17-05-2004

Question préalable

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues,

La décentralisation de Monsieur Raffarin, on ne le répètera jamais assez, est un véritable coup de force. Car c’est sans débat véritable, ni consultation des Français, que votre majorité a décidé d’engager notre pays sur cette voie bien dangereuse de la décentralisation.

Ce projet, je le rappelle, marque la volonté d’institutionnaliser des rapports de concurrence entre les collectivités territoriales. Il vise, au sein de l’Europe libérale, à affaiblir l’Etat et les systèmes de protection sociale qui lui sont attachés. Dans ce schéma, les collectivités territoriales, et notamment les régions, sans pouvoir politique digne de ce nom, sont simplement vouées à donner l’illusion qu’existent encore, malgré l’emprise croissante des institutions européennes, des marges de manœuvre politique.

Il est des mots qui parlent à nos concitoyens. L’égalité est de ceux-là. Ce principe, même dans son acception la plus réductrice, ne résistera pourtant pas à la réorganisation de notre architecture administrative et institutionnelle qui nous est imposée, avec ses lois successives, qui, sous des dénominations aussi diverses qu’originales, concernent cette trop fameuse décentralisation. Au risque de vous déplaire, ce sont bien des actions de démolition de notre République !


La République a su s’affermir, parce que les communes de notre pays, depuis la grande loi de 1884, ont donné forme et contenu à la notion de liberté. Notamment par cette définition de la libre administration : « le conseil municipal règle, par ses délibérations, les affaires de la commune ». Et ce qui valait pour la commune vaut, aujourd’hui, pour le département et la région. Mais ne vaudra plus demain. Car comment espérer qu’un Conseil régional puisse essayer de régler, par ses délibérations, les affaires de la région, si tout son budget doit passer à gérer les blocs de compétences qui lui auront été abusivement transférés ! Ce n’est pas, en effet, par leurs compétences obligatoires que les collectivités affirment leur libre administration. Mais bien plutôt par les initiatives qu’elles sont amenées à prendre de façon tout à fait facultative, par les interventions qu’elles prennent dans des domaines toujours plus diversifiés, notamment, pour ce qui concerne les conseils généraux et régionaux, les politiques de soutien des actions de développement local, conduites par les EPCI et les communes. Les propos du président de la commission des finances, mettant en cause les promesses des nouvelles majorités régionales, sont révélateurs de la volonté gouvernementale de porter atteinte à la libre administration.
En fait, ce sont bien ces piliers de notre République que, petit à petit, cette décentralisation va saper. Oui, il s’agit bien d’une entreprise de démolition. Et aujourd’hui, avec ce débat sur l’autonomie financière, la représentation nationale a la possibilité de ralentir ce processus destructeur. A votre majorité de faire la démonstration qu’elle ne veut pas démolir les principes fondamentaux de notre République.

Mais cela supposerait d’abord de réformer en profondeur les finances locales.


En effet, les inégalités de richesse fiscale entre les collectivités verront leurs conséquences démultipliées, du fait de ces transferts de compétence, et de la faiblesse structurelle des mécanismes de péréquation financière. Certaines collectivités, les plus pauvres, n’auront tout simplement plus les moyens d’assumer leurs responsabilités et de s’administrer librement. Les écarts de pression fiscale, de collectivité à collectivité, se renforceront encore davantage…
Aussi, est-il prioritaire de remettre à plat notre système de finances locales. Et donc d’interroger dans son ensemble ses dysfonctionnements, ses caractères injustes, son archaïsme… C’est bien pourquoi, depuis le vote de la loi constitutionnelle, nous avons rappelé combien la question financière est primordiale. On nous disait alors qu’une loi organique nous permettrait d’aborder cette question. Et l’on nous présente un texte qui se borne à l’interprétation d’un alinéa mineur de la constitution et qui élude donc l’essentiel du sujet. Car la question dans laquelle on souhaite nous enfermer, celle de savoir si les ressources propres des collectivités territoriales constituent une « part déterminante » de leurs recettes, est certes importante, mais pas centrale.
Nous avons bien entendu, lors de l’explication de vote sur le projet de loi relatif aux responsabilités locales, Monsieur Pascal Clément justifier, en droit, cette absence de débat de fonds sur les finances locales. Une telle réforme ne pourrait s’effectuer que dans le cadre d’une loi de finances. Fort bien. Mais alors, qu’attendez-vous, pour surseoir au transfert de compétences en attendant qu’une loi de finances règle le problème ? Ou, si vous êtes pressé, pourquoi ne déposez-vous pas tout simplement de projet de loi de finances rectificative ?


