La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
PARCS NATIONAUX (suite)
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif aux parcs nationaux et aux parcs naturels marins.
EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ
Mme la Présidente - J’ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement. Je vous rappelle que la Conférence des présidents a fixé à trente minutes la durée maximale de l’intervention.
M. André Chassaigne - J’ai la très lourde mission ce soir de vous convaincre de l’irrecevabilité constitutionnelle de ce texte, tâche d’autant plus lourde…
M. Jérôme Bignon - Eh oui !
M. André Chassaigne - …que ce projet de loi n’est pas sans intérêt.
J’ai donc observé notre Constitution avec la même passion que certains d’entre nous mettent à contempler la faune et la flore dans les parcs nationaux. J’ai posé mes jumelles et ouvert délicatement ce projet de loi. J’ai cherché à l’intérieur, scruté, évalué, apprécié en quoi il pouvait y avoir incompatibilité avec notre loi fondamentale, un peu comme si mon collègue M. Lassalle cherchait à s’assurer que l’isard qu’il a aperçu sur les contreforts du Pic du Midi d’Ossau était correctement représenté dans son guide du parc national des Pyrénées. Sait-on jamais ? Un imprimeur malintentionné aurait pu le confondre avec un chamois de la Vanoise ! (Sourires)
Cet isard, en l’occurrence, c’est la Charte de l’environnement. Je la connais bien. Je l’ai suffisamment travaillée lors de son passage devant notre Assemblée et au Congrès pour l’identifier entre mille. Ses considérants comme ses principes sont connus. Ils affirment notamment que « l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains », que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation », et qu’à ce titre, « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. » Malgré tous mes efforts, je n’ai pas constaté d’erreur manifeste d’appréciation dans ce projet de loi : ce n’est pas un chamois que je vois sur la photo de mon guide. Mais je n’y reconnais pas nettement, non plus, mon isard. L’image est trop floue !
C’est d’abord sur ce problème que je me pencherai.
Les parcs nationaux ont été créés en 1960. Alors que le pays était en phase glorieuse de croissance et d’urbanisation, il s’agissait de protéger des territoires exceptionnels par la richesse de leur faune et de leur flore, par leur beauté, leur histoire et leur originalité. Depuis, sept parcs ont été créés, essentiellement dans les massifs montagneux. Ils représentent aujourd’hui 0,01% du territoire national. Ces espaces ont été remarquablement protégés : un certain nombre d’espèces, parfois vouées à la disparition, ont pu prospérer. Quant aux habitants de ces régions, ils sont fiers de vivre à proximité de sites exceptionnels et reconnus pour tels, fiers de participer à leur préservation contre toutes sortes de dégradations. Ils se sont construit une identité et aiment leur territoire de vie. C’est pourquoi la réforme du statut de ces parcs nationaux doit s’inscrire clairement dans la continuité de la loi de 1960.
Bien sûr, cette loi a provoqué un certain nombre de dommages collatéraux qu’il fallait corriger. C’est le mérite du premier rapport de notre collègue Giran que de les avoir identifiés. Nous partageons globalement son diagnostic : il est nécessaire de toiletter la loi de 1960. Le principal problème réside aujourd’hui dans la sanctuarisation de territoires qui sont aussi des lieux de vie. A ce titre, je me félicite que la nouvelle définition des parcs nationaux inclue désormais le patrimoine culturel. Hors des cours de philosophie de terminale, l’opposition entre nature et culture a peu de sens. Presque tous les espaces naturels de notre planète ont été redessinés par l’homme, ils sont le fruit de métamorphoses. De la même façon, nos cultures sont déterminées par l’environnement dans lequel elles se sont développées : Michel Butor ne disait-il pas que « l’imaginaire est dans le réel » et que « nous voyons le réel par lui » ?
