locaux se sont notamment retrouvés pour exiger, avant tout transfert de compétences, la garantie de contreparties financières réelles.
Depuis plusieurs mois, les actions se sont multipliées à l’initiative des personnels concernés et de leurs organisations syndicales. Des milliers de manifestants ont marché vers l’Assemblée Nationale pour nous dire « ne votez pas la loi de décentralisation, ne votez pas ces transferts de compétences ».
Le retrait de cette loi est ainsi apparu comme une exigence forte, une revendication prioritaire.
Aussi, au lendemain du 28 mars, le Premier ministre, sans doute tétanisé par « le message sorti des urnes » et la révélation du désaveu géant de sa politique, a dû nous jouer un petit air de Lamartine. « Ô, temps, suspends ton vol ! ».
Concernant cette loi de décentralisation, le temps de la concertation était enfin venu. Avec l’arrêt du rouleau compresseur, l’aveu, enfin, d’une insuffisance de dialogue. La reconnaissance enfin, de la concertation nécessaire.
Nous pensions alors que ce vers d’Aragon dans « la rose et le réséda » vous avait inspiré : « Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat ».
Et nous avions pris acte que votre gouvernement sonné était prêt à interrompre le processus législatif de décentralisation, à remettre en cause ce projet de loi que nous avions été contraints d’étudier en catimini et au pas de charge à la veille des élections.
Malheureusement, cette ouverture a bien vite été stoppée par le sifflet du caporal, sous-chef d’une section en déroute, mais soudainement gonflé d’une hallucinante autorité régénérée : « On continue. Circulez, y’a rien à voir ! ».
Ainsi, après avoir dit : « ce n’est pas la rue qui gouverne », le chef du gouvernement en déconfiture va plus loin en disant : « ce n’est pas le suffrage universel qui va décider ».
Ce projet aujourd’hui soumis à notre vote, le Premier ministre nous l’avait bradé, la main sur le cœur, au nom d’une proximité perdue entre les élus et les Français. Il prétendait ainsi rapprocher l’exercice du pouvoir du terrain. Il dissertait sur le pragmatisme et l’efficacité de la gouvernance locale.
Ses talents éphémères de bateleur auraient presque fait illusion et laissé accroire sa bonne foi…
Mais aujourd’hui, l’obstination à passer en force, révèle un tout autre visage. Celui de l’imprécateur, dogmatique et rigide. Celui de l’exécutant zélé, intransigeant et sourd aux cris de la rue et du suffrage universel.
Derrière vos aphorismes, vos formules à l’emporte-pièce, on trouve en fait un texte de loi qui ne parle ni de bon sens ni de proximité. Il s’agit plutôt d’organiser, méthodiquement, le démantèlement de l’Etat. Avec un objectif : inscrire encore plus fortement la France dans la guerre économique et la mondialisation libérale.
En effet, le mode de répartition des compétences transférées, entre les départements et les régions, accentuera la dichotomie entre l’économique, confié aux régions, et le social, confié aux départements. Vous exonérez ainsi les régions, dans l’élaboration de leur stratégie économique, de toute responsabilité sociale en matière de développement. Ce qui aura pour effet, dans la concurrence sauvage au cœur de l’Europe libérale, de mieux les soumettre aux desiderata des multinationales, des chasseurs de prime et des maîtres chanteurs à l’emploi.
Car enfin, comment voulez-vous, dans un tel cadre institutionnel concevoir un développement économique durable, équilibré, respectueux des hommes et des territoires ? Comment tolérer que les régions, chargées de soutenir le développement économique, se délestent auprès des départements des politiques visant à corriger les déséquilibres sociaux créés au sein du processus productif ?
Nous n’acceptons pas ce cadre institutionnel dans lequel vous enfermez les collectivités territoriales, tant il est empreint de dogmes libéraux. Et faites confiance aux élus communistes, dans les Conseils régionaux et généraux, pour faire éclater le carcan dans lequel vous voulez enfermer l’action publique !
Parmi les sentences creuses dont ce gouvernement s’est fait spécialiste, celles sur la « libération des énergies » sont particulièrement ronflantes.
Quelles énergies libérez-vous en transférant vers les collectivités territoriales 96 000 personnels TOS et en rompant, de ce fait, l’unité des équipes éducatives dans les établissements ?
Quelles énergies libérez-vous en démantelant, pièce après pièce, les services de l’équipement dans les départements, et en décentralisant des milliers d’agents aux missions d’Etat ?
Quelles énergies libérez-vous dans les départements, qui seraient interdits d’intervenir dans le domaine économique sans l’accord de leur tuteur régional ?
Quelles énergies libérez-vous dans le secteur hospitalier avec une régionalisation qui supprime toute référence aux normes nationales en matière de lits de médecine, de chirurgie, d’obstétrique ou d’équipements hospitaliers ?
