Le texte de la proposition de résolution européenne :
Communiqué de presse des député-e-s Front de Gauche du 3 février 2017 :
Le Parlement doit désormais être consulté avant l’application provisoire du CETA
Les députés du Front de gauche se réjouissent que l’Assemblée nationale ait adopté hier soir, contre l’avis du gouvernement, leur proposition de résolution européenne portant sur le traité de libre-échange signé entre l’Union européenne et le Canada (plus connu sous le nom de « CETA »). Notre résolution exige, d’une part, de consulter en urgence le Parlement avant la mise en œuvre provisoire du CETA, (prévu le 1er mars) et d’autre part, soumettre sa ratification à la volonté populaire via l’organisation d’un référendum. Ne pas répondre à cette double exigence ne fera que renforcer la fracture entre l’exécutif et le peuple. Dans l’immédiat, les député-e-s du Front de Gauche demandent donc l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, avant le 1er mars, de la consultation du Parlement sur l’application provisoire du CETA.
Deuxième séance du jeudi 02 février 2017
Pour un débat démocratique sur l’accord économique et commercial global
Discussion d’une proposition de résolution européenne
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne pour un débat démocratique sur l’accord économique et commercial global (CETA) (nos 4335, 4392, 4398).
Présentation
M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
M. Marc Dolez, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé du développement et de la francophonie, mes chers collègues, cette proposition de résolution européenne porte sur l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, plus connu sous son acronyme anglais, le CETA. Cet accord s’inscrit dans la longue liste de ces traités de libre-échange animés par des dogmes néolibéraux à l’origine d’une « mondialisation malheureuse » pour les peuples. C’est donc la nature et l’objet même du CETA que nous rejetons sur le principe.
Comme l’ensemble de ceux qui l’ont précédé, cet accord de libre-échange vise à supprimer les barrières tarifaires dans les échanges de biens et de services. Il inclut également de nombreuses dispositions relatives à la libéralisation des marchés publics et des investissements, à la protection de la propriété intellectuelle – dont les indications géographiques protégées –, ainsi qu’à l’harmonisation des normes, sans oublier la création d’un mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États. Sa portée est si large qu’il peut être comparé au partenariat transatlantique de commerce et d’investissement avec les États-Unis, appelé plus couramment TAFTA.
Très logiquement, cette portée du CETA a suscité de nombreuses inquiétudes et critiques, à la fois dans la société civile et au sein des institutions politiques, tant au niveau national qu’au niveau européen.
La première critique porte sur le caractère antidémocratique du traité. En effet, il a été négocié pendant de longues années dans la plus totale opacité, sans aucune consultation ni information des parlements et de la société civile, sous l’influence évidente des lobbies, ce qui explique son orientation très libérale.
De plus, le Conseil européen a décidé le 28 octobre dernier d’autoriser non seulement sa signature, mais aussi son entrée en vigueur provisoire. Cela signifie que, sous réserve d’une approbation par le Parlement européen, la quasi-totalité des dispositions du traité pourront entrer en vigueur sans que les parlements nationaux aient pu se prononcer. Le CETA étant un accord mixte, c’est-à-dire comportant des dispositions relevant à la fois des compétences exclusives de l’Union européenne et des compétences nationales, il devra certes être ratifié par les parlements nationaux mais probablement pas avant plusieurs années.
Enfin, comme je l’ai indiqué, le CETA comprend un mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs, sous la forme d’une cour internationale d’investissement. Certes, il n’est plus question désormais des scandaleux tribunaux d’arbitrage privés qui figuraient dans le projet initial. Cependant, les risques pour le droit des États à réguler sont les mêmes : des investisseurs pourront attaquer des décisions de politique publique, par exemple l’interdiction des OGM, et, s’ils gagnent, contraindre les États à leur verser des millions d’euros à titre de compensation.
La deuxième inquiétude porte sur le coût social du CETA. Une étude indépendante réalisée par l’université américaine Tufts, qui s’appuie sur le modèle des politiques mondiales des Nations unies, a conclu à la disparition, d’ici à 2023, de près de 230 000 emplois cumulés au Canada et dans l’Union européenne, dont un peu plus de 200 000 dans l’Union et près de 45 000 emplois en France. Le secteur agricole français, notamment ses filières d’élevage, dont on connaît la fragilité, serait particulièrement touché par l’augmentation des quotas d’importations à 50 000 tonnes de viande bovine et 75 000 tonnes de viande porcine par an.
Les inquiétudes sont également très vives quant à l’impact du CETA sur les services publics. Pour la première fois dans un accord de libre-échange signé par l’Union européenne figure une liste négative des services exclus de la libéralisation. Bien qu’elle se donne comme protectrice des services publics, cette liste, par son existence même, hypothèque largement l’avenir en interdisant de transformer en service public des activités économiques encore en devenir, voire les services publics déjà libéralisés.
Enfin, comme l’a relevé la Commission nationale consultative des droits de l’homme dans un avis rendu public le 15 décembre dernier, le CETA est susceptible d’avoir des conséquences qui vont à l’encontre des objectifs du développement durable, en particulier s’agissant des enjeux climatiques et environnementaux. En effet, il promeut l’investissement européen au Canada, y compris dans l’exploitation des sables bitumineux dont on sait l’impact désastreux sur l’environnement. Le mécanisme de règlement des différends permettrait également aux investisseurs d’attaquer des réglementations environnementales adoptées par les États, y compris les dispositions prises en application des accords de Paris. Au reste, le CETA ne comporte aucune référence au principe de précaution, pourtant inscrit en tant que tel dans le droit européen à l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Les risques pour l’économie européenne apparaissent suffisamment réels et sérieux pour que la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen recommande, le 8 décembre dernier, de rejeter l’accord. Ce rejet est également exigé par les 3,5 millions de citoyens qui ont signé la pétition contre le CETA et son équivalent états-unien, le TAFTA. Par ailleurs, 2 100 communes européennes se sont déclarées « hors TAFTA et CETA », refusant symboliquement d’être soumises à ces deux accords. Enfin, une plainte à laquelle se sont jointes plus de 100 000 personnes a été déposée contre le CETA devant la Cour constitutionnelle allemande. Les plaignants considèrent que cet accord est de nature à menacer les droits des travailleurs et des consommateurs ainsi que la protection de l’environnement, lesquels sont garantis par la loi fondamentale allemande.
Malgré cette large mobilisation des citoyens, des partenaires sociaux et même d’une commission du Parlement européen, sans oublier la résistance de la Wallonie, qui a réussi à faire reporter quelque temps la signature de l’accord, le CETA a été signé le 30 octobre 2016 et entrera très prochainement en vigueur, sous réserve que le Parlement européen l’approuve lors du vote prévu le 15 février prochain. Par conséquent, cette proposition de résolution n’arrive pas « trop tard », ainsi que j’ai pu l’entendre durant son examen en commission. Bien au contraire, elle est débattue au bon moment, parce que tout est en train de se jouer au Parlement européen et que, d’une manière générale, il n’est jamais trop tard pour débattre, surtout lorsque les enjeux sont aussi considérables. Je rappelle à ce propos que c’est grâce à une autre proposition de résolution européenne déposée par le groupe GDR que notre assemblée a pu débattre, le 22 mai 2014, des négociations du TAFTA.
À vrai dire, la catastrophe économique, sociale et environnementale que nous promet le CETA n’est rendue possible que par le mépris avec lequel les Parlements nationaux et l’opinion publique ont été traités depuis l’ouverture des négociations. Une telle situation exige plus que jamais que les implications de cet accord soient débattues publiquement, de manière transparente et contradictoire.
C’est pourquoi la proposition de résolution invite le Gouvernement à consulter le Parlement avant toute mise en œuvre provisoire…
M. Pierre Lellouche. Très bien !
M. Marc Dolez, rapporteur. …même si, évidemment, il eût été préférable de consulter le Parlement avant même d’autoriser la signature du traité.
M. Jean-Luc Laurent. Bien sûr !
M. Marc Dolez, rapporteur. Comme je l’ai déjà indiqué, le CETA, accord mixte, devra être ratifié par l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Or, compte tenu des enjeux, il ne serait pas acceptable que cette ratification soit expédiée à la va-vite, comme c’est souvent le cas pour les traités internationaux. Il est au contraire indispensable de donner la parole au peuple auxquels il revient de décider de son propre destin.
M. Jean-Luc Laurent. C’est évident !
M. Marc Dolez, rapporteur. C’est pourquoi la proposition de résolution invite aussi le Gouvernement à proposer au Président de la République l’organisation d’un référendum, conformément à l’article 11 de la Constitution.
M. Jean-Luc Laurent. Excellente idée !
M. Marc Dolez, rapporteur. Je précise qu’il n’est pas dans l’esprit de la résolution de demander l’organisation d’un référendum avant les échéances électorales du printemps prochain mais d’en fixer dès maintenant le principe.
Mes chers collègues, cette proposition de résolution a été rejetée, tant par la commission des affaires européennes que par la commission des affaires étrangères, mais vous comprendrez qu’à titre personnel et pour toutes les raisons indiquées, je vous invite à l’adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
M. Jean-Luc Laurent. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du développement et de la francophonie.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé du développement et de la francophonie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi tout d’abord de rappeler l’émotion et la solidarité du Gouvernement, et j’imagine de l’Assemblée tout entière, après l’attaque terroriste de Québec. En cet instant, alors que nous échangeons sur un sujet commun à la France et au Canada, nous tenons à exprimer notre solidarité avec le peuple de ce grand pays ami.
Le projet de résolution porté par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine invite à « un débat démocratique » sur l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada. Je tiens d’emblée à rappeler que, précisément, le premier mérite du Gouvernement et singulièrement de Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, est d’avoir créé les conditions d’un débat démocratique.
Je reviendrai sur les trois points de cette résolution : l’opportunité du soutien de la France au CETA, les modalités d’application provisoire de l’accord, et votre demande d’un référendum populaire pour autoriser la France à ratifier cet accord.
En premier lieu, il faut mettre fin à une confusion : le CETA n’est pas le TTIP.
L’accord signé en octobre 2016 par l’Union européenne et tous les États membres est un accord équilibré qui prend en compte nos intérêts commerciaux. Nous avons négocié et obtenu des garanties claires et précises en réponse aux inquiétudes dont une part de la représentation nationale et une partie de la société civile se font régulièrement l’écho. Ce sont des acquis auxquels le Parlement peut donner de la force.
Il en va autrement du TTIP, auquel la France a retiré son soutien politique parce que les négociations en cours, dans un déséquilibre flagrant, ne traduisaient pas la conception moderne, sociale et environnementale que nous avons des accords commerciaux, et ne respectaient pas nos intérêts économiques. Dans ces conditions, la France a clairement appelé à l’arrêt des négociations.
M. Jean-Luc Laurent. Très bien !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. S’agissant du CETA, nous avons jugé sur pièces. Nos intérêts économiques sont clairement identifiés. Certes, nous avons déjà un excédent commercial avec le Canada, mais notre relation commerciale n’est pas à la hauteur de son potentiel. Avec 3,2 milliards d’euros d’exportations pour 0,5 milliard d’euros d’excédent, elle équivaut aujourd’hui à celle que nous entretenons avec la Thaïlande ou le Nigeria.
Les accords commerciaux réussis sont ceux qui créent de l’activité et donc des emplois dans nos entreprises exportatrices. Nous avons des points de comparaison : depuis que l’Union européenne a signé un accord avec la Corée du Sud en 2013, elle a augmenté de 55 % ses exportations dans ce pays. Or la Corée du Sud est un pays comparable au Canada par son PIB.
Nous estimons que plusieurs secteurs bénéficieront particulièrement de cet accord : les vins et spiritueux, premier poste des exportations de la France, le textile-habillement, où la France détient la deuxième part de marché parmi les pays européens, les cosmétiques ou encore les produits agricoles transformés. En ouvrant également ses marchés aux services, le Canada offre des opportunités pour un secteur très favorable à la France et à nos entreprises.
Nous avons obtenu l’engagement du Canada sur la réciprocité dans les marchés publics à tous les échelons administratifs, non seulement au niveau fédéral mais aussi au niveau des provinces. L’offre d’accès aux marchés publics est la plus complète faite jusqu’ici par le Canada à un pays tiers, y compris les États-Unis. Le Canada ouvrira ainsi largement ses marchés publics à nos entreprises, ce qui pourrait représenter pour celles-ci un gain potentiel de près de 70 milliards d’euros.
