Commission des affaires économiques
Mercredi 2 juin 2010 Séance de 9 heures 30
La commission a d’abord entendu M. Jean-Michel Lemétayer, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA).
(…) M. Jean-Michel Lemétayer, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Le projet de loi est en effet très attendu. Il ne s’agit pas d’une énième loi sur l’agriculture, mais d’un texte destiné à donner à l’agriculture française des atouts supplémentaires dans le cadre d’une politique agricole avant tout européenne. C’est bien la raison pour laquelle il faut replacer le débat dans le contexte européen, et saisir l’opportunité qui nous est donnée de valoriser notre agriculture.
Tout l’enjeu est de renforcer l’organisation économique des producteurs afin que les filières, insuffisamment structurées, ne soient pas prises au dépourvu lors des crises. Par ailleurs, la question du revenu des agriculteurs est fortement liée à celle de l’allégement des charges, lesquelles créent des distorsions de concurrence en augmentant notamment le coût du travail.
Le contexte économique n’est pas sans influence sur nos réflexions. L’extrême volatilité des marchés est un fait nouveau pour certaines productions, qui bénéficiaient jusqu’à présent de la régulation européenne. Les producteurs de lait n’imaginaient pas en 2003 que le filet de sécurité serait abaissé de 20 %, et la volatilité accrue d’autant. Aujourd’hui, la conjoncture s’améliore au point que les prix s’emballent, avec, je l’espère, une traduction réelle pour les producteurs qui en ont bien besoin. Mais ce secteur, habitué à une certaine régularité, est entré dans une spirale identique à celle que connaissent ceux de la viande porcine ou des fruits et légumes.
L’intérêt du titre Ier du projet de loi est de rappeler que les agriculteurs ne sont pas seulement des producteurs de matières premières, mais aussi les premiers responsables de la politique de l’alimentation, qu’elle soit considérée à un niveau local, national, européen ou mondial. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes très attachés à la mention d’origine et à la traçabilité des produits. Plus nous apporterons d’informations sur la qualité de nos productions et sur la mise en valeur de nos terroirs, mieux nous défendrons l’intérêt des consommateurs face à la banalisation des denrées. La mention d’origine et la traçabilité sont aussi un rempart contre les importations de produits de qualité sanitaire douteuse. À cet égard, nous craignons que les négociations à l’OMC ne débouchent sur une réouverture des échanges avec le Mercosur, et des importations supplémentaires de viande sans traçabilité. La dimension sanitaire est un élément important d’une politique alimentaire de qualité.
S’agissant du titre II et du débat sur les interprofessions, il faut exiger des filières qu’elles prennent leurs responsabilités. Dans un pays comme le nôtre, où existe une telle diversité, tous les acteurs d’un secteur doivent pouvoir s’asseoir autour de la même table pour gérer le marché, les crises éventuelles et prendre les décisions qui s’imposent à tous. Il est nécessaire que les interprofessions fassent évoluer le droit de la concurrence et qu’elles soient responsabilisées en matière d’indicateurs de marché.
À cet égard, je veux insister sur l’importance de la politique contractuelle que votre vote devrait conforter. Un engagement important de modération des marges a été signé récemment à l’Élysée, mais il ne concerne que la relation distributeurs-consommateurs. Si, dans les mois qui viennent, la contractualisation n’apporte pas d’éléments nouveaux en matière de sécurisation des revenus des producteurs, nous aurons échoué.
Je connais la détermination du Gouvernement sur ce sujet. Nous devons aller de l’avant : les interprofessions doivent s’organiser et faire en sorte que les producteurs ne soient plus à la merci des marchés, seuls face à leurs interlocuteurs en aval. Je pense notamment au secteur des fruits et légumes, où la contractualisation existe entre producteurs et industries de conserves, mais est absente ailleurs. Cessons de toujours en vouloir à l’Europe et prenons nos responsabilités !
Nous avons eu gain de cause pour ce qui est de la suppression des remises, rabais et ristournes dont les distributeurs pouvaient bénéficier pour l’achat de fruits et légumes frais : le Sénat a considérablement amélioré le dispositif.
Dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie (LME), nous nous sommes beaucoup battus pour que soit créé un outil de suivi des prix : l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, installé en 2008, nous a donné raison en démontrant son utilité.
