06-02-2017

Pour une Conférence des parties (COP) de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales

Le texte de la proposition de résolution est téléchargeable ici :

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Première séance du jeudi 02 février 2017

Conférence des parties de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales

Discussion d’une proposition de résolution européenne

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne de M. Alain Bocquet et plusieurs de ses collègues pour une Conférence des parties (COP) de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales (nos 4332, 4379, 4418).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Alain Bocquet, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics, chers collègues, c’est ma dernière prise de parole à cette tribune après trente-neuf ans de présence et d’action dans notre hémicycle, pendant neuf législatures, ce qui crée tout de même en moi une petite émotion. (M. le secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics applaudit.)

En matière de fraude et d’évasion fiscales, les affaires se suivent et se ressemblent : Swissleaks, UBS, HSBC, Luxleaks, les Panama Papers, les Football Leaks, et bien d’autres… Toutes ces affaires rythment désormais l’actualité quotidienne, scandalisant systématiquement et légitimement l’opinion.

Le sujet est donc sur la table en France et dans le monde. Malgré des avancées, les réponses concrètes pour lutter efficacement contre l’évasion et l’optimisation fiscale tardent encore à venir. Il y a un décalage énorme entre les mesures mises en œuvre, qu’il faut noter, et l’ampleur du phénomène.

La proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd’hui, et dont la principale mesure vise à instaurer une COP de la finance et de la fiscalité mondiales, est une démarche constructive pour mettre cette question au niveau requis. D’abord votée à l’unanimité par la commission des affaires européennes, elle a ensuite reçu le large assentiment des commissaires aux finances, qui l’ont adoptée le 25 janvier.

Comme les gaz à effet de serre font des trous dans la couche d’ozone, les paradis fiscaux et l’opacité créent des gouffres dans la finance mondiale.

Cette finance est en surchauffe au même titre que le climat. L’évasion fiscale représente aujourd’hui des montants annuels colossaux : 1 000 milliards d’euros au niveau de l’Europe, 100 milliards pour les pays en développement, 60 à 80 milliards pour la France, soit l’équivalent pour notre pays du budget de l’éducation nationale, du produit de l’impôt sur le revenu ou du déficit public.

Ce sont autant de moyens en moins pour répondre aux besoins des peuples et de la collectivité, ce qui pose la question du consentement à l’impôt, de son égale et juste répartition entre les citoyens et les entreprises – élément au cœur de tout processus démocratique.

Selon l’ancien secrétaire d’État américain Henry Morgenthau, « l’impôt est le prix à payer pour une société civilisée ». Cependant, sous l’effet conjugué de la mondialisation et de la concurrence fiscale entre États, l’évitement fiscal, qui inclut aussi bien la fraude que l’optimisation et l’évasion fiscales, s’est largement propagé, bien aidé en cela par l’ingénierie des banques et des cabinets juridiques et fiscaux, qui exploitent l’opacité et les failles des législations fiscales pour mettre au point des schémas aussi complexes qu’efficaces.

À l’heure du shopping fiscal, les États organisent les soldes ! La concurrence fiscale tourne désormais à plein régime et siphonne peu à peu les ressources publiques.

M. Marc Dolez. Très juste !

M. Alain Bocquet, rapporteur. Les recettes que les États collectent via l’impôt sur les sociétés ont ainsi chuté en quelques années. À cela s’ajoutent les paradis fiscaux, qui agissent telles des lessiveuses. On y blanchit l’argent sale de la drogue, du trafic d’armes ou d’êtres humains, mais aussi du terrorisme, qui a frappé si durement notre pays.

Ces phénomènes conduisent à une situation où tout le monde est perdant sauf les grandes multinationales, notamment les géants du numérique, et les individus fortunés, capables de transférer leurs fonds là où ils peuvent en tirer un avantage. Les paradis fiscaux ne sont pas un dysfonctionnement ; ils sont au cœur d’un capitalisme financier mondialisé, qui profite à une infime minorité de privilégiés.

Cette situation fissure les pactes sociaux. En exacerbant les inégalités et en favorisant l’hyperconcentration des richesses, l’évitement fiscal conduit à une situation désormais intenable comme vient de le révéler, dans son rapport, l’organisation non gouvernementale Oxfam : huit multimilliardaires détiennent désormais autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité, c’est-à-dire 3,6 milliards d’êtres humains. Ce déséquilibre insupportable peut être à l’origine d’un monde qui bascule.

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. Alain Bocquet, rapporteur. Contre les peuples et contre la démocratie, la finance a bel et bien pris le pouvoir et impose sa tyrannie au monde. Les banquiers centraux ont pris la main en lieu et place des gouvernements. Le shadow banking, la finance de l’ombre, représente à lui seul 38 % de la finance mondiale. L’arrivée à la Maison-Blanche du milliardaire Trump, conjuguée au Brexit, pourraient nous faire entrer dans une nouvelle ère de désenchantement.

M. Trump envisage de faire des États-Unis un immense paradis fiscal. Il projette de baisser l’impôt sur les sociétés de 35 % à 15 %. Par ailleurs, il offre l’amnistie aux repentis fiscaux américains. Mme Theresa May pense faire de même à nos portes. Le dumping fiscal est devenu féroce, la dette s’accumule et l’austérité s’aggrave.

En dépit des avancées accomplies ces dernières années, notamment sous l’impulsion de l’OCDE – je pense par exemple au plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, ou BEPS –, le risque d’un grand bond en arrière est bien réel. Il nous revient d’affirmer un autre modèle de développement et de relations internationales misant sur la coopération fiscale, la régulation et une nouvelle gouvernance mondiale.

C’est la raison pour laquelle nous pensons que la France doit initier la tenue d’une conférence des parties, une COP de la finance et de la fiscalité, sur le modèle de la COP environnementale et sous l’égide de l’ONU.

Cette COP aurait vocation à avancer sur plusieurs chantiers, tels que la définition des paradis fiscaux, la régulation des conventions et des rescrits fiscaux et la lutte contre les dérives de la finance. Elle pourrait conduire à terme à la création d’une organisation mondiale de la finance débouchant sur l’ouverture régulière de négociations, l’évaluation des progrès obtenus et la définition de sanctions en cas de comportement non-coopératif.

Pourquoi placer cette COP sous l’égide des Nations unies ? Les travaux de l’OCDE, du G7, du G8 et du G20 ont incontestablement apporté des avancées, mais ces instances s’apparentent davantage à des clubs de pays riches qu’à de réelles instances de concertation globale. Or, au grand jeu de l’évitement fiscal, les pays en développement sont les principaux perdants. Dès lors, il faut garantir à tous une égale participation à la définition des politiques fiscales mondiales.

Aussi la démarche que nous proposons se veut-elle complémentaire et non concurrente des travaux menés par ailleurs. À cet égard, la nouvelle présidence du G77 n’a-t-elle pas indiqué que la lutte contre les paradis fiscaux serait l’une de ses priorités avec, pour objectif, la mise en place d’une instance fiscale aux Nations unies ?

Voilà une formidable opportunité ! La France, par sa stature internationale, par la force et la compétence de sa diplomatie, a de nombreux atouts pour initier ce mouvement. Notre pays a vocation à porter un message de paix, de justice, de démocratie. Il a vocation à favoriser les équilibres et à être le porte-voix des plus fragiles. Une large conférence permettrait d’entendre ceux qu’on n’entend jamais. Le but est de mettre tout le monde autour de la table.

Elle permettrait également d’isoler tous ceux qui seraient tentés par l’aventure solitaire en matière fiscale et financière. Voilà un outil puissant pour générer du commun, et substituer à ce vieil adage : « l’argent est le nerf de la guerre », celui d’une autre ambition, pour faire de l’argent le nerf de la paix.

« Vivre sans espoir, c’est cesser de vivre », disait Dostoïevski. Évidemment, le combat dont il est ici question est titanesque et ne sera pas gagné du jour au lendemain. C’est le travail d’une génération. Mais lancer, sans attendre, ces discussions permettra à coup sûr de sensibiliser l’opinion et de mobiliser la société civile.

Le Conseil économique, social et environnemental vient d’ailleurs, le 18 décembre, d’appeler la France à prendre l’initiative d’une telle COP en adoptant un rapport sur l’évitement fiscal. La plate-forme des associations en lutte contre les paradis fiscaux attend de nous que nous prenions la même décision.

Enfin, notre démarche se veut résolument européenne, car le défi est immense pour l’Europe : si elle n’avance pas vers la coopération et l’harmonisation fiscale, elle disparaîtra. Il nous faut d’urgence mettre un terme aux logiques folles de dumping qui font qu’aujourd’hui quatre des pires paradis fiscaux au monde sont des membres de l’Union européenne.

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. Alain Bocquet, rapporteur. Le renforcement de la protection des lanceurs d’alerte au niveau européen est également essentiel.

Voilà, mes chers collègues, en quelques mots, l’esprit qui nous anime au moment de vous présenter cette résolution. Je conclurai en saluant et en remerciant tous les acteurs mobilisés dans ce combat : ONG, lanceurs d’alerte, syndicalistes, chercheurs, journalistes d’investigation, nombre de collègues parlementaires, pour leur contribution et le soutien qu’ils ont pu apporter à cette initiative. À l’Assemblée aujourd’hui d’envoyer un signal fort !

Si l’Assemblée nationale adopte cette proposition de résolution, c’est une idée française de justice, de démocratie et de paix qui peut gagner le monde. Nous ferons ainsi œuvre utile pour les générations futures. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. Merci, monsieur Bocquet. Je salue votre dernière intervention dans cette assemblée, à laquelle vous avez été élu en 1978 et réélu depuis sans discontinuer. Vous y avez exercé de nombreuses fonctions, dont celle de président du groupe communiste pendant deux législatures.

La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, monsieur le député, cher Alain, permettez-moi à mon tour de saluer non seulement le discours que vous venez de prononcer, mais les circonstances dans lesquelles vous l’avez fait.