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Ainsi, ces parcs nationaux constituent moins des sanctuaires naturels que des espaces que notre civilisation juge aujourd’hui vital de protéger. Il faut donc resserrer les liens entre ces parcs et leur proche environnement en sorte qu’il y ait une communauté d’objectifs avec les populations vivant à proximité et avec leurs élus et que ces parcs soient mieux intégrés dans la vie de ces habitants. C’est d’ailleurs sur ce point qu’ont porté les critiques : sont dénoncées la prolifération de règles contraignantes, la tutelle de l’Etat comme la superbe de certains de ses missi dominici, la conception parfois trop étroite de la notion de préservation de milieux naturels qui conduit à faire l’impasse sur l’indispensable présence de l’homme… Mais l’exacerbation de ces comportements bureaucratiques et tatillons ne serait-elle pas la malheureuse conséquence du rationnement budgétaire dont sont victimes les parcs ? Les agents des parcs, s’ils étaient plus nombreux, n’auraient-ils pas davantage de temps à consacrer à leurs relations avec le public et les élus ? Espérons qu’aujourd’hui la volonté d’assouplir la loi de 1960 n’obéisse pas à cette logique comptable que nous ne connaissons que trop. C’est bien parce que les budgets de ces parcs sont en berne que beaucoup de leurs salariés sont aujourd’hui inquiets. Ceux du parc du Mercantour ont lancé un mouvement de grève la semaine dernière. Nous devons faire nôtre leur inquiétude : quelle ambition pour les parcs sans véritables moyens ?
Reste que le législateur doit garder à l’esprit un certain nombre de réalités et d’exigences. Quelle que soit leur bonne volonté, les élus de terrain sous-estiment parfois l’ampleur de la pression urbanistique à laquelle sont soumises ces zones protégées. Le développement du tourisme vert et de montagne est un mouvement de fond et certains promoteurs immobiliers sans scrupules sont à l’affût du moindre relâchement réglementaire pour parachever leur grande œuvre de bétonnage des plus beaux sites de notre pays. Les évolutions en cours de la loi Littoral en sont le meilleur exemple. Ne projetterait-on pas de nouvelles stations de ski dans la Vanoise, espace pourtant préservé depuis plus de quarante ans ? Sur ce point, le projet de loi du Gouvernement me paraît empreint d’une touchante naïveté. En montagne, les risques de bétonnage sont d’autant plus réels que les grands parcs nationaux sont situés à la croisée de grands massifs, et donc de vastes domaines skiables potentiels. Les petites stations situées à 1 500 mètres d’altitude sont fragilisées par le recul de l’enneigement dû à un réchauffement climatique qui ira s’accentuant. On peut dès lors supposer chez certains élus la tentation d’en créer de nouvelles, plus haut, sachant qu’elles seront prisées des skieurs. Il est donc bien nécessaire de protéger le cœur des parcs nationaux.
En outre, parce que l’environnement, comme l’affirme la charte de l’environnement, est le patrimoine commun des êtres humains, la protection des sites les plus exceptionnels de notre pays ne peut être confiée aux seuls élus des territoires concernés. Ainsi Victor Hugo écrivait-il : « Il y a deux choses dans un monument : son usage et sa beauté. Son usage appartient à son propriétaire, la beauté à tout le monde. C’est donc dépasser son droit que de le détruire. » Un parc naturel n’est-il pas une cathédrale, appartenant à l’humanité entière ? Aussi faut-il rappeler qu’un directeur de parc national, serviteur de l’Etat, a, comme un préfet, un rôle ingrat mais nécessaire.
Par ailleurs, les menaces pesant aujourd’hui sur la biodiversité doivent nous inciter à renforcer les mesures de protection existantes : la création de nouveaux parcs nationaux s’impose donc, mais les projets à la Réunion, en Guyane ou dans les calanques de Marseille, avancent trop lentement, sans toujours prendre en compte les modes de vie des populations.
La première contrainte, omise dans tous les rapports, est budgétaire : le Gouvernement a sabré ces dernières années le budget des parcs existants à tel point que l’on peut s’interroger sur l’opportunité d’en créer d’autres ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)
La seconde contrainte est juridique. Un parc national ne peut se résumer à un label. Il ne peut exister que si la circulation, la construction d’aménagements, la chasse ou la cueillette sont effectivement réglementés.