Aujourd’hui, 75 % des 10 000 entreprises exportatrices françaises au Canada sont des PME. Cet accord représente pour toutes ces entreprises dans nos territoires des opportunités nouvelles, dans une conjoncture mondiale atone. C’est pourquoi elles espèrent le voir entrer en vigueur rapidement.
Le CETA est aussi un accord économique moderne parce qu’il marque des progrès importants dans la prise en compte des sujets démocratiques, environnementaux et sociaux.
Avec nos partenaires canadiens, et notamment avec le gouvernement Trudeau, nous nous sommes engagés à rechercher le niveau de normes le plus exigeant et le plus protecteur. C’est une étape fondamentale pour intégrer pleinement aux négociations commerciales des principes et des valeurs progressistes. À l’heure où se multiplient les offres bilatérales, souvent dénoncées par le président Xi Jinping mais prisées du président Trump, nous devons mesurer notre responsabilité pour soutenir la conclusion d’accords modernes, équilibrés et justes.
Je veux vous donner quelques exemples d’acquis qui pourraient, sans le CETA, ne jamais voir le jour.
En matière de démocratie, nous avons avec le CETA l’opportunité de créer la première « Cour publique des investissements » afin de mettre un terme au système aberrant de l’arbitrage privé aujourd’hui en place. Ce dernier, vous le savez, permet aux multinationales d’attaquer les États quand une réglementation leur fait perdre des profits. Les États-Unis, à l’aise avec l’arbitrage privé, refusaient d’en débattre dans le cadre du TTIP.
Ce système de cour publique est novateur parce que les États nommeront et rémunéreront les juges appelés à se prononcer sur les différends avec les entreprises. Pour en finir avec les conflits d’intérêts, ces juges seront contraints à des règles de déontologie strictes et leurs décisions pourront être frappées d’appel. C’est véritablement un premier pas vers la « Cour publique multilatérale des investissements » que la France appelle de ses vœux.
En ce qui concerne l’objectif environnemental, le Canada a accepté d’ajouter une déclaration contraignante conjointe mentionnant l’Accord de Paris, qui est intervenu après la conclusion des négociations du CETA.
Le CETA ne se substitue pas aux normes européennes. Pour avoir accès au marché européen, il faudra respecter les normes européennes, notamment les normes sanitaires, qui continueront de s’appliquer aux producteurs canadiens. C’était notre ligne rouge : elle a été respectée.
S’agissant des aspects sociaux, le CETA innove également puisque nous avons fait intégrer deux dispositions majeures. Premièrement : un niveau d’application exemplaire des normes sociales et de droit du travail – je vous signale que le Canada est actuellement en train de ratifier la Convention de l’OIT, ce qu’il n’avait pas fait jusqu’à présent ; deuxièmement : la préservation totale de la capacité des États et des collectivités à créer et maintenir des services publics nationaux et locaux.
À l’heure où le nouveau président américain met en avant sa défiance à l’égard de l’Union européenne, le CETA est un exemple d’accord réussi qui porte nos valeurs et atteint un équilibre propre à la relation de partenaires respectueux les uns des autres.
Pour terminer, je souhaite ajouter un point qui concerne l’agriculture et a suscité de nombreuses interrogations. Le CETA ouvre largement le marché canadien à nos produits agricoles et agroalimentaires. Les droits de douane canadiens seront supprimés pour 92 % des produits. C’est vrai pour les fromages européens, dont le Canada a accepté l’importation libre de droits pour un quota de 18 500 tonnes alors que ces produits font aujourd’hui l’objet de droits de douane très élevés. C’est une victoire majeure.
Concernant le bœuf et le porc, le CETA les inscrit comme des produits sensibles à protéger. S’agissant de la viande bovine, les exportations du Canada vers l’Union européenne ne représentent pas des flux visant à noyer le marché européen puisqu’un quota annuel de 45 840 tonnes de viande canadienne de bœuf est prévu. Au-delà de ce volume, les droits de douane sont maintenus. Quant au bœuf ainsi importé de façon restrictive dans le cadre de l’accord, il sera – cela est inscrit et sécurisé – sans hormones.
De plus, des contrôles aléatoires sont toujours prévus pour éviter, dans le cadre de cet accord comme dans d’autres, d’éventuels contournements. Ainsi les intérêts de notre secteur agricole et notre conception de ce secteur sont défendus.
En parallèle, nous avons renforcé les instruments de notre « diplomatie des terroirs » visant à garantir et l’authenticité et l’attractivité de nos produits en inscrivant dans le CETA la protection de 42 indications géographiques françaises et 173 à l’échelle européenne.
Un débat a été ouvert à propos d’indications géographiques qui n’auraient pas été protégées dans le CETA. Permettez-moi de préciser, d’une part, que le principe est de ne protéger que les produits qui font l’objet d’usurpations ou risquent d’en faire l’objet ; d’autre part, et pour sécuriser l’avenir, nous avons fait insérer un dispositif permettant très facilement et très rapidement l’ajout d’un produit si un risque venait à apparaître pour celui-ci – c’est l’article 20.22.
Aujourd’hui, les États-Unis voient d’un œil inquiet notre accord avec le Canada. À titre d’exemple, parce que notre appellation « Champagne » est désormais protégée et reconnue au Canada, les Américains sont contraints de réétiqueter les bouteilles de ce qu’ils appellent « Champagne californien » en Sparkling Wine, ce qui participe d’une défense efficace de nos producteurs, de leur savoir-faire et de leurs intérêts.
M. le président. Nous traduirons, monsieur le ministre, car, vous le savez, dans l’hémicycle, nous n’utilisons normalement que la langue française.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. J’ai hésité avant de prononcer ces mots, mais je l’ai fait pour la simple raison que c’est une appellation américaine. Il était donc légitime que je la cite en anglais.
M. Pierre Lellouche. C’est le « vin pétillant » !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Merci, monsieur Lellouche ! Sans vous, je ne suis pas sûr que nous aurions tous compris… (Sourires.)
M. Pierre Lellouche. Je suis toujours prêt à rendre service !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Je voudrais maintenant aborder les modalités de l’application provisoire si cet accord venait à être adopté. La France s’est mobilisée, avec l’Allemagne, pour conforter le rôle de contrôle démocratique du Parlement européen et des parlements nationaux sur les accords commerciaux.
La politique commerciale est une compétence de l’Union européenne. C’est donc d’abord au Parlement européen, co-législateur avec le Conseil, de se prononcer sur l’accord. La commission du commerce international, l’INTA, saisie au fond, a donné un avis favorable au CETA. Le Parlement européen en formation plénière se prononcera le 15 février.
La mise en application provisoire du CETA se fera alors, si et seulement si elle est approuvée par le Parlement européen et uniquement sur les dispositions de 1’accord relevant de la seule compétence exclusive européenne. C’est la logique du droit communautaire que nous appliquons.
Avec nos partenaires allemands, le Gouvernement s’est battu pour que l’accord soit reconnu comme mixte, en partie de compétence communautaire et en partie de compétence nationale. Il a ainsi obtenu que les Parlements nationaux puissent s’exprimer sur l’accord dans sa totalité, même si le volet communautaire de l’accord était déjà entré en vigueur. Comme le Gouvernement s’y était engagé, le Parlement aura le dernier mot.
Je tiens à saluer à cet égard le travail du Parlement français, qui a auditionné mon collègue Matthias Fekl à plus de vingt-et-une reprises en deux ans et organisé de nombreux débats sur ces sujets.
Plusieurs parlementaires, qui en sont membres, ont participé avec assiduité aux travaux du Comité de suivi stratégique, qui s’est réuni régulièrement au Quai d’Orsay. Le Gouvernement s’est imposé un devoir de transparence, d’information et de débat démocratique pour que chacun puisse prendre ses responsabilités.
M. Pierre Lellouche. Enfin, monsieur le secrétaire d’État !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Ce travail s’impose partout dans le monde car les sujets commerciaux recouvrent des enjeux démocratiques. C’est ce que démontre le débat ouvert en Wallonie en toute fin du processus, qui était nécessaire et qu’il fallait respecter, avant que Paul Magnette puisse prendre ses responsabilités en approuvant le texte sur les mêmes bases que celles que, je l’espère, vous allez voter.
Il me reste à dire un mot sur la ratification du CETA par voie référendaire. Il faut tout d’abord relever que le recours au référendum n’est pas la procédure habituelle en droit français pour un accord commercial.
Ensuite, il me semble qu’il faut bien saisir ce qui est en jeu ici. Le débat sur le CETA n’est que la partie émergée de l’iceberg qui recouvre une question beaucoup plus vaste : comment assurer l’efficacité et la légitimité de la politique commerciale européenne ?
À cette question, le Gouvernement a apporté une réponse claire et précise : il faut remettre les Parlements nationaux dans le jeu, en les associant le plus étroitement et le plus en amont possible à la conception de la politique commerciale.
Il faut sortir de l’absurdité consistant à présenter un texte ficelé à un Parlement qui n’aurait pu suivre que de très loin les négociations. C’est pour cette raison que ce Gouvernement a multiplié les auditions, associé les parties prenantes et s’est engagé dans la voie d’un dialogue fructueux avec le Parlement.
Il faut désormais transformer l’essai et arriver au vote de ratification : si le Parlement s’en dessaisissait, ce serait un signal délétère envoyé à tous ceux qui souhaitent que les Parlements nationaux reprennent leur place dans la politique commerciale.
Mesdames et messieurs les députés, pour toutes les raisons que je viens d’exposer, le Gouvernement émet un avis défavorable à l’adoption de cette résolution.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrice Carvalho.
M. Patrice Carvalho. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, coupés des réalités et sourds aux attentes des peuples, certains se plaisent aujourd’hui à entretenir le mirage de la mondialisation heureuse. La libéralisation des biens et des services et le règne de la concurrence, censés, d’après eux, garantir la paix, la prospérité et l’harmonie sociale, provoquent pourtant des ravages sociaux et environnementaux chaque jour plus graves. La guerre économique continue ainsi à nous être présentée comme l’unique horizon des rapports entre les peuples.
Notre refus de ce monde-là commande notre rejet du traité négocié entre l’Union européenne et le Canada, le fameux CETA. Conformément aux accords-types de libre-échange, ce traité a pour objectif de réduire drastiquement les barrières tarifaires et non-tarifaires et de déréglementer le commerce de biens et de services. Il est à ce titre un nouveau symbole d’une mondialisation bâtie dans le dos des peuples et sans leur assentiment.
Nos peuples ont tout à craindre d’un tel traité. Comme le soulignait le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, la libéralisation ne promeut pas la croissance économique, mais elle amène plus d’instabilité et d’inégalités. Pour lui, tant la mondialisation du commerce des biens et des services que la globalisation des marchés des capitaux ont contribué à l’augmentation des inégalités, mais de manière différente. Il estimait en outre que dans cette globalisation, les droits du capital prennent largement le pas sur les droits des travailleurs, et notait que la compétition entre les pays pour l’investissement prend de nombreuses formes – pas seulement la baisse des salaires et l’affaiblissement de la protection des travailleurs. C’est une course globale vers le bas qui assure que les réglementations sont faibles et les impôts bas.
Les peuples eux-mêmes ne cessent d’exprimer leur rejet des vagues successives de libéralisation sectorielle, qui ne font qu’aggraver les inégalités dans des sociétés déjà fracturées par les inégalités sociales et économiques. Ils ne sont pas passifs pour autant, comme l’atteste leur contribution dans la mise en échec des accords qui devaient conclure le cycle de Doha, mais aussi de l’accord commercial anti-contrefaçon, ou encore de l’accord général sur le commerce des services. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les grandes puissances économiques ont imaginé la rédaction de traités d’un nouveau genre. Ces traités, dits de nouvelle génération, ont pour particularité saillante d’être désormais discutés dans l’ombre, dans le plus grand secret, à l’abri de la lumière et du débat public.
