La séance est ouverte à dix-huit heures.
RÉGULATION DES ACTIVITÉS POSTALES (deuxième lecture)
L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la régulation des activités postales.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l’industrie - Je remercie les députés présents de s’être déplacés : faire l’appel de leurs noms ne nous retarderait pas beaucoup… (Sourires) Avec cette dernière lecture, nous arrivons presque au terme de l’examen du texte qui nous permettra de transposer enfin dans notre droit national la directive postale de 1997, modifiée en 2002. Une nouvelle étape sera ainsi franchie, pour donner à l’activité postale un cadre législatif adapté. A ce stade du débat, je souhaite rappeler les principaux apports du texte et des précédentes lectures. Cela me donne du reste l’occasion de saluer la qualité de vos travaux.
Les directives que ce texte transpose sont essentielles pour l’avenir de notre service public et concernent l’ensemble de nos concitoyens dans leur vie quotidienne. Elles définissent en effet, parmi l’ensemble des services postaux, le « service universel postal », constitué des envois de correspondance de moins de deux kilogrammes, des colis de moins de vingt kilogrammes, des envois recommandés et à valeur déclarée, y compris transfrontaliers. Dans ce domaine, les Etats membres se voient reconnaître deux obligations et deux facultés.
La première obligation, c’est celle d’assurer une offre comprenant toute la gamme du service universel disponible, tous les jours ouvrables et sur l’ensemble du territoire, à un prix abordable pour tous les utilisateurs.
Deuxième obligation des Etats membres, désigner une autorité nationale indépendante des opérateurs postaux, chargée de veiller à la bonne fourniture du service universel postal et au respect des règles de concurrence dans le secteur. A cet effet, le texte étend les pouvoirs de l’ART à la régulation du secteur postal, l’institution devenant l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes - ARCEP. En première lecture, vous aviez proposé d’étendre son collège à sept membres : avec le soutien du Gouvernement, cette proposition a été acceptée par les sénateurs, ce qui constitue un gage d’efficacité pour la nouvelle autorité, laquelle aura la lourde tâche d’accompagner l’ouverture des marchés des services postaux à la concurrence tout en garantissant la bonne fourniture du service universel postal.
Essentielles, ces obligations sont assorties de deux facultés importantes. D’abord, les Etats membres peuvent donner au prestataire du service universel un certain monopole, dans la limite des seuils fixés par la directive, en vue de garantir le financement de cette mission. Le projet de loi ajuste le monopole de la Poste aux seuils prévus dans la directive modifiée. Depuis le 1er janvier 2003, le secteur réservé couvre les envois de correspondance d’un poids inférieur à cent grammes ; au 1er janvier 2006, cette limite tombera à cinquante grammes…
MM. André Chassaigne et Alain Gouriou - Aïe ! Aïe ! Aïe !
M. le Ministre délégué - Ce sont les conséquences des choix de la majorité précédente ! (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Si le secteur réservé ne suffisait pas à compenser le coût de la mission dévolue au prestataire du service universel, un fonds de compensation, abondé par les concurrents de la Poste, pourrait être activé. (M. François Brottes s’exclame)
En second lieu, les Etats membres peuvent créer un régime d’autorisation ou de déclaration préalable pour les concurrents du prestataire du service universel. Le projet de loi édicte un régime de cette nature pour les seuls services d’envois de correspondance allant jusqu’à la distribution. Ainsi, l’octroi d’une autorisation par l’ARCEP est assorti d’exigences de qualité, de respect de la confidentialité et de protection des consommateurs.
Telles sont, en quelques mots, les règles du jeu du marché européen des activités postales que ce texte transpose…
M. André Chassaigne - Bel habillage !
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M. le Ministre délégué - Le 23 mars dernier, la Commission européenne a rendu public son rapport sur l’application des directives postales, confirmant que la réforme du secteur postal est bien engagée. La transposition du cadre communautaire est achevée, à l’exception notable de la France et de quelques nouveaux Etats membres. La Commission indique cependant qu’il conviendrait que les autorités nationales s’intéressent davantage à la séparation des comptes, à l’allocation des coûts et au suivi des prix du service universel, toutes questions sur lesquelles nous ne manquerons pas de revenir.