J’imagine votre émotion. Terminer sur un tel propos, vous qui, avec d’autres, vous êtes beaucoup investi sur ce sujet doit atténuer le sentiment d’arrachement que peut représenter la fin de cette belle carrière.

Il me paraît particulièrement important, au moment où le monde politique subit des attaques parfois individuelles, mais disons-le aussi, collectives, au moment où nos concitoyens peuvent avoir des doutes sur la confiance qu’ils peuvent accorder à leurs élus, de saluer cette carrière marquée par des convictions que chacun connaît.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, disons-le d’emblée, le Gouvernement est disposé à vous recommander d’adopter cette proposition de résolution. Ses conclusions vont en effet dans le sens de l’action constante qui fut la sienne, mais aussi celle de la majorité parlementaire, durant cette législature. J’y reviendrai.

Néanmoins, je souhaiterais voir rectifier un certain nombre de propos tenus dans la partie introductive. Je vous proposerai donc un amendement qui porte sur les considérants de la proposition de résolution, sans rien changer à son objet.

Si j’ai quelques réserves sur cette partie préliminaire, c’est parce que je ne voudrais pas accréditer l’idée – je sais d’ailleurs que ce n’est pas votre intention – que les gouvernements, celui-ci en particulier, et les élus d’une façon générale, seraient indifférents à la question de la lutte contre la fraude et l’optimisation agressive. Nous avons pris un certain nombre d’orientations et travaillé avec vous et avec l’ensemble des parlementaires de la majorité ; il est bon de le redire pour restaurer la confiance de nos concitoyens dans leurs dirigeants sur ce sujet très important, puisque l’impôt, vous avez eu raison de le rappeler, est l’un des fondements de la République et de la démocratie.

Tout le monde ne sera peut-être pas d’accord, notamment du côté droit de l’hémicycle, mais depuis 2012, le Parlement et ce gouvernement ont opéré une rupture dans la lutte contre la fraude fiscale ; et les résultats, vous l’avez rappelé, sont importants. Une action forte à l’échelle du G20, de l’Union européenne, et enfin au niveau national, avec l’adoption de 80 mesures législatives depuis 2012, a permis d’améliorer les résultats du contrôle : ils sont passés de 16 milliards d’euros en moyenne sous la précédente législature à plus de 21 milliards l’an dernier. Le recouvrement est certes à améliorer, mais il s’établit à 12 milliards d’euros. Cela représente des sommes importantes.

Cette amélioration n’est pas due qu’aux contrôles sur les petites entreprises ou les petits contribuables. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, et il faut le rappeler : en 2015, cinq dossiers ont représenté à eux seuls 3,3 milliards d’euros de redressements et de pénalités. Vous savez tous faire des divisions ; cela signifie qu’il s’agit de gros dossiers, voire de très gros dossiers, qui concernent à l’évidence – je ne peux évidemment en dire plus – de très grandes entreprises multinationales.

Nous venons d’ailleurs ensemble, dans les textes financiers adoptés fin 2016, d’apporter de nouveaux outils à l’administration fiscale, en créant plusieurs procédures : le contrôle fiscal ciblé à partir de la comptabilité dématérialisée des entreprises, qui permettra d’analyser les informations les plus pertinentes rapidement, sans avoir à rester plusieurs mois dans les entreprises ; et un contrôle spécifique, cette fois sur place, car c’est indispensable, des remboursements de crédits de TVA, important vecteur de fraude. Nous avons également mis en place, ce qui a suscité beaucoup d’émotion – à juste titre – l’été dernier, deux mécanismes anti-abus permettant d’empêcher que par des montages artificiels, certains contribuables parmi les plus fortunés échappent à l’impôt de solidarité sur la fortune. Nous avons donc un arsenal assez complet.

Pour revenir sur le sujet central de la fraude des entreprises multinationales du numérique, en 2015, les différents articles portant sur la territorialité de l’impôt, qui est au cœur de nos préoccupations comme des vôtres, ont permis de rétablir 2 milliards d’euros d’assiette au bénéfice de la France. Via les redressements de prix de transfert, ce sont 2,8 milliards d’euros qui ont été rétablis pour la France. Cette assiette est ensuite redressée à l’impôt sur les sociétés, et le redressement se voit appliquer des pénalités allant de 40 % à 80 %. Sur les exercices 2008 à 2012, les entreprises multinationales du numérique se sont vu notifier 2,5 milliards d’euros de redressement – je parle là encore de la somme des droits et des pénalités. Et ce n’est pas fini, car les exercices 2013 à 2015 sont en cours de contrôle.

Le cadrage constitutionnel existe. Il peut sembler strict, mais il n’affecte que la publicité des dispositifs que nous avons voulu mettre en place : le registre public des trusts, le CbCR public. Vous avez vu les décisions du Conseil constitutionnel ; une directive sera nécessaire pour cela, et la France travaille activement à faire adopter ces dispositions au sein du Conseil européen. Mais ne laissons pas croire que ces dispositifs n’existent pas aujourd’hui : l’administration fiscale dispose – ou peut requérir – des renseignements sur la répartition pays par pays des chiffres d’affaires, des salaires, des subventions ou des impôts acquittés.

Vous évoquez régulièrement le sujet du verrou de Bercy. Permettez-moi d’en dire un mot pour éviter tout malentendu et expliciter la position du Gouvernement : le Conseil constitutionnel l’a récemment validé dans sa décision du 22 juillet 2016, et en a rappelé le sens. Il y a deux intérêts distincts à protéger, qui se cumulent : le recouvrement rapide des impôts avec des pénalités, qui permet d’éviter que l’équilibre budgétaire soit affecté et qui ne relève pas du juge, mais de l’administration ; et la sanction pénale, qui intervient après, lorsqu’une atteinte particulièrement grave est portée à la cohésion sociale et au consentement à l’impôt. C’est le rôle de la justice pénale, à qui l’administration a transmis 1 061 dossiers en 2015.

Pour le reste, nous avons considérablement renforcé depuis 2012 le volet pénal de la lutte contre la fraude : la prescription de l’action publique a été allongée de trois à cinq ans ; nous avons créé la notion de circonstances aggravantes en cas de complicité, assortie d’une possible sanction de sept ans de prison et de 2 millions d’euros d’amende. Je pourrais évoquer toutes les affaires que vous avez citées, mais le président me réprimanderait – et il aurait raison, ce serait trop long. Permettez-moi juste de revenir sur le dernier jugement rendu en première instance dans l’affaire Wildenstein. Il n’appartient évidemment pas à un membre du Gouvernement de commenter une décision de justice, mais cet exemple nous montre, s’il en était besoin, que la concomitance d’actions pénales et d’actions administratives peut être utile : si le dossier a été considéré en première instance comme n’appelant pas de poursuites, l’administration fiscale poursuit de son côté la procédure qu’elle a engagée. Il est donc opportun de conserver cette possibilité qu’a l’administration fiscale de conduire ses poursuites administratives. On voit bien que le fait de faire intervenir la justice pénale ne permet pas nécessairement d’atteindre l’objectif que vous comme moi poursuivons.

Des six points de votre proposition de résolution, c’est le premier qui est le plus important, à savoir cette conférence des parties fiscale que vous suggérez d’organiser à l’échelle de l’ONU.

Le chapitre X de la Charte des Nations unies est consacré au Conseil économique et social, qui a notamment pour fonction de rédiger des rapports et d’adresser des recommandations à l’Assemblée générale sur les questions internationales dans le domaine économique. Il peut convoquer des conférences. Sur cette base, il a créé en 1967 un comité ad hoc d’experts fiscaux. Aujourd’hui, ce dernier est régi par une résolution de 2004. Ce groupe fait quelques publications, par exemple un modèle de convention fiscale et un manuel de prix de transfert, notamment pour défendre les intérêts des pays en développement.

La France tient compte de ces publications. Mais reconnaissons que pour faire changer les choses, nous devons veiller à ne pas être naïfs. Nous agissons depuis des années dans le cadre de l’OCDE et du G20. Nul ne peut nier, et vous l’avez vous-même reconnu, les progrès accomplis ces dernières années. L’expérience a montré que grâce à l’appui technique du secrétariat et à la capacité à parvenir à une vision commune, cela permettait un progrès rapide des standards, notamment en termes de transparence et de lutte contre l’optimisation.

De plus, pour la fiscalité des entreprises, après la participation des émergents du G20 au projet BEPS – Base erosion and profit shifting, ou Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices – depuis 2013, la mise en place du cadre inclusif en 2016 permet désormais d’associer – vous l’avez aussi évoqué – tous les pays qui le veulent sur un pied d’égalité, y compris ceux en développement. On ne peut donc plus dire que ces derniers sont exclus des travaux de l’OCDE. Dans la ligne des engagements pris au sommet d’Addis Abeba en 2015, un investissement important est réalisé en faveur de ces pays pour qu’ils développent leur capacité fiscale, donc la mobilisation de leurs ressources internes. Je pense par exemple à l’initiative Inspecteurs des impôts sans frontières. L’État français participe évidemment activement à tous ces projets.

Je ne vous cacherai pas que la France est observatrice, et non membre, du groupe d’experts de l’ONU, alors que nous avons des présidences à l’OCDE. J’étais d’ailleurs moi-même à l’OCDE il y a peu. Dans l’intérêt de la lutte contre la fraude et l’optimisation, il est important que la France tienne sa place. Elle le fait à l’OCDE. Je crains qu’à l’ONU, le poids d’un certain nombre de paradis fiscaux ne soit un handicap pour travailler dans ce sens. Toujours est-il que le Gouvernement vous invite à voter cette proposition de résolution, modulo l’adoption de l’amendement que je vous présenterai tout à l’heure. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Discussion générale

M. le président. La parole est à Mme Martine Lignières-Cassou.

Mme Martine Lignières-Cassou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, divers rapports d’ONG engagées dans la lutte pour la transparence et contre les inégalités dans le monde nous alertent année après année : les inégalités ne cessent de croître dans le monde. En 2016, le patrimoine cumulé des 1 % des personnes les plus riches dépassait celui de toutes les autres réunies.