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Plutôt que d’être abreuvés de faux-semblants et de banalités navrantes, les Français ont le droit de savoir, au contraire, comment vous comptez éviter d’asphyxier les budgets des départements et régions. Car le flot des compétences obligatoires que vous transférez à ces collectivités, sera, pour beaucoup d’entre elles, insupportable.
De quelles marges de manœuvre budgétaires et politiques disposeront les régions après le transfert des TOS ? De quels moyens disposeront les départements, après le transfert du RMI-RMA en janvier dernier et, après les transferts prévus par cette loi, pour lancer des politiques relevant de leur seule libre administration ?
L’élasticité des budgets des collectivités locales sera encore réduite par la progression spontanée des postes de dépenses transférés. Et votre refus entêté de débattre du volet financier de la décentralisation ne fait que confirmer nos dires.
Je ne parle même pas de cet indigent projet de loi organique à l’ordre du jour de l’Assemblée, dit « d’autonomie financière des collectivités territoriales ».
Le Premier ministre prétendait, à Rouen, qu’en administrant près, on administrerait mieux. Ce n’est pourtant pas de cela qu’il s’agit.
Il s’agit plutôt d’inciter les collectivités, sous la contrainte budgétaire, à se désengager massivement de l’action publique et à conduire, en parallèle la politique de rigueur budgétaire que vous voulez imposer au pays.
Il s’agit aussi d’inciter ces mêmes collectivités, contraintes de maîtriser la dépense publique, à multiplier les délégations de service, et donc les privatisations de services publics locaux. Les TOS de l’Education Nationale comme les agents de l’équipement sont les premiers visés par cette politique. Ils l’ont bien compris d’ailleurs. Et votre refus systématique d’adopter tout amendement excluant la perspective de privatisation a confirmé leurs craintes.
Il s’agit enfin, bien évidemment, d’un renoncement. Celui de la grande ambition gaullienne d’un aménagement harmonieux du territoire français.
Car ce qui se profile avec ce texte, c’est au final un approfondissement des inégalités territoriales. On connaît les écarts de développement existant aujourd’hui entre les régions. On sait aussi que ces inégalités se sont considérablement renforcées depuis les premières lois de décentralisation.
Nos territoires se meurent et vous les laissez mourir. A force de dépouiller l’Etat de ses compétences et de privatiser nos services publics, vous aiguisez ces inégalités et accélérez la désertification de nos campagnes.
Contraintes budgétaires nouvelles, privatisations de services publics locaux, approfondissement des inégalités territoriales. La proximité que vous invoquez… elle ressemble quand même beaucoup à celle qui vous lie au MEDEF !
Cette loi, et c’est bien là votre objectif premier, générera de l’impuissance politique. Avec un Etat affaibli et des collectivités territoriales dépourvues de moyens financiers, vous protégez les multinationales de toute possibilité d’intrusion des élus du peuple dans le domaine bien gardé de la gestion des entreprises.
C’est bien là que se situe le cœur même de votre projet de décentralisation. Il s’agit, dans la construction d’une Europe libérale des régions, de soumettre nos institutions aux lois du marché. Dans ce schéma,
- la Commission et la Banque Centrale Européenne décident.
- Les Etats, parce que modes d’expression de la souveraineté populaire, s’effacent.
- Les régions appliquent et corrigent à la marge.
- Les marchés, eux, évidemment, spéculent et licencient à l’envi.
Les Michelin, Lu ou Metaleurop ont décidément de beaux jours devant eux !
Certes, les marchés applaudissent… Mais les Français, quant à eux, vous ont dit non.
Evidemment, nous récusons en bloc cette logique. Et nous ne céderons pas à l’impuissance politique dans laquelle vous souhaitez enfermer la République. Par tous les moyens, dans les territoires et les assemblées délibérantes des collectivités territoriales, les communistes seront présents pour porter, directement avec les citoyens, les syndicalistes et les élus, des dynamiques alternatives. Ils feront vivre de nouveaux modes d’intervention publique, notamment dans les affaires économiques, par la mobilisation du crédit bancaire, et pour la création d’emplois stables.
La discussion parlementaire qui a eu lieu avant les élections n’a fait que confirmer nos craintes sur la réalité de votre projet. Votre assurance sourde et hautaine a orienté nos échanges sur des questions purement techniques, pour mieux éviter tout débat politique de fond.
C’est bien pourquoi, malgré vos quelques reculades, notamment l’adoption de notre amendement revenant sur votre projet d’instituer des péages sur les routes, le groupe des députés communistes et républicains votera fermement contre ce projet.
Pas plus qu’hier, ne comptez pas sur nous, au lendemain de votre très remarquable débâcle électorale, pour approuver ces transferts de compétence que vous nous imposez, à l’opposé d’une décentralisation donnant aux populations de réels pouvoirs d’intervention.