M. Pierre-Christophe Baguet - Très bien.
M. le Ministre délégué - Loin de se limiter à la transposition des directives, ce texte permet également de doter la Poste et ses concurrents des outils indispensables pour assurer leur croissance sur le marché national des services postaux, ainsi que leur expansion internationale. Les précédentes lectures ont considérablement enrichi ce volet, et j’en profite pour saluer à nouveau la qualité des travaux de votre commission.
Ainsi, la mission d’aménagement du territoire dévolue à la Poste - la fameuse « présence postale » à laquelle nous tenons tous - bénéficie désormais d’un cadre législatif efficace. L’article premier bis fixe les critères d’accessibilité au réseau : « sauf circonstances exceptionnelles, ces règles ne peuvent autoriser que plus de dix pour cent de la population d’un département se trouve éloignée de plus de cinq kilomètres des plus proches points de contact de la Poste ». Le financement de cette mission est rendu pérenne via le fonds postal national de péréquation territoriale, abondé notamment par l’allégement de fiscalité locale dont bénéficie la Poste.
Je suis également heureux de saluer l’aboutissement des discussions entre la Poste et l’association des maires de France, un protocole d’accord sur les conventions des agences postales communales et intercommunales devant être conclu prochainement. Dans le nouveau cadre accepté par les deux parties, les indemnités accordées par la Poste s’élèveront au minimum à 9 600 euros par an, soit l’équivalent du salaire à mi-temps d’un employé de mairie, lorsque, par le passé, cette indemnité était calculée sur le chiffre d’affaires de l’agence. Il s’agit là d’un très grand progrès pour les communes qui décident de mettre en place, en partenariat avec la Poste, ce type de point de présence. Bien entendu, les agences postales existantes pourront bénéficier de ces conditions plus avantageuses.
Ensuite, l’établissement de crédit postal bénéficie d’un cadre législatif, que le Sénat - hommage à votre assemblée - a adopté sans modification, et qui permettra à la Poste de travailler à la constitution de sa filiale bancaire pour aboutir à sa création au 1er janvier 2006. C’est, pour la Poste, la garantie d’offrir ses services financiers dans le droit commun bancaire. Dès l’année prochaine, elle pourra ainsi proposer des prêts immobiliers sans épargne préalable. La loi l’autorisera également à proposer des crédits à la consommation, cette faculté lui étant ouverte ultérieurement.
Sur ce dossier, le Gouvernement entend avancer avec pragmatisme, sans idéologie… (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). L’établissement de crédit postal - qui pourra s’appuyer sur le réseau de la Poste - disposera, pour commercialiser ses produits financiers, du plus grand réseau de distribution. La Poste et l’ECP seront liés, en toute transparence, par une convention. La Cour des comptes établira un rapport sur le fonctionnement de cette filiale et les relations avec les autres entreprises du groupe.
La Poste bénéficiera également, dès le 1er janvier 2006, des exonérations de charges sur les bas salaires dites « exonérations Fillon ». Le Sénat a également voté conforme cette disposition. Par ailleurs, un amendement adopté par les sénateurs accorde à la Poste la faculté de recruter des agents contractuels sans restriction.
M. André Chassaigne - Voilà !
M. le Ministre délégué - Ces dispositions placeront la Poste et ses concurrents en situation d’équité concurrentielle quant au recrutement de leur personnel. J’entends que la Poste soit à égalité avec ses concurrents.
[…]
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M. le Ministre délégué - La Poste et les autres acteurs français du secteur postal savent qu’il leur faudra atteindre avant 2009 le niveau de performance de l’opérateur historique allemand s’ils veulent « jouer dans la cour des grands ». Ce texte leur permettra de conquérir de nouveaux marchés dans un contexte de plus en plus concurrentiel, tout en garantissant sur l’ensemble du territoire un service public de très grande qualité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)
M. André Chassaigne - On en reparlera !
[…]
M. le Rapporteur - Je mets en garde la Poste : les maires ont trop le souvenir d’avoir été placés devant le fait accompli pour des fermetures, des réductions d’horaires d’ouverture, des loyers au rabais, des levées anticipées de courrier. Un signe récent montre que la Poste a tourné la page et adopté d’autres relations avec les élus locaux.