Il en fut ainsi du TAFTA, le traité de libre-échange transatlantique, qui a été mis sous le feu des projecteurs grâce à la mobilisation citoyenne. Lorsque nous avions choisi de discuter de ce traité transatlantique en mai 2014, lors de la journée réservée à l’ordre du jour de notre groupe, les négociations se menaient dans une totale opacité, selon un principe de secret foncièrement antidémocratique. Nous avions donc demandé qu’il fût mis un terme à ces pratiques et que s’ouvrît un débat public et transparent sur la légitimité de ce processus.
En septembre 2015, le Gouvernement se décida à lancer un pavé dans la mare : il évoqua la possibilité de mettre fin aux négociations en raison de leur absence de transparence. Au début de l’année 2016, il était enfin possible pour les parlementaires d’avoir accès aux comptes rendus exhaustifs et aux documents consolidés des négociations. Cependant, les conditions ubuesques et drastiques posées pour l’examen de ces documents sont telles qu’il serait audacieux de qualifier les négociations de réellement transparentes.
Quoi qu’il en soit, le Gouvernement demande aujourd’hui la fin pure et simple des négociations. Placé au cœur du débat public, le sort du TAFTA est désormais incertain. Il est cependant loin d’être enterré, puisqu’il reste intimement lié au sort que connaîtra le traité entre l’Europe et le Canada dont il est aujourd’hui question.
Ce dernier traité, tout aussi inacceptable que le premier, tant sur le fond que sur la forme, entre aujourd’hui dans sa phase de ratification. Tout comme le TAFTA, ce texte de 1 600 pages tend à niveler par le bas les normes sociales, environnementales et alimentaires. Cette caractéristique témoigne de l’intervention et de l’influence des lobbies des multinationales durant les négociations.
Officiellement, nous dit-on, ce grand marché transatlantique ouvrirait de nouvelles perspectives pour la croissance et l’emploi. Ce discours lénifiant traduit une forme d’aveuglement idéologique. Une étude indépendante de l’université Tufts dresse, au contraire, un tableau assez sombre des conséquences économiques et sociales d’une éventuelle entrée en vigueur du CETA. Selon cette étude, d’ici 2023, le CETA causerait la disparition de près de 230 000 emplois cumulés au Canada et dans l’Union européenne, dont un peu plus de 200 000 dans l’Union seule, parmi lesquels 45 000 en France.
Le CETA est en outre susceptible de produire des effets dans de nombreux domaines, au-delà du seul commerce international. Ce traité représente ainsi – entre autres – une menace pour l’agriculture et les producteurs européens. Les quotas des producteurs canadiens seront en effet relevés de manière très importante pour plusieurs produits stratégiques sur le marché européen : le bœuf, le porc, le blé, le maïs. En aggravant les conditions de la concurrence, et donc la course à la compétitivité, le CETA encouragera l’industrialisation de l’agriculture, à l’opposé du modèle agro-écologique qu’il faudrait promouvoir pour lutter contre le réchauffement climatique et garantir les revenus de nos agriculteurs.
Les défenseurs du CETA font valoir que ce traité contraindra le Canada à reconnaître 173 indications géographiques protégées, du fromage aux fruits en passant par les fruits de mer et les confiseries. Mais ces 173 appellations protégées par le traité, dont 42 pour la France, ne représentent que 10 % des quelque 1 500 IGP européennes existantes !
M. Pierre Lellouche. Absolument !
M. Patrice Carvalho. Les produits dont l’importance économique n’a pas été jugée suffisante par la Commission européenne seront ainsi sacrifiés, ainsi que ceux qui les élaborent. Cette discrimination n’est pas justifiée.
En matière sanitaire, si la Commission européenne assure que le traité interdira en principe l’importation de bœuf aux hormones, de poulet au chlore, de porc à la ractopamine ou de nouveaux organismes génétiquement modifiés, nous n’aurons en revanche aucune garantie quant à l’utilisation d’antibiotiques et d’OGM dans les rations des animaux. Or ces pratiques, fréquentes en Amérique du Nord, sont très encadrées en Europe.
Par ailleurs, le CETA créera de nouveaux forums au sein desquels des représentants européens et canadiens discuteront de futures harmonisations ou équivalences de normes, sur la base du volontariat, au risque de fragiliser – voire de remettre en cause – le principe de précaution.
Enfin, en matière d’environnement et de développement durable, le dispositif général de l’accord s’avère contraire aux objectifs fixés par l’accord de Paris sur le climat en 2015. Le droit d’un État à adopter de nouvelles réglementations, notamment énergétiques ou climatiques, sera constamment menacé par d’éventuels recours des entreprises au moyen du mécanisme d’arbitrage privé entre investisseurs et États.
La seule manière de se prémunir contre ce type de procédure, pour se mettre hors de portée de la libre interprétation des juges, aurait été d’exclure clairement certains secteurs du champ d’application du système d’arbitrage. C’est le cas, dans le CETA, de toutes les politiques liées aux subventions ou à la stabilité financière, mais pas des politiques visant à réduire les gaz à effet de serre, contrairement à ce qu’avait recommandé le Parlement européen en 2015.
Tous ces exemples nous conduisent à nous interroger sur les raisons du soutien apporté par le Gouvernement à ce traité. Faute de toute régulation démocratique, cet accord avec le Canada emporte des risques économiques, sociaux et environnementaux qui apparaissent clairement. Son caractère antidémocratique apparaît tant dans son processus de négociation que dans l’idée incongrue d’une entrée en vigueur provisoire, véritable coup de force, en pleine crise de confiance des citoyens à l’égard de leurs représentants.
Nous jugeons pour notre part qu’il est de la responsabilité du gouvernement français de rappeler l’Union européenne aux principes démocratiques qu’elle méconnaît fondamentalement. Les implications du CETA méritent d’être débattues dans un cadre public, ouvert et contradictoire. C’est le moment désormais de recouvrir notre pleine souveraineté, ici à l’Assemblée nationale d’abord, par le vote de notre résolution, et par l’organisation d’un référendum populaire ensuite, car il revient au peuple de trancher en dernier ressort sur la ratification de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche.
M. Christophe Caresche. Pour commencer, je vous livrerai deux réflexions.
La première concerne la mondialisation – car c’est bien cette question qui nous est posée ce soir, dans ce débat. Oui, monsieur Carvalho, il faut réguler la mondialisation. Oui, la mondialisation sauvage a un coût économique et social inacceptable. Mais, symétriquement, il faut s’opposer à la tentation du protectionnisme qui se fait très menaçante aux États-Unis et en Europe.
Vous avez cité à juste titre des propos tenus par Joseph Stiglitz à propos des conséquences de la mondialisation. Il a donné une interview au journal Le Monde, dans son édition de ce soir, au cours de laquelle il s’oppose très clairement à la politique protectionniste de Donald Trump, en précisant que les travailleurs américains en seront les premières victimes.
Il me semble que ceux qui, en Europe, contestent les accords dont vous parlez, sont en même temps très sensibles à cette tentation. Or je crois que cela aurait pour l’économie mondiale un coût considérable. Nous le savons à présent, les politiques protectionnistes menées par les États ont été un accélérateur de la crise de 1929. En outre, aujourd’hui, les nouveaux marchés ne se trouvent plus tellement dans les économies développées, mais dans les pays émergents. Le protectionnisme nous couperait de ces marchés nouveaux, à notre détriment – je pense que les États-Unis en feront l’expérience rapidement.
Je tenais à vous dire clairement mon sentiment sur ce point : oui à la régulation de la mondialisation, mais non au protectionnisme.
Deuxième réflexion : un enjeu très important est sous-jacent à ces accords. Pourquoi les accords régionaux se sont-ils multipliés ces dernières années ? Parce que l’OMC est bloquée ! Les accords régionaux qui ont vu le jour récemment ont été pris pour contourner le blocage des négociations à l’OMC – blocage qui est d’ailleurs en partie le fait des États-Unis. Sur ce point, la position de la France a toujours été constante : nous favorisons le multilatéralisme, et voulons que ce type d’accord soit, autant que possible, négocié dans l’enceinte mondiale qu’est l’OMC.
D’autre part, il est clair que si nous laissons se multiplier des accords régionaux dans lesquels l’Europe n’est pas partie prenante, nous risquons de voir, à l’avenir, la négociation mondiale se fonder sur des accords que nous n’aurons pas discutés. Certes, compte tenu de la position nouvelle des États-Unis, ce risque est moins grand, mais en attendant que l’OMC reprenne la main, l’Europe doit impérativement se maintenir dans les négociations en signant des accords bilatéraux, faute de quoi elle risque d’être marginalisée.
Ce danger nous menace notamment en matière de normes et de standards, question que vous avez évoquée, monsieur Carvalho. Nous savons bien, à ce propos, que l’essentiel du CETA ne réside pas dans les droits de douane, mais dans la définition des normes. Or nous devons peser, dans le cadre de ces accords régionaux – il s’agit, aujourd’hui, du Canada, mais nous l’avons fait précédemment avec le Japon – sur la définition des normes, car c’est sur la base de ces normes que les discussions auront lieu par la suite au niveau international. Je persiste donc à penser que l’Europe doit continuer à mener une politique commerciale offensive.
Bien entendu, il faut que ces accords soient bons : il ne s’agit pas de brader nos intérêts sur l’autel du libre-échangisme ou du libéralisme ! Mais je tiens à le dire clairement : le CETA, qui sera soumis au Parlement européen dans quelques jours, et qui est le fruit d’une longue négociation, est à mon avis le meilleur accord que nous pouvions obtenir. Il faut rappeler que la France a obtenu, notamment dans la dernière période, sous la houlette du secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, Matthias Fekl, des avancées notables et reconnues.
Cela a été développé à l’instant par le secrétaire d’État, mais je veux y revenir un instant. Ainsi, je pense à la protection des services publics. Certes, je vous ai entendu, monsieur le rapporteur, regretter qu’elle n’aille pas suffisamment loin, mais elle existe tout de même. Et puis il y aura dorénavant la possibilité d’accéder aux marchés publics canadiens, énorme différence avec le TAFTA, les États-Unis ayant été incapables d’apporter des garanties en ce domaine lors des discussions préparatoires. Je citerai aussi la protection des appellations et l’évolution du mécanisme de règlement des différends. Je veux souligner à ce sujet l’apport de M. Fekl : la France a tapé du poing sur la table en disant qu’elle n’accepterait pas la formule négociée au départ, et qu’il faudrait des juges professionnels, nommés de manière permanente par le Canada et par l’Union européenne. C’est donc à l’initiative de notre pays que cette avancée a été obtenue.
Par ailleurs, je précise, parce que j’entends le contraire et que je vois des pétitions circuler, que l’accord de Paris sur le climat n’est absolument pas remis en cause.
M. Pouria Amirshahi. Si, si, si !
M. Christophe Caresche. Mais non, trois fois non, monsieur Amirshahi ! L’accord de Paris s’imposera évidemment, juridiquement, aux traités commerciaux, y compris par conséquent au CETA. La seule remise en cause possible de l’accord de Paris serait que les pays qui l’ont signé décident de ne plus l’appliquer – c’est aujourd’hui le problème que pose les États-Unis. Vous n’êtes pas d’accord, mais pour moi, c’est l’interprétation qui s’impose.
Enfin, j’en viens très rapidement à la méthodologie. Là aussi, je crois que nous avons abouti à une solution satisfaisante. La compétence concernant la mise en œuvre du traité chez nous est d’abord européenne. On peut se demander s’il faut la reprendre au niveau national,…
M. Pierre Lellouche. Ce serait un progrès !
M. Christophe Caresche. …mais c’est autre sujet car il faudrait alors, monsieur Lellouche, faire évoluer les traités européens. Il n’y a dans l’état du droit rien de scandaleux : les députés européens ont tout de même, je tiens à le dire, moi qui suis un fervent soutien de l’implication des parlements nationaux dans le processus européen, une certaine légitimité…
M. Pierre Lellouche. Qui n’est donc pas certaine !
M. Christophe Caresche. …pour se prononcer sur la question du CETA.
M. André Chassaigne. C’est un accord mixte !
M. Christophe Caresche. Certes, mais ce ne l’était pas au départ. Il a été décidé que ce serait un accord mixte parce qu’un certain nombre de pays ont souhaité que les parlements nationaux soient consultés. Cela veut dire qu’une partie de l’accord est de compétence européenne et qu’elle fera donc l’objet d’une ratification par le Parlement européen, et qu’une autre sera renvoyée aux ratifications nationales.