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Certains militent pour un rapprochement des statuts des parcs nationaux de ceux des parcs naturels régionaux. Il s’agit évidemment, dans le droit fil des lois de décentralisation, de confier aux seuls élus locaux la lourde responsabilité de la protection de ces sites exceptionnels. Cette option dangereuse aurait certes l’avantage d’impliquer les acteurs locaux dans la définition d’un projet de territoire. Mais, pour être l’élu d’une circonscription recouvrant une grande partie du parc régional du Livradois-Forez, je sais que les enjeux, pour ces deux catégories de parcs, sont différents.
Les parcs nationaux sont établis pour protéger des sites naturels, remarquables pour la diversité ou la rareté de leur faune et de leur flore, ou pour la qualité de leurs paysages : à situation exceptionnelle, traitement exceptionnel. Les parcs régionaux reposent eux, sur un projet de développement partagé par les acteurs locaux, désireux de faire vivre leur territoire avec ses particularités et donc de marquer son caractère, ce projet étant validé ensuite par l’Etat. Ainsi, les directeurs des parcs régionaux ne disposent-ils pas de pouvoirs réglementaires et de police, et les chartes de territoire ne sont-elles pas opposables aux tiers. C’est là un point fondamental : contrairement à ce que pensent de nombreux libéraux, tous les problèmes ne peuvent se régler par le contrat. Si l’on devait écouter les inconditionnels de la décentralisation en occultant ces différences, le risque serait grand de ne plus réussir à préserver les parcs nationaux de toute artificialisation excessive.
En outre, les parcs nationaux français relèvent, selon l’Union mondiale de la nature, de la catégorie 2, qui recouvre des aires protégées, gérées principalement en sorte de conserver les écosystèmes et à des fins récréatives - dans cette grille de six catégories seul le parc national des Cévennes est classé dans la cinquième, un droit de chasse étant reconnu aux propriétaires des terrains situés en son sein.
Une entreprise de déclassification entraverait cette dynamique internationale en faveur de la biodiversité de notre planète. Toute réforme doit donc être prudente, vertu que je reconnais au rapport de notre collègue Giran, mais nettement moins au projet qui nous est présenté : par ses imprécisions, il pourrait être dangereux.
Deux questions méritent d’être éclaircies : celle du périmètre des parcs et celle de l’articulation entre le droit unilatéral et le droit des contrats.
En effet, notre rapporteur avait distingué le cœur des parcs, où la préservation des milieux naturels doit rester un impératif, de leur zone périphérique, où une démarche contractuelle avec les communes aurait toute sa place, afin de rendre compatibles protection de la nature et développement durable : l’élaboration avec les élus locaux d’un projet pertinent de développement faciliterait l’adhésion de ces élus et des populations au projet écologique.
La distinction est claire sur le papier, moins sur le terrain : c’est pourquoi je ne comprends pas que le projet de loi reste aussi évasif, notamment sur la question des régimes juridiques. L’exposé des motifs justifie cette confusion par la nécessité de ne plus opposer les deux zones, vouées à une communauté de destin. Mais le risque est grand, alors, de finir par les assimiler.
Le statut final de la zone périphérique prête aussi à débat. Selon le rapport, elle « doit constituer une sorte de « zone-tampon » entre le parc et l’extérieur, destinée à accueillir et héberger le public, qui ne peut l’être au sein même du parc. Elle a été conçue aussi comme une zone où seraient compensées les contraintes imposées dans les territoires compris dans le parc. » S’agit-il de multiplier là les aménagements et les équipements afin de relancer l’exploitation économique des parcs nationaux ? De bétonner nos montagnes en bordure de ces parcs ? Nous avons toutes les raisons de nous inquiéter : nous sommes loin de la contractualisation sur le développement durable.
Par ailleurs, pouvons-nous être certains que les futurs cœurs des parcs nationaux auront un périmètre équivalent à celui des actuels parcs et que ce changement de dénomination juridique, par un détricotage aux justifications diverses, ne sera pas une occasion de réduire les espaces protégés ?
Mais c’est surtout dans la multiplicité des renvois au pouvoir réglementaire que réside l’inconstitutionnalité de ce projet de loi…
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M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire - Vous n’arrivez pas à y croire vous-même !