M. André Chassaigne - C’est faux ! Allez donc sur le terrain !
[…]
M. Alfred Trassy-Paillogues - 90% des personnes interrogées préfèrent la nouvelle organisation.
Il faut évoluer en fonction de la démographie, des nouveaux moyens de communication, de la concurrence européenne, qui est forte. Si demain la Poste allemande ou la Poste néerlandaise prenait pied sur le territoire national, M. Brottes serait le premier à nous reprocher de n’avoir rien fait. Nous ne voterons donc pas sa motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) bancs du groupe UMP)
M. André Chassaigne - La démonstration de M. Brottes est irréfutable, et nous ne pouvons que le soutenir. Je ne reviens que sur deux aspects. D’abord, ce projet aura des conséquences discriminatoires pour les territoires ruraux. Nous dire que la présence postale restera assurée grâce aux points Poste, c’est tromper le monde. Dans un point Poste, le touriste de passage pourra-t-il retirer de l’argent sur son compte chèque postal ? Non, il faudra aller au bureau de rattachement. Dans un point Poste, pourra-t-on acheter des devises ? Non. (Rires sur les bancs du groupe UMP) Pourra-t-on émettre un mandat, payer une facture par TIP ? On ne pourra pas. Dans un point Poste, pourra-t-on acheter une recharge de téléphonie mobile ? On ne pourra pas ! (« Si ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP) Pourra-t-on y acheter des timbres de collection ? Non (Rires sur de nombreux bancs du groupe UMP).
M. le Président de la commission - Cela devient ridicule !
M. André Chassaigne- Dans un point Poste pourra-t-on faire un affranchissement international, faire peser un colis ? On ne pourra pas (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Pourra-t-on y envoyer des courriers spécifiques comme le chronopost, faire une réexpédition du courrier ? On ne le pourra pas (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP). Un artisan pourra-t-il y avoir une facture, pourra-t-on déposer procuration ? On ne le pourra pas. Dans ces conditions, dire que le service public sera maintenu est un mensonge. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Le peu de sérieux de vos réactions montre à quel point vous êtes attentifs à la qualité de la vie en milieu rural ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)
Ensuite, en transposant cette directive, vous illustrez parfaitement votre souci, que vous avez fort bien exposé, de faire que dans ce pays il n’y ait plus de service public.
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M. le Rapporteur - Procès d’intention !
M. André Chassaigne - Selon vous, la libéralisation du service postal permettra de meilleures prestations et des gains de productivité. Mais là où elle a eu lieu, c’est l’inverse. Finalement, en transposant cette directive européenne, vous organisez le désert ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)
[…]
QUESTION PRÉALABLE
M. le Président - J’ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.
M. André Chassaigne - Aujourd’hui, les Français ne supportent plus la situation du service postal. Qu’un facteur soit malade, qu’il ne soit pas remplacé ou le soit pas un vacataire non formé, et le courrier n’est pas distribué. Au guichet, faute d’avoir recruté des fonctionnaires, la qualité du service diminue, les files s’allongent. Comment ne pas s’énerver lorsqu’on met une heure pour envoyer une lettre recommandée ? Les agents, attachés à la qualité du service, subissent cette situation et, ces derniers mois, se sont mis plusieurs fois en grève. A la campagne, la situation est désastreuse. Les directions départementales de la Poste se transforment en commis voyageurs et organisent les déménagements dans des conditions expéditives.
Alors que le Premier ministre vient d’annoncer qu’aucun service public ne serait plus fermé sans l’aval des élus concernés, nous constatons que les concertations en question sont menées avec un mépris affiché pour les élus ruraux, taxés d’immobilisme, et reposent sur des propositions qui ne laissent quasiment aucune marge de manœuvre. Beaucoup d’élus cèdent au chantage qui les accompagne et les arrondissements ruraux voient disparaître tout leur maillage de bureaux de poste !
Dans le Puy-de-Dôme, nous découvrons petit à petit, au gré de pseudo-concertations, le projet de carte de présence. Sur les six territoires dont les résultats sont connus, il est question de passer de 85 bureaux de plein exercice à seulement 45. Les 40 autres vont être transformés en agences postales ou tout simplement en points poste, dont les charges de fonctionnement seront donc supportées soit par les communes, soit par les commerçants.
Ainsi, restructuration après restructuration, grignotage après grignotage, la Poste s’éloigne de plus en plus des zones à faible densité de population. Comme un point Poste n’assure évidemment pas les mêmes prestations qu’un bureau de poste de plein exercice, les usagers n’auront plus le même accès à l’ensemble des activités. L’accès des épargnants de la Poste à leurs livrets sera considérablement réduit. Je pense aussi aux personnes âgées, ou à mobilité réduite.