Enfin, comment pouvez-vous faire débattre le Parlement sur l’autonomie financière des collectivités territoriales tout en maintenant la représentation nationale dans l’inconnu au sujet de l’avenir du principal impôt local du pays, la taxe professionnelle, dont monsieur Chirac a annoncé la disparition prochaine, et qui représente 44% de la fiscalité directe des collectivités territoriales ?
Aussi, on voit bien que vos justifications techniques ne tiennent pas. Et qu’elles constituent des barrières bien fragiles pour dissimuler une réalité : vous n’avez pas la moindre envie de réformer les finances locales.

Leur situation pose, pourtant, un certain nombre de questions, qu’il est urgent d’aborder.

En premier lieu, la fiscalité locale. Elle sera, inévitablement, la variable d’ajustement financière de la décentralisation. Aussi, pourquoi occulter cette question fondamentale et ne pas s’interroger sur les conséquences économiques et sociales d’augmentations futures de ces impôts ?
D’autant plus que les impôts locaux, chacun en convient, sont particulièrement archaïques. On ne les appelle pas les « quatre vieilles »pour rien !
D’abord, les bases des taxes d’habitation et des taxes foncières n’ont pas été révisées depuis le début des années 70. Malgré le vote de la loi de 1990, la révision des valeurs locatives n’a jamais, par manque manifeste de courage politique, été appliquée. Les élus locaux se souviennent pourtant de ces multiples réunions de commissions des impôts pour étudier et réévaluer les bases de ces impôts en fonction de critères actualisés. Que de temps, d’énergie et d’argent perdu pour abandonner ensuite ce projet !
En effet, c’est sous la responsabilité de Monsieur Sarkozy, ministre du budget, que cette réforme n’a, finalement, pas été appliquée en 1993. Il fallait à l’époque, comme aujourd’hui, éviter tout transfert de charges à l’encontre des entreprises ; et la réévaluation de ces bases risquait justement d’alourdir la taxe foncière de ces entreprises.
Il s’ensuit que ces bases sont complètement déconnectées de la valeur locative réelle des logements, créant des distorsions et des injustices, notamment à l’encontre des habitants de logements sociaux. Mais cela n’est pas votre problème.
En outre, comment peut on accepter que ces bases soient déconnectées de toute appréciation du revenu des contribuables, et donc que cet impôt, de fait, soit dégressif ? Que ce soit les plus riches qui paient le moins, au regard de leurs revenus et de leurs patrimoines non immobiliers ! Aussi, devient-il urgent de réformer en profondeur ces impôts locaux, notamment en prenant en compte le revenu des contribuables.
Enfin, comment accepter, que, du fait des inégalités de richesse fiscale entre les communes, les impôts prélevés, d’une commune à l’autre, peuvent passer du simple au triple, voir encore pire ? Ce sont ces injustices criantes qui rendent si impopulaires ces impôts. Et qui vont encore s’aiguiser avec votre décentralisation.
La taxe professionnelle, nous le savons, a de multiples défauts. Elle est en grande partie à l’origine des inégalités de richesse fiscale entre les collectivités territoriales et du déficit de mutualisation de l’impôt entre ces collectivités. Ses bases ont en effet la particularité d’être particulièrement mal réparties sur le territoire, même si la multiplication de groupements de communes à taxe professionnelle unique a permis de réduire ces distorsions par un lissage progressif des taux sur le territoire de ces groupements. Il n’en reste pas moins que 90% des bases de taxe professionnelle sont concentrées sur à peine 10% du territoire.
Mais elle est cependant le seul impôt en mesure d’ancrer une entreprise à son environnement et donc de mettre en jeu, en partie, sa responsabilité sociale et locale. Aussi, elle constitue un élément décisif d’affirmation du lien citoyen de l’entreprise avec son environnement local immédiat C’est à ce titre que la taxe professionnelle reste incontournable.
Son assiette, aujourd’hui, n’intègre plus que les actifs réels des entreprises, que ce soit les immeubles et terrains, ou encore les outillages : cette assiette défavorise de ce fait l’industrie au détriment du secteur des services. Mais surtout, en exonérant les actifs financiers, elle constitue un regrettable levier encourageant la spéculation financière, au détriment des investissements réels. Cette assiette constitue ainsi une véritable atteinte à l’égalité de ces entreprises devant l’impôt : prenons l’exemple d’une entreprise pharmaceutique. Si celle-ci décide d’investir dans la recherche, et donc de faire le choix de l’avenir, en ouvrant de nouveaux laboratoires de recherche, ces investissements seront assujettis à la taxe professionnelle. Ce qui est normal. Ce qui l’est moins, c’est que si cette entreprise, dans une fuite en avant financière, préfère racheter ses concurrents un à un, en multipliant des offres publiques d’achat, puis fermer différents sites pour, comme l’on dit pudiquement, éviter les doublons, en abandonnant de ce fait une politique ambitieuse en matière de recherche, ses nouveaux actifs financiers ne seront pas assujettis en tant que tels à la taxe professionnelle. Cette distorsion est, aujourd’hui, absolument injustifiable. Car elle constitue une incitation claire à ne pas investir pour les entreprises, et donc un vecteur de la financiarisation de l’économie.