Selon Thomas Piketty, les causes en sont nombreuses. Mais l’une des premières est que la finance mondialisée permet aux milliardaires de placer leur argent sur les places financières les plus rentables et les plus opaques, contre lesquelles il est très difficile de lutter, d’abord parce qu’il est très compliqué de tracer de bout en bout les flux financiers transnationaux. L’absence de transparence alimente la fraude fiscale et les paradis fiscaux ; vous avez bien décrit ces phénomènes, monsieur le rapporteur.

Il faut ajouter que, les États étant en concurrence sur le plan fiscal, ils n’hésitent pas à organiser, pour ainsi dire, l’évasion fiscale, notamment au moyen des rescrits fiscaux. Certains d’entre eux passent ainsi des accords avec des multinationales pour que celles-ci paient le moins d’impôts possible sur leur territoire. Or, le tarissement progressif des ressources financières des États les prive de moyens pour lutter contre le chômage, les inégalités et – vous y avez insisté – alimente, à juste titre, le sentiment d’injustice et la crise des inégalités. Cet évitement fiscal impacte en premier lieu les pays en développement, qui ont précisément besoin de recettes fiscales pour leur bon développement.

Monsieur le rapporteur, vous avez fait référence au rapport du Conseil économique, social et environnemental – CESE –, qui montre que les pays en développement subiraient un impact 30 % supérieur à celui frappant les pays de l’OCDE. À l’heure actuelle, selon une étude du Parlement européen, les recettes fiscales constituent 20 % du PIB des pays en développement, contre 30 à 40 % de celui des pays de l’OCDE. Le coût supporté par les pays en développement est donc important : ils perdent 125 milliards de dollars par an en raison de l’évasion fiscale, ce qui équivaut au montant de l’aide publique au développement accordée par les pays riches : cherchez l’erreur, ou la logique !

Où en est-on de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ? Les travaux du G7, du G8, du G20 ont permis d’accroître la transparence au cours des dernières années. On progresse aussi à l’échelle européenne. Depuis le 1er janvier de cette année, les administrations des vingt-huit États membres de l’Union européenne doivent se communiquer automatiquement tous les accords fiscaux préalables qu’ils signent avec les entreprises. On peut espérer que le fait de se tenir mutuellement au courant de tous ces accords permette d’en finir avec une forme de concurrence fiscale dommageable au sein de l’Union européenne.

En France, comme M. le secrétaire d’État l’a très bien rappelé, depuis cinq ans, une réelle volonté de lutter contre la fraude fiscale s’est manifestée et a produit ses effets. Nous avons également – plusieurs ONG l’ont souligné – progressé sur la question de la transparence fiscale sous ce quinquennat, notamment par l’institution, dans la loi de finances pour 2016, de l’obligation de reporting pour les groupes qui réalisent un chiffre d’affaires consolidé de plus de 750 millions d’euros. Ce dispositif sera effectif à partir de janvier 2018. Par ailleurs, la France a été à l’initiative de l’accord conclu entre quatre-vingts pays, qui entre en vigueur cette année, sur l’échange automatique d’informations entre les administrations fiscales. Même la Suisse a été obligée de lever – certes partiellement – le secret bancaire, ce qui a permis à la France de récupérer 2,5 milliards d’euros depuis 2015. Nous avons également créé un parquet financier, chargé de lutter contre la fraude fiscale, et mis en place la protection du lanceur d’alerte, qui joue un rôle primordial dans la lutte contre la corruption. Cependant, des progrès restent à faire, notamment en augmentant le nombre d’agents de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale ou le nombre de magistrats du parquet financier de Paris. Mais nous voyons tous qu’il faut aller beaucoup plus loin.

La proposition de résolution que vous avez déposée, monsieur le rapporteur, demande que la France soit à l’initiative d’une grande conférence internationale, sous l’égide des Nations unies. A priori, cette proposition pourrait surprendre, car l’ONU ne détient pas de compétences fiscales, mais, à y réfléchir, elle est la bienvenue. En effet, si l’OCDE accueille en son sein les pays en développement, l’ONU rassemble tous les pays du monde. Or, on sent bien que c’est au niveau mondial que doit être menée la lutte contre l’évasion ou la fraude fiscale. L’échelle de l’ONU est donc pertinente pour traiter de ces questions, qui concernent tous les pays du monde. Par ailleurs, le mode de gouvernance de l’ONU permet de réunir autour de la table non seulement les États mais aussi les représentants de la société civile, notamment les associations luttant pour la transparence et contre la corruption.

Comme vous l’avez souligné, la question que nous avons à traiter aujourd’hui n’est pas de nature exclusivement financière, dans la mesure où elle conditionne la santé et le bien-être de nos démocraties. Le sentiment d’injustice, d’impunité ressenti par les citoyens qui paient des impôts à la place des plus riches ou des entreprises porte atteinte à la cohésion sociale, au pacte social de nos pays. C’est la raison pour laquelle je salue cette initiative et voterai cette proposition de résolution avec entrain. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, nous sommes réunis pour examiner une proposition de résolution tout à fait intéressante. Monsieur le rapporteur, je veux souligner votre travail personnel sur cette question, qui a donné lieu à un livre tout à fait intéressant. Comme cela a été souligné, c’est un sujet extrêmement important car les problématiques de la fraude et de l’évitement fiscaux minent la confiance des peuples dans le système politique, économique et financier, tout en privant les États de ressources et de recettes financières, au moment où ceux-ci, frappés par la crise, ont besoin de mener des politiques offensives, notamment sur le plan économique et social.

Il faut donc impérativement apporter, dans ce domaine, une réponse adaptée, tant sur le plan international qu’à l’échelle nationale. Elle a été en partie mise en place. Sur le plan international, le G20, au sein duquel se sont déroulés un certain nombre de travaux, a mandaté l’OCDE pour mener la réflexion. De ce point de vue, même si ça n’a pas été véritablement officialisé, l’OCDE est devenue le secrétariat du G20. On ne peut que saluer le travail mené par l’OCDE, en particulier le programme BEPS, relatif à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices, qui – chacun, de manière quasi unanime, le reconnaît – a été extrêmement fructueux. Nous ne pouvons que nous féliciter de ce travail, mené, rappelons-le, par un Français, monsieur Saint-Amans.

Je veux aussi souligner – le secrétaire d’État l’a rappelé – le travail accompli durant cette mandature par le Gouvernement et la majorité : plus de soixante-dix mesures ont été adoptées depuis 2012, qui ont permis d’améliorer substantiellement l’efficacité du contrôle fiscal. Ainsi, en 2015, les redressements ont dépassé 21 milliards d’euros, contre 16 milliards, en moyenne, auparavant, en particulier grâce à ceux effectués sur des sociétés multinationales ; un cas très précis a d’ailleurs été rappelé. De nouveaux outils sont à la disposition de l’administration fiscale pour détecter les fraudes, notamment la méthode du datamining, qui permet de faire parler les données informatiques. En matière de fraude à la TVA, l’échange d’informations entre les administrations a été facilité au niveau national et dans l’Union européenne. Ce travail sera poursuivi par l’entrée en vigueur de nouvelles mesures, telles que l’obligation, pour les commerçants, de détenir des logiciels de caisse garantissant l’absence de manipulation des encaissements. S’agissant des Panama papers, les infractions commises ont conduit à une action simultanée de l’administration fiscale, du parquet national financier et de la police fiscale.

L’action internationale du Gouvernement s’est aussi déployée. L’échange d’informations sur demande avec les administrations fiscales des autres États a été multiplié par deux depuis 2011 et a contribué à la récupération par la France de 5 milliards d’euros en 2015. L’objectif du Gouvernement est le passage de tous les pays du monde, dès 2017, à l’échange automatique d’informations financières, pour les entreprises comme pour les particuliers, avec une attention particulière portée à l’identification des bénéficiaires effectifs, quelle que soit la structure concernée. Par ailleurs, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord multilatéral de l’OCDE – le fameux programme BEPS – a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 22 décembre 2016. Ce texte constitue une nouvelle avancée, en rendant possible les échanges de déclarations, pays par pays, pour les plus grandes entreprises. Cet accord multilatéral a été signé à Paris le 27 janvier 2016 par Michel Sapin, et compte désormais – chiffre considérable – cinquante signataires.

Il faut toutefois essayer d’aller plus loin car, malgré ces mesures, les phénomènes en question demeurent. Des débats existent au niveau national ; nous en avons eu à la commission des finances. L’intérêt de cette résolution, à mes yeux, est qu’elle essaie de porter la question au niveau où elle doit être traitée, c’est-à-dire à l’échelle internationale. À l’heure actuelle, je l’ai dit, le G20 est l’enceinte dans laquelle ces questions sont traitées. Vous avez émis l’idée d’élargir l’enceinte de la discussion et de la réflexion pour essayer d’impliquer des pays qui, à l’heure actuelle, ne le sont pas – bien que, comme l’a dit Mme Lignières-Cassou, ils soient également touchés par ces phénomènes. Cette idée, qui a été reprise dans le rapport du CESE – je rappelle que nous auditionnions hier, à la commission des finances, le rapporteur de ce travail – me semble intéressante, même si nous savons que cela prendra du temps et qu’un certain nombre d’étapes seront nécessaires. Par ailleurs, cette mesure est compatible avec le travail mené par l’OCDE : l’un et l’autre devront être articulés.

Monsieur Bocquet, vous l’avez dit clairement : il s’agit surtout d’envoyer un signal fort. À cette fin, nous vous accompagnerons et voterons ce texte. Ce signal sera envoyé à la veille d’échéances importantes. Il me semble d’ailleurs que cette question devrait avoir sa place dans le débat des élections présidentielles et législatives.