Beaucoup de mes concitoyens ont le sentiment que l’Etat les abandonne et fait le choix du désert, moins coûteux à entretenir, à court terme, qu’une ruralité vivante. Il y a bien cet article premier bis qui réaffirme l’attachement de la République à ses services publics. Il crée même un fonds postal national de péréquation territoriale ! Je crains cependant que ces déclarations symboliques n’aient guère d’effets concrets sur le terrain : comme si les violons que vous mobilisez pour chanter les louanges du service public ne pouvaient jouer que des requiems !
Quant à cette belle disposition interdisant que plus de 10% de la population d’un département se trouvent éloignées de plus de 5 km du plus proche accès au réseau de la Poste, notons d’abord qu’elle ne fait pas de distinction entre des bureaux de poste de plein exercice et les points de contact. Notons surtout qu’elle est trompeuse, comme en témoigne cette étude de l’Association des maires ruraux de France qui montre que 51% des communes du Rhône, 42% de celles de la Gironde et 45% de celles de Meurthe-et-Moselle pourraient se trouver à plus de 5 km d’un point de contact de la Poste. C’est scandaleux ! Vous êtes l’auteur de cet amendement, Monsieur Proriol…
M. le Rapporteur - Oui, et j’en suis fier. Et vous devriez le voter !
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M. André Chassaigne - Comme on dit en Auvergne, vous avez la queue du renard qui sort de la bouche et vous prétendez ne pas l’avoir croqué !
Quant au fameux fonds national de péréquation, ses missions comme ses ressources restent floues. Les 150 millions d’euros dont il doit être doté ne sont pas à la hauteur des besoins ressentis dans nos campagnes et dans nos banlieues. Surtout, ils ne constituent qu’un simple retour, vu les allégements fiscaux dont la Poste bénéficie.
Sachez bien, Monsieur le ministre, que vous ne disposez pas du soutien des maires ruraux : leur association a regretté, dans son dernier bulletin, que le Sénat se soit couché devant le Gouvernement lors des débats sur le projet de loi qui nous occupe aujourd’hui.
M. le Ministre délégué - Comme vous y allez ! Respectez les institutions !
M. André Chassaigne - Vous ne pourrez m’empêcher de penser qu’il n’était pas besoin d’un fonds pour assurer la péréquation. Il suffisait de garder à la Poste son caractère de service public ! En maintenant un monopole public sur le secteur concerné, on peut s’assurer de l’internalisation de cette mission d’aménagement dans la comptabilité de la Poste, et donc de son parfait accomplissement. Mais comme vous ouvrez le secteur postal à la concurrence, vous autorisez la Poste à externaliser cette mission de péréquation territoriale. Il faut bien, dans votre logique, socialiser les pertes si l’on veut privatiser les profits !
La gestion publique permet d’intégrer la contribution d’une activité au bien-être collectif. La gestion privée, que vous prétendez supérieure, ne mesure pas, elle, l’impact, positif ou négatif, de son activité sur la société. En tant que service public, la Poste portait des logiques d’aménagement du territoire et de cohésion sociale. Ses activités financières et postales étaient indissociables et cela fonctionnait : elle n’était pas déficitaire, sa couverture du territoire était de qualité, ses services satisfaisaient les besoins de tous les Français, notamment des plus modestes. En privatisant son mode de gestion, vous lui mettez des œillères : elle ne verra plus que son bilan comptable et sa rentabilité immédiate. Elle sera aveugle aux ravages que cette situation occasionnera sur nos territoires. Et elle se fragilisera, du fait de la césure que vous opérez entre ses différentes missions, pourtant complémentaires.
Ce projet prévoit que le tarif de base du timbre du secteur réservé ne peut excéder 1 euro, c’est-à-dire deux fois son prix d’aujourd’hui. Tout cela augure évidemment d’une flambée des tarifs après la fin du secteur réservé ! Et que deviendra le principe d’égalité tarifaire ? Quelles garanties pouvez-nous donner que les particuliers ne paieront pas plus cher leurs envois postaux que les entreprises, les ruraux que les urbains ?
Voyez ce que la privatisation a donné en Suède : dix ans après, le prix du timbre a doublé, 30 000 emplois parmi les 70 000 que comptait l’opérateur historique ont été supprimés et le nombre de bureaux de poste traditionnels a été divisé par cinq. La poste suédoise, qui générait des profits, est en déficit chronique depuis des années. La plupart de ses actifs ont été vendus, y compris son siège social.
