L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au secteur de l’énergie
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Avant l’article premier
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M. le Président - Nous en venons aux amendements identiques 2244 à 2276.
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M. André Chassaigne - Le retour sur le passé que nous propose le rapporteur n’apporte pas grand-chose au débat. Quant au conte de fées que vient de nous faire le ministre… Je laisse chacun découvrir ce que pourront être les conséquences d’une privatisation dans les années à venir. Faut-il rappeler que le contrat de service public ne court que jusqu’en 2007 ? Quand l’entreprise sera privatisée, les actionnaires attendront avant tout des dividendes ; il est évident que la cohésion sociale ne pourra être maintenue. Cet amendement est donc très important : s’il est voté, nous pourrons rentrer chez nous, car la privatisation ne se fera pas. Les notions de cohésion sociale et de privatisation sont en effet incompatibles.
Vous allez dire que je fais des effets de manche. Mais les élus des territoires ruraux savent bien ce que signifie, par exemple, l’ouverture du marché postal. Quand La Poste ferme des agences dans nos communes, c’est parce qu’elle ne peut plus maintenir les services de proximité en raison de la concurrence qu’elle subit dans les secteurs les plus rentables. Au final, ce sont les territoires ruraux qui sont abandonnés. Je suis d’ailleurs persuadé que vous êtes les premiers à vous en plaindre auprès de vos électeurs, les premiers à protester auprès des directeurs départementaux, les premiers à intervenir au sein des commissions de présence postale. Écoutez Bossuet, et évitez que le ciel se moque de vous lorsque vous vous plaindrez des maux dont vous aurez été la cause… Vous savez pertinemment que, si ce texte est adopté, il ne sera pas possible de rendre, à l’avenir, les mêmes services dans les campagnes
Comment, par ailleurs, ne pas évoquer les effets des privatisations ? On a vu, cet été, les conséquences de celle de France Télécom, quand des villages entiers sont demeurés deux semaines sans accès à la téléphonie fixe parce que l’opérateur dit historique, mais qui n’est plus public, n’a plus les moyens de maintenir une permanence. Et que dire des carences de la téléphonie mobile, que les collectivités locales doivent combler quand elles le peuvent ! C’est que l’on ne peut évidemment pas verser aux actionnaires 50 % des bénéfices et, dans le même temps, maintenir les services fournis aux populations les plus éloignées des centres urbains. En votant cette loi, vous préparez de nouveaux abandons de territoires.
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Les amendements 2244 à 2276, mis aux voix, ne sont pas adoptés.
M. le Président - J’appelle les amendements identiques 2277 à 2309.
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M. André Chassaigne - Je suis époustouflé par les propos de M. le ministre délégué, qui prétend que tout serait fait pour avoir les meilleurs tarifs et les meilleurs prix. Je pèse mes mots : c’est un mensonge (Protestations sur les bancs du groupe UMP). GDF vient d’annoncer ses résultats nets, qui progressent de plus de 40 % d’un an sur l’autre, passant de 1,2 à 1,7 milliard. Cela n’est pas dû au dynamisme de l’entreprise, mais pour l’essentiel aux profits réalisés sur la vente du gaz, avec des augmentations de tarifs supérieures à ce qui était nécessaire. Nous avons tous en mémoire les pleurnicheries de la direction de GDF : il faut compenser la hausse des prix d’achat du gaz, l’entreprise vend à perte… Au final, la hausse des tarifs aura été de 26 % en un an, et la marge a progressé de 40 millions sur le premier semestre. Il y a donc mensonge. Invoquer la croissance ne sert à rien, car celle-ci est également due au pouvoir d’achat des consommateurs, or, une famille dont la facture de gaz augmente de 150 euros voit son pouvoir d’achat diminuer. Cet argent ne profite pas non plus à l’entreprise, mais aux actionnaires privés qui, eux, veulent des dividendes toujours plus élevés afin d’alimenter la spéculation. Il y a donc bien mensonge (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Ces chiffres sont publics.
Enfin, derrière ces hausses se profilent d’autres exigences, dont celle de l’association française du gaz qui, dans un communiqué de presse du 1er septembre 2006, demande la disparition pure et simple des tarifs administrés. Que penser, en outre, de l’union professionnelle des industries privées du gaz, dont Suez est l’un des membres principaux, et qui a la même exigence ? Avec cette privatisation et cette fusion, c’est un véritable hold-up du service public qui se prépare. Il importe donc au plus haut point de voter ces amendements.