M. Pierre Lellouche. Ne dites pas ça ! Pas à moi !
M. Christophe Caresche. Mais si, monsieur Lellouche, c’est bien ce qui va se passer. Il n’y a rien de scandaleux au fait que, le Parlement européen ayant ratifié, les éléments de niveau communautaire puissent alors être mis en œuvre. Vous savez d’ailleurs qu’il y a actuellement devant la Cour de justice européenne un recours qui aboutira à un point de droit définitif.
M. Pierre Lellouche. Cela concerne Singapour et la Corée, pas le Canada !
M. Christophe Caresche. Je n’ai pas de problème avec le dispositif de ratification qui a été adopté. J’insiste sur le fait qu’il permettra à ceux qui sont contre le CETA de s’exprimer : il y aura un débat. Tout ne se joue donc pas maintenant, ce n’est pas vrai.
M. Pierre Lellouche. Si, tout se joue maintenant !
M. Christophe Caresche. Les représentants nationaux ne sont pas dessaisis…
M. Pierre Lellouche. Ils le sont totalement !
M. Christophe Caresche. …et ils pourront évidemment donner leur point de vue. Je veux bien sûr parler de ceux qui seront encore là… (Sourires.)
M. François Loncle. Très bien.
M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.
M. Pierre Lellouche. La négociation du CETA a commencé il y a sept ans, sur la base d’une décision du Conseil européen en date du 24 avril 2009 ; le texte a été paraphé en septembre 2014 et signé le 30 octobre 2016. C’est un accord de libre-échange d’un type nouveau : suppression quasi totale des droits de douane, harmonisation des normes sociales, environnementales, industrielles, phytosanitaires et autres, tentative d’ouvrir les marchés publics de façon équilibrée – et Dieu sait qu’on en a besoin vis-à-vis du Canada… Cet accord aura un impact majeur sur un très grand nombre de sujets qui préoccupent nos concitoyens, qu’il s’agisse de l’agriculture – on évoque l’importation de 75 000 tonnes de viande porcine et de 65 000 tonnes de viande bovine –, de la santé, de l’environnement, de la protection des indications géographiques ou encore du poids croissant des multinationales par rapport aux États dans les modes de règlement des différends.
La dimension politique de cet accord est d’autant plus grande que beaucoup considèrent, à l’instar Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de cette Assemblée, le CETA comme, selon ses propres termes, le cheval de Troie du TAFTA, le fameux projet d’accord avec les États-Unis, aujourd’hui contesté par la France et bloqué par la nouvelle situation outre-Atlantique.
La question soulevée aujourd’hui par nos collègues du groupe GDR est moins l’appréciation du traité au fond – appréciation qui, j’y reviendrai, ne nous a pas été possible – que le droit de l’Assemblée nationale d’examiner ce traité, alors même qu’il va entrer en application dès le 1er mars, sans que nous ayons pu en débattre ici même.
M. Marc Dolez, rapporteur. C’est vrai.
M. Jean-Luc Laurent. Tout à fait !
M. Pierre Lellouche. Le cheminement de l’accord CETA, entre son paraphe en 2014 et sa signature en 2016, a été émaillé de controverses, précisément en raison de son insuffisance en termes de transparence démocratique et de son impact. Des députés du Parlement européen ont tenté de saisir la Cour de justice de l’Union européenne… en vain. Le parlement wallon a tenté de s’opposer à l’accord… en vain. Des résolutions ont été adoptées par les parlements du Luxembourg et des Pays-Bas… en vain. La cour constitutionnelle allemande a été saisie de multiples recours sur les modalités de l’application de l’accord et surtout sur les dispositions concernées par l’application provisoire…
Une tension perceptible est assez vite apparue entre la Commission et les États quant à la date et aux modalités d’application de cet accord. La Commission a tenté à plusieurs reprises de passer en force, en arguant jusqu’à l’été dernier que le CETA relevait de la compétence exclusive de l’Union, aux termes de l’article 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et que, dès lors, il n’était soumis qu’à la ratification du Parlement européen.
M. Jean-Luc Laurent. Incroyable !
M. Pierre Lellouche. Je rappelle que le président de la Commission, l’excellent M. Juncker, a même été jusqu’à dire publiquement, le 29 juin 2016, soit six jours après le Brexit : « J’ai dit clairement […] que la Commission est arrivée à la conclusion en raison d’une analyse juridique que ce n’est pas un accord mixte ». Cette citation, révélatrice de la volonté de passage en force de la Commission, qui ne cherchait ni plus ni moins qu’à s’asseoir sur les parlements nationaux, est intervenue quelques semaines après que le Conseil des ministres de l’Union a indiqué, en mai 2016, que l’accord était bien mixte et qu’il exigeait dès lors, en plus de la ratification du Parlement européen, celles des vingt-sept parlements des pays membres – j’en exclus le parlement du Royaume-Uni depuis le Brexit.
M. Christophe Caresche. C’est ce que j’ai dit.
M. Pierre Lellouche. Devant la montée des oppositions au traité transatlantique avec les États-Unis et les premières critiques contre le CETA, la Commission a dû faire marche arrière et, dans un document publié le 5 juillet, a fini par considérer que le CETA était bien un accord mixte tout en indiquant qu’il en allait comme pour l’accord avec Singapour et que par conséquent cela relevait tout de même de sa compétence exclusive. Mais elle précise que toutefois, de nombreux États membres ont exprimé une opinion différente et que, compte tenu de ce qui précède et afin de ne pas retarder la signature de l’accord, la Commission a décidé de proposer la signature de l’accord en tant qu’accord mixte. Et d’ajouter immédiatement que dans l’attente des procédures nécessaires à sa conclusion, l’accord devrait être appliqué à titre provisoire…
M. Jean-Luc Laurent et M. Arnaud Richard. Scandaleux !
M. Pierre Lellouche. Toujours précautionneuse, elle avait en effet prévu, dans le traité avec le Canada, un article 30 prévoyant précisément l’application à titre provisoire. Et c’est bien cet article qui a servi de base à la décision du Conseil du 28 octobre 2016, dans laquelle les États « acceptent d’appliquer à titre provisoire, dans l’attente de l’achèvement des procédures nécessaires à sa conclusion », toute une série de dispositions qui selon lui, et selon la Commission surtout, relèvent de la compétence exclusive de l’Union.
M. Marc Dolez, rapporteur. Eh oui !
M. Pierre Lellouche. Sont donc énumérés à l’article 1er de la décision du 28 octobre les domaines relevant de l’application du traité à titre provisoire. Je ne veux pas vous lasser, il y en a une pleine page : les articles 8.1 à 8.8, le 8.13, le 8.15… Pour qui veut bien se pencher sur le détail de cette énumération, incompréhensible pour le commun des mortels, il ressort que la décision du Conseil du 28 octobre 2016 aboutit à appliquer la quasi-totalité de ce traité.
M. Marc Dolez, rapporteur. C’est tout à fait juste !
M. Pierre Lellouche. Je vous le montre, ce traité : 450 pages, et 1 000 pages d’annexes ! Je les tiens à votre disposition, monsieur Caresche, c’est tout à fait passionnant.
M. Christophe Caresche. Je les ai déjà lues ! (Sourires.)
M. Pierre Lellouche. Bref, la quasi-totalité du traité sera donc appliquée sans qu’il ait été soumis à la ratification des États. Et dès lors que ce traité aura été approuvé par le Parlement européen, ce qui ne manquera pas d’arriver dans une quinzaine de jours à Strasbourg, la Commission entend le faire appliquer deux semaines plus tard, dès le 1er mars. Ne seront exclus de l’application provisoire qu’un nombre de domaines limitativement désignés : le système des règlements des différends, qui fait l’objet de très fortes controverses dans plusieurs pays – il ne sera donc pas appliqué pendant cette période, ce qui est tout de même assez énorme ; des dispositions concernant la propriété intellectuelle ou encore les sanctions pénales applicables en cas de violation des droits d’auteur ; plusieurs dispositions concernant les services financiers – investissement de portefeuille, protection des investissements, règlement des différends ; et enfin les procédures administratives et judiciaires relevant du périmètre de juridiction des États membres.
Contrairement donc à ce qu’a affirmé ici même, hier, le ministre des affaires étrangères, en réponse à mon interpellation lors de la séance des questions au Gouvernement, ce que le gouvernement français a accepté le 28 octobre dernier est un véritable déni de souveraineté nationale : c’est la quasi-totalité du traité qui s’appliquera et non pas, comme l’a prétendu M. Ayrault, « quelques mesures […] mises en œuvre par anticipation […] à la marge. » Cela n’a rien de marginal.
M. Marc Dolez, rapporteur. C’est vrai ! La quasi-totalité !
M. Pierre Lellouche. Mais il y a plus grave encore : ce que le gouvernement français a accepté n’est rien d’autre qu’un saucissonnage du traité dicté par la Commission, et sans que le parlement français n’ait pu se prononcer ni sur le traité lui-même, qu’aucun parlementaire n’a reçu,…
M. Jean-Luc Laurent. On pouvait juste aller le consulter.
M. Pierre Lellouche. …ni sur le périmètre d’application provisoire, décidé par l’exécutif tout seul.
M. François Loncle. Faux !
M. Pierre Lellouche. Ce déni de démocratie est aggravé par l’extrême désinvolture avec laquelle le Gouvernement a traité l’Assemblée nationale dans l’examen de ce texte, monsieur le secrétaire d’État. J’en veux pour preuve qu’à aucun moment un texte intéressant des dizaines de milliers d’emplois, des pans entiers de notre économie, n’a été examiné au fond par ne serait-ce qu’une seule des commissions permanentes de l’Assemblée. Ni par la commission des affaires économiques, ni par la commission des affaires étrangères, ni même par la commission des affaires européennes.
M. Christophe Caresche. L’examen des projets de loi de ratification est fait pour ça, monsieur Lellouche !
M. Pierre Lellouche. À aucun moment les 454 pages du traité et 1 000 pages d’annexes n’ont été diffusées aux députés.
Pourtant, dans leur rapport d’information sur l’évaluation des accords de libre-échange de l’Union européenne en date du 28 septembre 2016, soit juste avant la signature du CETA, nos collègues Joachim Pueyo et Hervé Gaymard, de la commission des affaires européennes, s’interrogeaient sur l’insuffisance du travail d’évaluation effectué par la Commission quant à l’impact économique du traité envisagé avec le Canada. Nous avons ce soir entendu des évaluations américaines, mais nos collègues, qui se sont rendus à Bruxelles le 5 avril dernier, ont constaté que les évaluations fournies par la Commission étaient anciennes, remontant à 2008-2011, qu’elles étaient problématiques, et que bien des analyses étaient des balbutiements, souvent contradictoires. Mieux, quand ils ont demandé si une nouvelle étude d’impact avait été faite avant la signature du traité, on leur a répondu que non et qu’aucune n’était prévue.
Mais, mes chers collègues, il y a encore plus fort… Début octobre 2016, c’est-à-dire juste un mois avant la signature de l’accord, la présidente de la commission des affaires européennes, Mme Auroi, pourtant membre de l’actuelle majorité présidentielle, monsieur le secrétaire d’État,…
M. Christophe Caresche. Si vous le dites ! (Sourires.)
M. Pierre Lellouche. …avait tenté de convaincre votre gouvernement de ne pas accepter l’application provisoire du traité et de saisir, comme il en a le droit, la Cour de justice de l’Union européenne pour juger de la compatibilité du CETA avec les traités existants. Le 5 octobre 2016, elle avait déposé une proposition de résolution européenne allant dans ce sens avec nombre de ses collègues appartenant à l’actuelle majorité.
Cette résolution dénonçait le « fait accompli » de la Commission et mettait en cause la compatibilité du CETA avec le droit européen, tout comme l’importance « dans des proportions sans précédents dans l’histoire commerciale européenne » de son impact sur l’environnement, le social ou encore les marchés publics.
Cette même résolution invitait le gouvernement français à « solliciter l’avis de la Cour de Justice de l’Union européenne sur la comptabilité du CETA avec les traités européens » et à s’opposer au sein du Conseil de l’Union « à toute mise en œuvre provisoire de l’accord ». Voilà ce que demandait Mme Auroi.