M. André Chassaigne - Le domaine de la loi, tel qu’il résulte de l’article 34 de la Constitution, intègre désormais la définition des principes fondamentaux de la protection de l’environnement. C’est pourtant sur des points essentiels que le Gouvernement prévoit de modifier par décret le régime juridique des parcs nationaux.
Ainsi, la question des pouvoirs du président du conseil d’administration du parc, comme celle du poids des élus locaux dans ce conseil d’administration, ne sont pas des questions techniques : renforcer les premier et le second, jusqu’à ce que ces élus deviennent majoritaires, revient à opérer de facto une décentralisation. En effet, le directeur pourrait avoir, face à un conseil d’administration hostile, de grandes difficultés à résister aux pressions d’élus tentés par l’aménagement. Le premier rapport Giran me semblait plus équilibré sur ce point, quand il recommandait que les conseils d’administration soient composés à 30% de représentants de l’Etat, à 40% d’élus locaux, et à 30% de personnalités qualifiées, telles, je pense, des agriculteurs, des forestiers et des associations de protection de l’environnement. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette proposition ? Le décret qu’il compte prendre ne fixera-t-il pas une proportion moindre de fonctionnaires de l’Etat ?
De la même façon, des renvois au pouvoir réglementaire sont prévus pour des questions aussi déterminantes que la réglementation des travaux, notamment dans les espaces urbanisés et non urbanisés du cœur des parcs, ou bien encore celle des activités. Ainsi, les personnes résidant sur le territoire d’un parc national pourraient se voir reconnaître, par décret et à titre de compensation, un droit de cueillette ou de chasse. Je n’y suis pas opposé. Mais s’il y a abus et, par exemple, la commercialisation du fruit de cette cueillette auprès des touristes, le décret prévoira-t-il une réaction des pouvoirs publics ? Il s’agit d’un problème qui se pose actuellement et pour lequel des éclaircissements législatifs auraient dû s’imposer.
Enfin, je ne peux que déplorer que le texte ne dise rien de l’intérêt scientifique des parcs nationaux, ceux-ci n’étant appréhendés que dans leur dimension économique. A cet égard, la relégation des conseils scientifiques au niveau réglementaire est révélatrice…
M. Michel Bouvard - Il n’y a pas lieu de parler de relégation puisqu’ils ne figurent pas dans la loi actuelle.
M. André Chassaigne - L’intérêt des parcs n’est pas qu’esthétique, leur richesse est aussi scientifique. Il est par conséquent indispensable que les organigrammes en tiennent compte.
Les réserves de notre groupe tiennent pour l’essentiel aux ambiguïtés de rédaction délibérées de ce texte. Insidieusement, celui-ci tend en effet à réduire la spécificité des parcs nationaux et je sais que nos réticences sont partagées par nombre d’entre vous. Cependant, elles ont été en partie levées par les très nombreux amendements adoptés en commission grâce à notre rapporteur. S’il advenait que ces amendements - utilement complétés par d’autres tout aussi pertinents - étaient adoptés en séance publique, nous ne nous opposerions pas à l’adoption de ce projet de loi.
Mais avant d’en arriver là, il faudrait bien sûr que l’exception d’irrecevabilité que j’ai eu l’honneur de défendre ne vous ait pas convaincus, alors que je sais bien que la pertinence de mon argumentation va vous conduire à l’adopter comme un seul homme ! (Sourires sur tous les bancs ; applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)
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Mme Nelly Olin, ministre de l’écologie et du développement durable - Monsieur Chassaigne, vous avez plaidé ce dossier avec beaucoup d’intelligence et d’humour et j’ai eu plaisir à vous écouter, d’autant que vous avez abordé plusieurs points importants. Comme chacun le sait ici, la procédure de création d’un parc national est lourde, et il n’était que temps de moderniser la loi sans s’abriter derrière de faux prétextes ou de mauvaises raisons, telle l’approche des échéances électorales. Bien décidée à ne pas remettre à demain ce qui doit être fait aujourd’hui, je suis déterminée à faire des parcs nationaux l’une des priorités budgétaires de l’exercice 2007. L’ambition que j’ai déjà eu l’occasion de décrire est de créer de nouveaux parcs et de mobiliser des moyens nouveaux au profit de ceux qui existent déjà, en vue notamment de mieux s’adapter à la spécificité des territoires. Sans l’assurance que je disposerai en 2007 de dotations à la hauteur des enjeux, je n’oserais pas vous présenter une telle réforme. J’ai par ailleurs bien conscience des insuffisances du budget pour 2006, et j’ai obtenu que 2,2 millions soient redéployés au Sénat en faveur des sept parcs existants.