M. le Ministre - Je ne peux laisser traiter de menteur un membre du Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Sans doute n’avez-vous qu’une connaissance partielle de l’origine des profits de GDF. Ceux-ci s’expliquent par les investissements dans l’amont gazier…
M. Pierre Cohen - Mais non, et nous le savons bien !
M. le Ministre - …dont nous souhaitons d’ailleurs qu’ils puissent s’accroître. Cette analyse a été validée par la CRE et par la commission indépendante…
M. André Chassaigne - Dont on sait combien elle est transparente !
M. le Ministre - …dont j’ai confié la présidence à M. Durieux. Les profits n’ont pas été réalisés sur le dos des consommateurs. Le gaz a été vendu au prix où il avait été acheté et l’augmentation à laquelle vous faites allusion est inférieure à ce coût. Je rappelle qu’entre 1999 et 2000, sous le gouvernement de M. Jospin, le prix du gaz avait augmenté de plus de 30 % pour les consommateurs…
M. David Habib - Cela n’a rien à voir !
M. le Ministre - On ne parlait pas alors des actionnaires, alors que c’est la même loi qui s’appliquait ! Si GDF réalisait un peu moins de profits, c’est parce que l’investissement dans l’amont gazier était encore plus insuffisant, et c’est précisément parce que nous voulons préserver le pouvoir d’achat des Français (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) que nous voulons que cette entreprise puisse investir plus encore dans ce secteur.
Je tiens à dire par ailleurs que j’apprécie la qualité de nos débats, si répétitifs soient-ils (Murmures sur les bancs du groupe socialiste), mais ceci est à mettre au crédit de l’opposition qui sait se renouveler vingt fois sur le même amendement (Sourires). Le Gouvernement est satisfait de constater que nous travaillons dans un esprit républicain, même s’il est vrai que, plus tôt nous discuterons des articles, mieux cela sera pour la France et les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
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M. Jean Dionis du Séjour - Nous ne sommes pas d’accord avec le ministre : nous ne considérons pas que le débat soit de qualité. Il y a manifestement une stratégie d’obstruction. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste) Assumez-le donc tranquillement !
Nous souhaitons quant à nous débattre au fond. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Nous ne voterons pas cet amendement. Il représente une pétition de principe sympathique, mais redondante avec la loi d’orientation de 2005. En revanche, notre collègue Giacobbi a posé de manière très pertinente une question importante, celle du bénéficiaire de la rente nucléaire, qui devra être tranchée à l’article premier : ou bien la rente nucléaire bénéficiera à EDF et à son actionnaire, l’État, ou bien elle bénéficiera aux consommateurs. Il y a là un vrai choix politique à faire.
M. André Chassaigne - Et les actionnaires ?
M. Jean Dionis du Séjour - Le groupe UDF considère que cette rente doit bénéficier en priorité au consommateur. Nous aurons à trancher entre l’amendement de la commission des affaires économiques, qui sera défendu par le rapporteur, et celui de M. de Courson, qu’a repris la commission des finances. Ce choix, les acteurs économiques attendent que nous le fassions.
M. Christian Bataille - Surtout les banques et les actionnaires !
M. Jean Dionis du Séjour - Mettons-nous donc au travail ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)
M. Alain Bocquet - Je maintiens qu’il n’est pas normal que nous n’ayons pas eu en mains la lettre de griefs de la Commission européenne. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Je me suis néanmoins résigné à aller la lire. Et qu’ai-je découvert ? Que 133 de ses 195 pages - soit 64 % - comportent une censure. Ce ne sont pas les mots fléchés, ce sont les mots cachés ! 1 553 chiffres ou mots disparus ; 301 lignes disparues ; 34 tableaux disparus.
M. André Chassaigne - Transparence !
M. Alain Bocquet - Voilà l’information que vous donnez à la représentation nationale ! Et pour avoir lu de près certains paragraphes, je puis vous dire qu’il y a des informations qui ne relèvent vraiment pas de la confidentialité commerciale.
M. le ministre nous affirme qu’il ne s’agit que de permettre à GDF de nouer les alliances qu’elle voudra. Je lis pourtant en page 2 que « les conseils d’administration des deux groupes, le 25 février 2006 pour Suez et le 26 février 2006 pour GDF, ont déjà approuvé le projet de fusion ; celle-ci se fera par le biais d’un échange d’actions une par une. » Deuxième acte, en page 3 : « Par ailleurs, la mise en œuvre de ladite opération est soumise à la modification par le Parlement français de la loi du 9 août 2004, visant à réduire la participation de l’État dans le capital de GDF à moins de 50 %. » D’abord, les entreprises décident de fusionner ; ensuite seulement, on nous demande d’approuver ce qui a été décidé.
Nous lisons par exemple, à la page 155 de la lettre de griefs, l’article 663 : « Cependant, GDF (SPE) avait déjà » - suivent quelques mots censurés.
« En outre, en septembre 2005, SPE a lancé » - suivent deux lignes censurées. Allez comprendre ! Page 183, article 776 : « le 17 août 2000, COGAC a acquis une participation de…
M. André Chassaigne - Censuré !
M. Alain Bocquet - …dans la société…
M. André Chassaigne - Censuré !
M. Alain Bocquet - …holding du groupe, en plus de la participation de…
M. André Chassaigne - Censuré !
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M. Alain Bocquet - …COGAC a consenti » - suivent deux lignes rayées. Si c’est cela l’information du Parlement, s’il ne s’agit que de nous parler de transparence la main sur le cœur, alors que tout se joue en coulisses et que nous ne sommes que de la piétaille, ce n’est pas sérieux ! Il y va tout de même de l’avenir du service public et de la maîtrise publique de l’énergie en France et en Europe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)
Les amendements 2277 à 2309, mis aux voix, ne sont pas adoptés.