Eh bien, mes chers collègues, savez-vous ce qu’il arriva ? Cette proposition de résolution fut rejetée…
M. Christophe Caresche. Nous en avons discuté !
M. François Loncle. On ne peut pas dire n’importe quoi !
M. Pierre Lellouche. …pour être ensuite transmise, en vertu de l’article 151-5 de notre Règlement, à la commission des affaires étrangères.
Que croyez-vous qu’il arrivât ensuite ? Elle fut souverainement enterrée par Mme la présidente de la commission des affaires étrangères, qui décida qu’elle était écartée.
M. François Loncle. C’est complètement faux !
M. Pierre Lellouche. J’ajoute que Mme Guigou a jugé inutile d’informer la commission de sa décision, ni le bureau, ni l’opposition.
Résumons-nous : dans cette affaire, lourde de conséquences pour l’économie française, un accord de libre-échange aura donc été négocié par la Commission et appliqué par elle, sans que les parlements nationaux n’aient eu à se prononcer, sans qu’aucun parlementaire français n’ait pu lire la totalité du traité et de ses annexes, et sans qu’aucun travail sérieux d’évaluation et d’impact n’ait été réalisé…
M. François Loncle. C’est caricatural !
M. Pierre Lellouche. …et encore moins discuté au sein des commissions compétentes de notre Parlement.
M. Christophe Caresche. Et le Parlement européen ?
M. Pierre Lellouche. On m’objectera que, somme toute, tout cela est parfaitement normal dans la mesure où, comme M. le secrétaire d’État l’a dit tout à l’heure, ces dispositions relèvent de la compétence exclusive de l’Union. Mais qui le dit : la Commission ? Nous ? Le Gouvernement ? Certainement pas la Cour de justice de l’Union, qui n’a pas été saisie !
M. Christophe Caresche. Si !
M. Pierre Lellouche. Qui, donc, le dit ? Quel est le périmètre de ce qui relève des États et de la compétence exclusive de l’Union ? Au vu de cette situation, que je déplore, c’est la fameuse phrase de Philippe Séguin qui me revient à l’esprit : circulez, y’a rien à voir…
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Vous y tenez !
M. Jean-Luc Laurent. Vous êtes devenu séguiniste ? Les bras m’en tombent ! (Sourires.)
M. Pierre Lellouche. Comment, dans ces circonstances, s’étonner du divorce que chacun peut constater et qui s’accroît chaque jour entre les peuples et l’Europe, dès lors que personne, je dis bien personne mis à part quelques technocrates, à Bruxelles ou au Secrétariat général des affaires européennes, n’a étudié ce traité au fond ? Comment s’étonner de ce que sa mise en œuvre provisoire soit décrétée sans étude d’impact et sans que le Parlement européen n’ait pu examiner ni le traité lui-même ni le partage de compétences entre les États et l’Union ?
Mes chers collègues, je vous le dis solennellement, cette situation ne peut pas durer. Aujourd’hui, l’Europe est devenue une union sans leader ni perspectives claires, paralysée pour les deux prochaines années au moins par l’impossible gestion du Brexit, impuissante à se défendre commercialement contre la Chine et les États-Unis et incapable de générer de la croissance pour ses peuples comme d’assurer sa sécurité intérieure et extérieure ou de défendre ses frontières contre l’immigration.
S’agissant du commerce international, de tels comportements, qui ont des incidences directes sur l’emploi, ne peuvent que conduire les peuples à se détourner davantage du bel idéal de la construction européenne.
À mes yeux, permettez-moi cette remarque, monsieur le secrétaire d’État, il est impensable de continuer à concevoir ainsi les négociations commerciales de l’Union.
Premièrement, la négociation d’accords commerciaux ne peut clairement plus être confiée – et c’est un ancien ministre du commerce extérieur qui le dit – à un Commissaire européen hors sol et sans légitimité politique. Cela exigera sans doute une révision des traités afin que cette compétence revienne au Conseil, qui désignera un négociateur, lequel travaillera sur la base d’un mandat périodiquement revu et à l’élaboration duquel les parlements nationaux seront associés.
Deuxièmement, il est proprement inconcevable de continuer à signer des accords de libre-échange ou des accords commerciaux sans étude d’impact précise mesurant les conséquences en termes d’emplois et de croissance pour les États membres.
Troisièmement, il est tout autant inconcevable de continuer à prétendre que ce type d’accord est du seul ressort du Parlement européen.
Quatrièmement, il est impensable de saucissonner, de façon discrétionnaire, un accord mixte en le faisant entrer en application, c’est-à-dire en créant un fait accompli et en s’asseyant clairement sur les attributions souveraines des parlements nationaux.
C’est un Européen convaincu mais lucide qui vous le dit : si des réformes urgentes n’interviennent pas concernant ces quatre points, il ne faudra pas s’étonner si, demain, toute l’entreprise de la construction européenne se trouve menacée, et avec elle, la belle et grande idée qui la sous-tend.
Faute de cet indispensable sursaut, c’est vers un Brexit généralisé que nous nous dirigeons, sous la pression de peuples qui n’en peuvent plus d’être ainsi souverainement ignorés par des technocrates irresponsables.
M. Christophe Caresche. Monsieur Lellouche, quand même !
M. Pierre Lellouche. Monsieur Caresche, ce n’est pas du protectionnisme, c’est de la lucidité.
M. le président. Merci, mon cher collègue…
M. Pierre Lellouche. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains que j’ai l’honneur de représenter, s’il ne peut pas suivre le groupe de la Gauche démocrate et républicaine dans sa recommandation de procéder à une ratification du traité par référendum, n’en approuve pas moins nombre de ses arguments. Il s’abstiendra, donc, sur le fond.
Je félicite cependant Marc Dolez d’avoir soulevé un certain nombre de vraies questions. Je souhaite que le Gouvernement soit à l’écoute et qu’il y trouve de bonnes réponses.
M. André Chassaigne. Remarquable intervention. Vraiment.
M. Christophe Caresche. Il repart avec son traité…
M. Pierre Lellouche. C’est le seul exemplaire de l’Assemblée ! (Sourires.)
M. le président. D’un texte qui est en ligne sur le site de l’Union européenne…
La parole est à M. Arnaud Richard.
M. Arnaud Richard. Il faut sans doute croire que la démocratie, la souveraineté et la transparence n’ont que peu de signification en Europe : notre assemblée a, en effet, été contrainte d’attendre la signature de l’Accord économique et commercial global avant de pouvoir en débattre.
Je tiens par conséquent à saluer l’initiative de nos collègues du groupe GDR et à les remercier d’avoir inscrit cette proposition de résolution européenne à l’ordre du jour.
Car, disons-le sans détour, monsieur le secrétaire d’État, l’adoption du CETA ne va pas de soi. Quel que soit le côté de l’hémicycle où nous siégeons, les oppositions ou les réserves qu’il suscite trouvent en nous une résonance.
Cette adoption soulève même des questions absolument vitales concernant le mode de vie, l’Europe et la France que nous voulons, mais aussi le rôle de l’Assemblée nationale et celui de la représentation nationale dans une démocratie représentative.
Négocié, comme l’a relevé M. le rapporteur, dans le secret et l’opacité, sans véritable concertation, le CETA inquiète légitimement les peuples européens. Ses effets sur notre modèle économique et social sont pour le moins incertains – Pierre Lellouche a relevé l’absence d’étude d’impact – et il est susceptible d’aller à l’encontre du fort besoin de protection exprimé par les Français.
Nous sommes particulièrement inquiets des conséquences qu’il pourrait avoir sur la souveraineté des États, avec la mise en place d’une cour des investissements, avatar du tribunal privé des litiges entre États et entreprises initialement prévu par le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. La menace perdure. Nous considérons que si mécanisme de règlement des différends il y doit y avoir, cette structure d’arbitrage doit présenter des garanties suffisantes pour que les lois du marché ne s’imposent pas à notre législation.
Nous sommes également inquiets pour notre modèle agricole comme pour nos engagements environnementaux, qui pourraient tous deux être profondément remis en cause par l’adoption de ce traité. Alors que la crise n’en finit pas de fragiliser le monde agricole et que Donald Trump semble envisager sérieusement un retrait pur et simple de l’accord de Paris, dont l’encre n’est pas encore tout à fait sèche, affaiblir encore nos exigences environnementales comme notre agriculture par l’adoption de ce traité constituerait un signal négatif et aurait des conséquences qu’il est particulièrement difficile d’évaluer, monsieur le secrétaire d’État.
M. François Loncle. Il n’en est pas question.
M. Arnaud Richard. Eu égard à la nature mixte de cet accord, une application provisoire affaiblirait en outre, c’est peu de le dire, le Parlement, puisque nous serions amenés à prendre position sur un traité qui aurait commencé à produire ses effets. Aussi le groupe UDI estime-t-il qu’il est tout à fait logique que le Parlement soit consulté avant toute mise en œuvre, même provisoire, de cet accord.
M. Marc Dolez, rapporteur. Absolument.
M. Arnaud Richard. En ce sens, nous avons, je tiens à le dire, une vraie convergence avec les auteurs de la proposition de résolution. Nous sommes en revanche plus circonspects quant à la méthode qu’ils ont choisie, vous ne m’en voudrez pas, cher Marc Dolez, de le relever.
Nous sommes en effet sceptiques sur la portée d’une proposition de résolution européenne qui permet seulement à l’Assemblée nationale d’émettre un avis. Votre résolution prévoit en effet, monsieur le rapporteur, que le Parlement soit consulté. Seulement consulté ! Nous considérons, pour notre part, qu’il ne doit pas se contenter de donner son avis mais qu’il doit donner son feu vert, et ce avant la mise en application provisoire de l’accord.
Toute alternative nous affaiblirait et, ce faisant, affaiblirait la voix de la France, dans un contexte international marqué par une défiance et une hostilité sans précédent de nos partenaires américains à l’égard de l’Europe.
Il est évident qu’une proposition de résolution européenne n’est pas à la hauteur de la situation. Notre groupe demande par conséquent qu’avant la fin de la session, le 22 février prochain, l’Assemblée nationale se prononce par un vote sur l’adoption de ce traité. En outre, il estime que la question du CETA soulève trois problématiques majeures qui ne sont malheureusement pas abordées dans la proposition de résolution.
En premier lieu, le texte passe sous silence l’indispensable harmonisation des règles économiques, fiscales, sociales et environnementales au sein de l’Union européenne. Signer un accord économique et commercial avec un pays tel que le Canada alors même que ces règles n’ont pas été harmonisées au sein de l’Union européenne nous conduira inévitablement à fragiliser plus encore les secteurs d’activité qui, en France, sont déjà exposés à la concurrence européenne. Dans l’attente de cette véritable et nécessaire harmonisation, nous considérons que le savoir-faire agricole européen et français doit être préservé. Les exigences que nous nous sommes fixées en termes de qualité comme de traçabilité de la production justifient que l’agriculture fasse figure d’exception.
Par ailleurs, mes chers collègues, il existe une exception culturelle, à laquelle nous sommes tous très attachés : nous considérons, par conséquent, que la culture n’est pas un bien comme un autre et qu’elle doit être protégée des périls auxquelles une mondialisation sauvage l’exposerait.
Les députés du groupe UDI considèrent que notre alimentation n’est pas non plus un bien comme un autre, compte tenu de ses effets en matière de santé, de préservation de l’environnement ou de protection de la biodiversité. Elle est en outre liée à notre agriculture, nom du lien immuable qui unit l’homme à la terre, qui façonne nos paysages et qui fait battre le cœur de la ruralité.
Enfin, nous considérons que cette proposition de résolution aborde, et c’est malheureux, la question des relations économiques et commerciales de l’Union européenne par le petit bout de la lorgnette.
En effet, dans la perspective des négociations en vue d’un traité avec le Japon ainsi qu’avec nos partenaires de la zone Mercosur, il était nécessaire que toute la méthode de négociation des accords de libre-échange avec nos partenaires économiques et commerciaux soit révisée.
À cet égard, nous sommes favorables à une consultation en amont des parlements nationaux comme de la société civile, afin qu’une feuille de route claire soit adoptée par chaque État membre, ces feuilles de routes constituant la base du mandat donné à la Commission européenne.