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Notre économie a changé. Mais notre fiscalité, elle, ne s’est pas adaptée à ses mutations. C’est pour cette raison qu’elle pénalise aujourd’hui, de façon excessive, notre industrie. Ce diagnostic, quoi que vous pourriez dire, n’est pas le seul fait de communistes utopistes. Il est partagé par beaucoup. Permettez-moi de citer un ancien ministre de votre gouvernement, Monsieur Delevoye, qui déclarait en 1995 : « quand l’économie était agricole, la richesse et la fiscalité étaient basées sur le foncier. Quand l’économie est devenue industrielle, la richesse était fondée sur le travail et le capital, et la fiscalité aussi. L’économie est devenue principalement aujourd’hui une économie de services et financière. Or cette sphère est notoirement sous fiscalisée ». Pourquoi alors n’acceptez-vous pas d’étendre l’assiette de la taxe professionnelle aux activités économiques financières ?
En 2001, les actifs financiers des entreprises non financières s’élevaient à 2620 milliards d’euros. Ceux des banques et institutions financières à 2050 milliards d’euros. Imaginons que nous instituions un prélèvement, même infime, sur ces actifs. Disons de 0,3%. Cet impôt rapporterait alors 14 milliards d’euros ! Et comme ces actifs ne sont pas attachés à un site, au même titre que les immobilisations des entreprises, cet impôt pourrait alimenter la dotation nationale de péréquation. Et donc profiter aux collectivités territoriales qui en ont aujourd’hui le plus besoin.
On voit bien à quel point la fiscalité locale est … parfaite. Quelle perfection ! Les contribuables en sont d’autant plus redevables qu’ils sont pauvres. Les entreprises paient d’autant plus cet impôt qu’elles investissent et refusent les chantages de leurs actionnaires. A ceci, l’on peut rajouter l’arbitraire total des taux d’imposition selon les communes, les départements et les régions, conséquence inévitable de la concentration des bases de ces impôts sur le territoire de certaines collectivités.
Et tout ce que vous avez trouvé pour réformer cette fiscalité locale, c’est, dans un premier temps, de ne rien faire, puis d’ergoter sur un adjectif - quelle sera la part de ressources propres ? Déterminante ? Prépondérante ? - et, au final, de transférer aux collectivités territoriales le produit de l’impôt d’Etat le plus dégressif, le plus injuste donc, la taxe intérieure sur les produits pétroliers.
Je ne suis pas certain que l’on réussisse à renforcer la légitimité des collectivités territoriales et à améliorer l’appréciation qu’en ont les citoyens en concentrant, comme vous le faites, entre les mains des collectivités territoriales tout ce que notre système fiscal a produit d’injuste, d’arbitraire et d’entravant pour le développement économique. que ce soit les « quatre vieille » ou la TIPP transférée.
Mais cette question de la fiscalité locale n’est pas la seule que vous ayez omis d’étudier. Toute la structure interne du régime des dotations de l’Etat aux collectivités territoriales doit aujourd’hui être repensée.
En effet, les relations entre l’Etat et les collectivités territoriales, et en particulier le système de dotations, a été construit trop indépendamment du système fiscal local. Il n’est donc pas en mesure d’en corriger les dysfonctionnements.


