07-08-2012

Recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires

Recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires

Deuxième séance du mercredi 25 juillet 2012


M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de la convention de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires (nos 8, 87). La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des Français de l’étranger.

Mme Hélène Conway, ministre déléguée chargée des Français de l’étranger. Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des affaires étrangères, mesdames et messieurs les députés, est soumis aujourd’hui à votre approbation le projet de loi autorisant la ratification de la convention internationale pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires, adoptée à Hong Kong le 15 mai 2009.

À ce jour, aucun instrument international juridiquement contraignant ne réglemente de manière spécifique le démantèlement des navires. C’est pour combler ce vide que les États ont négocié et adopté cette convention, dans le cadre de l’OMI, l’organisation maritime internationale, qui siège à Londres. Son objectif est d’améliorer les conditions dans lesquelles la majorité des navires sont démantelés car la situation actuelle n’est pas acceptable.

La grande majorité des navires est démantelée dans des conditions peu respectueuses de la santé des travailleurs et de la protection de l’environnement, en particulier en Inde, au Bangladesh et au Pakistan.

La nécessité de déconstruire les navires en toute sécurité pour ceux qui travaillent sur les sites de démantèlement est d’autant plus urgente que le contexte actuel est marqué par le vieillissement de la flotte mondiale et la sortie de flotte des pétroliers à simple coque.

Assurément, l’adoption de cette convention constitue une étape majeure vers de meilleures conditions de démantèlement.

Pour atteindre cet objectif, elle entend réglementer à la fois la conception et l’exploitation des navires soumis à ses dispositions – les navires de plus de cinq cents tonneaux de jauge brute – ainsi que l’activité des chantiers de démantèlement. C’est donc tout le cycle de vie du navire qui est envisagé par la convention, depuis sa naissance jusqu’à sa fin de vie.

On peut citer quelques dispositions clés de la convention.

Dès la conception des navires soumis aux dispositions de la convention, l’utilisation des matières dangereuses devra être limitée ou proscrite.

Les navires devront disposer à bord d’un inventaire des matières potentiellement dangereuses. L’État du pavillon du navire délivrera, après la visite du bâtiment, un certificat international attestant que le navire possède bien cet inventaire.

Les navires subiront plusieurs visites au cours de leur exploitation : une visite « initiale » avant la mise en service des navires neufs, une visite « de renouvellement » tous les cinq ans au minimum, une visite « supplémentaire » à la suite d’un aménagement sur le navire, et une visite « finale » juste avant l’opération de recyclage.

Un plan de recyclage devra être élaboré par le site de démantèlement pour chaque navire, qui devra disposer d’un certificat international attestant qu’il est prêt pour le recyclage. Les navires ne pourront être démantelés que dans des installations autorisées à procéder au recyclage par les États où elles sont situées.

Ces installations de recyclage devront être exploitées d’une manière sûre et écologique. Elles devront mettre en place des systèmes, procédures et techniques de gestion ne présentant pas de risques pour la santé des travailleurs et limitant les effets nocifs pour l’environnement. Elles devront élaborer un plan de préparation et d’intervention en cas de situation d’urgence. Elles devront prendre un certain nombre de mesures pour assurer la sécurité et la formation des travailleurs. Elles devront enfin signaler aux autorités nationales tout incident, accident, maladie professionnelle ou effet chronique.

En conclusion, la convention internationale de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires constitue à n’en pas douter un pas important pour que le secteur du démantèlement devienne plus respectueux des travailleurs et de l’environnement.

Les conditions dans lesquelles les navires sont aujourd’hui démantelés sont souvent mauvaises et justifient une meilleure réglementation de cette activité.

La France a été très active dans la négociation de cette convention. Elle fut même le premier État à la signer.

Un projet de règlement, anticipant l’entrée en vigueur de la convention et la transcrivant en droit européen, a été proposé par la Commission européenne. Il est en cours de discussion au Conseil.

En ratifiant cette convention, la France enverra un signal aux autres États pour accélérer leurs efforts et permettre ainsi son entrée en vigueur le plus rapidement possible.

Telles sont les principales observations qu’appelle la Convention internationale de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires, qui fait l’objet du projet de loi de ratification aujourd’hui proposé à votre approbation.