Pour chacune des négociations, il est nécessaire de constituer une délégation de parlementaires – députés et sénateurs issus de toutes les formations politiques – de manière à ce que la représentation nationale puisse, à chaque point d’étape, être associée à l’avancement des discussions.
Mes chers collègues, cette proposition de résolution soulève un vrai débat indispensable à notre démocratie. Mais malheureusement, elle n’apporte pas de réponses à la hauteur des enjeux. Aussi, et pour toutes les raisons que j’ai évoquées, nous ne pouvons la soutenir.
En revanche, monsieur le secrétaire d’État, notre assemblée s’honorerait à obtenir du Gouvernement un engagement à ce qu’un débat suivi d’un vote soit organisé dans cet hémicycle avant l’adoption du CETA. J’invite aujourd’hui chaque groupe parlementaire à se prononcer en faveur d’un tel débat. Donnons véritablement à notre assemblée les moyens de se déterminer sur la question essentielle de l’adoption de ce traité.
Je sais que la recherche de ce consensus est ambitieuse mais j’espère que vous y apporterez, les uns comme les autres, votre soutien. J’espère en outre que le Gouvernement apportera, pour une fois, une réponse tout à fait claire à cette proposition.
M. le président. Je précise qu’en accord avec le président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, M. André Chassaigne, nous allons prolonger la séance afin de terminer l’examen de cette proposition de résolution.
La parole est à M. François Loncle.
M. François Loncle. Je réfute vigoureusement l’assertion selon laquelle tout accord commercial serait intrinsèquement pernicieux, funeste, voire maléfique.
Je suis convaincu que la France et l’Europe doivent rester ouvertes sur le monde. Le repli n’est pas une option crédible : c’est pourquoi je suis favorable aux accords commerciaux, à condition qu’ils soient avantageux pour toutes les parties contractantes et qu’ils s’inscrivent dans une perspective résolument progressiste.
M. Jean-Luc Laurent. C’est raisonnable.
M. François Loncle. C’est le cas de l’Accord économique et commercial global conclu entre l’Union européenne et le Canada.
Il ne faut pas confondre : le CETA n’est pas le TAFTA. Alors que le défunt traité transatlantique soulevait de nombreuses objections, l’accord euro-canadien est un bon accord, équilibré, mutuellement bénéfique. Non seulement il offre des garanties et des protections largement suffisantes, mais en outre il améliore très sensiblement le dispositif d’arbitrage. Au cours des sept années de discussions, il a été amendé dans un sens positif. Il intègre les demandes françaises et respecte, me semble-t-il, les intérêts de notre pays.
Je respecte bien évidemment non seulement la personne mais aussi le travail de notre rapporteur, Marc Dolez. Toutefois, je conteste formellement les six principaux arguments avancés par cette proposition de résolution.
Premièrement, l’application provisoire du CETA n’est en aucune façon un coup de force anti-démocratique. Il faut rappeler que si les négociations commerciales sont, certes, du ressort de la Commission européenne, la conclusion d’un accord commercial appartient aux États membres et sa ratification échoit aux parlements. D’ailleurs, l’Assemblée nationale a été constamment informée par le Gouvernement du déroulement des négociations : le secrétaire d’État Matthias Fekl est venu à sept reprises devant la commission des affaires étrangères.
Le CETA est un accord mixte, en ce sens qu’il concerne des domaines relevant de compétences à la fois communautaires et nationales. Par conséquent, son entrée en vigueur exige un vote du Parlement européen et des parlements nationaux. C’est d’ailleurs notre pays qui a souligné l’importance du rôle des parlements nationaux et qui a obtenu en juillet dernier la reconnaissance de cette mixité par la Commission européenne. C’est pourquoi il faut refuser que notre assemblée se dessaisisse de son droit constitutionnel de ratifier un accord international, et c’est pourquoi aussi il n’est pas du tout nécessaire de recourir à la procédure référendaire pour autoriser la ratification de cet accord. Comment imaginer, par ailleurs, soumettre à référendum un texte qui compte 453 pages – et même, avec les annexes, 2 344 pages ?
Deuxièmement, le CETA ne constitue pas une menace pour l’agriculture européenne en général, et française en particulier. Tout au contraire. Il faut savoir qu’actuellement aucun fromage français bénéficiant d’un signe de protection comme une appellation d’origine protégée, une appellation d’origine contrôlée ou une indication géographique protégée n’est réellement protégé au Canada. Le CETA apportera un changement appréciable, puisqu’il entérine la reconnaissance et la protection de 173 indications géographiques européennes, dont 42 françaises, notamment 28 fromages, de l’huile, des pruneaux ou de la charcuterie. Il s’agit d’une proportion importante, d’autant plus que la liste pourra être complétée dans l’avenir.
Le CETA entraînera une large ouverture du marché canadien à nos produits agricoles. Par exemple, il permettra d’exporter un quota annuel de 18 500 tonnes de fromages européens exempts de droits de douane, alors que ceux-ci sont aujourd’hui particulièrement dissuasifs. C’est clairement une chance pour nos productions laitières et fromagères – et c’est un Normand qui parle ! En échange, le Canada pourra progressivement exporter vers l’Europe jusqu’à 45 800 tonnes de viande de bœuf sans hormones. Ce quota n’est pas en mesure de désorganiser le marché bovin, puisqu’il représente seulement 0,6 % de la production européenne de viande bovine.
Troisièmement, le CETA réaffirme que le droit commercial international ne prime pas le droit environnemental. Il confirme ainsi le principe de précaution. Le CETA respecte les objectifs environnementaux et les accords multilatéraux en ce domaine, y compris l’accord de Paris de la COP21, lorsqu’il sera entré en vigueur. Il garantit le droit à réguler des États membres en matière d’environnement, en particulier dans le secteur sanitaire et phytosanitaire.
Quatrièmement, le CETA protège les services publics nationaux et locaux créés par les États et les collectivités, conformément à la position constante affichée par la France. Il s’agit d’une position qui est dépourvue de toute ambiguïté. Les États et les collectivités territoriales conservent le droit d’établir des monopoles publics et de conférer des droits exclusifs.
Cinquièmement, le CETA vise certes à harmoniser les normes, mais sans remettre en cause les exigences sanitaires, sociales, environnementales ou de sécurité. Cette convergence réglementaire ne se traduit donc pas par un abaissement du niveau de protection des personnes et de la nature, d’autant que chaque partie reste libre de prendre les législations internes qu’elle estime appropriées.
Sixième et dernier point, qui me semble le plus important : la cour de justice des investissements est présentée par le groupe GDR comme un mécanisme menaçant la souveraineté des États ; or c’est exactement l’inverse. Au contraire des accords commerciaux existants, dotés d’un système d’arbitrage commercial privé qui tend à privilégier les investisseurs, le CETA préserve et réaffirme clairement les prérogatives étatiques souveraines. Cette innovation résulte d’une initiative commune de la France et de l’Allemagne, qui ont œuvré à la mise en place d’une cour bilatérale publique permanente, chargée de régler les différends entre investisseurs et États. Cette nouvelle cour de justice constitue une avancée remarquable. Il faut féliciter le Canada, qui est le premier pays à avoir renoncé à l’arbitrage privé. Ce nouveau modèle d’arbitrage européen commence d’ailleurs à être accepté par d’autres parties, par exemple le Vietnam.
En conclusion, mes chers collègues, je voudrais souligner que le CETA revêt aussi une dimension géopolitique essentielle. Cet accord euro-canadien favorisera la diffusion de nos normes et de nos dispositifs réglementaires. C’est particulièrement important alors que nous observons des stratégies de repli et d’agressivité commerciale, notamment de la part de la nouvelle administration américaine et du gouvernement britannique. En ce sens, le CETA est bien plus qu’un simple accord commercial : c’est un modèle de coopération bilatérale entre l’Union européenne et le Canada, un grand pays avec lequel nous partageons non seulement une histoire et une culture, mais aussi et surtout des valeurs communes. Cet accord contribue à renforcer les liens anciens et multiples unissant l’Europe et le Canada. Le Canada est notre partenaire, notre allié, notre ami.
Pour toutes ces raisons, conformément au vote de la commission des affaires étrangères de notre assemblée, qui a respecté toutes les règles démocratiques, je vous recommande vivement de rejeter le projet de proposition de résolution européenne présenté par le groupe GDR.
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pouria Amirshahi, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.
M. Pouria Amirshahi. Je tiens tout d’abord à remercier le groupe GDR pour l’organisation de ce débat consacré au CETA, qui, enfin, a lieu dans cet hémicycle, devant la représentation nationale.
Comme tout accord de libre-échange, en l’occurrence entre l’Union européenne et le Canada, le CETA repose sur le principe de la suppression des barrières douanières. Avant même d’évoquer le contenu des dispositions du traité, je veux dénoncer ici, avec d’autres, nombreux, le scandale anti-démocratique auquel nous assistons.
Comme pour le TAFTA, le traité de libre-échange avec les États-Unis dont il a été fait état précédemment, les négociations n’ont pas été transparentes. Par un détournement des institutions démocratiques, les négociateurs ont même accepté cette incroyable procédure qui consiste à mettre en œuvre 90 % des dispositions du traité dès le 1er mars, avant même son éventuelle validation par les parlements nationaux. Non seulement les souveraines et indispensables délibérations sont piétinées, mais la méthode est celle d’apprentis sorciers : car que se passera-t-il si demain un Parlement rejette le traité alors que ses clauses sont déjà actives et qu’elles ont entraîné de nouvelles situations de droit, avec des conséquences parfois irréversibles ?
Notre inquiétude est d’autant plus fondée que le contenu même du CETA est dangereux pour l’environnement, les droits des travailleurs et des consommateurs, les filières agricoles et même la diversité culturelle – je reprends les mots de Nicolas Hulot. Je veux en donner quelques illustrations. Ainsi, 92 % des produits agricoles et alimentaires pourront circuler librement entre les deux parties ; il en sera ainsi pour les viandes bovine et porcine, ou encore pour les produits laitiers, sous réserve de quotas – 140 000 tonnes de viandes canadiennes pourront être vendues en Europe. Hormis pour satisfaire des intérêts commerciaux privés, l’Union européenne, qui produit déjà 7,2 millions de tonnes, n’a absolument pas besoin de ces importations. D’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous citer un éleveur, une organisation interprofessionnelle qui se réjouisse de ces nouveaux contingents bovins octroyés au Canada ?
J’ajoute que l’application du CETA revient à fouler aux pieds l’accord international de Paris sur le climat, qui, à l’inverse, prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre par les moyens de transport, y compris maritimes. Il ne s’agit pas d’une remise en cause formelle de l’accord de la COP21, mais l’augmentation du volume d’échanges commerciaux non indispensables aggravera la pollution et menacera donc directement notre santé et la biodiversité.
Pour ces seules raisons, monsieur le secrétaire d’État, comment pouvez-vous qualifier le CETA d’accord progressiste ? Ces derniers temps, les avocats du traité n’ont pas ménagé leurs efforts pour tenter de rassurer la société civile – un peu comme le serpent Kaa avec le jeune Mowgli, si vous voyez ce que je veux dire. Mais leurs arguments sont souvent contestables : aucun économiste n’est en mesure de prouver la moindre création d’emplois ni de richesse, et si la Commission européenne prévoit un ridicule accroissement du PIB, de seulement 0,03 %, d’autres études d’impact prédisent la destruction de 200 000 emplois à l’échelle de notre continent, dont 40 000 en France. Rappelons au passage que l’accord de libre-échange nord-américain, l’ALENA, prévoyait la création de 20 millions d’emplois, et qu’il en a, au final, détruit 900 000.
Du point de vue des normes, si des restrictions ont en effet été posées par l’Union européenne à l’importation de bœuf aux hormones, de poulet au chlore, de porc à la ractopamine ou de nouveaux OGM, il n’est nulle part inscrit le principe de précaution, qui est pourtant au fondement du droit européen. Dès lors, tout nouveau risque sanitaire et alimentaire sera étudié au cas par cas, en fonction du seul intérêt des entreprises commerciales et non de l’intérêt général. Ce que prévoit le traité, c’est la possibilité donnée aux investisseurs privés d’attaquer unilatéralement un État, sans que l’inverse soit envisagé. Les multinationales pourront pour cela utiliser le tribunal arbitral institué par le traité, ce qui est jugé inquiétant par beaucoup, comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme – CNCDH – ou encore des juristes qui doutent de la compatibilité de ce dispositif de règlement des litiges avec le droit communautaire.