Comment accepter, au vu des inégalités de richesse fiscale entre les collectivités territoriales, que près de 90% du montant de la dotation globale de fonctionnement des communes soit attribué au titre de leur dotation forfaitaire ? Comment justifier que les dotations de compensation ne représentent qu’une part infime du budget de ces communes, et donc que ces inégalités de richesse fiscale soient compensées par une surfiscalisation des ménages dans les collectivités territoriales les plus pauvres ?
Je ne prendrais qu’un exemple, celui de ma petite commune du Puy-de-Dôme, Saint-Amant-Roche-Savine, 530 habitants. Le budget de fonctionnement s’élève à 583 000 euros. Cette commune, comme beaucoup de communes rurales, n’est pas bien riche. Son potentiel fiscal par habitant ne représente que 60% du potentiel fiscal par habitant de la strate de la commune. Et son potentiel fiscal taxe professionnelle par habitant 24% seulement de celui de la strate de la commune. Aussi, il me paraîtrait normal que cette commune bénéficie de dispositifs de péréquation financière. Pourtant, pour cette même année 2004, la fraction péréquation de la dotation solidarité rurale reçue au titre de la solidarité nationale et le montant de la dotation nationale de péréquation ne représentent environ qu’un cinquième de la dotation globale de fonctionnement.
Cet exemple montre bien que si la péréquation, aujourd’hui, est sur toutes les lèvres, elle est tout, sauf une réalité.

Aussi, chaque année, on nous promet une forte hausse du montant de ces dotations de solidarité. Je n’oublierai pas, par exemple, que, lors du débat sur le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, Monsieur Devedjian nous avait promis, par exemple, une hausse de 43,99% des dotations de péréquation pour la nouvelle DGF régionale. Celle-ci n’augmentera finalement que de 24,83%, c’est-à-dire, vu que les dotations de péréquation pour les régions sont très réduites, une augmentation infime. Sans doute me direz-vous que c’est le comité de finances locales qui a fait ce choix. Les élus représentés dans ce comité se sont malheureusement accordés pour maintenir une croissance des dotations forfaitaires supérieure à la progression minimum autorisée (0,965% contre 0,87%), et donc pour pérenniser le caractère inégalitaire de notre système de finances locales. Je tiens cependant à saluer notre collègue Augustin Bonrepaux, qui, au sein de ce comité, a défendu une position inverse.

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Ainsi, loin de s’attacher à réduire les inégalités de richesse fiscale entre les collectivités territoriales ou de compenser les charges de dépenses supplémentaires que doivent supporter certaines collectivités, les dotations de l’Etat permettent surtout, aujourd’hui, de reproduire et donc de renforcer ces inégalités.
Cette question n’est pas seulement une question budgétaire. Elle est éminemment politique, au sens où, de fait, la libre administration de nombre de collectivités, je pense plus particulièrement aux communes, est entravée par ces contraintes financières. L’égalité de chances entre les collectivités territoriales n’est donc pas assurée.
Par cet exposé, je tenais à montrer toutes les contradictions et incohérences de notre système de finances locales, que votre décentralisation ne pourra qu’exaspérer, mais aussi de souligner les faux semblants du débat en cours. Je tenais à poser les problèmes que le volet financier de cette décentralisation devrait impérativement aborder.
Vous avez, à l’inverse, préféré adopter une vision réductrice du sujet et circonscrire le débat autour des seules relations financières entre l’Etat et les collectivités territoriales. D’abord en posant le principe en vertu duquel la libre administration des collectivités territoriales est, avant tout, fonction de la part des ressources propres dans l’ensemble de leurs ressources. Ensuite en affirmant, comme un acte de foi, que tout transfert de compétences s’accompagne mécaniquement de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Ce qui signifie que vous avez fait de ces questions techniques le problème prioritaire des finances locales, sans même les régler… Et occultant les questions primordiales, comme celle concernant la péréquation, et oubliant, évidemment, les citoyens et leurs aspirations.
En effet, il paraît évident que le problème de la part « déterminante » de ressources propres, notion que l’on veut nous faire définir aujourd’hui, n’est pas primordial. J’allais dire ni déterminante ni prépondérante. Comment imaginer que ce soit la seule importance de l’impôt local, par rapport à celui des dotations versées par les Etats, qui définisse le degré effectif de libre administration ! Ainsi, en Espagne, 59% des recettes des collectivités territoriales sont des transferts de l’Etat. En Allemagne, 55%. Et comment pourrait-on prétendre que les collectivités territoriales de ces deux pays, fédéraux ou en passe de le devenir, ne disposent pas d’une libre administration effective ?