M. Gaby Charroux. Absolument !

M. Christophe Caresche. Or, disons-le franchement : elle ne l’a pas eue beaucoup jusqu’à présent.

M. Gaby Charroux. Pas pour l’instant, en effet !

M. Christophe Caresche. Le fait d’émettre un signal, d’exprimer une préoccupation, de la manière – du moins, je l’espère – la plus large possible, et d’en discuter au cours des débats de l’élection présidentielle, me semble très important.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons cette résolution. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la crise financière a mis en évidence l’ampleur de l’évasion fiscale pratiquée à l’échelle mondiale et le rôle majeur joué par les paradis fiscaux dans ce phénomène. Les montants en jeu sont considérables : selon l’OCDE, ils sont de l’ordre de 1 000 milliards d’euros par an à l’échelle européenne et de 60 à 80 milliards d’euros rien qu’en France. Nous devons agir sur ces sujets.

Chacun ici est bien conscient que l’évasion fiscale est un phénomène qui contribue à l’appauvrissement des nations et sur lequel nous devons intervenir. Nous avons tous la préoccupation d’assurer l’équité fiscale, l’égalité des citoyens devant l’impôt et l’équilibre budgétaire. Notre rôle de législateur doit cependant nous conduire à nous interroger sur l’efficacité et l’utilité effective d’une énième conférence internationale relative à la lutte contre ce fléau.

En effet, la question de la bonne procédure doit être posée, alors que ce combat est d’ores et déjà une véritable préoccupation des décideurs européens et internationaux. Rappelons, comme cela vient d’être fait il y a quelques instants à cette tribune, que les progrès réalisés par le G20 ou par l’Union européenne ont été particulièrement importants ces dernières années et ont permis d’aboutir à un ensemble extrêmement cohérent.

Dans ce cadre, l’OCDE s’est vue confier la tâche d’élaborer un plan de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, le projet BEPS. Tous les pays, au-delà des trente-cinq membres de l’Organisation, sont d’ailleurs invités à participer aux travaux de l’OCDE sur le sujet. Une telle convergence sur un projet aussi ambitieux témoigne du dynamisme dont fait preuve la communauté internationale. L’action 13 du plan d’action BEPS de l’OCDE sur les prix de transfert, l’action 14 sur le règlement des différends, ou encore l’action 15 sur l’élaboration d’un instrument multilatéral sur les mesures relatives aux conventions fiscales visant à lutter contre l’érosion de la base d’imposition, sont autant d’exemples illustrant les progrès très importants réalisés grâce au travail de l’OCDE.

Au titre des instances internationales, on pourrait encore citer le Groupe d’action financière, le GAFI, instance dédiée à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. C’est par exemple du GAFI que proviennent les règles d’identification des bénéficiaires effectifs des trusts.

Enfin, au sein de l’Europe, la conférence interparlementaire sur l’article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, instrument de contrôle démocratique de la mise en œuvre des règles de gouvernance budgétaire et financière en Europe, s’est également saisie du sujet.

On le voit, dans la lutte contre l’évasion fiscale, de réelles avancées aux échelons international et européen ont eu lieu au cours des dernières années. Certes, cela ne signifie pas que le combat contre l’évasion fiscale soit gagné, et nous devons le poursuivre. Les mesures du BEPS et du paquet européen doivent encore être appliquées de manière globale. Il faut donc continuer à travailler et à combattre l’évasion fiscale, mais pas dans le cadre d’une conférence internationale aux contours flous, qui risque d’être superfétatoire au regard des actions déjà menées qu’il convient de pérenniser. Si débat il doit y avoir, il doit plutôt porter sur les modalités de mise en œuvre des accords internationaux et sur leur suivi, afin d’assurer une plus grande sécurité et une meilleure adaptation des procédures existantes.

Monsieur le rapporteur, je sais qu’avec le sénateur Éric Bocquet, votre frère, vous êtes très investis sur ces questions, et je veux à mon tour, après M. le secrétaire d’État, rendre hommage à votre engagement sur ce sujet qui nous intéresse tous. Toutefois, si la démarche visant à organiser une conférence internationale présente un certain intérêt, nous ne pouvons adhérer à cette idée, car nous sommes avant tout engagés dans une recherche d’efficacité. Nous cherchons d’abord à assurer une plus grande adaptabilité des outils existants, afin d’agir de manière plus efficace.

M. Jean-Louis Costes. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la crise financière et économique de 2008, qui n’a depuis cessé de muter, nous a brutalement mis aux prises avec les réalités d’un monde nouveau. Ce monde nouveau, dont les contours se dessinent à une vitesse vertigineuse, ne peut pas surgir des braises mourantes de l’ancien. Il ne doit pas se construire sur les vestiges d’une mondialisation, d’une économie et d’un système financier sans règles. Ce nouveau monde doit être celui d’une croissance et d’une économie placées au service de l’Homme. Notre responsabilité est par conséquent immense : nous n’avons plus le droit de continuer à ignorer le fossé qui s’est creusé entre l’économie et les enjeux sociaux et environnementaux qui devraient fonder sa soutenabilité ; nous n’avons plus le droit de nous laisser entraîner dans une course haletante à une concurrence toujours plus féroce, dont la ligne d’arrivée serait sans cesse repoussée.

Aussi, je me réjouis que l’Assemblée nationale soit aujourd’hui amenée à débattre sur la finance mondiale, et sur l’harmonisation et la justice fiscales. Si j’osais, j’affirmerais même, non sans dérision, que cette initiative du groupe de la Gauche démocrate et républicaine s’inscrit dans le prolongement de l’action volontariste de M. Nicolas Sarkozy pour moraliser le capitalisme financier. Au plus fort de la tempête qui menaçait l’économie mondiale, la précédente majorité a en effet su prendre les décisions qui s’imposaient. Avec le plan de sauvetage bancaire et les garanties apportées par l’État, nous n’avons pas sauvé les banquiers et les actionnaires comme l’actuelle majorité avait bassement tenté de le faire croire. Non, nous avons défendu l’emploi en empêchant que le financement de l’économie se tarisse, et protégé l’épargne des Français, sans que cela ne coûte un seul centime au contribuable. Répondre à l’urgence et circonscrire l’incendie étaient un impératif, mais la France a voulu aller plus loin. Elle a voulu affirmer avec force que plus rien ne pouvait – ne devait – être comme avant ! Elle a voulu être à l’origine d’une impulsion décisive pour réguler les secteurs économiques et financiers, en redonnant une raison d’être à l’institution poussiéreuse et rouillée qu’était devenu le G20 ! Oui, la France a voulu engager une véritable révolution, en luttant contre les paradis fiscaux, en faisant évoluer les normes prudentielles des banques, en encadrant la rémunération des traders, en instaurant la taxe sur les transactions financières, en introduisant des mécanismes de régulation pour les marchés de matières premières, et en modifiant profondément la gouvernance européenne et mondiale.

M. François Hollande a prolongé cette dynamique – il faut le reconnaître ! –, même si les déclarations martiales du Bourget sur le monde de la finance qui serait son véritable adversaire résonnent aujourd’hui comme une capitulation en rase campagne. En tout état de cause, des progrès considérables ont été accomplis depuis la crise de 2008, mais, comme le soulignent les auteurs de la proposition de résolution, il reste tant à faire. Car les scandales liés à la fraude et à l’évasion fiscales se multiplient et éclatent au grand jour, ce qui prouve, si cela était nécessaire, que la finance folle n’a pas encore été mise au pas. Or nous ne pouvons nous satisfaire de voir l’équivalent du budget annuel de l’Éducation nationale française partir en fumée et être illégalement accaparé par un tout petit nombre, au détriment de toute la Nation. En outre, la fraude et l’évasion fiscales minent la confiance en nos institutions, fragilisent le consentement à l’impôt et ébranlent notre cohésion sociale. Nous pouvons toutes et tous nous accorder sur ces constats, quel que soit le côté de l’hémicycle sur lequel nous siégeons.

Je voudrais, au nom du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, souligner un deuxième point d’accord avec les auteurs de cette proposition de résolution : la réponse à une crise qui a gommé les frontières géographiques ne peut être qu’internationale, globale et structurelle. La lutte contre la fraude et l’évasion fiscales doit par conséquent avoir une dimension européenne et mondiale. Pour autant, nous sommes réservés, pour ne pas dire sceptiques, sur l’approche proposée par nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

En effet, la proposition principale de cette résolution, à savoir l’organisation d’une conférence des parties, ne nous paraît pas pertinente pour obtenir des avancées concrètes sur les questions de la fraude et de l’évasion fiscales. Tout d’abord, parce que la question de la régulation de la finance mondiale est d’ores et déjà traitée dans le cadre du G20, et que l’organisation d’une conférence mondiale n’aurait dès lors qu’une portée symbolique et n’aurait pas d’utilité réelle. Ensuite parce que la comparaison entre la problématique du changement climatique et celle de la finance mondiale ne tient pas la route. Les pays en développement ont un rôle majeur à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique, tandis que les principales places financières se trouvent à Londres, à New York, à Paris, à Singapour ou à Hong Kong. Il nous appartient par conséquent de prendre nos responsabilités en la matière, en parvenant à des avancées concrètes sur des points précis, plutôt que de réunir tous les pays de la planète dans une grand-messe.

À cet égard, nous regrettons que l’harmonisation fiscale et sociale en Europe, pour laquelle M. François Hollande avait annoncé qu’il prendrait des initiatives fortes, en soit toujours au point mort. Nous regrettons plus encore que la taxe sur les transactions financières, initiée par la précédente majorité et maintes fois promise par ce Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, tarde tant à voir le jour et soit désormais réduite à peau de chagrin ! Nous regrettons enfin que ce gouvernement n’ait pas voulu faire sauter ce qu’il est désormais convenu d’appeler « le verrou de Bercy ». Cette majorité montre ainsi qu’elle veut que la décision de poursuivre ou non un délit de fraude fiscale se prenne dans le secret des alcôves de la République, alimentant ainsi l’idée que les puissants s’accordent entre eux faveurs et privilèges.