En vérité, le CETA fait courir de graves risques écologiques, sanitaires et démocratiques. Notre rôle est de l’en empêcher.
En vérité, le CETA est l’instrument d’une idéologie absurde, dangereuse et désormais archaïque, celle de la concurrence libre et non faussée qui fait tant de dégâts sociaux et environnementaux.
En vérité, monsieur le secrétaire d’État, le CETA est à contre-courant du grand enjeu moderne que constitue la redéfinition des règles de production et de distribution des marchandises, des biens et des services, à savoir la relocalisation des productions quand cela est possible et le développement des circuits courts. Certains espaces économiques ont d’ailleurs déjà engagé ce processus : la Chine privilégie ainsi son marché intérieur. Vous aurez observé aussi que de grandes entreprises ont adopté des stratégies de démondialisation, parce que les coûts de production et de transport de marchandises ne baissent plus, et aussi parce que chacun constate la stagnation séculaire à l’œuvre, qui, de fait, remet en cause la culture « croissanciste » qui nous est imposée.
Nous opposons à la vision cynique d’un libre-échange destructeur un autre principe : celui d’un commerce international équitable, écologique et sobre, dont les normes protectrices sont définies par la voie démocratique et non par des puissances hostiles au bien commun et à l’intérêt général. Oui, cette ambition mérite bien un grand débat national, sanctionné par un vote.
M. le président. La discussion générale est close.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc Dolez, rapporteur. Je veux tout d’abord remercier la plupart des orateurs, issus de tous les groupes, qui ont souligné l’intérêt de la démarche du groupe GDR auteur de cette proposition de résolution. Celle-ci n’avait pas pour objet d’examiner l’ensemble de la politique commerciale de l’Union européenne, que ce soit avec le Canada ou avec d’autres pays, mais de créer les conditions d’un débat véritablement démocratique sur le CETA. Je sais gré à ces différents orateurs d’avoir reconnu que grâce à nous, grâce au groupe de la Gauche démocrate et républicaine, le débat sur le CETA est entré dans l’hémicycle – quoique l’assistance ne soit peut-être pas aussi importante que nous l’aurions souhaité…
C’est important, car les enjeux sont considérables. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez dit tout à l’heure que le CETA était un accord bon et équilibré. Ce n’est que la position du Gouvernement ! C’est la position que le Gouvernement a défendue le 28 octobre dernier en autorisant la signature du traité sans avoir consulté le Parlement. Mais cela fait débat. J’ai présenté un certain nombre d’arguments tout à l’heure à la tribune, que je ne reprendrai pas, et d’autres orateurs, de tous les groupes, en ont avancé d’autres.
Je rappelle par exemple que nous ne disposons pas de véritables études d’impact sur les conséquences du traité en matière d’emplois et en matière économique.
La commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen a proposé, en décembre, le rejet du traité.
La CNCDH, elle, a émis un avis très critique sur son volet environnemental et climatique. Elle n’est d’ailleurs pas la seule : beaucoup d’ONG, notamment la Fondation Nicolas Hulot, ont fait de même, considérant que le traité allait à l’encontre de l’accord de Paris.
M. Patrice Carvalho. Vive la COP21 !
M. Marc Dolez, rapporteur. Sur les questions agricoles, on nous dit que les choses vont dans le bon sens, qu’elles sont équilibrées, que nos éleveurs ne doivent nourrir aucune crainte. Mais ce n’est pas la position du syndicat français de la filière bovine, INTERBEV :…
M. André Chassaigne. En effet !
M. Marc Dolez, rapporteur. …selon lui, le contingent canadien, qui contient des morceaux à forte valeur ajoutée, représentera en réalité pas moins de 16,2 % des 400 000 tonnes de viande équivalente produites chaque année en Europe.
On pourrait aussi évoquer les services publics, avec la liste négative.
Et la juridiction multilatérale des investissements, tout en restant bien sûr préférable à l’arbitrage privé, laisse entièrement en suspens la question de l’exclusivité de l’interprétation du droit européen par les juridictions européennes.
Bref, il y a débat dans la société civile, il y a débat dans les associations, il y a – ou il devrait y avoir – débat dans les parlements, il y a débat dans les organisations politiques. Mais vous ne paraissez guère sensible, monsieur le secrétaire d’État, aux acteurs que je convoque à l’appui de ma démonstration…
Peut-être serez-vous davantage intéressé par la position de la délégation des socialistes français au Parlement européen : ils ont réclamé un débat de fond sur le sujet et appelé les membres du groupe des socialistes et démocrates à s’engager sur cette voie, car ils considèrent que les choses ne sont pas aussi évidentes qu’il y paraît et que l’accord n’est pas forcément bon et équilibré d’entrée. Selon cette même délégation, les votes des différentes commissions parlementaires ont révélé que le CETA ne faisait pas l’unanimité au sein du groupe socialiste et démocrate.
M. Pascal Cherki. C’est tout à fait vrai !
M. André Chassaigne. Eh oui !
M. Marc Dolez, rapporteur. Elle estime aussi que trop d’incertitudes planent encore sur l’accord : celui-ci reste trop vague, en particulier, à propos de la coopération réglementaire, ce qui risque de ne pas garantir le droit des États à légiférer.
M. André Chassaigne. Absolument !
M. Marc Dolez, rapporteur. Cette prise de position mérite assurément d’être connue : elle plaide pour la tenue d’un vrai débat au Parlement sur le sujet. Il eût été préférable, je le répète, d’organiser ce débat avant l’autorisation de signature du 28 octobre, mais il demeure indispensable avant toute application provisoire, je redirai un mot là-dessus.
J’ai bien sûr écouté vos interventions avec beaucoup d’intérêt et toute l’estime qui vous est due, monsieur Caresche, monsieur Loncle. Puis-je néanmoins vous faire observer, en guise de clin d’œil et pour suggérer que le débat n’est pas clos, que le candidat à la présidentielle désigné dimanche dernier s’est prononcé contre le CETA ? (Murmures sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Christophe Caresche. Il aurait pu venir le dire ici !
M. Marc Dolez, rapporteur. Cela prouve bien, me semble-t-il, que le débat existe et que nous ne sommes pas les seuls à le penser. En tout état de cause, la position que le Gouvernement français a adoptée, sans consulter le Parlement ni se soucier des diverses revendications de la société civile, est très loin d’être partagée.
Le présent texte, vous l’avez compris, comporte deux propositions essentielles.
S’agissant en premier lieu de l’autorisation d’application provisoire du traité, je rejoins M. Lellouche, notamment sur un point : cette autorisation concerne en réalité la quasi-totalité du CETA. Hier, en répondant à une question au Gouvernement, M. le ministre des affaires étrangères n’a pas dit les choses telles qu’elles sont à cet égard, puisqu’il a minimisé, en quelque sorte, cette application provisoire, en prétendant qu’elle ne se ferait qu’à la marge du traité. C’est tout à fait inexact : plus de 90 % des dispositions du texte s’appliqueront dès le 1er mars prochain. Ce serait bien la moindre des choses qu’un parlement démocratique comme celui de la République française soit consulté, ainsi que nous le demandons, avant la mise en œuvre de ces dispositions.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire en commission, je ne nie pas le travail important qui a été effectué, notamment au cours des auditions, celles de Matthias Fekl en particulier, qui a été entendu à plusieurs reprises, tant par la commission des affaires étrangères que par la commission des affaires européennes. Mais l’audition d’un secrétaire d’État en commission ne saurait remplacer un débat démocratique dans l’hémicycle, en présence de représentants de tous les groupes et de toutes les commissions permanentes susceptibles d’être saisies des différents aspects du texte.
La procédure de négociation, confiée à la Commission européenne, a été à l’évidence anti-démocratique, et l’autorisation de signature délivrée par le Gouvernement français n’a fait l’objet d’aucun débat préalable au Parlement ; il faudrait au moins que l’application provisoire fasse l’objet d’une telle consultation.
Peut-être y a-t-il d’ailleurs eu une petite confusion tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État, ou alors j’ai mal interprété vos propos – je lirai le compte rendu sur ce point. Matthias Fekl a été très clair, en particulier devant les commissions, sur la mixité de l’accord : certaines de ses dispositions relevant des compétences de l’Union, et certaines autres, des États membres, si l’un de ces derniers ne ratifie pas l’accord, l’ensemble de l’accord tombe, a-t-il expliqué. Tout le problème est là.
M. Christophe Caresche. En réalité, personne ne sait ce qui se passe dans ce cas.
M. Marc Dolez, rapporteur. C’est en tout cas ce qu’a dit M. Fekl : c’est donc la position du gouvernement français. Cela soulève, je vous l’accorde, une vraie question. Lorsque les procédures de ratification seront engagées, elles pourront prendre plusieurs années, chacun le sait, et l’on viendra nous expliquer, si un ou plusieurs États membres ne ratifient pas l’accord, que l’on ne peut faire autrement que de le mettre en œuvre, dès lors que l’application provisoire porte sur 90 % de son contenu, qui plus est sur des dispositions relevant des compétences de l’Union européenne ; les États nationaux ne pourront donc pas dire grand-chose.
Je termine sur la question du référendum. En commission des affaires étrangères et en commission des affaires européennes, on m’avait expliqué, à ma grande surprise, qu’un sujet de cette importance ne pouvait être soumis à référendum. Je m’étonne que M. Lellouche fasse sienne cette opinion, qui l’empêche de voter notre proposition de résolution : le recours au référendum ne devrait-il pas être naturel pour quelqu’un qui se réclame du gaullisme ?
M. François Loncle. Pas moi !
M. Marc Dolez, rapporteur. En effet, monsieur Loncle, pas vous.
M. François Loncle. Mais le texte du traité fait 2 200 pages.
M. Marc Dolez, rapporteur. Ce texte, dit-on, est compliqué, quasi illisible, volumineux en pages et en annexes ; mais c’était déjà le cas du traité de Maastricht, que François Mitterrand avait pourtant fait approuver par référendum. (« Oui ! » sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) C’était également le cas, en 2005, du projet de Constitution européenne, que Jacques Chirac avait lui aussi soumis à un référendum.
Nous avons donc, sur ce point, un désaccord de fond : sur un sujet aussi important, qui engage l’avenir du pays et de nos concitoyens, le peuple doit pouvoir se prononcer directement et avoir le dernier mot.
M. le président. Merci, monsieur le rapporteur.
M. Marc Dolez, rapporteur. J’ajoute un dernier mot, monsieur le président. Le recours au référendum que nous proposons ici fait écho, en quelque sorte, aux remarquables travaux de la commission Bartolone sur l’avenir des institutions, laquelle a associé tous les groupes de notre assemblée plus des personnalités extérieures. Parmi ses conclusions figurait notamment la nécessité d’encourager et de développer le recours au référendum.
M. le président. Il faut conclure.
M. Marc Dolez, rapporteur. Celui-ci est en effet un instrument essentiel pour rétablir la confiance des citoyens dans leurs institutions et leurs élus.
Je vous prie de m’excuser, monsieur le président, d’avoir été long ; mais, comme vous le savez, le rapporteur que je ne suis n’est pas limité dans son temps de parole, et le sujet appelait quelques développements.
M. Jean-Luc Laurent. Il l’exigeait, même !
M. Marc Dolez, rapporteur. Il l’exigeait, en effet.
Pour toutes ces raisons, je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter cette proposition de résolution.
Et, si vous me le permettez, monsieur le président, je veux apporter une dernière précision pour éviter toute « embrouille » au moment du vote : vous allez mettre aux voix les conclusions de rejet de la commission ; par conséquent, ceux qui soutiennent cette bonne proposition de résolution doivent rejeter les conclusions de rejet.
M. Michel Issindou. On va se tromper, c’est sûr ! (Sourires.)
M. André Chassaigne. Excellente intervention !
M. le président. Monsieur le rapporteur, il existe certes une tolérance sur le temps de parole du rapporteur, mais j’ai déjà accepté de prolonger la séance. Il est déjà vingt heures quarante-cinq ; il faudrait que nous terminions à une heure convenable.