L’autonomie financière des collectivités territoriales passe, certes, par la possibilité donnée aux élus locaux de voter librement les taux des impôts. Voter l’impôt est une prérogative fondamentale de tout pouvoir politique responsable. Mais ce n’est en aucun cas une condition exclusive.
Car avant tout, la libre administration suppose que les collectivités territoriales possèdent la maîtrise de leur action et décident librement des politiques locales à développer. Aussi, la multiplication de transferts autoritaires de compétences, comme vous l’avez décidé avec la décentralisation, n’est pas faite pour améliorer l’autonomie financière des collectivités territoriales. C’est bien pourquoi je trouve absolument scandaleux que l’on nous fasse disserter aujourd’hui sur cette soi-disante autonomie financière, alors que, parallèlement, en multipliant les compétences obligatoires conférées aux collectivités, vous affaiblissez considérablement cette autonomie.

Poser la question de l’autonomie financière des collectivités territoriales revient aussi à s’interroger sur les garanties de progression des dotations versées par l’Etat aux collectivités territoriales. Pourquoi alors cette loi organique n’évoque pas la question ? Peut-être parce que les élus locaux ont de biens mauvais souvenirs du pacte de stabilité financière, imposé par votre majorité à l’époque d’Alain Juppé… Quelles garanties pouvez-vous donner aux élus locaux sur un prolongement à moyen terme du « contrat de croissance et de solidarité » des dotations sous enveloppes attribuées par l’Etat aux collectivités territoriales ? Ce contrat de croissance et de solidarité avait été fixé pour les années 1999, 2000 et 2001. Il est prolongé depuis 2002, assurant depuis une croissance des dotations sous enveloppes des collectivités territoriales équivalentes à l’évolution des prix et un tiers de la croissance du PIB. Aujourd’hui, les élus restent dans l’incertitude, attendant chaque année l’engagement de l’Etat en la matière. Ils sont aujourd’hui d’autant plus inquiets que leurs nouvelles charges, transférées abusivement par l’Etat, vont progresser à un rythme bien supérieur à celui de la croissance des dotations.
C’est-à-dire que votre loi organique porte déjà une vision réductrice des finances locales, uniquement axée sur les relations entre l’Etat et les collectivités territoriales, mais, qu’en outre, elle ne les analyse que de façon très partielle.
Ainsi, vous prétendez renforcer l’autonomie financière des collectivités territoriales en finançant les transferts de compétence que vous imposez par le transfert d’impôts nationaux, plutôt que par l’octroi de nouvelles dotations passives. Et voilà que les départements et les régions vont bientôt se retrouver avec la taxe intérieure sur les produits pétroliers.
Pourquoi cet impôt ? Il serait malhonnête, me diriez-vous, de penser que vous avez fait le choix de débarrasser l’Etat d’un impôt dont les bases sont particulièrement peu dynamiques, obligeant les gouvernements successifs à en augmenter régulièrement les taux pour en relever le produit. La TIPP est un véritable boulet. C’est bien là la raison principale expliquant son transfert aux collectivités territoriales. Une étude de DEXIA montre par exemple que le rythme annuel moyen de progression de la consommation des différentes composantes de la TIPP, depuis 1993, n’était que de 1% par an. C’est-à-dire un rythme nettement inférieur à celui des postes de dépense que vous transférez, que ce soit l’évolution des dépenses pour le RMI ou celle des dépenses de personnel.
Et une recette donc sur laquelle les collectivités territoriales n’auront aucune maîtrise. Curieuse conception de la ressource propre et de la libre administration !
Surtout que les modalités du transfert du RMI auront été pour le moins problématiques. Je peux vous donner un exemple, qui n’est sûrement pas isolé… Dans l’Hérault, 30 fonctionnaires d’Etat travaillaient à l’instruction des dossiers du RMI. Quinze seulement ont été transférés et compensés par l’Etat… Ce qui conduira à alourdir fortement les charges de fonctionnement de ce Conseil général… dans l’obligation de pourvoir aux quinze postes manquants.
Nous pourrions aussi parler du transfert des TOS. Postes à créer, remplacement des CES et CEC, besoins nouveaux à couvrir, et au final, la privatisation.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le Conseil constitutionnel, pourtant si bien disposé à votre égard, a considéré que l’Etat devrait compenser les baisses éventuelles du produit des impôts nationaux qu’il transfère aux collectivités territoriales, considérant par-là même qu’un impôt transféré, comme la TIPP, n’était pas une ressource propre des collectivités territoriales.
Ce transfert d’impôt, au vu de votre projet de loi organique, constituerait donc un pas en avant pour l’autonomie financière des collectivités territoriales ? Dans cinq ans, il sera évident pour tous les décideurs locaux que ce transfert n’aura rien été d’autre qu’un recul de leur libre administration, puisque le produit de la TIPP sera alors nettement insuffisant pour compenser les nouveaux postes de dépense des collectivités territoriales. Seule une hausse brutale des impôts locaux permettra alors d’équilibrer les budgets de ces collectivités territoriales.
En outre, chacun sait ici que le produit de la TIPP est très mal réparti sur le territoire. Et donc que le transfert de cet impôt aux collectivités territoriales aiguisera encore davantage les inégalités territoriales.