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Mme la Présidente - J’appelle les amendements identiques 2310 à 2342
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M. le Président de la commission - M. Migaud s’est plaint tout à l’heure du caractère répétitif des arguments du ministre et du rapporteur. Pardon, mais il me semble que la répétition est plutôt du côté des douze orateurs qui viennent de défendre des amendements identiques ! J’aimerais d’ailleurs que leurs auteurs m’expliquent comment des « principes » peuvent « garantir des prestations » et je souhaiterais que les amendements à venir aient un caractère plus normatif.
À des questions répétitives, on ne peut faire que des réponses répétitives. Je ne puis donc que vous répéter que les missions de service public, auxquelles nous sommes aussi attachés que vous, sont garanties par la loi, que ce soit celle de 2000, celle de 2003, celle de 2004 ou celle de 2005. Ce n’est pas parce que nous discutons maintenant du capital de Gaz de France que ces missions, garanties par quatre lois différentes, sont remises en cause !
Il est légitime que les députés socialistes et communistes défendent avec force leurs convictions, mais ils ne doivent pas tenter de faire croire qu’il y aurait une relation de cause à effet entre la nature du capital et la formation des tarifs… (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)
M. André Chassaigne - Si, c’est évident !
M. François Brottes - Entre les deux, il y a les dividendes !
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M. le Président de la commission - Actuellement, les tarifs sont décidés par le Gouvernement en fonction des coûts de production. Ils le seront de la même manière demain.
Nous ne nous engageons pas dans ce débat pour le simple plaisir de débattre pendant des mois, mais parce que nous sommes convaincus que la France ne doit pas rester l’arme au pied alors qu’une révolution est en train de se produire dans le domaine de l’énergie, et parce que nous voulons créer un groupe capable de mieux négocier ses prix d’achat. Croyez-vous que le fait de créer le quatrième leader mondial de l’énergie et le premier leader mondial sur le gaz naturel liquéfié ne soit pas un atout dans les années à venir ? Il faut savoir que les méthaniers sont essentiels pour notre indépendance énergétique. Grâce à eux, nous sommes moins dépendants de gazoducs et d’oléoducs qui peuvent, nous l’avons vu, être coupés. Il faut anticiper cette évolution mondiale.
Le premier acheteur européen de gaz aura la capacité de bien négocier ses prix d’achat sur le marché international. Ceux qui disent que l’on pourra faire baisser les tarifs sans cela méconnaissent la réalité du marché mondial. Je ne veux pas que l’on mente aux Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)
M. André Chassaigne - Quelle caricature !
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M. André Chassaigne - Le texte de ces amendements aurait pu être : « La privatisation de GDF entraînera nécessairement une baisse du niveau de qualité. » Le rapporteur, le président de la commission, le ministre essaient par un acte de foi de nous convaincre que ce ne sera pas le cas, mais ils n’y croient pas eux-mêmes !
M. le Président de la commission - Mais si !
M. André Chassaigne - Il suffit de voir ce qui s’est passé cet été dans de nombreuses communes du Massif central, privées de longues semaines de téléphone, tout simplement parce que France Télécom ne disposait plus de personnel compétent pour effectuer les réparations nécessaires. (« Du fait des 35 heures ! » sur les bancs du groupe UMP)
Non, on ne peut pas engranger les plus gros profits, servir les plus gros dividendes sans prendre l’argent quelque part. Vous ne pourrez pas nous donner un seul exemple de privatisation qui n’ait pas eu de conséquences négatives. Regardez ce qui s’est passé au Canada, dans l’Ontario, où, à la suite de coupures récurrentes d’électricité, des entreprises ont dû s’équiper de groupes électrogènes pour éviter toute rupture de production. Recourir à de tels artifices, ce n’est pas garantir la qualité. Chacun sait que demain, dans les régions et les villages les plus isolés, les délais d’attente pour la réparation des pannes s’allongeront et que la réactivité des fournisseurs ne sera plus la même. D’ailleurs, sinon pourquoi encouragerait-on les agriculteurs à acheter des groupes électrogènes ? L’Union des industries de la fertilisation, grosses utilisatrices de gaz - celui-ci représentant 80 % du prix de revient de l’ammoniac -, déplore d’ores et déjà des arrêts de production dans certaines usines, dus au fait qu’à certains moments, on préfère vendre du gaz à l’étranger plutôt qu’en France ! La situation ne pourra que s’aggraver, alors que déjà, comme on l’apprend dans un numéro de La Vie financière, « grâce à ses terminaux de gaz liquéfié », le groupe issu de la fusion de Suez et Gaz de France « pourra vendre son gaz au pays le plus offrant, qui ne sera pas nécessairement la France. » Il y a là de quoi être inquiet.
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