(…)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, l’examen du projet de loi autorisant la ratification de la convention de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires est l’occasion pour nous de nous pencher sur cet important enjeu écologique. Le recyclage des navires est inévitable : chaque navire en fin de vie renferme quelque 50 000 tonnes de métal, de substances chimiques toxiques et d’amiante. Même vides, ces bâtiments contiennent des milliers de litres de boues d’hydrocarbures. Leurs systèmes électriques renferment des tonnes de PCB cancérogènes, ainsi que des métaux lourds toxiques, comme le plomb, le cadmium, le mercure et le zinc. Leur coque est également recouverte de substances chimiques potentiellement nuisibles.

Or, les évolutions de la flotte marchande engendrent une forte augmentation du nombre des navires à recycler. En effet, le remplacement progressif des pétroliers à coque simple par des bâtiments à double coque augmente le nombre de bateaux se présentant à la casse. Les chantiers de démantèlement accueillent annuellement environ un millier de navires à traiter, soit un volume près de quatre fois supérieur à celui de 2006. Force est de constater que la grande majorité des sites de recyclage se situent dans des pays où les normes sociales et environnementales sont faibles : Inde, Bangladesh, Pakistan. Cet état de fait a plusieurs conséquences.

Tout d’abord, la mise en danger de milliers de vies humaines. Les chantiers de recyclage de navires sont en effet des zones de grande dangerosité. Les chantiers asiatiques de démantèlement des navires en fin de vie sont un exemple de la dérive imposée par le capitalisme à des populations soumises aux pires conditions de travail. Comment expliquer autrement que par l’appât du gain la stratégie de sous-traitance des firmes multinationales, qui ont choisi de transférer ces chantiers des pays européens vers l’Asie, là où l’exploitation forcenée d’une main-d’œuvre sous-payée et exposée à une multitude de produits toxiques est rendue possible par l’inexistence de toute protection sociale ? Les groupes industriels peuvent ainsi se soustraire à toutes les contraintes sociales et environnementales des pays développés. Peu importe que, dès l’âge de dix-sept ans, les jeunes y travaillent quinze à seize heures par jour pour un salaire quotidien variant de un à deux euros. Peu importe que les femmes y transportent, le plus souvent sans aucune protection, des objets amiantés extraits des épaves. Peu importe que des dizaines, voire des centaines de morts y soient recensés chaque année, sans compter les victimes de maladies contractées sur ces chantiers, l’amiante étant présent partout sur les navires – dans les cloisons, les plafonds – pour assurer notamment l’isolation phonique et thermique.

Devons-nous continuer à accepter que les populations pauvres de la planète paient le prix du productivisme occidental ? Près de la moitié des navires à démanteler battent pavillon européen ou appartiennent à des armateurs établis dans l’Union européenne. L’immense majorité va finir leur carrière en Asie. Nous sommes là en face d’un nouvel exemple de l’irrationalité de l’hypermondialisation des flux de marchandises. En effet, le coût économique et écologique de ces gigantesques mouvements intercontinentaux n’incombe pas aux pollueurs ; il est transféré aux populations dans leur ensemble. Quant à la responsabilité de cette situation, elle incombe moins aux pays de l’Asie du sud-est qu’à l’incurie totale des grandes puissances occidentales qui, bien que pourvoyeuses de bâtiments polluants, n’entreprennent rien pour leur recyclage. Bien entendu, le marché du traitement des déchets dangereux que sont les bateaux obsolescents n’est pas suffisamment rentable pour que les multinationales acceptent de se préoccuper de la question.

L’autre problème majeur du retraitement tel qu’il s’opère à l’heure actuelle, c’est que les sites accueillant les bâtiments sont bien souvent des plages. Cette localisation entraîne une dissémination accélérée des pollutions dans les écosystèmes et dans les mers concernées. Ainsi, selon une étude menée en 2000 par une société de classification norvégienne spécialisée dans l’évaluation des risques, des traces de pétrole ont été retrouvées dans la mer autour des plages de démantèlement du Bangladesh. Des quantités significatives de substances chimiques nocives et de métaux lourds ont également été détectées dans le sol et dans l’air. Mais il est encore difficile de mesurer l’étendue des dégâts occasionnés par ces chantiers, car ils n’ont pas tous été mis au jour.

Observons que ce sont une nouvelle fois le système économique et ses excès qui alourdissent le tribut payé par la planète. Ceci doit nous renforcer dans la conviction, défendue avec force notamment par le Front de gauche, que la première dette que nous devons solder est la dette écologique.