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Votre analyse des finances locales paraît donc pour le moins biaisée. A tel point que j’ai la désagréable impression que les principes que vous souhaitez nous faire voter aujourd’hui n’ont surtout pas vocation à être appliqués. Et que l’affirmation d’une croissance des ressources propres au sein des ressources des collectivités territoriales vise surtout à dissimuler une forte atteinte à leur autonomie financière.
En conclusion, je crois que ce texte a « un mérite » : il donne l’illusion de parler finances locales sans chercher à traiter de problèmes politiques. Il en a la couleur sans en avoir la saveur, l’appellation sans en avoir la teneur. Vous mettez en œuvre, dans ce domaine, la politique Canada Dry. Plutôt que de répondre au problème global des finances locales, il appuie sur une question, les relations Etat/collectivités territoriales, pour éviter d’en aborder d’autres et de prendre en compte les préoccupations de nos citoyens. Plus grave encore, il fait des problèmes de la fiscalité locale, de la péréquation financière ou de la libre administration des questions secondaires par rapport à celui des relations entre l’Etat et les collectivités territoriales.
Ainsi, de la façon dont ce texte est écrit, il bloque toute croissance potentielle future des dépenses de l’Etat versées au titre de la péréquation. En prenant en compte les dotations de péréquation de l’Etat dans le calcul du ratio ressources propres/ ressources totales, comme votre projet de loi nous y invite, toute croissance de ces dépenses versées au titre de la péréquation fera baisser la part déterminante des ressources propres des collectivités territoriales et donc, selon votre théorie, son autonomie financière. C’est absurde et dangereux.
De ce fait, votre conception de l’autonomie financière est particulièrement injuste. Puisque seuls les impôts, dont les bases sont concentrées sur une minorité de communes, devront constituer l’élément décisif des budgets des collectivités territoriales. Et donc parce qu’elle interdit, de fait, tout renforcement de la solidarité financière entre les collectivités. Les inégalités territoriales et cette si désagréable idée du « chacun pour soi » seront encore renforcées. Votre loi organique, c’est au fond l’institutionnalisation de l’individualisme néolibéral dans l’administration des collectivités territoriales.
Permettez-moi de citer pour conclure ce qu’écrivait Camille Vallin à propos des impôts locaux : « Nos quatre vieilles s’apprêtent à entrer dans leur troisième centenaire, non pas allègrement, certes, car les opérations en tous genres qu’elles ont subies, les emplâtres successifs qu’elles ont reçus, les cures de rajeunissement qu’on a tentées pour les rendre présentables, n’ont rien réglé. Il n’est plus personne pour soutenir qu’elles n’ont pas fait leur temps. Elles ne survivent que parce qu’on prétend ne pas savoir par quoi les remplacer ». Il ajoutait : « Lorsque la fiscalité locale ne représentait qu’une part modeste des ressources communales, l’injustice de nos vieux impôts était supportable. Quand cette part atteint la moitié de ces ressources, elle ne l’est plus ». Et il en appelait à une réforme comportant deux volets inséparables : une redistribution des ressources fiscales nationales au profit des collectivités territoriales, une modernisation et une démocratisation de la fiscalité. On ne trouve pas cela dans le présent texte. C’est pourquoi nous ne voulons pas de cette loi organique, et nous vous invitons à voter la question préalable.

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