Au nom de l’Europe et de la liberté d’entreprise, on brise tout ce que notre peuple a pu construire, au fil des années, avec succès. Voici encore, en effet, un plat qui nous vient de Bruxelles - même si le Gouvernement a pris l’initiative de le pimenter. Et la recette de ce plat est tirée, nul ne peut le contester, de traités que l’on cherche aujourd’hui à transmuter en constitution ! Une constitution où l’on trouve des dizaines d’articles sacralisant le droit de la concurrence et proclamant la nécessité d’achever le marché intérieur des biens et services contre un seul qui traite des services économiques d’intérêt général - au demeurant bien loin de ce que nous appelons, nous, services publics.
En première lecture, j’avais demandé pour quelles raisons la construction de l’Europe, et donc l’accomplissement de l’idéal internationaliste de fraternité entre les peuples, exigeaient en préalable que nos bureaux de Poste ferment dans nos campagnes. Je n’ai pas eu de réponse.
On veut nous vendre l’Europe et l’on nous explique qu’au nom de cette nécessaire amitié entre les peuples, un conclave s’est réuni à Bruxelles pour décider de l’ouverture à la concurrence du marché postal, laquelle entraîne le départ de la Poste des territoires non rentables. Permettez donc moi de reposer aux éminents représentants de cette Assemblée ou du Gouvernement cette question que tout le monde se pose chez moi : pourquoi la construction de l’Europe exige-t-elle, en préalable, la fermeture de nos bureaux de Poste ?
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M. Jean Dionis du Séjour - Quel raccourci !
M. André Chassaigne - Les bureaux de poste menaceraient-ils la paix entre nos nations ?
M. le Président de la commission - Vous croyez vraiment à ce que vous dites ?
M. André Chassaigne - Les receveurs de nos bureaux de campagne seraient-ils des démolisseurs bellicistes de la belle Europe dont nous rêvons ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Ce n’est pas l’impression que j’ai. D’ailleurs, de plus en plus d’Anglais, de Hollandais ou d’Allemands décident de venir dans nos vertes prairies. Or, ils sont généralement sensibles à la qualité du service public à la française.
Je pense pour ma part que le maintien d’un service public postal de qualité constitue moins une menace pour la paix entre les peuples que pour la valorisation du portefeuille boursier des pontes du CAC 40, et que le drapeau européen dont vous parez vos réformes vise avant tout à dissimuler le libéralisme effréné inscrit dans le marbre des traités européens.
Il est temps de ne plus limiter notre rôle à avaliser les orientations prises à Bruxelles. Cette camisole libérale nous enferme dans une impuissance politique que nous reprochent à juste titre nos électeurs. C’est bien parce que nous devons briser ce carcan que le non au référendum du 29 mai s’impose !
Les députés communistes vous avaient demandé en première lecture, Monsieur le ministre, de militer pour une renégociation des directives postales. Vous nous aviez dit que ce n’était pas possible. Pourtant, à vous entendre, l’affaire de la directive Bolkestein aurait montré entre temps qu’il était possible de renégocier un projet de directive.
M. Jean Dionis du Séjour - La directive Bolkestein n’est pas encore adoptée !
M. André Chassaigne - Et le pacte de stabilité ? Il a été approuvé et cela ne vous a pas empêché de le renégocier ! Pourquoi refusez-vous de faire de même avec les directives postales ?
M. Jean Dionis du Séjour - Pourquoi n’avoir pas mis en pratique ces recommandations quand vous faisiez partie de la majorité ? Un peu de rigueur, Monsieur le professeur !
M. André Chassaigne - Nous vous proposons de repousser l’examen de ce projet de loi pour vous donner le temps de le renégocier.
Votre obstination à imposer ce texte auquel nos concitoyens sont opposés révèle combien l’attitude du Gouvernement sur la directive Bolkestein est plus tactique que sincère. De surcroît, vous soutenez l’adoption d’un traité constitutionnel qui dément vos déclarations puisque ce texte, aux articles I-3, I-4, III-133 et III-150, consacre la libre circulation des services.