Comme vous tous sans doute, j’éprouve le plus grand respect pour les personnels des parcs, qui se dévouent sans compter, et je mesure leur attachement à la loi de 1960. Bien entendu, nous avons le souci de faire évoluer le cadre sans créer aucun traumatisme et en veillant bien à ne pas nourrir les craintes qui peuvent s’exprimer. L’extraordinaire richesse du patrimoine naturel qu’il nous revient de mettre en valeur invite à l’humilité. Notre premier souci, en tant que décideurs et comme simples citoyens, doit être de protéger les splendeurs qui nous ont été transmises et de veiller au bien-être de ceux qui fréquentent les parcs comme des personnels chargés de leur entretien.
Qui peut croire qu’en quarante-cinq ans, le contexte n’a pas profondément évolué ? Je ne puis croire, Monsieur Chassaigne, que vous n’en êtes pas vous-même convaincu, sauf à considérer le parti communiste comme le premier parti conservateur de France !
M. André Chassaigne - Ce qu’il n’est pas !
Mme la Ministre - Il ne faut donc plus différer l’adaptation du cadre législatif et nous voulons une réforme qui fasse honneur à notre pays. Il serait particulièrement insupportable que nos partenaires extérieurs considèrent la loi nouvelle comme un recul par rapport au texte fondateur.
Aussi comprendrez-vous que j’invite votre Assemblée à ne pas adopter l’exception d’irrecevabilité, quelle qu’ait été la courtoisie - à laquelle j’ai été sensible - de votre propos. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)
M. le Président de la commission - M. Chassaigne a développé ses arguments avec talent et, sur le fond, je n’ai rien à ajouter à l’intervention de Mme la ministre. Merci, surtout, cher André Chassaigne, de faire de moi un président de commission heureux. Lorsqu’est débattue une exception d’irrecevabilité, le Conseil constitutionnel est dans son rôle en analysant rigoureusement les éléments d’inconstitutionnalité relevés par l’orateur. En l’espèce, notre collègue, malgré tous ses efforts, n’en a trouvé aucun ! Je suis donc, s’il en était besoin, pleinement rassuré sur la qualité de ce texte et M. Chassaigne ne m’en voudra donc pas de considérer que son exception n’a pas lieu d’être.
[…]
Mme la Présidente - Dans les explications de vote, la parole est à M. Victoria.
M. René-Paul Victoria - Lors de la réunion de la commission du 22 novembre dernier, André Chassaigne a jugé favorablement les dispositions du projet de loi et considéré que l’évolution du cadre législatif ainsi proposée était nécessaire, aucune objection de fond ne pouvant être valablement retenue. Aussi ai-je perçu son embarras lorsqu’il s’est agi d’aller jusqu’au bout d’une argumentation peu convaincante parce que peu convaincue.
Quarante-cinq ans après la loi fondatrice du 22 juillet 1960, l’utilité de ce projet ambitieux n’est pas à démontrer, si l’on tient à ce que notre pays mène une politique exemplaire en faveur de son exceptionnel patrimoine naturel. Je salue tout particulièrement la place importante accordée à l’outre-mer : croyez bien que l’attention portée à nos richesses naturelles nous va droit au cœur. L’enjeu commande que nous dépassions nos clivages politiques pour adopter ce texte sans plus tarder, en vue de laisser un patrimoine préservé et enrichi aux générations futures.