Je donne la parole à M. le secrétaire d’État, après quoi j’expliquerai les modalités du vote et annoncerai un scrutin public.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Je serai extrêmement bref. L’intervention du rapporteur, que j’ai écoutée avec attention, a été toute en nuances, qu’il s’agisse de la nécessité du débat ou du souci essentiel d’associer le Parlement à un travail bien entendu très complexe – M. Lellouche, pour l’illustrer, est même venu avec le texte intégral.
Et puis, à la fin, en quelques secondes, vous avez évoqué le référendum, en vous référant au passage à de Gaulle. Cela me semble révéler une contradiction fondamentale dans votre argumentaire – je ne parle pas ici du fond, bien entendu, mais de la méthodologie politique. Vous expliquez que le sujet fait débat, qu’il est complexe et relativement technique ; vous appelez de vos vœux une mobilisation du Parlement et un travail sur la problématique des ratifications, comme nous l’avons d’ailleurs proposé ; et puis, tout à coup, hop ! un référendum !
M. François Loncle. Et hop ! nous disparaissons !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. On en vient ainsi à invoquer la souveraineté populaire sur un sujet certes politique, je le reconnais, mais tout de même assez technique.
M. Patrice Carvalho. De quoi avez-vous peur ?
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Toute votre argumentation politique sur le Parlement, ou les parlements – car, de notre point de vue, une partie du texte de la résolution, étant de nature européenne, sera débattue au Parlement européen, et je ne pense pas que vous contestiez entièrement cette instance –, est contradictoire avec le fond de votre proposition.
M. le président. La discussion générale est close.
Vote sur les conclusions de rejet de la commission
M. le président. La commission des affaires étrangères ayant conclu au rejet de l’article unique de la proposition de résolution, l’Assemblée, conformément à l’alinéa 2 de l’article 151-7 du règlement, est appelée à voter sur ces conclusions de rejet.
Sur le vote des conclusions de rejet, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
……………………..
Pour que chacune et chacun se prononce en connaissance de cause, je tiens à apporter les précisions suivantes : si les conclusions de la commission des affaires étrangères sont adoptées, la proposition de résolution sera rejetée ; si elles sont rejetées, nous examinerons ensuite l’article unique de la proposition de résolution. Autrement dit, mes chers collègues, si vous souhaitez que cette proposition ne soit pas adoptée, vous devez voter pour les conclusions de la commission ; si vous souhaitez poursuivre l’examen de la proposition de résolution – ce qui ne signifie pas qu’elle sera adoptée –, il faut voter contre les conclusions de la commission.
M. Jean-Luc Laurent. Un président très pédagogue !
M. le président. Je mets aux voix les conclusions de rejet de la commission.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 16 Nombre de suffrages exprimés 16 Majorité absolue 9 Pour l’adoption 7 contre 9 (Les conclusions de rejet de la commission des affaires étrangères ne sont pas adoptées.)
(Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Discussion des articles
M. le président. J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de résolution.
Article unique
M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article unique.
La parole est à M. Laurent Baumel.
M. Laurent Baumel. Le CETA n’est pas le TAFTA, mais l’un comme l’autre soulèvent certaines objections, d’ordre démocratique, environnemental ou social. Il est possible que certaines des préventions exprimées soient excessives ou qu’une analyse plus poussée de ce que Matthias Fekl a pu obtenir conduise des hommes et des femmes de bonne foi à considérer que les risques sont moins élevés que ce qu’on peut penser et que les bénéfices à retirer de ces accords sont plus importants. Néanmoins, comme cela a été dit au cours du débat, l’enjeu est plus global. Il se résume en une formule, utilisée, me semble-t-il, par la Commission nationale consultative des droits de l’homme : le CETA fait partie de cette génération d’accords du passé qui ont sacrifié les droits humains aux intérêts commerciaux.
Aujourd’hui, la fable de la mondialisation heureuse, qui continue d’être contée par une partie des élites politiques, économiques ou technocratiques, se heurte dans le monde entier à la prise de conscience croissante des dégâts concrets auxquels ont conduit les processus de libéralisation généralisée des mouvements de biens et de capitaux. L’affaire du CETA, comme celle du TAFTA, pose le problème du modèle de civilisation et de société, qui doit s’articuler à notre acceptation de l’économie de marché.
Il ne s’agit pas là d’un sujet de colloque, mais d’un sujet fondamental que les sociétés aspirent à s’approprier : sur nos territoires, par exemple dans ma circonscription, il n’est pas une réunion citoyenne où les participants n’évoquent pas ces questions, centrales pour leur vie quotidienne, à un moment ou à un autre de la discussion. Je souscris moi aussi à cette idée que les outils de l’appropriation démocratique doivent être mobilisés, non seulement le Parlement mais aussi, si nécessaire, le référendum.
M. Pouria Amirshahi. Très bien !
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Je voudrais revenir sur un constat fait par Marc Dolez : l’exigence d’un débat de fond. Cette exigence est notamment portée par la délégation socialiste française au Parlement européen, dont les membres appellent leurs collègues du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates à engager un débat approfondi. Pour cette délégation, les votes des diverses commissions parlementaires ont clairement montré que le CETA ne faisait pas l’unanimité au sein du groupe S&D. Elle estime que trop d’incertitudes planent encore sur l’accord. C’est dire qu’un simple débat comme celui de ce soir, que nous avons demandé et qui était absolument indispensable, ne suffira pas.
Il me semble donc assez méprisant envers la capacité de réflexion du peuple de France, d’opposer, comme vous l’avez fait, monsieur le secrétaire d’État, cette exigence de démocratie fort bien présentée par Marc Dolez à ce que serait un référendum. Bien au contraire, avec Maastricht ou le Traité constitutionnel européen, nous avons vu un débat se tenir dans le pays, qui a créé une véritable ébullition ; partant des textes, il y a eu des échanges, des réunions publiques et une prise de conscience. La démocratie, c’est ça !
Nous ne pouvons pas nous limiter en considérant que seul un parlement est à même de comprendre : le peuple est capable de comprendre ; il est capable d’échanger, de réfléchir, de voter, et il peut le faire par voie de référendum.
M. Patrice Carvalho. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
Mme Jacqueline Fraysse. J’appelle l’attention de tous mes collègues sur le fait que l’Assemblée a adopté ce matin, à une large majorité, la proposition de résolution européenne de notre groupe appelant à être à l’initiative d’une grande COP – conférence des parties – de la finance mondiale, de l’harmonisation et de la justice fiscales, sous l’égide des Nations unies, pour avancer en matière de coopération et de régulation fiscales, ce qui est très positif.
À cet égard, le projet d’accord commercial avec le Canada dont nous débattons maintenant pose de nombreuses questions quant au statut de ce pays, que certains n’hésitent pas à considérer comme un paradis fiscal.
M. Christophe Caresche. Le Canada ?
M. François Loncle. C’est une plaisanterie !
Mme Jacqueline Fraysse. Le sujet a pris de l’ampleur lorsque les Panama papers ont révélé que le Canada est une destination privilégiée pour établir des sociétés écrans.
M. Christophe Caresche. Ah oui !
Mme Jacqueline Fraysse. Opacité fiscale et juridique bien organisée, fiscalité avantageuse sur certains pans du territoire canadien, bonne réputation à l’international sont autant de critères de choix qui conduisent nombre de cabinets juridiques et fiscaux à proposer des montages offshore à leurs clients désireux de dissimuler une partie de leurs actifs.
Ces montages mettent également en lumière ce que l’on peut appeler les « liaisons dangereuses » entre le Canada et des territoires qui, dans un langage technique, seraient qualifiés de « non coopératifs » – des paradis fiscaux, pour parler clair, au premier rang desquels on trouve Panama et la Suisse. L’opacité du Canada est particulièrement organisée lorsqu’il s’agit de connaître les réels détenteurs d’une société : dans la province de l’Ontario, en particulier, il est impossible de connaître le propriétaire d’une entreprise. On sait pourtant – tous les rapports, notamment celui d’Alain Bocquet, le prouvent – que l’opacité des registres est nocive puisqu’elle crée des trous noirs, voire des gouffres dans la finance mondiale.
Dès lors, il apparaît surprenant, voire inacceptable, que l’on puisse aujourd’hui mettre en place un tel accord commercial avec…
M. le président. Je vous interromps, ma chère collègue, car vos deux minutes de temps de parole sont dépassées et il est déjà très tard.
La parole est à M. Jean-Luc Laurent.
M. Jean-Luc Laurent. Tout en félicitant Marc Dolez et les membres du groupe de la GDR pour leur initiative, qui nous donne l’occasion de débattre et de voter sur une résolution européenne, je souhaite exposer les deux raisons qui me conduisent à approuver vivement ce texte.
Premièrement, les effets et les conséquences du CETA suscitent de véritables craintes, qui sont fondées. Aucun économiste n’est en mesure de dire ce que le CETA apportera en termes de développement économique, c’est une réalité. Selon l’étude d’impact de la Commission européenne, ce traité conduirait à accroître le produit intérieur brut de 0,03 % à l’échelle de l’Union européenne, ce qui est très faible. Des études indépendantes mentionnent en revanche que l’accord pourrait conduire à supprimer au moins 200 000 emplois. Ces éléments d’information mis à notre disposition méritent réflexion. Pour ce qui me concerne, ils me conduisent à ne pas accepter le projet de traité.
Deuxièmement, la Commission européenne procède à un contournement de l’adoption, prévue selon une procédure mixte, en mettant en place une expérimentation anticipée, dès que le Parlement européen aura voté la ratification, sans attendre celle des pays de l’Union. Pardonnez-moi de le dire, je trouve que cette méthode s’apparente à un coup de force ou un déni de démocratie inacceptables.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Luc Laurent. D’accord, monsieur le président. En tant que député du Mouvement républicain et citoyen, au regard de notre expérience historique – les référendums de 1992 et de 2005 –, je considère qu’il faut que les citoyens puissent décider, par référendum, du sort de tous les traités européens ou internationaux.
M. le président. La parole est à M. Marc Dolez pour soutenir l’amendement no 6.
M. Marc Dolez, rapporteur. Cet amendement vise à introduire, dans les considérants de l’article, une référence à l’avis de la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen, que j’ai évoquée tout à l’heure.
M. le président. La proposition de résolution ayant été rejetée par la commission des affaires étrangères, pouvez-vous donner l’avis de cette dernière ?
M. Marc Dolez, rapporteur. C’est plus compliqué que cela. La commission des affaires européennes avait adopté cet amendement, avant de rejeter l’ensemble du texte, et il n’a pas été soumis à la commission des affaires étrangères, pas plus que les autres amendements que nous examinerons. À titre personnel, j’y suis favorable.
(L’amendement no 6, repoussé par le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement no 1.
M. Marc Dolez, rapporteur. Amendement rédactionnel.
(L’amendement no 1, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement no 5.
M. Marc Dolez, rapporteur. Il vise à faire référence à l’étude de l’université américaine Tufts, dont j’ai parlé tout à l’heure. Celle-ci estime à 230 000 le nombre d’emplois cumulés qui risquent d’être perdus d’ici à 2023, dont 200 000 Europe et 45 000 en France.
(L’amendement no 5, repoussé par le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement no 2.
M. Marc Dolez, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 17 parce que la mixité de l’accord est acquise depuis la décision de la Commission européenne du 5 juillet dernier.
(L’amendement no 2, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement no 3.
M. Marc Dolez, rapporteur. Il s’agit de rédiger l’alinéa 18 dans des termes strictement conformes à ceux de l’article 11 de la Constitution.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.
(L’amendement no 3 est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement no 4.
M. Marc Dolez, rapporteur. Il est demandé que la France saisisse la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité du CETA avec les traités européens, notamment pour savoir si la juridiction multilatérale des investissements ne sera pas susceptible de remettre en cause l’exclusivité d’interprétation du droit européen par les juridictions de l’Union européenne.
(L’amendement no 4, repoussé par le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de résolution.
Vote sur l’article unique
M. le président. Je mets aux voix l’article unique de la proposition de résolution.
(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble de la proposition de résolution.)
(Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
M. André Chassaigne. Bravo ! Félicitations, monsieur Dolez !