En outre, avec la création de la banque postale, vous avez tant pimenté ce projet de loi qu’il en est devenu indigeste. Malheureusement, nous n’aurons pas le loisir d’aborder ce sujet en deuxième lecture…
M. le Ministre délégué - Quel dommage !
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M. André Chassaigne - La création de cet établissement répond à un souci légitime : élargir la gamme des services financiers de la Poste. En réalité, vous jetez les fondations d’une future privatisation de la Poste en préparant la séparation de la Poste en deux entités distinctes. Quelle sera la place des services publics dans cette nouvelle banque postale ? La gestion des livrets A sera-t-elle assurée ? Le livret A est un outil incontournable de financement du logement social dont l’Etat se désintéresse aujourd’hui malgré une forte demande. Le risque est grand de voir le livret A, si peu attractif, disparaître progressivement au profit d’autres types de contrats plus rentables pour la banque postale.
Au demeurant, la création de cette nouvelle banque ne sera pas sans conséquences sur un système financier déréglementé, responsable de la faiblesse structurelle de l’investissement en France. L’apparition d’un nouvel acteur renforcera le mouvement de concentration, et partant l’investissement spéculatif.
Nous avons proposé des solutions alternatives. Parce que le financement du développement économique et social de nos régions et des investissements publics en matière de logements sociaux, d’énergie, de transports ou de recherche ne peut être assuré que par un acteur indépendant du système financier libéral dominant, il nous semble nécessaire de soustraire les services financiers de la Poste au droit commun bancaire et d’en faire l’un des piliers du pôle financier public en lien avec la Caisse des dépôts et les Caisses d’épargne.
De même, le mode de régulation du nouveau marché postal retenu, avec la création de l’Autorité de régulation des communications électroniques et de la poste, est inacceptable. Cette nouvelle Autorité a pour mission de favoriser l’apparition de la concurrence, et non de protéger le service universel postal. Ses pouvoirs exorbitants et son lien organique avec le Conseil de la concurrence plutôt qu’avec le Conseil d’Etat annoncent la privatisation du secteur postal. Vous avez même ouvert à la concurrence les envois de recommandés dans le cadre des procédures administratives et juridictionnelles !
Ce projet de loi, empreint d’un dogmatisme idéologique, remet en cause une des plus belles conquêtes de notre république : les services publics. Au début du XXe siècle, Léon Duguit, publiciste et chef de file de l’école de Bordeaux, rappelait que le droit public a pour mission d’imposer le principe de solidarité, à tout le corps social, notamment par la constitution de services publics. Le mouvement ouvrier, lors du Front populaire mais surtout à la Libération, a permis la mise en œuvre politique de ces idées. Aujourd’hui, c’est cet héritage politique que vous foulez aux pieds ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Nous nous révoltons de voir ces services publics, qui ont permis à la République de tenir ses promesses d’égalité et de fraternité, démantelés avec acharnement les uns après les autres.
La disparition hautement symbolique de la mention « RF » pour « République française » sur les timbres, au prétexte que l’on pouvait lire « République finlandaise », votée au Sénat en deuxième lecture, illustre parfaitement votre volonté, Monsieur le ministre délégué, d’enterrer les valeurs qui fondent notre pacte social.
Pour toutes ces raisons, je vous invite à voter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)
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M. le Rapporteur - Monsieur Chassaigne, la directive que ce projet de loi tente de transposer date de 1997 ! Pourquoi ne pas avoir mis en œuvre vos recommandations quand vous faisiez partie de la majorité du gouvernement précédent ?
Vos interventions, tels les feux des volcans auvergnats, ne cessent de lancer des torchères. Comme à l’habitude, vous avez dépeint le système sous un jour apocalyptique, fort éloigné de la réalité du fonctionnement de la Poste dans nos départements. Les postiers du Puy-de-Dôme apprécieront votre description.
La Poste n’est certainement pas un enfant de chœur en matière de fermeture de bureaux et de distribution. Pour autant, depuis plus de vingt ans, elle prend des mesures pour assurer sa représentation territoriale et, depuis 1954, le nombre de 17 000 points de contacts est resté fixe.
Vous avez énoncé un certain nombre de contrevérités. Tout d’abord, l’Etat n’abandonne pas la Poste ! Vous le savez parfaitement puisque vous avez reçu dans les derniers mois MM. Gaymard et Forissier dans votre propre commune de Saint-Amant-Roche-Savine. Ne vitupérez pas dans l’hémicycle ceux que vous avez si habilement caressés hier !