En revanche, les conditions de négociabilité, telles que prévues par la LME, ne sont pas acceptables. C’est un point sur lequel nous aimerions vous convaincre, malgré la position tranchée du Gouvernement. Je veux d’ailleurs avoir ici une pensée pour Jean-Paul Charié, qui nous a beaucoup aidés. Il est tout à fait anormal que ce soit l’acheteur qui fixe les prix, et non le fournisseur. La situation actuelle est intenable et nous entendons bien, avec Jean-René Buisson, président de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), reprendre ce combat.
Nous ne sommes pas opposés à la nouvelle taxe sur le foncier, à condition qu’elle soit affectée à l’installation de jeunes agriculteurs. C’est ce que nous avons expliqué aux sénateurs, et, parmi eux, aux élus locaux qui souhaitaient que leurs collectivités puissent en disposer. De la même manière que l’on aide l’installation de jeunes artisans ou de jeunes commerçants dans les zones rurales, il est juste que le produit de cette taxe bénéficie aux jeunes agriculteurs, et non aux projets d’urbanisation de nature commerciale ou industrielle.
Il a été choisi, à l’article 11 quinquies, de permettre aux chefs d’exploitation ou d’entreprise agricole de verser, en complément des cotisations appelées au titre de l’année en cours, un à-valoir sur le montant des cotisations exigibles l’année suivante. Pour lisser d’une année sur l’autre les versements et rendre le paiement des cotisations de l’année « n-1 » plus aisé en cas d’année « n » difficile, nous étions davantage favorables à une solution plus concrète, revenant à prendre en compte l’année « n », sur la base de l’année « n-1 », avec une mise à jour à « n+1 », soit un paiement en temps réel.
Par ailleurs, la suppression de l’assiette minimale en assurance maladie, que nous demandons depuis longtemps, est plus que jamais d’actualité : subissant la crise, nombre d’agriculteurs se trouvent obligés de payer des cotisations alors même que leurs revenus sont nuls. Notons que cette assiette minimale n’existe pas dans d’autres secteurs.
Enfin, nous sommes favorables à la réforme du dispositif de soutien à l’assurance-récolte et à l’indemnisation des calamités agricoles, ainsi qu’à la création du dispositif de gestion des aléas sanitaires, phytosanitaires et environnementaux.
Telles sont les remarques que je voulais faire sur le projet de loi, considérablement amendé au Sénat. Nous ne doutons pas que vous saurez à votre tour l’enrichir.
(…)
M. Jean-Michel Lemétayer. Nous ne sommes pas les seuls à nous en plaindre : il suffit d’entendre les mots très durs dont l’ANIA use à l’encontre de la grande distribution pour s’en convaincre. Lors de la réunion à l’Élysée, les dirigeants de la grande distribution ont voulu montrer leur bonne disposition ; ils n’ont trompé personne : leur politique de bas prix n’a pas changé depuis. Au moins aurons-nous obtenu l’interdiction des remises, rabais et ristournes sur les fruits et légumes lors de l’examen du texte au Sénat !
(…)
M. André Chassaigne. Monsieur Lemétayer, vous êtes, me semble-t-il, désormais acquis à l’idée de combattre le libéralisme puisqu’on la retrouve régulièrement dans vos textes. La question fondamentale est donc celle de la priorité à accorder au prix garanti.
Vous avez également évoqué une autre priorité à propos de l’Observatoire des prix et des marges : la transparence. Êtes-vous prêt à faire pratiquer la transparence complète sur les marges par l’ensemble des adhérents de votre syndicat ?
La Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles du Massif Central a proposé l’instauration d’une gestion différenciée des volumes et des prix : êtes-vous favorable à une telle disposition, qui vise à différencier les prix en fonction de la nature, du lieu et des conditions spécifiques de production ?
Selon vous, la formalisation écrite de la relation contractuelle est une exigence, et vous avez raison. Cela signifie-t-il que la LME est mal ou insuffisamment appliquée ou qu’il convient de la modifier en revenant sur la nature des négociations commerciales pour y introduire des contraintes plus fortes ?
Je dois reconnaître que j’emploie, à l’encontre de la grande distribution, les mêmes noms d’oiseaux que l’industrie alimentaire. Toutefois, celle-ci n’est pas le chevalier blanc pour lequel elle voudrait se faire passer, puisqu’elle n’a pas respecté, notamment en Auvergne, les accords qu’elle avait signés avec les producteurs laitiers sur la cotisation volontaire obligatoire portant sur le prix des fromages vendus, cotisation qui devait profiter à l’ensemble de la filière tout en permettant d’augmenter le prix du lait servant à la production de produits AOC et AOP. Dans ces conditions, quelles mesures la loi devrait-elle prévoir pour contraindre la grande distribution ou l’industrie agroalimentaire à respecter leurs engagements en la matière ? « Le libéralisme, c’est le renard libre dans le poulailler libre ». Si nous voulons garantir les prix afin que les agriculteurs puissent vivre de leur activité, il convient de limiter cette liberté par des contraintes.