J’ajoute que notre groupe est en désaccord profond avec la philosophie même de cette proposition de résolution européenne. En effet, ses auteurs considèrent que la fraude et l’évasion fiscales qui accompagnent les dérives de la finance et de la mondialisation conduisent à des pertes de recettes pour les États – ce à quoi nous souscrivons –, mais ils considèrent également que ces dérives permettent de « construire » la dette « pour justifier les politiques d’austérité ».

Or le groupe de l’Union des démocrates et indépendants pense exactement l’inverse. La dette n’est pas une invention des gouvernements qui auraient des intérêts à placer nos démocraties sous le joug de la finance. La dette n’est pas un écran de fumée qui permettrait d’imposer aux peuples des politiques de rigueur contre leur volonté. La dette est une maladie, celle des sociétés qui refusent d’emprunter le chemin de la réforme pour conserver leur modèle social, sous prétexte qu’il serait trop aride, et qui le laissent ainsi mourir à petit feu, en se plaisant à penser que les factures laissées aux générations futures ne seront jamais réclamées. La dette est également un échec politique, car elle est devenue depuis trop longtemps un puits sans fond dans lequel les dirigeants ont puisé pour financer leurs promesses électorales. La dette est enfin un échec économique, qui consiste à croire qu’un modèle peut fonctionner en dépensant plus, en travaillant moins, et en empruntant la différence, ainsi que le disait Raymond Barre.

Aussi, même si nous estimons, comme nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est un sujet vital sur lequel nous devons faire plus et mieux, nous sommes réservés sur la méthode proposée et opposés à l’idéologie qui sous-tend cette démarche. C’est pourquoi le groupe de l’Union des démocrates et indépendants ne peut soutenir cette proposition de résolution.

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, comme vous le savez, j’ai été frappé par une décision de justice, dont j’attends la motivation que l’on m’annonce pour le milieu du mois de février ; j’ai fait appel de cette décision, pour laquelle je comprends qu’il soit bien délicat de trouver des motifs, et je dispose, cet appel ayant un caractère suspensif, de l’intégralité de mes droits, ce qui me permet de m’adresser à vous aujourd’hui.

L’évitement fiscal a fait l’objet de toutes les analyses possibles, de très nombreuses mesures ont été prises et des mécanismes ont été mis en place, sans que l’on ait le sentiment que le mal se réduit réellement.

Trois raisons expliquent le renforcement de l’évitement fiscal et la difficulté de le prévenir. La première est le fait que chaque État dispose de sa propre réglementation. Or, l’impôt, le consentement à l’impôt constituant le cœur de la souveraineté, il est très difficile d’y faire renoncer les États. Chaque État a son propre dispositif, très complexe, ce qui induit des failles et des contradictions entre les réglementations nationales et, naturellement, ouvre la possibilité de les exploiter. Surtout, les différences de niveaux de taxation entre États incitent les entreprises ou les particuliers à en jouer pour optimiser, c’est-à-dire diminuer leur imposition.

La deuxième raison est la complexité des échanges des biens et services, et plus encore des flux financiers. Il est extraordinairement difficile de suivre le fonctionnement de cette incroyable jungle. La rapidité n’a plus rien de commun avec ce qu’on observait voilà un siècle ou même trente ans. L’accélération est considérable. Les moyens informatiques au service de ces déplacements étant considérables, cela rend les choses extrêmement difficiles.

La troisième raison, enfin, tient à la faiblesse et à la difficulté de la coopération internationale, qui se heurte à la souveraineté des États. Malgré les progrès réalisés, beaucoup d’États continuent de refuser de coopérer ou adoptent une attitude intermédiaire, que je qualifierais d’hypocrite, en affirmant qu’ils coopèrent alors qu’ils ne le font en réalité que très peu.

Pourtant, ces dernières années, des avancées ont été réalisées dans ce domaine. Il faut tout d’abord souligner les progrès en matière de lutte contre les paradis fiscaux. Rappelons néanmoins qu’ils ne sont qu’une manifestation extrême, très particulière de l’évitement fiscal, et que tous ceux qui évitent la fiscalité ne passent pas par les paradis fiscaux.

De surcroît, j’aimerais nuancer les propos de notre collègue Bocquet au sujet de l’imposition sur les sociétés aux États-Unis. Celui-ci a affirmé que le taux serait de 15 %, mais il s’agit d’un taux nominal ; je rappelle que celui de l’Irlande est de 12,5 %. En France, quand on examine très finement la réalité des prélèvements, on s’aperçoit que les très grandes entreprises du CAC40 sont souvent assez éloignées des 38 % d’imposition. Une étude récente du cabinet PricewaterhouseCoopers a montré que le taux se situait plutôt aux alentours de 8 %, non pas parce que ces entreprises évitent l’impôt, mais parce qu’elles bénéficient de nombreux mécanismes. D’une part, elles localisent leurs bénéfices là où ils sont effectivement réalisés et, d’autre part, elles bénéficient d’un certain nombre de dispositifs, notamment pour l’aide à l’innovation, qui diminue largement le montant de leurs prélèvements. Il faut donc être un peu prudent avant de qualifier des États de paradis fiscaux.

Outre la lutte contre les paradis fiscaux, qui est un volet important, il y a eu un renforcement de la coopération internationale qui, bien qu’insuffisante, a au moins le mérite d’exister. Dans le cadre du G20, de l’OCDE, des mesures très importantes ont été prises, ainsi que l’a mentionné tout à l’heure le secrétaire d’État.

Il faut mentionner par ailleurs le développement des alertes, notamment celles qui sont le fait d’un certain nombre d’organismes plus ou moins bien intentionnés qui parviennent à ausculter ou à pénétrer les systèmes informatiques et à trouver des données qui avaient jusqu’alors échappé aux uns et aux autres.

Parallèlement à ces avancées, un important travail a été mené par les États, en particulier la France, pour sécuriser le contribuable et l’inciter à payer, en quelque sorte. Mme Lignières-Cassou a fait allusion voilà quelques instants aux rescrits. Le rescrit est un encouragement non pas à la fraude, mais plutôt au paiement de l’impôt. Il permet à celui qui doit payer de savoir exactement quelle règle lui est applicable, car les situations sont complexes. Cette clarté est de nature à l’encourager non pas à frauder mais au contraire à payer dans des conditions honnêtes. C’est donc très important.

Parmi les avancées, des dispositions ont également été prises pour les repentis, une situation qui s’est produite dans beaucoup de pays, y compris la France. Ce que veut faire M. Trump s’est fait en France et a rapporté quelques milliards d’euros à la République, si mon souvenir est bon, monsieur le secrétaire d’État, ce qui n’est pas négligeable par les temps qui courent. Ce dispositif n’est d’ailleurs pas une amnistie : il consiste à payer l’intégralité de l’impôt qu’on aurait dû payer sur les avoirs réintégrés dans son pays, parfois même plus. Il ne s’agit donc que d’une régularisation, même si cela peut parfois choquer sur le plan moral.

S’il faut bien évoquer les progrès accomplis, tout cela n’est évidemment pas suffisant. La proposition de résolution qui nous est présentée aujourd’hui vise à instaurer une grande conférence des parties – au dix-neuvième siècle, on aurait appelé cela un congrès international, à ceci près que la conférence a vocation à être récurrente –, à l’image de la COP pour le climat, afin d’avancer dans la lutte contre l’évitement fiscal. C’est évidemment une très bonne idée, qu’on ne peut que soutenir.

Il faut néanmoins avoir à l’esprit un certain nombre d’éléments. Tout d’abord, l’ONU n’est pas un modèle de bon fonctionnement, pas plus qu’elle n’est exemplaire en matière de corruption, laquelle touche à peu près toutes ses activités, y compris militaires ; on sait ce qui se passe ici et là.

Ensuite, les grandes conférences aboutissent rarement à des décisions concrètes et opérationnelles, surtout dans des matières aussi compliquées. Concernant le réchauffement climatique, on a beaucoup parlé, on a pris des décisions de principe, mais on ne peut pas dire qu’on ait modifié les choses dans le détail. On peut simplement remarquer que de telles conférences entraînent un mouvement, créent l’obligation de montrer, à la conférence suivante, ce que l’on a fait. Le dispositif est donc très positif malgré sa lourdeur et sa lenteur. Une fois mis en place, il ne peut pas faire de mal, et aura nécessairement des retombées favorables.

Enfin, il faut avoir à l’esprit que la France se situe aux premiers rangs pour le niveau des prélèvements obligatoires. Il me semble qu’au sein des pays de l’OCDE, seul le Danemark a un taux supérieur, monsieur le secrétaire d’État, mais le Danemark est un petit pays. On peut donc considérer que nous occupons la première place des pays réellement significatifs. Or, de grands pays ont des taux proches de 20 %, comme le Mexique, qui se situe à 19 %, et qui n’est pas un État sauvage. Si donc une coopération internationale poussée se précise, il nous faudra probablement nous aligner sur ces autres pays, car il est peu probable que nous parvenions à convaincre le reste du monde de s’aligner sur nous. Trop d’impôt tue l’impôt. Reconnaissons-le, et soyons raisonnables : la quasi-totalité des pays de la planète imposent moins lourdement les entreprises et les particuliers. Il faudra pouvoir traiter du niveau de l’imposition à l’occasion de ces discussions internationales.

Avec ces nuances, mais tout en reconnaissant l’excellence de l’idée du dispositif et de tout ce qui a été indiqué, tant dans la proposition que dans le rapport, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera sans trop d’illusions, mais avec espoir tout de même, cette proposition de résolution.

