02-08-2012

Relance de la politique industrielle

Commission des affaires économiques

Mercredi 18 juillet 2012


M. le président François Brottes. Chers collègues, pour faire suite à la table ronde sur la consommation, et dans l’attente de l’audition du ministre Arnaud Montebourg, il m’a semblé utile d’entendre deux personnalités qui ont des messages à faire passer en matière de développement économique et industriel.

Je remercie donc MM. Jean-Louis Beffa, président d’honneur de Saint-Gobain, et Louis Schweitzer, président d’honneur de Renault, d’avoir répondu à mon invitation. Le premier a publié au début de l’année un ouvrage intitulé La France doit choisir, qui vise – je résume – à montrer comment passer de l’économie virtuelle à l’économie réelle. Le second a cosigné avec M. Olivier Ferrant le rapport Investir dans l’avenir : Une politique globale de compétitivité pour la France. Cette audition est aussi une façon de rendre hommage à notre ancien collègue, dont nous déplorons tous la disparition prématurée.

M. Jean-Louis Beffa. J’entrerai tout de suite dans le vif du sujet, à savoir le problème auquel est aujourd’hui confrontée l’industrie en France.

C’est avec la mondialisation que les choses ont fondamentalement changé. L’ouverture des pays anciennement communistes – d’abord les pays d’Europe de l’est, puis la Chine – a fait entrer toutes les entreprises industrielles et beaucoup de services dans un monde radicalement nouveau : des personnes parfaitement qualifiées et capables de faire marcher les équipements les plus modernes travaillent à des salaires équivalant à 20 % des nôtres, voire à 5 % pour les ouvriers chinois. Cela a entraîné une chute des coûts de production des biens industriels dans des proportions jamais connues. Les conséquences sur les entreprises ont été énormes : ouverture de nouveaux marchés, possibilité d’implanter des usines dans ces pays, apparition de nouveaux concurrents dont les prix de revient étaient bien inférieurs. Il a fallu repenser entièrement les stratégies.

Première conséquence, il convient de distinguer deux types d’industries : d’un côté, les entreprises industrielles qui évoluent dans un environnement mondialisé, de l’autre, celles qui, de par la nature de leur métier, sont confrontées à des concurrents semblables à elles, disposant d’un coût du travail et d’un coût de l’énergie comparables. En raison de coûts de transport particulièrement élevés, ces dernières produisent en France pour la France, en Allemagne pour l’Allemagne, en Chine pour la Chine ; dans mon livre, je les appelle les « métiers régionaux » : il s’agit, par exemple, de la laine de verre, du ciment ou des mortiers industriels. Ces métiers-là ne sont pas confrontés à une concurrence mondialisée, et ne rencontrent pas de problèmes particuliers : on s’y bat à armes égales, comme par le passé. En revanche, ce type d’industrie n’exportant pas, elle ne peut pas apporter de solution au problème gravissime de la France, à savoir le déficit d’environ 70 milliards d’euros de son commerce extérieur.

Deuxième conséquence, la résolution de ce dernier problème ne dépend pas des services, mais suppose une politique énergétique et une politique industrielle. En revanche, la lutte contre le chômage passe par les services, car ceux-ci sont créateurs d’emploi. Nous ne sommes pas si mal placés dans ce domaine, même par rapport à l’Allemagne. Bien sûr, ce qui se passe à Aulnay est dramatique, surtout pour le personnel ouvrier qui aura du mal à retrouver un emploi. Mais nous avons déjà été confrontés à de pareilles crises, notamment lorsqu’il a fallu restructurer la sidérurgie, et ce n’est pas ce qui a la plus forte incidence sur l’emploi ; ce qui compte le plus en la matière, c’est, d’abord, la fixation de l’âge de la retraite, ensuite, les actions en faveur des PME dans le secteur des services.

Si la France n’est pas condamnée à dévaluer – avec les conséquences dramatiques que cela aurait sur notre pouvoir d’achat –, c’est grâce à l’euro et parce que les Allemands paient notre déficit.

Le véritable problème, c’est donc l’industrie confrontée à la mondialisation, l’industrie exportatrice ; ce n’est pas toute l’industrie, ni les services. Pourtant, les politiques publiques restent indifférenciées : à plusieurs reprises, les coûts ont été allégés dans des secteurs non prioritaires. La première chose à faire serait de concentrer les aides sur le secteur industriel et le secteur exportateur.