(suite des interventions)
Puis la commission a entendu M. Jean Mouzat, président, et M. Alain Gaignerot, délégué général du MODEF.
M. le président Patrick Ollier. Nous sommes heureux d’accueillir M. Jean Mouzat, président, et de M. Alain Gaignerot, délégué général du MODEF, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, de modernisation de l’agriculture et de la pêche.
M. Jean Mouzat. Avant de vous donner le point de vue du MODEF sur ce texte, je voudrais évoquer la situation générale de l’agriculture sur le plan économique. Cette situation est catastrophique, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, nous subissons une terrible baisse des revenus, à tel point que le suicide fait désormais partie du lot commun des agriculteurs. Il ne se passe pas une semaine sans que je reçoive un appel au secours ou une demande de dernière aide pour survivre encore quelques années. C’est une situation insupportable, aussi bien pour la profession d’agriculteur que pour la République française. Il faut en sortir.
Ensuite, l’agriculture, telle qu’on la conçoit aujourd’hui ne me convient pas car elle s’appuie uniquement sur l’argent, sur une économie libérale qui ne tient pas compte de facteurs essentiels comme le revenu des agriculteurs et la qualité des produits proposés aux consommateurs.
Je pourrais me féliciter de ce que le Président de la République a reçu récemment les dirigeants des grandes surfaces afin de leur demander davantage d’indulgence pour le revenu des agriculteurs. En effet, en désirant sans cesse dégager des marges bénéficiaires plus importantes, ce sont eux qui détiennent les leviers de l’économie agricole.
Nous retrouvons l’esprit de l’initiative du Président de la République dans le projet de loi, à travers la contractualisation des marchés. Nous y sommes a priori favorables, mais nous souhaitons que la profession soit étroitement associée à l’élaboration de prix planchers incluant impérativement un revenu minimum pour l’agriculteur ; sinon l’agriculture risque de disparaître de notre pays, avec toutes les conséquences économiques et écologiques que cela entraînerait. La France, dit-on, détient des atouts à faire valoir en matière touristique ; or, une partie de ses territoires serait ruinée par la disparition des activités agricoles.
Le concept d’agriculteur entrepreneur m’inquiétait, mais le Sénat ne l’a pas retenu. Avec un tel concept, une distinction se serait opérée entre les spécialistes en agriculture, pouvant prétendre en raison de leurs capacités entrepreneuriales aux aides de l’État et de l’Europe, et les autres agriculteurs.
Nous sommes également préoccupés par la suppression de la référence départementale concernant les prix des fermages, qui connaît d’importantes disparités entre départements selon les régions – il n’est pas du même montant en Corrèze que dans des départements aux terres beaucoup plus fertiles. Si l’on retient une moyenne nationale, l’évolution des indices défavorisera les départements qui sont déjà les plus pauvres.
Enfin, alors que l’espace européen est un espace où la concurrence est libre et non faussée, les agriculteurs qui vont s’approvisionner en produits vétérinaires dans d’autres États de l’Union européenne, se font réprimander au motif qu’ils n’en auraient pas le droit. Les parlementaires devraient se pencher sur cette question essentielle.
M. André Chassaigne. Le MODEF mène régulièrement des actions contre la grande distribution afin d’en dénoncer les abus. Avez-vous des propositions précises portant sur la remise en cause de la loi de modernisation de l’économie (LME), particulièrement en vue d’une nouvelle formalisation des relations contractuelles entre les agriculteurs et ceux qui achètent leurs produits, grande distribution et secteur agro-alimentaire ?
Le MODEF procède souvent à des ventes directes de produits agricoles pour illustrer les écarts de prix entre ceux payés à la production et ceux demandés au consommateur. Ainsi, durant l’été, une vente massive se tient sur les Champs-Élysées dont la presse se fait l’écho. Que proposez-vous pour développer ce lien direct entre les producteurs et les consommateurs ou, en d’autres termes, la filière courte ? Il semble en effet difficile d’impliquer l’ensemble de la production agricole dans ce processus.