Première séance du jeudi 07 mai 2020
Prorogation de l’état d’urgence sanitaire
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi adopté par le Sénat
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions (nos 2902, 2905).
Avant de commencer nos travaux, je vous rappelle qu’en cette période de crise sanitaire, 75 députés peuvent désormais se réunir dans l’hémicycle, selon une répartition proportionnelle aux effectifs des groupes. Ce nombre passera à 150 la semaine prochaine.
D’autre part, les règles sanitaires que vous connaissez continuent naturellement à s’appliquer : les micros sont nettoyés en cours de séance, les orateurs sont invités à ne pas poser les mains sur les micros et à utiliser des micros différents, les distances entre les participants doivent être respectées, les entrées et sorties sont échelonnées. Je vous rappelle enfin qu’il est demandé aux orateurs de s’exprimer depuis leur banc, et non à la tribune.
La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. L’aurore des jours meilleurs n’apparaît pas encore à nos fenêtres. Chaque soir reste marqué par le décompte des victimes d’un virus qui décime nos concitoyens. Aussi la question qui se pose, au-delà de celle du déconfinement, est celle de la perspective de sortir d’un cauchemar qui est une épreuve pour toute l’humanité.
L’épreuve que nous vivons vient interroger nos convictions les plus profondes, qu’elles soient philosophiques, politiques ou spirituelles. Elle bouscule notre rapport à la vie et nous fait reconsidérer ce qui constitue le cœur de notre existence. Aucun d’entre nous sur ces bancs ne peut nier le caractère tragique de la pandémie qui s’étend sur la planète entière. Aucun d’entre nous ne peut nier non plus le caractère singulier de la situation sanitaire de notre pays et écarter la responsabilité qui incombe en pareille circonstance aux représentants du peuple que nous sommes.
Cette responsabilité qui est la nôtre est lourde au regard de l’histoire et des générations futures, qui chercheront à comprendre comment nous avons pu en arriver là. Le temps viendra de retracer la genèse de cette crise. Pour cela notre groupe proposera qu’une commission d’enquête définisse les dysfonctionnements intervenus dans la lutte contre la propagation du Covid-19, non seulement pour faire le point sur la pénurie des moyens et pour évaluer les conséquences du choix d’une gestion verticale, centralisée et répressive de la crise, mais aussi – j’insiste sur ce point – pour mieux nous préparer à faire face à de nouvelles pandémies.
Cependant nous devons exercer dès aujourd’hui notre mission de contrôle de la politique du Gouvernement, en rejetant toute approche politicienne, binaire, avec humilité mais sans compromission. Voilà pourquoi il nous semble indispensable de dresser un bilan de l’action publique depuis l’établissement de l’état d’urgence ; d’évaluer les dispositifs de restriction des libertés individuelles et collectives et de nous interroger sur la prolongation d’une logique de gouvernement par l’exception.
Cela nous permettra aussi de comprendre les causes du manque de confiance qui affecte notre pays. Prenons l’exemple du fiasco des masques. Le Premier ministre a imputé aux scientifiques la responsabilité des revirements de l’exécutif en matière de port du masque quand dans le même temps, par une curieuse alchimie, le même exécutif passait outre l’avis du Conseil scientifique s’agissant de la reprise de l’école. N’aurait-il pas été plus sage de reconnaître que les choix politiques en matière de port du masque s’étaient tout simplement adaptés à la quantité disponible ? N’aurait-il pas été plus respectueux de nos concitoyens que le Gouvernement admette qu’il lui ait arrivé de dissimuler la vérité, par exemple le 29 février, quand le directeur général de la santé affirmait que le port du masque n’était pas la bonne réponse pour le grand public ? Nous sommes convaincus que ces agissements ont contribué à exacerber la méfiance des citoyens dans la parole publique et à créer un climat anxiogène.
S’agissant des tests ensuite, le Premier ministre a mis en cause l’OMS pour justifier les retards à l’allumage et les revirements gouvernementaux, alors qu’en Allemagne les autorités testaient massivement la population.
Aujourd’hui, occultant ce passif, vous nous demandez de proroger l’état d’urgence sanitaire. Une fois de plus, nous refuserons de donner notre caution à un régime d’exception, qui concentre les pouvoirs aux mains de l’exécutif – nous le vivons tous les jours ici –, qui restreint les libertés fondamentales et s’apprête à autoriser un contrôle massif de la population.
La République unie ne se décrète pas, même si on enrobe ces mots de lyrisme : elle se gagne, elle se tisse, en associant les oppositions, le Parlement, les élus locaux, le corps social dans son ensemble, et certainement pas en réduisant notre assemblée à l’état de chambre d’enregistrement. C’est à la fois une exigence démocratique et un gage de réussite des politiques publiques.
M. Paul Molac. Très bien !
M. André Chassaigne. Je suis convaincu que nous aurions pu ouvrir tous ensemble le chemin des jours meilleurs, et pourquoi pas ? celui des jours heureux, si vous aviez eu la volonté de subvertir vos vieux réflexes mais pour cela, il vous aurait fallu vous extraire d’une forme de conservatisme qui vous a conduit une fois de plus à engourdir la démocratie. Oui, nous aurions pu cheminer tous ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. –Mme Marietta Karamanli et M. Paul Molac applaudissent également.)
Voir aussi :
Alors qu’un projet de loi autorisant le gouvernement à légiférer par ordonnances sur une multitude de sujets sera transmis aux députés lundi pour un examen en séance 72 h après, André Chassaigne dénonce des conditions de travail de l’Assemblée nationale qui constituent une véritable humiliation pour la représentation nationale :
Voir toutes les interventions d’André Chassaigne sur la crise sanitaire ici.