M. le Ministre délégué - Peut-être, devrais-je envisager également le déplacement à Saint-Amand-Roche-Savine !
M. le Rapporteur - Ensuite, « les violons du libéralisme ». Je ne joue pas de cet instrument et ne suis pas un parfait libéral dans ce domaine. 10% de la population à 5 kilomètres, ce n’est pas une tromperie ! Monsieur Brottes, vous n’avez rien fait pour enrayer les fermetures des bureaux de poste lorsque vous étiez au pouvoir. Nous n’allons pas assurer la distribution du courrier des ermites ! Avec cette mesure, la Poste créera quelques points de contacts.
Puis, Monsieur Chassaigne, vous déclarez que nous privatisons la Poste. Or, elle continue d’être détenue à 100% par l’Etat. Monsieur Gouriou, en tant qu’ancien postier, vous le savez bien !
M. Alain Gouriou - Pas du tout !
M. le Rapporteur - L’établissement bancaire est créé avec 100% de capital de la Poste, groupe public détenu par l’Etat…
M. François Brottes - Ce n’est pas inscrit dans la loi !
M. le Rapporteur - 100% du capital au départ…
M. François Brottes - Et à l’arrivée ?
M. le Rapporteur - Nous permettons, comme nos pays voisins, de créer des partenariats à condition que la Poste détienne au minimum 50% des parts.
M. André Chassaigne - C’est exactement ce que j’appelle privatiser !
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M. le Rapporteur - Enfin, vous avez affirmé que la direction départementale du Puy-de-Dôme est responsable de la fermeture des bureaux de poste pour, quinze minutes plus tard, soutenir qu’elle est le fait du « conclave de Bruxelles ». Nous ne sommes pas à Rome ! Et Bruxelles ne décide pas de la fermeture des bureaux de poste !
M. André Chassaigne - Vous avez affirmé que les fermetures des bureaux de poste répondaient aux exigences des directives. C’est vous qui vous contredisez !
M. le Rapporteur - Quant au service universel, loin de le réduire, nous le confortons en créant le fonds de compensation.
Enfin, j’invite M. Chassaigne à modérer quelque peu son expression : non, nous ne « foulons pas aux pieds les héritages du peuple », personne n’a la tête sur le billot et le Sénat ne s’est pas couché devant le Gouvernement ! Ce n’est pas avec de tels slogans que vous convaincrez quiconque. Au reste, pourquoi ne pas avoir prorogé le moratoire de 1993 si les évolutions récentes sont aussi alarmantes que vous le prétendez ? En définitive, M. Chassaigne reste un extrémiste amateur de formules faciles. Nous attendons son prochain numéro ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)
M. Michel Vergnier - Ce débat me laisse un goût d’inachevé…
M. le Ministre délégué - Allons, il ne fait que commencer !
M. Michel Vergnier - A l’origine, les conseils municipaux étaient réellement désireux d’aboutir à des solutions négociées permettant de maintenir la présence postale. Las, le manque de moyens que vous y consacrez est de nature à décourager les meilleures volontés. En outre, je n’ai pas pour les points Poste une affection particulière : qu’adviendra-t-il si le commerce où est installé le point de contact cesse son activité ? La confidentialité des opérations postales de toute nature sera-t-elle partout garantie ? Cependant, si certains conseils municipaux préfèrent cette solution à la disparition totale de leur bureau de poste, je ne m’en offusquerai pas. Je considère cependant que l’on a pris le problème à l’envers. Il eût été préférable de conforter les bureaux existants et d’envisager la question du maillage territorial sur cette base. Vous avez préféré travailler au coup par coup. Il y a fort à craindre que nos territoires en subissent les conséquences avant longtemps.
Je l’ai dit, ce texte ne donne pas à la Poste les moyens de ses ambitions. À l’évidence le fonds de péréquation ne sera pas suffisant et votre refus de maintenir le tarif unique du timbre sur l’ensemble du territoire n’est pas de nature à nous rassurer. Malheur à ceux qui seront considérés comme « moins rentables » !
