Dans la nuit de mardi à mercredi, dans un Hémicycle quasi désert, la majorité de droite à l’Assemblée nationale a adopté un article de loi qui permet de modifier le temps de travail dans les entreprises sans l’accord du salarié. La majorité de droite à l’Assemblée a adopté un article dissimulé au milieu d’un texte fleuve d’apparence technique qui en compte 135. Celui-ci avait pour objet, selon son auteur, le député Warsmann (UMP), la « simplification du droit » en vue de « rendre la loi plus intelligible » et « plus efficace ». En réalité, son article 40 « ne se contente pas de simplifier le droit, mais il le modifie dans un sens extrêmement défavorable au salarié », a dénoncé André Chassaigne.
Un renversement de la réglementation
Si la proposition est adoptée définitivement en l’état comme prévu dans les prochaines semaines, « la mise en place d’une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année prévue par un accord collectif » ne constituera plus « une modification du contrat de travail » dit le texte. Et donc ne demandera plus d’obtenir l’accord du salarié, comme le veut la jurisprudence du droit du travail, mais s’imposera à lui. Un renversement majeur de la réglementation qui veut qu’aujourd’hui, une modulation du temps de travail, même réduite, est appréciée comme un changement du contrat de travail et demande donc l’accord des deux parties.
Concrètement, ce texte laisse comme seule alternative au salarié la flexibilité ou la porte, sans indemnité de licenciement, cela va de soi, à laquelle le refus du salarié donnait droit jusqu’à présent. Pour justifier cette régression, la droite se retranche derrière la nécessité de faire prévaloir l’accord collectif sur les demandes individuelles, au nom du renforcement de la démocratie sociale prévu dans la loi du 20 août 2008. Mais, dans les faits, cela va se traduire par une remise en cause de la liberté du salarié de pouvoir refuser une modification unilatérale de son contrat de travail. Cas d’école, celui, pris par Alain Vidalies, de cette « femme qui vit seule et met deux heures pour rentrer chez elle », et à qui son entreprise demande « si elle veut bien moduler son temps de travail alors que cette modulation l’empêchera de rentrer chez elle ». « Que faire ? interroge le député des Landes. Une décision collective de modulation du temps de travail a été prise mais certaines personnes, souvent des femmes seules, ne pourront s’y plier – le train n’arrive pas à l’heure, elle ne peut pas relever la nounou. » Cette salariée « n’aura d’autre choix que de démissionner, ce qui la privera de toute indemnité, y compris les Assedic », conclut l’élu socialiste.
Mais la droite n’en a pas tenu compte, car l’objectif poursuivi n’est pas le respect du dialogue social, mais le passage en force de la proposition du président de la République, de mettre en place des accords « compétitivité-emploi ».
L’Élysée avait connaissance du texte
Un obstacle se dressait contre la volonté du chef de l’État : l’existence de cette fameuse jurisprudence sur le temps de travail. Le secrétaire d’État, Frédéric Lefebvre, ne s’en est pas caché : « Je fais bien entendu le lien avec l’intervention du président de la République, dimanche soir. Il est évident que l’esprit est le même. » Or, comme l’ont observé André Chassaigne et Alain Vidalies, cela change la « portée politique » de l’article. « Si l’on entre dans la négociation collective (…) en ayant d’emblée affirmé que cette négociation devra s’inscrire dans ce cadre nouveau », cela signifie « une autre logique que celle formulée par le président de la République », a souligné l’élu PS.
Dès dimanche soir, Sarkozy avait prévenu, en termes très allusifs, que le législateur prendrait ses « responsabilités » si les négociations achoppaient entre syndicats et patronat, pour permettre, de manière « transitoire », la conclusion d’accords « compétitivité-emploi » dans les entreprises. Cet article est-il la traduction de cette menace ? L’Élysée ne pouvait ignorer, dimanche, qu’un texte déposé depuis juillet par un législateur expert de l’UMP, Jean-Luc Warsmann, qui n’est autre que le président de la commission des Lois du Palais-Bourbon, était en instance d’adoption.
Le vote qu’attendait sarkozy Nicolas Sarkozy a demandé dimanche aux syndicats et au patronat d’entamer des négociations pour aboutir à des accords compétitivité-emploi « dans les deux mois » sur le temps de travail. Ceux-ci s’imposeront « à la loi et aux contrats individuels » et s’appliqueront « si une majorité de salariés se met d’accord dans une entreprise, pas une branche », le chef de l’État précisant que le Parlement adopterait « une disposition pour gérer la période transitoire en attendant l’accord », ce qu’a fait l’Assemblée, mardi.
André Chassaigne « De lourdes conséquences sur le quotidien des femmes »
Pour André Chassaigne, député (PCF) du Puy-de-Dôme, qui s’est opposé à l’article, la méthode de l’UMP est « détestable ».
Comment jugez-vous ce gouvernement qui, au lendemain des déclarations de Nicolas Sarkozy, fait passer, presque en catimini, une disposition aussi grave pour le Code du travail ?
André Chassaigne. C’est une méthode malheureusement récurrente de la majorité actuelle qui consiste à multiplier les mauvais coups dans des textes qui sont appelés pudiquement « simplification du droit » et un texte dans lesquels on retrouve des articles qui ont de très graves conséquences. C’est une méthode détestable, dans des textes fourre-tout où ils se permettent de nombreux abus. Dans ce cas précis, le vote de cet article 40 correspond tout à fait aux priorités politiques qui ont été données par le président de la République dans son intervention télévisée du dimanche 29 janvier, c’est-à-dire s’attaquer au Code du travail, surtout aux articles qui sont considérés comme des blocages à la soi-disant compétitivité…
Justement, ce fameux article 40 adopté nuitamment, quelles conséquences peut-il avoir sur le Code du travail ?
André Chassaigne. J’étais choqué par le contenu de cet article. Lors de ce débat, j’étais particulièrement en colère sur les conséquences humaines sur le quotidien des salariés, notamment des femmes. Après ce vote, les patrons pourront modifier le temps de travail, l’organisation même de celui-ci, sans pratiquement qu’elles aient leur mot à dire. On mesure alors quelles seront les conséquences prévisibles sur le plan humain.
En quoi consiste ce dispositif ?
André Chassaigne. Dans le cadre d’un accord collectif, les salariés qui refusaient de s’y soumettre pouvaient le rejeter. Cela s’appuyait sur une jurisprudence de la Cour de cassation qui donnait une garantie aux salariés d’être consultés pour tout changement de cette nature. Le temps de travail étant considéré comme un élément constitutif du contrat de travail. L’objectif du gouvernement est de casser cette jurisprudence et d’imposer que l’accord collectif ne puisse être contesté par le salarié, au risque d’être, alors, licencié pour faute. À la suite du vote de cet article, le licenciement étant pour faute, il est sans indemnisation. Nous assistons à une opération de démolition progressive, pugnace, systématique, du Code du travail, considéré comme un frein à la course effrénée au profit.
Comment jugez-vous cette précipitation présidentielle ?
André Chassaigne. C’est une attitude politique détestable. Voilà un président de la République qui annonce tout à la fois des mesures lourdes de conséquences et un dialogue social avec les organisations syndicales. Deux jours plus tard, il fait passer en force à l’Assemblée nationale des dispositions qui mettent en cause des aspects fondamentaux de Code du travail. C’est d’une extrême hypocrisie, quant au dialogue social, et d’une extrême gravité, quant aux conséquences humaines.
Entretien réalisé par Max Staat