De même, il faudrait redéfinir entièrement notre politique énergétique. Je suis très préoccupé par la situation de la filière des énergies renouvelables : nous sommes en train d’être dépassés, dans certains domaines par l’Allemagne, dans tous les domaines par la Chine. Il serait urgent d’examiner ce qu’il est possible de faire à l’échelle européenne, en particulier dans le cadre franco-allemand, car je crains qu’une approche strictement franco-française ne nous permette pas d’être au niveau.

Actuellement, dans le monde, quatre pays réussissent à la fois dans l’industrie et dans l’exportation, car ces secteurs, du fait de leur importance, font l’objet d’un pacte national chez eux : il s’agit du Japon, de la Corée, de la Chine et de l’Allemagne. La France, en revanche, s’est engagée depuis les années 1980, par la volonté de MM. Bérégovoy et Naouri, dans la voie du modèle « libéral financier ». Selon moi, c’est une erreur : nous devrions adopter sans tarder le modèle « industriel commercial », à l’instar des quatre pays qui ont réussi.

Pour ce faire, il faut agir dans trois domaines.

En matière de gouvernance, il convient de mettre fin au système de la primauté actionnariale et le remplacer par un capitalisme de stakeholders, c’est-à-dire d’ayants droit : le personnel et le pays tout entier ont leur mot à dire. Il s’agit d’une décision politique, appelée à se traduire dans le droit des sociétés et la fiscalité. Comme en Allemagne, vous devez adopter des textes qui empêcheront la primauté actionnariale et qui permettront aux entreprises d’éviter les contrôles rampants et de se prémunir contre les OPA hostiles. Vous devez taxer davantage les plus-values à court terme et moins fortement les plus-values à long terme, afin de favoriser l’actionnariat de longue durée, indispensable pour mener une politique sur le long terme.

Il importe ensuite de revoir la politique d’innovation : tout en poursuivant les actions en faveur des PME, il convient de relancer les grands programmes exportateurs – comme l’avait fait l’Agence de l’innovation industrielle, créée sur ma proposition par le président Chirac, mais supprimée par le précédent Gouvernement –, en veillant à ce que les entreprises bénéficiaires s’engagent clairement sur des contreparties ; ce n’est pas le cas avec l’actuel crédit d’impôt recherche.

Enfin, il faut un pacte social. Comme en Allemagne, des représentants des travailleurs doivent être présents dans les conseils d’administration et les grandes entreprises doivent dire clairement ce qu’elles font pour le pays.

Voilà, monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, les mesures que je propose.

M. le président François Brottes. Sont-elles eurocompatibles ?

M. Jean-Louis Beffa. Faire comme l’Allemagne est par nature eurocompatible !

M. le président François Brottes. C’est vrai ! Avec M. Piron, nous avons d’ailleurs observé que l’Allemagne savait s’exonérer des directives européennes sur l’organisation de la grande distribution en définissant les types d’enseignes autorisées à s’implanter dans chaque territoire.

M. Louis Schweitzer. Comme je souscris à tout ce que Jean-Louis Beffa vient de dire, je ne reviendrai pas sur le diagnostic et me contenterai de présenter les propositions contenues dans notre rapport.

Celui-ci, comme l’essentiel de mon expérience personnelle, a été centré sur les grandes entreprises. Il fait suite à des entretiens, soit en tête à tête, soit en groupe, avec 23 patrons du CAC 40. Cet échantillon représentatif a été étendu à des patrons d’entreprises étrangères implantées en France et à des patrons d’entreprises moyennes. En outre, j’ai eu l’occasion depuis un an de suivre les très petites entreprises en tant que président de France Initiative, une association qui a contribué au cours de l’année 2011 à la création de 16 000 entreprises, représentant 35 000 emplois.

Nous proposons d’abord la création d’un Commissariat général à la compétitivité et d’un Conseil de l’industrie. Il s’agit, non de créer des instances ayant du pouvoir, mais de renouer le dialogue entre l’État et les responsables industriels sur les questions liées à l’industrie et à la compétitivité. Quand j’étais directeur du cabinet de Laurent Fabius, entre 1984 et 1986, j’avais été frappé par le fait que les industriels n’avaient pas l’habitude d’avoir un dialogue ouvert avec l’État. Je pense qu’un tel échange est important : il permet d’éclairer les deux parties, d’améliorer la compréhension réciproque et, à ce titre, il s’agit d’un élément essentiel pour la définition des politiques et le développement de l’industrie.