Je veux pour conclure insister sur le rôle social du facteur. A cet égard, notre collègue n’a pas forcé les traits. Nous sommes prêts à négocier mais nous refusons par principe l’extinction du lien social que crée la présence postale. S’engager dans cette voie, c’est creuser les inégalités territoriales dans le pays. Le groupe socialiste votera la question préalable, car s’il réalise certaines avancées mineures, ce texte nous fait régresser dans nombre de domaines essentiels. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)
M. Jacques Bobe - Dans son intervention, M. Chassaigne a développé tous les arguments qui plaident pour l’immobilisme du secteur postal, alors que c’est sous le gouvernement précédent, que son groupe soutenait, que les directives dont nous assurons la transposition ont été adoptées sans opposition formelle de la France. Parce qu’il instaure le cadre nécessaire au développement du marché postal, et qu’il définit les principes de la régulation comme les modalités de la présence postale, le présent texte permettra à la Poste de s’adapter au contexte concurrentiel actuel et de grandir, en France comme à l’étranger. Je ne doute pas une seconde que la poste française dispose d’atouts analogues à son homologue allemande et qu’elle puisse connaître la même réussite. Le groupe UMP ne peut souscrire à l’argumentation passéiste et truffée de contrevérités de M. Chassaigne. Bien entendu, il ne votera pas la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) .
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M. Frédéric Dutoit - Monsieur le rapporteur, je me dois de défendre mon ami André Chassaigne, qu’il n’est pas acceptable de présenter comme un extrémiste. Ne confondez pas sa fougue avec je ne sais quel intégrisme. Aussi bien que vous, nous combattons toutes les formes d’extrémisme. (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Et si notre collègue a accueilli deux ministres dans sa belle commune de 500 âmes, c’est simplement parce qu’il a à cœur de faire son devoir d’élu efficace, au service de la population. Au reste, nous accueillons tous des ministres dans nos circonscriptions et il est bon que ceux-ci aillent sur le terrain !
Le groupe communiste votera la question préalable à l’unanimité (Sourires sur les bancs du groupe UMP) parce qu’il a du service postal une conception radicalement différente de celle du Gouvernement…
M. le Ministre délégué - Ça, c’est sûr !
M. Frédéric Dutoit - Toutes vos interventions débutent par les mots : « dans le cadre de la concurrence, … », comme s’il n’y avait pas d’autre choix possible…
M. le Ministre délégué - C’est le choix du monde libre !
M. Frédéric Dutoit - La liberté est loin d’être incompatible avec la solidarité ! Nous faisons pour notre part le choix de la fraternité en exigeant que chaque citoyen dispose d’un égal accès au service postal. Elu des quartiers nord de Marseille, je suis bien placé pour témoigner du rôle social du postier dans les cités populaires. Gare aux atteintes à la cohésion sociale lorsqu’il aura disparu !
M. le Ministre délégué - Ce n’est pas du tout ce que nous projetons de faire.
M. Frédéric Dutoit - Aujourd’hui, alors que le projet de traité constitutionnel européen n’est toujours pas passé - et je gage du reste qu’il y a peu de chances qu’il soit un jour entériné -, nous avons encore la possibilité de ne pas accepter les évolutions que certains présentent comme inéluctables. Ne la laissons pas passer ! Si par malheur le oui l’emportait le mois prochain, nous n’aurions plus aucune latitude pour agir. (« Faux ! » sur les bancs du groupe UMP)
M. Jean Dionis du Séjour - M. Chassaigne, qui avait pour mandat de parler en faveur du « non » au référendum, a posé une question centrale : pourquoi l’Europe nous impose-t-elle la fermeture de nos bureaux de poste ? Pourquoi nous impose-t-elle une concurrence non faussée ? A cette question globale, je ferai une réponse globale : parce qu’il y a eu à l’Est un système économique qui a été un brillante réussite (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).
Mais M. Chassaigne ne connaît pas bien le projet de constitution européenne, en particulier l’article II-97 sur les services d’intérêt économique général, qui évoque la cohésion territoriale et sociale. Il semble ne pas connaître non plus le mécanisme européen de la codécision : si la directive postale a été acceptée, c’est tout simplement qu’elle a reçu l’approbation tant du Parlement que des ministres. Quels ministres ? Les vôtres ! En revanche, la directive Bolkestein a été torpillée dès le Conseil européen. A mon avis, M. Chassaigne doit travailler son droit européen, et il serait prudent qu’il s’abstienne de toute réunion publique sur ce sujet… (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Plus sérieusement, je veux lui rappeler que, contrairement à ce qu’il prétend, la situation actuelle de la Poste est loin d’être idyllique. Je le renvoie au rapport de la Cour des Comptes. La concurrence est pour elle une chance de développement, même si elle est aussi un risque ; il est de notre responsabilité de lui donner cette chance, et c’est pourquoi le groupe UDF ne votera pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)
La question préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.
[…]
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, ce soir, à 21 heures 45.
La séance est levée à 20 heures 15.