J’ai reçu plusieurs « lettres pétitions » qui exprimaient des positions relatives à la réforme de l’Etat et au droit de grève dans la fonction publique.
Pour parler franchement, je ne partage pas cette opinion.
Tout d’abord, certains termes utilisés (le « nécessaire redressement ») constituent des références idéologiques me rappelant des époques historiques que j’espère définitivement révolues… Plus fondamentalement, les solutions préconisées pour sortir notre pays de ses difficultés me paraissent inadéquates. Elles ont souvent été appliquées ailleurs… Et ont systématiquement prouvé leur efficacité à augmenter la pauvreté, fragiliser l’économie et conforter le délitement du lien social.
Ces lettres soulèvent aussi la question du poids des dépenses publiques pour expliquer les difficultés économiques de notre pays. Cette idée très à la mode me paraît infondée. En effet, il faut savoir que le poids des dépenses de l’Etat dans le PIB est en baisse constante depuis 20 ans. Il se situe aujourd’hui à seulement environ 15-17% de ce PIB. La fonction publique française est d’ailleurs réputée dans toute l’Europe pour son efficacité et son professionnalisme.
Certes, les dépenses publiques se situent à un niveau global plus élevé (environ 50% du PIB). Mais ce niveau de dépenses n’est pas du fait de l’Etat stricto sensu mais plutôt celui des dépenses de sécurité sociale (à 22-23% du PIB, le reste étant les dépenses des collectivités locales). La France a fait le choix que ces dépenses de sécurité sociale devaient être mutualisées par des organismes publics. Doit-on le remettre en cause ? Ce choix seul explique le taux apparemment et anormalement élevé des dépenses publiques françaises lorsque l’on effectue des comparaisons avec nos partenaires étrangers. D’autres pays ont décidé que la mutualisation de ces risques devait être le fait à la fois d’organismes publics mais aussi de compagnies d’assurances privées.
Ce sont ces choix qui expliquent l’importance des cotisations sociales pour les entreprises. Mais s’il existe une différence juridique réelle entre le paiement de cotisations sociales et le paiement de polices d’assurance, il s’agit de la même opération d’un point de vue économique : l’entreprise paie ces dépenses de sécurité sociale directement (en cotisant à l’URSSAF ou en payant des cotisations d’assurance) ou indirectement (en donnant à ses salariés des salaires plus élevés pour leur permettre de régler individuellement leurs cotisations d’assurance, comme c’est souvent le cas aux Etats-Unis par exemple). Le seul fait que ces contributions relèvent du droit public en France et du droit privé chez beaucoup de nos partenaires ne peut suffire à expliquer les difficultés de nos entreprises.
Il est donc évident que le poids des cotisations sociales pour les entreprises n’est pas la raison de leurs difficultés économiques. Il s’agit en fait d’une excuse donnée par le grand patronat pour ne pas investir : ce déficit d’investissement lui permet d’entretenir une pénurie de capital afin de maintenir un taux de rentabilité de ce capital très élevé (jusqu’à 15%), nettement supérieur à sa tendance de long terme (3% environ). Cette stratégie à l’origine des licenciements boursiers et des gigantesques emprunts de multinationales qui aujourd’hui les menacent de faillites (France Télécom) est bien entendu incompatible avec un développement économique de long terme : on le constate aujourd’hui avec France Télécom. Quant aux PME, leur sous investissement est aujourd’hui moins un problème de « charges » sociales que de charges financières : en raison des manœuvres boursières des grandes banques et des politiques exagérément désinflationnistes des banques centrales, les taux d’intérêt des emprunts sont trop élevés (lorsque l’emprunt n’est pas rationné) pour leur permettre de réaliser des investissements porteurs d’avenir. Celles-ci se retrouvent étranglées par ces charges financières.
Par rapport au droit de grève dans la fonction publique et les services publics, je ne partage pas non plus cette opinion.
Tout d’abord, le texte envoyé semble entretenir une confusion entre souveraineté populaire et souveraineté parlementaire. La démocratie instaure la souveraineté du peuple dans son ensemble. Cette souveraineté s’exprime par différents canaux : les pouvoirs constitués (le gouvernement, le Parlement…) sont le principal canal de cette expression de la souveraineté mais n’en constituent pas le seul. Le droit de manifestation, le droit de grève, le droit de pétition, la liberté de la presse constituent autant d’autres vecteurs d’expression légitimes de cette souveraineté populaire, notamment hors périodes d’élections. Tout gouvernement et toute majorité parlementaire doivent ainsi prendre en compte (au moins partiellement) les opinions exprimées par les citoyens, à fortiori lorsque ce gouvernement n’a été élu que par 45% des suffrages des 70% d’électeurs s’étant déplacés pour aller voter aux dernières élections législatives, soit environ, à peine, 30% des électeurs. Le Parlement n’est ainsi pas souverain ; seul le peuple est souverain. Le Parlement ou le gouvernement n’ont pas la légitimité pour s’approprier tous les pouvoirs démocratiques qui n’appartiennent qu’au peuple. Et celui-ci peut bien s’exprimer (en respectant les institutions évidemment) entre deux élections, par des moyens qui lui sont propres, et notamment la grève.
Notre démocratie est de toute façon confrontée à un important déficit de légitimité. C’est en partie pour répondre à cette crise de la démocratie représentative que je pense essentiel de repenser les formes d’exercice du pouvoir politique dans notre pays. Nous ne pourrons définir des orientations politiques nouvelles et les mettre réellement en œuvre qu’en impliquant davantage les citoyens - directement - dans la définition de ces politiques et en leur permettant de s’approprier effectivement ces pouvoirs. Pour nous inscrire dans cette démarche politique nouvelle, nous devons expérimenter, innover, évaluer ce que nous réalisons … C’est ce que j’essaie de faire sur Thiers et Ambert : un conseil de circonscription (où tout le monde peut participer) a été constitué, des groupes de travail réunissant des électeurs, des élus, des militants associatifs se sont organisés pour discuter, ce mois-ci, du projet de loi du gouvernement relatif à la ruralité.
Je trouve aussi normal que les salariés du secteur public résistent contre des logiques qui ont fait tant de ravages ailleurs et expriment ainsi leur attachement aux valeurs du service public. Ils montrent ainsi (et prouvent) l’importance de leurs missions que certains veulent remettre en cause. Si le service public était aussi inutile et superflu que voudraient le faire croire les émules du libéralisme le plus sauvage, personne ne serait gêné par les grèves des agents des services publics, personne ne se considérerait comme « pris en otage » en cas de grève. Ces mouvements démontrent a contrario l’importance pour tous les Français de ces services publics et donc la nécessité de les renforcer plutôt que de les démanteler. C’est pour cela que je soutiens ces mouvements ; parce qu’ils expriment l’importance des valeurs de service public et des valeurs collectives pour la vie en société. Parce qu’ils résistent contre toutes les logiques individualistes de démantèlement de ces valeurs qui ne conçoivent la vie en société que sur les notions de rivalité et concurrence entre les hommes.
Je souhaitais apporter ces éléments de réflexion avec le souci de franchise que vous me connaissez… et en remerciant pour l’envoi des « lettres pétitions », qui est un moyen d’expression à toujours prendre en compte.