Ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
Deuxième séance du mercredi 22 janvier 2014
Suite de la discussion d’une proposition de loi constitutionnelle
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (nos 1618, 1703).
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M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le plurilinguisme est une expression de la richesse de la société française. La France doit accepter sa diversité linguistique et, plus encore, en faire un atout. Il convient donc, non seulement de la défendre, mais aussi de la promouvoir, dans l’espace privé comme dans l’espace public.
Cela exige, au-delà d’une nécessaire modification constitutionnelle, une loi donnant aux langues de France un statut qui définirait le cadre de leur promotion et compléterait le cadre législatif dont la France s’est dotée depuis la loi du 11 janvier 1951. Cette exigence, les parlementaires communistes la portent majoritairement depuis longtemps : deux propositions de loi allant dans ce sens avaient été déposées dès les années quatre-vingt.
C’est dans cet esprit que nous soutenons les objectifs poursuivis par la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Assurer la protection des langues régionales ou minoritaires historiques de l’Europe et favoriser le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique sont deux objectifs nécessaires à la défense de notre patrimoine national.
En outre, comment revendiquer la diversité culturelle et linguistique dans le monde face à l’hégémonie de l’anglo-américain et, dans le même temps, la refuser à l’intérieur de notre pays ? La valorisation de la richesse linguistique en France et dans le monde participe à la défense de la langue française, langue de la République.
Aussi, c’est en toute logique que nous soutenons aujourd’hui cette volonté d’engager le processus législatif en vue de la ratification par la France de la charte, même si nous considérons que celle-ci est incomplète, en particulier en ce qui concerne les langues issues des immigrations, parlées par nombre de nos concitoyens. En effet, la charte comporte, à l’article 1er, une définition restrictive de l’expression « langues régionales ou minoritaires » qui exclut de son champ d’application les dialectes de la langue officielle et les langues des migrants, c’est-à-dire celles qui sont parlées par les Français d’origine immigrée.
Or de récents rapports se sont intéressés à ces langues dites « non-territoriales » parlées en France. Ils s’accordent sur la nécessité et l’urgence d’accentuer un apprentissage des langues de l’immigration, en particulier de l’arabe, au sein du système éducatif, au même titre que les autres langues – anglais, espagnol, allemand ou encore chinois –, avec les mêmes exigences et les mêmes modalités de validation. Nous soutenons pleinement ces recommandations.
Mme Annie Genevard. Voilà effectivement où mène ce texte !
M. Paul Molac. Très bien !
M. André Chassaigne. De même, nous vous alertons sur le risque d’un nivellement linguistique par l’utilisation d’expressions unitaires courantes comme « l’occitan », qui peuvent mener à une élimination de toutes les variantes de la langue d’oc, laquelle est pourtant marquée par des formes particulières. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que la liste des langues régionales auxquelles s’appliqueront les engagements pris par la France au sein de la partie III de la charte soit exhaustive, de façon à assurer la promotion de toute la diversité linguistique de nos régions. Patrimoine immatériel vivant, une langue ne se décrète pas, elle se vit et se transmet par ses locuteurs.
Au-delà de ces remarques, nous comprenons les inquiétudes qui se font jour, y compris au sein de notre groupe, à la suite des décisions du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État. Sur ce point, nous considérons que le texte répond à ces inquiétudes, avec la réaffirmation expresse, dans le futur article 53-3 de la Constitution, du principe d’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine et du principe selon lequel la langue de la République est le français. Comme le souligne votre rapport, cher collègue Urvoas, ce dispositif juridique matérialiserait clairement le fait que la charte sera appliquée conformément à ces principes et non pas par dérogation à ceux-ci. La constitutionnalisation de cette partie de la déclaration interprétative conférerait en effet une réelle force normative à ces dispositions. Elle permettrait de garantir que nos principes constitutionnels prévaudraient sur des interprétations par trop extensives de la charte.
En définitive, ce texte constitue un bon compromis. Il permet de surmonter les inconstitutionnalités de la charte et autorise le Président de la République à la ratifier. Nous espérons que cela conduira la France à mettre en œuvre une véritable politique nationale de promotion des langues régionales. Nous considérons cependant que cette politique de protection et d’encouragement devrait être étendue à toutes les langues de France, en respectant la diversité de leur usage local. Elles sont notre bien commun ; elles concourent à la créativité de notre pays et à son rayonnement culturel.
Pour finir, permettez-moi de regretter que le texte utilise un mot que nous avions, très majoritairement, décidé d’exclure de notre législation : celui de « race ». Mais il est vrai que c’est là un simple rappel de la Constitution.
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