M. Stéphane Saint-André. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Bachelay.

M. Guillaume Bachelay. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, auquel j’adresse un salut tout particulier ce matin, mes chers collègues, le projet de résolution européenne soumis à notre assemblée dénonce une impudence – celle du capitalisme financiarisé –, formule une exigence – lui assigner des limites et des règles –, propose une alliance à l’échelle de la planète, car à un défi global il faut une réponse mondiale, et indique enfin une échéance, laquelle doit se compter non pas en décennies mais en années, car c’est le développement humain qui est ici en question.

Sur l’initiative du Gouvernement et de la majorité parlementaire, des avancées majeures ont été réalisées en France ou, sous l’impulsion de notre pays, dans le monde et notre débat est aussi l’occasion de dresser ce constat. Ces actions, initiatives, décisions visent à lutter contre les stratégies de fraudes, d’évasion ou d’optimisation fiscales, qui sont des manquements à l’intérêt général et qui sont le fait de banques, de cabinets de conseil, d’États, de multinationales, d’individus. Elles sont autant de ressources en moins pour financer les services publics, investir dans l’économie réelle, consolider la démocratie, qui est indissociable de l’impôt citoyen, ou encore combattre la pauvreté. À cet égard, l’ONG CCFD-Terre Solidaire – Comité catholique contre la faim et pour le développement – estime ainsi que l’évitement fiscal priverait les pays en développement de 250 milliards d’euros de recettes fiscales chaque année, soit six fois le financement mondial requis pour lutter contre la faim.

Le texte que nous examinons aujourd’hui, et je remercie le groupe de la Gauche démocrate et républicaine de susciter ce débat, met en avant la nécessité d’être ambitieux et sérieux, car les deux vont de pair, et d’agir à tous les échelons de l’action publique.

Le cadre national reste un premier niveau pertinent d’intervention. Depuis 2012, la France a, entre autres décisions, et cela a été rappelé, instauré pour les très grandes entreprises une obligation de transparence sur leurs activités pays par pays, créé un parquet financier spécialement dédié à la lutte contre la délinquance financière et la fraude fiscale, renforcé les moyens de TRACFIN, accru la protection des lanceurs d’alerte. C’est aussi durant cette législature qu’a été créé le service de traitement des déclarations rectificatives. Vous avez rappelé tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État, le montant des redressements notifiés et des sommes déjà recouvrées qui ont permis notamment de financer une partie des baisses d’impôts pour les ménages modestes et les classes moyennes, ce qui n’est que justice.

L’action, pour être efficace, se décline aussi en Europe. C’est le sens de la directive de 2014 voulue par la France et l’Allemagne qui dote l’Union européenne d’un arsenal pour combattre l’optimisation, selon des recommandations de l’OCDE. En 2015, l’Union européenne est parvenue à un accord sur la transparence des règles fiscales accordées à des multinationales, les rulings. C’est certain, il faudra d’autres avancées dans le futur. Je pense en particulier à une assiette commune et consolidée de l’impôt pour les sociétés, car l’Europe, que nous voulons solidaire et volontaire, ne peut, pas plus que le monde, être régie par le principe « tous concurrents et que le moins cher gagne ». L’actualité des derniers mois a montré que l’Union et la Commission européennes sont, en la matière, sorties de la torpeur, et je m’en réjouis.

Toutefois, et c’est l’intérêt majeur de cette proposition de résolution, c’est à l’échelle internationale que peuvent et doivent être menées et remportées les batailles décisives. La coopération entre États et la détermination de ces derniers – détermination est aussi l’autre sens du mot « résolution » – sont cruciales. On l’a vu à Antalya en novembre 2015 lorsque, en cohérence avec la position défendue par la France, les pays du G20 ont décidé de mettre en œuvre le projet sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. On l’a vu en octobre dernier, lors de la réunion du FMI – le Fonds monétaire international – et de la Banque mondiale à Washington, quand le Gouvernement français a plaidé pour un système de sanctions collectives contre les pays non coopératifs en matière fiscale ; ces derniers figureront sur la liste noire qui sera publiée l’été prochain.

Une COP de la finance sous l’égide des Nations unies accélérerait ce processus, et la France, fidèle à ses valeurs, à son histoire, à sa mission, est fondée à la proposer. Parmi les chantiers que cette initiative permettrait très concrètement d’engager et que les travaux de l’OCDE ont utilement préparés, mentionnons la généralisation de l’échange automatique d’informations et de comptabilité pays par pays, la mise en place d’un cadastre financier international, ou encore l’élaboration d’une liste des paradis fiscaux au niveau des Nations unies.

Mes chers collègues, cette cause, cette grande cause, suppose une mobilisation intellectuelle, politique, éthique, technologique des gouvernements, ainsi que des forces sociales et des peuples pour un commun sursaut en faveur de l’intérêt collectif. La méthode proposée, une conférence des parties, a fait ses preuves fin 2015 en France et pour le climat. Je tiens d’ailleurs à rendre ici hommage à l’action de Laurent Fabius pour la réussite de la COP 21 ; inspirons-nous de ce chemin. Par les principes de responsabilité, de transparence et d’universalité qui la justifient et qu’elle consacre par des engagements juridiquement contraignants, une COP est un outil de régulation puissant et pertinent. C’est pourquoi je salue et soutiens ce projet de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, un très grand bravo à nos collègues qui proposent ce texte à la sagesse de l’Assemblée ! Si le candidat Hollande, lors du célèbre discours du Bourget, a brandi son opposition à la dictature des marchés financiers et de leurs acteurs, on a vu dès ses choix de campagne son affection se diriger vers ceux dont l’esprit et les pratiques participent de la continuation de ce qui est une véritable capture de la démocratie.

Avant d’aborder le sujet inscrit à l’ordre du jour, je tiens à préciser ma conviction selon laquelle les Français sont victimes d’un véritable racket fiscal doublé d’un maniement idéologique des prélèvements obligatoires visant à exacerber une guerre des classes et même une guerre idéologique et culturelle qui amènent parfois des Français honnêtes à refuser de soutenir davantage par leurs finances les errements d’un État captif de trop de coteries.

Au reste, il n’est que trop évident qu’il en va de l’honneur de notre pays de rappeler son opposition historique au règne de l’argent sur les hommes, sa vocation civilisationnelle plaçant le spirituel avant le matériel, ainsi que sa farouche volonté d’indépendance qui doit l’amener à ne pas laisser Francfort, la City et Washington faire prévaloir leurs diktat sur nos aspirations et nos conditions de vie. Voir la France inspirer une telle conférence nous renverrait aux heures heureuses où la droite ne cessait d’alerter les radicaux et les autres sur la seule issue de leur complète adhésion au capitalisme : l’explosion des structures fondamentales de notre société que sont les communes et les familles et que Patrick Buisson appelle à raison les « institutions de la verticalité ».

Au reste, il est évident que la part financière et mafieuse des optimisations et des exils fiscaux constatés dans notre pays est une honte qui coûte 600 milliards d’euros à la France, comme l’a souligné avec beaucoup de courage Antoine Peillon. Son livre comptabilise 100 milliards d’euros d’avoirs de Français fortunés dissimulés en Suisse, 220 milliards d’euros cachés dans l’ensemble des paradis fiscaux et 370 milliards d’euros de placements des grandes entreprises dans ces mêmes places financières offshore. Autant dire que l’action de toutes les instances sur ce point est bien trop faible ! Il suffit pour s’en convaincre de constater à quoi sont utilisés les parquets financiers français ainsi que l’insuffisance du soutien par le pays légal des courageux lanceurs d’alerte exposant inlassablement l’ingéniosité des montages légaux destinés à évacuer ces fonds.

Il est regrettable que l’exposé des motifs du texte ne s’en tienne pas aux deux seuls objectifs viables en la matière, l’intérêt national et le bien commun, et use de formules parfois malheureuses ou « rebellocrates », mais le sujet est trop grave pour que nous en tenions grief à ses auteurs et n’appelions pas à soutenir le texte proposé par les commissions des finances et des affaires européennes. À ce propos, j’espère que celles-ci n’ont pas manqué de souligner la politique délétère en la matière d’un ancien locataire de Bercy passé depuis à Bruxelles. On entend trop souvent les élus et les associations se gargariser de la moralisation du monde financier alors qu’ils ont eux-mêmes fondé les politiques économiques publiques sur des hypothèses fortes porteuses d’un monde amoral.

Par ailleurs, cette solution procède également d’oublis malheureusement dramatiques, comme le souligne l’économiste Gaël Giraud, que je cite : « Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que le débat politique, en Europe comme dans les pays du Sud, se focalise sur la dette publique, alors qu’à l’exception du Japon, le privé est presque partout beaucoup plus lourdement endetté que le public. En Chine, en particulier, le ratio dette privée sur PIB s’envole dangereusement depuis plusieurs années et pourrait provoquer la prochaine tourmente financière mondiale. Pendant ce temps, beaucoup trop d’économistes scrutent, à mon avis à tort, la dette publique des États ».

Notez bien, monsieur le secrétaire d’État, que je suis parfaitement déterminé à user de mes mandats pour réduire la dette de la France, ce qui est bien plus simple à faire que vous ne l’affirmez. La ville d’Orange, dont je suis maire, est passée de 1 500 euros d’endettement par habitant en 1995 à zéro aujourd’hui. Néanmoins, on ne saurait négliger la puissance de marchés privés, particulièrement choyés par les États. La loi Dodd-Frank votée aux États-Unis comme les réponses de la Banque centrale européenne à la crise ont été très favorables à ces marchés privés dont je viens d’exposer le danger qu’ils constituent.

Pour ma part, j’ai déposé une proposition de loi visant à interdire le trading à haute fréquence, mais elle n’a reçu que peu d’assentiment en commission. La France est en lutte contre la réification de l’homme et la monétisation de nos existences. Si ce texte permet de la soutenir un peu, j’en suis ravi. L’utilisation des mathématiques pour l’invention de produits financiers complexes échangés opportunément en fonction de la variation des changes et parfois optimisés par les échanges entre firmes nous a fait entrer dans un capitalisme fondé sur la valeur d’échange et certainement plus sur celle d’usage. Je me refuse à considérer cette réalité comme un horizon indépassable. Je soutiendrai donc la proposition de résolution.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Sansu.