Bien entendu, le groupe UMP ne votera pas l’exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Jean-Paul Chanteguet - Quelques mots simplement, à la suite de la brillante intervention de notre collègue Chassaigne, dont j’ai relevé les grandes connaissances zoologiques et la parfaite maîtrise du dispositif juridique des parcs nationaux et des parcs naturels régionaux. Les craintes qu’il a exprimées quant aux trop nombreux renvois au domaine réglementaire nous semblent d’autant plus fondées que nous n’avons aucune information sur le contenu des décrets d’application. Par honnêteté intellectuelle, il a mis l’accent sur les dispositions les plus équilibrées de ce texte, pour se demander en conclusion si l’adoption de l’exception d’irrecevabilité était bien opportune…
M. le Président de la commission - Il n’avait pas l’air très convaincu !
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M. Jean-Paul Chanteguet - La jugeant bien fondée et par solidarité, le groupe socialiste votera l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)
L’exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n’est pas adoptée.
[…]
QUESTION PREALABLE
[…]
Mme la Présidente - Nous en venons à la discussion générale.
M. Jean Lassalle - Je tiens à rendre hommage à ceux qui, depuis très longtemps, travaillent à l’élaboration de ce texte. Patrick Ollier s’en souviendra, nous étions alors tous deux jeunes présidents de parcs nationaux, les premiers élus locaux à présider un parc national…
M. Michel Bouvard - Il y en avait eu un autre avant !
M. Jean Lassalle - Mais il ne l’était pas resté.
Me revient actuellement à la mémoire la passion des débats lors de la création du parc national des Pyrénées dans les années 1965-1967. Encore en culottes courtes, je n’en perdais néanmoins rien. Mon père et mes oncles, tous bergers, avaient choisi de soutenir cette idée nouvelle de créer un parc national sur un territoire où vingt ans plus tôt, ils étaient Résistants ou passeurs d’hommes au nom d’une certaine idée de l’Homme. Lorsque le parc fut enfin créé, je les vis, hélas, rangés du côté des traîtres parce que, dans l’esprit de l’immense majorité des gens, il n’aurait pas fallu créer ce parc. Le député qui en avait soutenu l’idée fut d’ailleurs battu aux législatives suivantes. Un sentiment trouble perdura des années. Des hommes que j’ai bien connus, dont certains, aujourd’hui très âgés, sont encore en vie, ne sont plus jamais retournés sur le territoire du parc, ayant le sentiment qu’il leur avait été arraché.
Chacuna rendu hommage à Dédé le Rouge, notre collègue André Chassaigne (Sourires), pour la qualité de son exposé. Je le ferai à mon tour. Son intervention était en effet très belle. J’ai notamment beaucoup aimé sa citation de Victor Hugo : « L’usage revient au propriétaire ; la beauté revient à tous ». Mais il me semble que si un parc national avait été créé dans son Massif central natal, il ferait montre de plus de réserve…
Il ne me viendrait pas à l’idée de demander au maire de Paris ou au ministre de la culture ce qu’ils font pour entretenir l’Arc de Triomphe ou la Tour Eiffel, monuments dont je suis pourtant fier. Je vis donc toujours très mal que, de partout, on me demande ce que moi et mes frères de la montagne, pourtant de moins en moins nombreux, de plus en plus dispersés, faisons pour entretenir ce que nous aimons tant, nous aussi, et qui est si beau. Ces territoires grandioses ont été soigneusement entretenus, embellis même par la main de l’homme au cours de siècles d’amour partagé. Cette longue chaîne de l’histoire des hommes qu’aucune guerre ni aucune catastrophe n’avait rompue s’est brisée depuis trente ou quarante ans. Certes, ce n’est pas le parc national qui en est la cause - j’ai appris à travailler avec lui. Mais il est sûr que notre société est plus sensible, comme il est sans doute naturel, à la beauté des espaces à léguer aux générations futures qu’à ceux qui les ont entretenus et enrichis depuis des siècles. Ces territoires, superbement beaux, sont en danger : l’une des espèces les plus répandues au monde, l’homme, est en train d’y disparaître emportant avec elle son savoir-faire et son savoir-être. Avec cette identité qui s’éteint, se brouille encore un peu plus le peu de repères qui reste à nos concitoyens.
M. André Chassaigne - Les raisons en sont ailleurs.
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