Le dossier du recyclage des navires nous en apporte une nouvelle preuve : l’écologie des petits gestes n’est pas à la hauteur du traumatisme subi par la planète. Seule une remise en cause profonde du cadre économique permettra véritablement d’empêcher ce que le poète Michel Deguy appelle « le géocide ». Cependant, la gravité de la situation a permis une prise de conscience internationale ; nous nous en félicitons. C’est dans cette perspective que notre assemblée est amenée, aujourd’hui, à autoriser la ratification de la convention de Hong Kong.

Cette convention permet d’initier une coopération internationale en faveur d’une rationalisation du recyclage des navires. Son texte confère notamment à tout État partie le droit d’inspecter tout navire transitant par un de ses ports afin de vérifier qu’il dispose bien d’un inventaire des matières potentiellement dangereuses ou d’un certificat international attestant que le navire est prêt pour le recyclage. Ces dispositions, quoique faiblement contraignantes, constituent un premier pas qu’encouragent les députés du front de gauche et l’ensemble du groupe GDR. Mais ce n’est qu’un premier pas.

Permettez-moi, en effet, de citer une note du Comité économique et social européen : « La convention de Hong Kong a été adoptée en 2009, mais ce n’est que lorsqu’elle aura été ratifiée par un nombre suffisant de grands États du pavillon et de grands pays recycleurs qu’elle pourra entrer en vigueur et commencer à produire ses effets, ce qui ne devrait pas avoir lieu avant 2020, dans le meilleur des cas. » L’échéance est, hélas ! bien lointaine. Car, pendant que les parlements nationaux ratifient le texte, les vieux pétroliers, chimiquiers et autres cargos continuent de gagner les plages du sud-est asiatique.

En outre, certains opérateurs, plutôt que d’envoyer leurs bâtiments à la casse, exploitent les vides juridiques pour continuer d’utiliser ces navires pollués et polluants, soit pour transporter d’autres types de cargaisons moins lourdes, soit pour le stockage à quai. Comme c’est souvent le cas pour les enjeux écologiques, le temps de la décision internationale est sans rapport avec l’imminence des dangers et l’importance des pollutions. Raison de plus pour ne pas retarder l’indispensable ratification de cette convention.

En parallèle à cette intensification de la coopération internationale, d’autres solutions concrètes doivent être envisagées. Dans un premier temps, il serait sans doute nécessaire de refondre les normes qui régissent la fabrication des navires, concernant notamment les composants métalliques et chimiques utilisés. Comment expliquer, si ce n’est par une insuffisance des réglementations, que tant de navires soient encore massivement amiantés ?

Les députés du Front de gauche militent, par ailleurs, pour l’institution d’une taxe kilométrique, de manière à diminuer les transports de marchandise évitables. Un tel dispositif aurait le double avantage de réduire la flotte mondiale des transporteurs et de « désinciter » les opérateurs à se débarrasser de leurs épaves dangereuses sur les chantiers asiatiques. Il obligerait les entreprises à intégrer les coûts du traitement des bâtiments dès leur mise à flot. Cet outil de rationalisation des échanges internationaux serait un complément utile à la convention dont nous discutons. Le produit de cette taxe pourrait abonder un fonds pour le co-développement permettant de financer des politiques de développement social et environnemental. C’est un moyen d’agir sur les conditions de travail des travailleurs du sud qui risquent leur santé sur les épaves des firmes occidentales. D’une façon générale, il nous faut sortir du modèle économique qui fait supporter aux usagers, sur leurs factures, l’essentiel des défis environnementaux et des investissements nécessités par les pratiques des multinationales.

C’est dans cet esprit que les députés du groupe de la gauche démocrate et républicaine veulent agir au cours de cette nouvelle législature sur les questions environnementales. Nous défendrons dans l’hémicycle une approche constructive, tâchant de concilier l’urgence d’agir avec l’ampleur des changements nécessaires. Tout naturellement, dans un premier temps, les députés du Front de gauche et l’ensemble du groupe GDR voteront des deux mains ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR SRC et écologiste.)

(…)

Article unique

(L’article unique est adopté à l’unanimité.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je ne suis saisi d’aucune demande d’explication de vote. En conséquence, je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté à l’unanimité.)

Voir le compte rendu intégral sur le site de l’AN.

Pour en savoir plus : André Chasaigne - AC

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