M. Nicolas Sansu. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en déposant cette proposition de résolution européenne pour une COP de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales, notre groupe de la Gauche démocrate et républicaine entend progresser sur le sujet mondial de l’évitement fiscal par le biais de la fraude et de l’évasion fiscales ou de l’optimisation agressive. Depuis trente ans, en raison de l’essor du numérique, de l’abolition des frontières en la matière et de la victoire idéologique des chantres de la dérégulation, le monde de la finance a pris le pouvoir, et avec lui tous ses excès.

Les scandales révélés fort justement par de courageux lanceurs d’alerte, par des journalistes persévérants, par des organisations non gouvernementales combatives mais aussi par des parlementaires comme notre rapporteur de ce jour ou par le CESE – Conseil économique social et environnemental – font état de cette dérive du système financier. D’aucuns, y compris au sein de cet hémicycle, expliquent, sans toutefois nier les excès et les malversations révélés par les affaires Swissleaks et Luxleaks ou par les Panama papers, qu’il s’agit de scories et de déviances dans un monde plutôt transparent et sain. Nous, députés du front de gauche, pensons qu’il ne s’agit pas de transgressions à la marge mais bien de pratiques consubstantielles au capitalisme financier lui-même !

Nul ne peut ignorer la simultanéité du développement de l’ingénierie financière, du caractère exceptionnel du volume des transactions financières déconnecté de l’économie réelle, de la sophistication croissante des schémas d’optimisation fiscale, d’une tendance à la baisse de l’imposition des bénéfices et de la montée en puissance des paradis fiscaux. Nul ne peut ignorer non plus les corollaires de ces dérives du système financier, notamment l’hyperconcentration des richesses – huit milliardaires possèdent autant que la moitié de l’humanité –, l’accroissement des inégalités et son coût social, économique et écologique ainsi que la montée des conflits et des guerres.

En vue de faire progresser la paix comme les conditions de l’égalité et le respect de notre planète et de ses peuples, la proposition de COP fiscale et financière que nous soumettons au débat ce jour est donc indispensable, comme la COP21 l’est aux avancées en matière de maîtrise du réchauffement climatique. Je ne reviendrai pas sur les points exposés avec talent par notre rapporteur et insisterai sur le contexte qui justifie la volonté dont elle procède de faire cesser la captation par l’oligarchie financière d’une part grandissante des richesses produites collectivement, sans nier que des avancées aient eu lieu au cours des dernières années.

Le cœur du système réside dans les dérives du système bancaire. Initialement, celui-ci avait pour objet de financer les projets d’investissement des entreprises et des ménages. Cette réalité n’a plus cours. Le système bancaire est devenu une industrie qui nourrit la spéculation et s’en nourrit, faite de transactions très rapides profitant de places offshore dont elle encourage le développement et de distributions extravagantes de dividendes, qui s’élevaient en 2016 à 57 milliards d’euros parmi les entreprises du CAC 40 ! Selon une étude du cabinet Alpha Value publiée en décembre 2013, la valeur notionnelle des produits dérivés s’élevait au premier semestre 2013 à 693 000 milliards de dollars, soit dix fois la richesse mondiale !

Le poids de la finance de l’ombre, le fameux shadow banking qui échappe pour l’essentiel au régulateur, représentait en 2013 80 000 milliards de dollars, soit la moitié du secteur bancaire traditionnel ! Ces chiffres montrent la persistance d’un risque systémique majeur et la très grande force de résistance du lobby bancaire à la régulation et au contrôle, comme l’a malheureusement démontré la faible portée de la loi bancaire votée en 2013. La bulle continue donc à gonfler, alimentée par les liquidités des banques centrales insuffisamment tournées vers l’économie réelle, les investissements et la transition écologique.

Un autre aspect de ces transactions financières mortifères mérite d’être souligné. Selon le FMI, dont chacun conviendra qu’il n’est pas le dernier des organismes gauchistes, 50 % des transactions internationales transitent par des paradis fiscaux. Comment accepter le laisser-faire en la matière, en France et ailleurs ? Les cinq principaux groupes bancaires français ont considérablement recours aux paradis fiscaux. On estimait en 2015 qu’un quart de leur activité internationale y est réalisé, un tiers de leurs filiales étrangères y est situé et un tiers de leurs bénéfices y est déclaré, ce qui n’a rien d’une surprise, car tout l’argent transitant par les paradis fiscaux passe d’abord par les banques !

Il est donc clair que celles-ci sont le maillon fort de cette chaîne de fraude et d’évasion fiscales mais aussi de blanchiment de l’argent sale, car on ne trouve pas seulement dans les places financières offshore des bénéfices dissimulés mais aussi l’argent du crime, de la drogue, de la prostitution ou du trafic d’organes. Une COP fiscale et financière constitue aussi et peut-être surtout l’engagement citoyen de lutter contre ces fléaux. Cette COP que nous appelons de nos vœux constitue également le moyen de poser devant tous les pays du monde la question de l’impôt juste et payé au bon endroit.

Les scandales mettant en cause des multinationales très profitables qui échappent à l’impôt ont fait florès depuis quelques années. Ils porteraient sur 80 milliards d’euros pour la France et 1 000 milliards pour l’Europe ! Il est en effet insupportable d’exiger de nos concitoyens des efforts supplémentaires auxquels s’ajoute souvent une diminution des services rendus tout en laissant les plus puissants s’exonérer de leur devoir au mépris de notre principe constitutionnel du juste impôt basé sur la faculté contributive de chacun !

Tel est le cas des géants du numérique, les fameux Gafa dont le recours aux sociétés écrans, aux produits hybrides, aux paradis fiscaux et aux schémas d’optimisation fiscale confinant à la fraude leur permet de mettre à l’abri des regards et des contributions les milliards d’euros qu’ils ont accumulés. L’Irlande et le Luxembourg sont les pays hôtes de ces bénéfices qui demeurent presque complètement exemptés de l’effort collectif par le biais des prix de transfert et des conventions particulières.

Le cas d’Apple en Irlande est emblématique : la Commission européenne a infligé une amende à Apple mais l’Irlande refuse de recouvrer les 13 milliards d’euros dus, ce qui montre que nous sommes très loin d’agir suffisamment en Europe pour faire cesser ces pratiques illégales ! Je rappelle que les députés du front de gauche ont dénoncé et dénoncent l’absence d’action réelle menée par le gouvernement français pour mettre un terme à ce vol organisé et identifié commis par Apple avec la complicité de l’Irlande et en fin de compte de l’Europe. En la matière, on ne se paie pas de mots : 13 milliards d’euros, ce sont des services publics et du soutien à l’emploi qui manquent aux peuples européens !

M. Gaby Charroux. C’est vrai !

M. Nicolas Sansu. Malheureusement, presque tous les gouvernements ont capitulé devant l’exigence des grandes entreprises visant à réduire leur participation à l’effort collectif. C’est ce que l’on appelle l’érosion des bases fiscales. Comme l’indique le rapport d’Alain Bocquet, les recettes des pays de l’OCDE issues de l’impôt sur les bénéfices des sociétés ont chuté en moins de dix ans de 3,6 % du PIB à 2,8 % en moyenne. Il ne s’agit pas uniquement de l’effet de la crise mais d’un choix assumé de ces pays consistant à s’engager dans la concurrence fiscale.

À ce sujet, la volonté du nouveau président américain de faire des États-Unis une sorte de grand paradis fiscal doit nous faire réagir ! C’est le business qui a pris le pouvoir ! Le gouvernement français actuel a d’ailleurs été en Europe l’un des plus zélés en la matière. En raison de l’adoption du crédit d’impôt compétitivité-emploi, l’impôt sur les sociétés perçu en France ne rapporte plus que 1,4 % du PIB, soit la moitié de la moyenne des pays de l’OCDE et moins de 30 milliards d’euros, et il devrait chuter à 1,25 % du PIB en 2018 !

Autant dire que les larmes de crocodiles versées par le MEDEF à propos de l’impôt sur les sociétés sont non seulement malvenues mais indécentes ! Bien entendu, cet évitement de l’impôt a des conséquences sur les services rendus et les investissements réalisés. Nous les avons subies dans notre pays sous la forme d’une politique budgétaire restrictive qui a contracté l’investissement public au-delà du raisonnable et a eu des conséquences dramatiques sur le niveau de l’emploi, notamment l’inscription de 500 000 chômeurs supplémentaires en cinq ans.

Ces pratiques d’évitement et d’évasion fiscaux ont également des conséquences directes sur certains salariés de notre pays, comme le montre l’exemple des employés de McDonald’s en région parisienne, privés de participation aux bénéfices par la pratique de prix de transfert excessifs faisant ressortir chaque année une perte nette de McDonald’s dans notre pays, comme si son implantation relevait de la philanthropie ! La lutte des salariés, y compris devant les tribunaux, leur a donné raison, mais ce cas montre bien ce qui est en jeu : donner des pouvoirs nouveaux aux salariés des entreprises afin qu’ils s’imposent face à une oligarchie financière qui tient les rênes et qui, par le truchement d’un sénateur célèbre et d’un ancien président du MEDEF, vient encore de s’illustrer en matière de fraude fiscale.

L’un des enjeux de la COP fiscale et financière consiste à contrebalancer le pouvoir exorbitant de cette oligarchie par la mise en mouvement des pays en développement et pas seulement des pays les plus riches, par l’intervention des citoyens semblable à celle constatée lors de la COP 21 et par la transparence sur ces pratiques insupportables. Alain Bocquet formule d’autres propositions relatives aux rescrits fiscaux en Europe, aux rapports d’activité des grandes firmes multinationales pays par pays, à l’instauration d’un statut européen des lanceurs d’alerte et de leur protection et à une liste réelle des paradis fiscaux.

