19-01-2022

Réforme de la gestion des risques climatiques en agriculture - Interventions en séance publique

Gestion des risques climatiques en agriculture

Séance du mercredi 12 janvier 2022

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture (nos 4758, 4874).

Intervention générale de mon collègue Jean-Paul Dufrègne au nom des députés communistes :

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.

M. Jean-Paul Dufrègne. Comme nous l’avons indiqué en commission, ce projet de loi suscite l’inquiétude de notre groupe tant du point de vue de son orientation générale que des modalités de sa mise en œuvre. Vous le savez : compte tenu de l’ampleur des menaces climatiques, sanitaires et environnementales qui pèseront sur notre agriculture dans les décennies à venir, les députés communistes réclament un véritable régime public d’assurance et de gestion des risques en agriculture, englobant l’ensemble des risques. Avec mon collègue André Chassaigne, nous avions d’ailleurs déposé en avril 2020 une proposition de loi en ce sens.

Nous défendons un système dans lequel chaque agriculteur, quelle que soit sa production, serait couvert ; un système dans lequel les agriculteurs et les décideurs publics détermineraient les objectifs et les moyens de les atteindre, notamment en prévoyant des ressources pérennes pour répondre chaque année aux besoins identifiés. Le texte tourne le dos à cette ambition – même si vous vous en défendez, monsieur le ministre, en affirmant qu’il vise à « [consolider] feu le régime des calamités agricoles tout en rendant bien plus accessible l’assurance privée ». Consolider le régime des calamités en pénalisant lourdement – à hauteur de 50 % des montants d’indemnisation du troisième étage public – les agriculteurs qui ne souscriraient pas de contrat multirisque climatique : voilà une drôle de façon de présenter les choses. Par ailleurs, vous justifiez l’imprécision de la réforme – on ne connaît ni le détail des seuils applicables, ni les conditions de fixation des contrats proposés aux agriculteurs – en arguant de votre volonté de rester le plus fidèle possible à l’évolution du droit européen et aux possibilités offertes par le règlement « omnibus ». Mais de quel niveau de couverture parlez-vous quand les critères fondamentaux soit sont laissés intégralement à l’appréciation du pouvoir réglementaire, soit feront l’objet de décisions techniques du futur comité chargé de l’orientation et du développement de l’assurance récolte (CODAR) ? Comment le législateur peut-il se prononcer sur un système dont il ne connaît pas les mécanismes ? Vous parlez d’une assurance plus juste, mais le texte ne fait pas mention des inégalités de revenus entre exploitations et ne prévoit aucune progressivité des soutiens à l’assurance récolte en fonction de la structure et des revenus de ces dernières. Il ne traduit pas non plus la moindre volonté d’aborder ces questions. Pourtant, au vu du fiasco que représentent les contrats actuels d’assurance récolte, nous savons bien qu’il s’agit du problème de fond.

M. Guillaume Garot. Excellent !

M. Jean-Paul Dufrègne. Nos amendements destinés à apporter plus de justice aux exploitations en difficulté viennent d’ailleurs, une fois encore, d’être déclarés irrecevables. Enfin, nous ne sommes pas dupes du poids grandissant dont disposeront les assureurs dans la définition des contrats et des modalités d’indemnisation. Avec 70 % d’aides publiques à la souscription des contrats et une surreprésentation au sein du nouveau CODAR, vous assurez avant tout les assureurs.

M. Guillaume Garot. C’est bien dit !

M. Dominique Potier. En effet !

M. Jean-Paul Dufrègne. Ce glissement vers une gestion privée n’est pas nouveau. Vous l’assumez en favorisant l’extension de l’assurance récolte, organisée autour d’un système de seuils intermédiaires volontairement flou, mais que les compagnies d’assurance pourront juger profitable en raison des très forts soutiens publics européens et nationaux qu’il recevra. Vous le savez, la quête permanente du soutien de l’État pour assurer la rentabilité artificielle de produits assurantiels privés nous paraît très discutable. Elle l’est d’autant plus lorsque l’on apprend que les sociétés d’assurance qui seront chargées de définir le contenu des contrats et des niveaux de couverture des pertes au sein du CODAR viennent d’annoncer aux agriculteurs qu’elles augmenteront leurs tarifs de 10 à 25 % dès 2022 ! Curieuse coïncidence. Enfin, monsieur le ministre, vous avez confirmé en commission le transfert à des interlocuteurs privés de la gestion des deux étages d’indemnisation et de l’évaluation des pertes. Cette délégation de service public, effectuée après appel d’offres, dépossédera de fait les services déconcentrés de l’État de leur mission actuelle. Vous confiez en réalité toute la gestion du système aux assureurs, qui deviendront juge et partie.

Aussi, malgré la présentation séduisante de votre réforme, nous demeurons très circonspects quant à son impact réel sur le niveau de couverture des risques climatiques de nos agriculteurs, et dubitatifs quant aux conditions de la mise en œuvre de cette nouvelle usine à gaz. Nous sommes également inquiets quant à la place et au rôle confiés aux assureurs privés. Si aucune modification substantielle des articles du projet de loi ne vient lever ces craintes au cours de nos débats, nous ne voterons pas le texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI. – M. Dominique Potier et Mme Émilie Cariou applaudissent également.)

[…]

Discussion des articles

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. « Au commencement était le Verbe » : quand nous commençons l’examen d’un projet de loi, nous avons droit aux envolées du ministre et du rapporteur ; cela fait partie de l’exercice parlementaire. « Le texte est formidable, absolument révolutionnaire, il répondra à toutes les attentes », nous explique-t-on… Quelques années plus tard, voire plus tôt, nous constatons que l’atterrissage est fort décevant par rapport aux envolées initiales.

M. Guillaume Garot. C’est vrai !

M. André Chassaigne. Le présent projet de loi n’y échappera pas. Concernant l’article 1er, chacun saute sur sa chaise comme un cabri en disant : « solidarité nationale, solidarité nationale, solidarité nationale ! » Mais si je sors mon couteau de Thiers (Sourires) et que je gratte un peu, je découvre que derrière cette solidarité nationale se cache avant tout une solidarité pour les assureurs : il faut rassurer les assureurs ; et pour les rassurer, il faut les réassurer. Cela aboutit en définitive à une forme de privatisation des gains et à une socialisation des pertes. Vous l’avez dit, monsieur le ministre : le secteur est dominé par deux acteurs, Pacifica et Groupama, qui représentent 70 % du marché. Ce sont eux qui tirent les ficelles. Nous interviendrons souvent sur les articles pour expliquer notre position, puisque la moitié de nos amendements ont été liquidés – je ne me fais pas d’illusion sur le sort de l’autre moitié. Je l’affirme donc : ce que vous proposez est un copier-coller non pas du système espagnol, mais du système américain. De l’argent public issu de la solidarité nationale profitera à quelques-uns seulement. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Jean-Louis Bricout applaudit aussi.)

Voir toutes les interventions d’André Chassaigne sur le texte en cliquant ici.


Amendements déposés sur le texte en séance publique :

PDF - 39 ko

Voir aussi :

Pour en savoir plus : André Chassaigne - JB

Imprimer