Certains de nos collègues arguent que tout cela est utopique. « L’utopie d’aujourd’hui est la vérité de demain » écrivait le grand Victor Hugo ! Par-delà ce rappel, convoquer en France une COP fiscale et financière sous l’égide de l’ONU associant les ONG, les États, les chercheurs et les citoyens, c’est s’inscrire dans la lignée de ce génie français grâce auquel, partout sur la planète, si on invoque la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, c’est à la France que l’on pense, si on agit pour le climat, de Rio 1992 à Paris 2015, la France est un exemple et si on veut faire vivre les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, c’est la France que l’on convoque ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Alain Bocquet, rapporteur. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. Alain Bocquet, rapporteur.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Ces interventions montrent que, malgré quelques réticences ici ou là, nous faisons le même constat. Il est important, et c’est l’objet de la COP, de donner au traitement de cette question une dimension citoyenne, puisque ce sont les initiés, par définition minoritaires, qui s’en sont saisis.

La finance s’est organisée de telle manière qu’elle domine tout, grâce aux nouvelles technologies. Et comme nous ne sommes plus au temps où le Général de Gaulle pouvait conspuer quelques spéculateurs en rappelant que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille », ce sont aujourd’hui les machines, les robots qui permettent, avec le trading haute fréquence, d’effectuer le temps d’un clin d’œil 7 000 transactions ! Il est humainement impossible de contrôler le trading haute fréquence, puisque l’on y compte en millisecondes, voire en picosecondes – douze zéros après la virgule – : dix minutes de transactions demanderaient à un contrôleur pas moins de six mois de travail !

Si l’on ne prend pas les mesures pour mobiliser les citoyens autour de cette question, nous irons droit dans le mur, au détriment des générations qui viennent. La COP est donc une idée que la France doit porter, qui demandera un certain temps pour aboutir mais qui permettra une mobilisation plus large au plan mondial. C’est une façon d’avancer sur une question cruciale.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Alain Bocquet, rapporteur. Je vous remercie pour l’ensemble de vos interventions. J’ai lu avec intérêt l’amendement proposé par le Gouvernement. Le fait qu’il participe à cette résolution en apportant, bien sûr, son bilan me paraît positif et efficace.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de résolution.

Article unique

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article unique.

La parole est à M. Christophe Premat.

M. Christophe Premat. Je me félicite à mon tour que nous ayons pu avoir, en fin de législature, un débat sur un sujet aussi fondamental. Je salue l’engagement du rapporteur, qui a d’ailleurs repris dans l’exposé des motifs des éléments de fonds développés dans son ouvrage Sans domicile Fisc.

La lutte contre la fraude fiscale et la lutte pour la transparence financière ont été renforcées au cours de cette législature. Comme l’a rappelé Guillaume Bachelay, le capitalisme financier a muté avec le développement des outils numériques. Cela se traduit par une évasion virtuelle programmée, sur des sites que M. le rapporteur a d’ailleurs repérés et évoqués dans son ouvrage. Depuis une dizaine d’années, un groupe d’experts financiers américains, le Citigroup, conseille systématiquement les grands groupes américains sur des sujets relatifs à l’optimisation fiscale. Ils ont d’ailleurs forgé le concept de « ploutonomie », lié à la volonté de concentrer les transferts de capitaux et de technologies dans ces zones d’optimisation fiscale.

Si je me réjouis que cette proposition de résolution s’inspire de la méthode utilisée pour la conférence de Paris, j’aimerais que la réflexion soit davantage poussée sur la façon de créer des outils de convergence fiscale. Autant nous sommes tous d’accord sur la nécessité de lutter contre l’évasion fiscale, autant il me semble compliqué de comparer les critères pour établir les zones de convergence fiscale. Un pays avec une fiscalité haute a-t-il forcément des services publics efficaces ? Nous savons ici que nous pouvons, lors de l’examen des projets de loi de finances, détricoter ou ajouter des processus de fiscalisation ou de défiscalisation, selon l’objectif invoqué. Peut-être serait-il opportun de travailler au niveau européen sur cette proposition et sur la définition d’indicateurs fiables, avant de la soumettre à l’agenda international ? Il conviendrait, en outre, de préciser l’objet de cette démarche : voulons-nous, ou non, créer une instance de régulation internationale ?

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. L’évasion fiscale, l’évitement fiscal, l’optimisation fiscale, le blanchiment ont le même objectif, s’affranchir du paiement de l’impôt. Cela a des conséquences lourdes sur l’environnement, les conditions sociales et l’intérêt général, de nos concitoyens comme de l’ensemble des peuples dans le monde.

Ce phénomène s’amplifie, du fait de l’évolution des technologies, comme l’a rappelé M. le rapporteur, et de la globalisation mondiale libérale. De plus, la période d’instabilité géopolitique qui s’annonce ne favorisera probablement pas la résolution de ces problèmes !

Notre pays s’est doté ces dernières années de nouvelles mesures pour lutter contre ces fléaux qui mettent à mal la cohésion sociale, mais les résultats, sans être négligeables, ne sont pas à la hauteur des enjeux. Diverses sources fiables, dont des rapports parlementaires, indiquent que les sommes qui échappent aux finances publiques atteignent plusieurs dizaines de milliards d’euros par an, certains les estimant même entre 50 et 100 milliards d’euros – sans oublier la fraude à la TVA internationale.

Il faut bien constater que notre pays n’est pas toujours en avance sur ces questions. Il est grand temps de lutter efficacement au niveau international. Dans ce contexte, la proposition de résolution est tout à fait légitime et pertinente, et les écologistes la soutiennent.

Mme Brigitte Allain et M. Alain Bocquet, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Laurent Baumel.

M. Laurent Baumel. Le terme de COP, introduit dans notre imaginaire collectif à l’occasion des réflexions sur le climat, renvoie désormais à une idée de mobilisation internationale exceptionnelle, dépassant les inerties et commandée par l’urgence et l’ampleur des dangers que court l’humanité.

Une COP de la finance mondiale se justifie donc pleinement à mes yeux. Car si l’évasion fiscale, la fraude fiscale ou le dumping fiscal ne menacent pas à proprement parler la vie de nos enfants, les pertes de recettes colossales pour les États qu’ils impliquent, le financement des services publics qu’ils mettent en cause, les inégalités entre contribuables qu’ils créent, le sentiment d’impunité qu’ils dégagent, sapent la confiance des peuples dans la démocratie représentative et dans la capacité même des États. Cela nous impose de montrer une volonté politique inflexible, qui dépasse le cadre des régulations homéopathiques auxquelles nous sommes habitués à nous résigner.

Je soutiens cette proposition, dont je pense, comme Nicolas Sansu, qu’il est important qu’elle soit portée par la France. Comme l’écrivait Lamartine, dans le langage grandiloquent de son époque : « Quand la Providence veut qu’une idée embrasse le monde, elle l’allume dans l’âme d’un Français » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux.

M. Gaby Charroux. S’agissant des mécanismes d’évitement fiscal et de leurs effets sur le consentement à l’impôt et sur la cohésion sociale, les enjeux restent essentiels, malgré des avancées significatives effectuées par notre pays. L’opacité entoure l’action de certains acteurs, notamment les multinationales et les grandes banques ; la concurrence fiscale internationale à laquelle s’adonnent les États sape leurs ressources fiscales et induit le report de la charge de l’impôt sur d’autres ; enfin, les paradis fiscaux, loin d’être un dysfonctionnement du système, en constituent les fondations et jouent un rôle fondamental. Je me félicite donc d’entendre affirmée votre volonté de soutenir cette proposition de résolution européenne, portée brillamment par Alain Bocquet.

Je voudrais rappeler trois points, qu’il est important de garder à l’esprit. Le diagnostic sur l’importance des sommes détournées n’est pas unanimement partagé : nous avons pu constater hier en commission des finances qu’un de nos éminents collègues, ancien ministre, contestait très nettement les sommes indiquées. Il est nécessaire, comme le préconise le rapport du CESE, de donner plus de moyens et de pouvoirs aux institutions représentatives des personnels en matière d’information et de contrôle. Enfin, nous nous devons de considérer plus particulièrement la situation des pays en voie de développement, sans doute parmi les premières victimes de ce phénomène. À mon tour, je me réjouis de voir notre assemblée s’engager fortement dans cette direction. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement no 1.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. L’amendement se comprend de lui-même.

Je voudrais, en réponse aux orateurs inscrits dans la discussion générale et sur l’article unique, donner quelques éléments sur un sujet que j’ai toujours trouvé passionnant, en tant que député ou dans les fonctions que j’exerce aujourd’hui, et sur lequel je peux être intarissable.

Très récemment, le directeur des services du contrôle fiscal est venu échanger avec moi, le jour de son départ en retraite. Lorsque je lui ai demandé si l’augmentation de ses effectifs permettrait d’avoir de meilleurs résultats, il a bien sûr, en directeur des services qu’il est, répondu par la positive. Mais il a surtout ajouté que ce sont de compétences dont nous avons besoin, de personnes aptes à appliquer de nouvelles méthodes de contrôle. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, en un clin d’œil, plusieurs milliers de transactions sont effectuées : cela exige que nous ayons d’autres outils et que nous fassions évoluer les métiers de nos agents.

Certes, on peut toujours nous inviter à aller plus vite et plus loin, mais je rappelle que c’est cette majorité qui a créé le parquet national financier et que c’est vous qui avez voté, sur proposition du Gouvernement, la création de l’Agence nationale de lutte contre la corruption – deux organismes dont nous mesurons chaque jour l’intérêt.

(L’amendement no 1, accepté par la commission, est adopté.)

Vote sur l’article unique

M. le président. Je mets aux voix l’article unique de la proposition de résolution.

(L’article unique, amendé, est adopté, ainsi que l’ensemble de la proposition de résolution.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quinze, est reprise à onze heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Pour en savoir plus : André Chassaigne - JB

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