Nous proposons ensuite de réfléchir à une structuration par filières industrielles. Dans le secteur automobile, par exemple, il existe en France une organisation regroupant les constructeurs, une autre regroupant les équipementiers, une troisième regroupant les commerçants et les réparateurs, mais il n’existe pas de structure de réflexion entre chefs d’entreprise à l’échelle de la filière. En Allemagne, au contraire, le Bundesvereinigung der Deutschen Arbeitgeberverbände (BDA) offre aux entreprises un espace de réflexion, une capacité de proposition et un outil de dialogue avec les pouvoirs publics. Il serait utile de développer un concept similaire en France.

Comme l’a dit Jean-Louis Beffa, il importe d’accroître l’investissement dans l’industrie. À cette fin, nous proposons de renforcer le Fonds stratégique d’investissement (FSI), de poursuivre les programmes du Grand emprunt – qui a surtout été un programme d’investissement dans l’esprit du traité de Lisbonne –, de créer une banque publique d’investissement qui jouerait un rôle au niveau régional, et de développer les partenariats public-privé dans la recherche.

De mon expérience en France et à l’étranger – j’ai présidé une société suédoise, AB Volvo, ainsi qu’une société britannique, AstraZeneca –, j’ai retiré que les actionnaires de court terme refusent d’entrer au conseil d’administration des entreprises parce qu’ils veulent pouvoir acheter ou vendre à tout moment ; ils sont motivés par les plus-values réalisées en quelques mois, et non par l’avenir de l’entreprise.

Nous suggérons donc de favoriser l’actionnariat de long terme. Il serait ainsi bon que les bénéfices distribués soient plus taxés que ceux réinvestis. Nous proposons que le système des actions à droit de vote double pour les actionnaires de long terme devienne le régime de droit commun ; on pourrait revenir, sur décision de l’assemblée générale, au principe d’une voix une action, mais compte tenu de l’actionnariat des grandes sociétés françaises, ce ne serait pas très aisé. Le versement de dividendes majorés, pratiqué par certaines sociétés du CAC 40, serait une autre façon de favoriser l’actionnariat de long terme.

Je suis entièrement d’accord avec Jean-Louis Beffa sur la gouvernance des sociétés. Il serait en effet bon de faire entrer des représentants des salariés dans les conseils d’administration des sociétés cotées ; je suis pour ma part favorable à la présence de trois administrateurs – plutôt que de quatre, comme le préconise Jean-Louis Beffa –, qui seraient élus par les salariés sur une liste présentée par les syndicats. En Suède, la présence de salariés modifie considérablement l’esprit des délibérations au sein des conseils d’administration.

J’ajouterai un point supplémentaire qui ne figure pas dans notre rapport. Les rapports français sur la gouvernance ont été rédigés par des commissions réunies sous l’égide de l’Association française des entreprises privées (AFEP) et du MEDEF – les deux commissions Viénot, le groupe de travail présidé par Daniel Bouton – et composées quasi exclusivement de dirigeants d’entreprises. Il serait utile que la réflexion sur la gouvernance des entreprises soit menée par une commission comprenant aussi des économistes et des représentants des salariés.

Au-delà, il semble nécessaire de stabiliser les règles juridiques et fiscales. Un investissement se décidant sur plusieurs années, si on a le sentiment que les règles juridiques et fiscales, aussi bonnes soient-elles, sont susceptibles de changer rapidement, on n’en tiendra pas compte et on fera au contraire l’hypothèse du scénario le plus pessimiste. On ne sait pas utiliser des règles qui changent. Nous citons à titre d’exemple la taxe professionnelle, qui a été modifiée deux fois par an en moyenne depuis sa création. Cela nous conduit à penser qu’il ne faut pas corriger le crédit d’impôt recherche ; notre idée de départ était pourtant de l’améliorer, mais nos discussions avec les chefs d’entreprise nous ont convaincus qu’un mécanisme que l’on perfectionne sans cesse est un mécanisme sur lequel on ne peut pas compter, et qui n’est pas pris en compte dans les décisions d’investissement. J’ajoute que l’instabilité des règles est plus grave pour les PME que pour les grandes entreprises, car celles-ci disposent de ressources juridiques pour gérer le problème.

Nous plaidons nous aussi pour une réduction des prélèvements obligatoires sur les entreprises industrielles exportatrices.

Nous plaidons pour la négociation d’accords de compétitivité au sein des entreprises. Cette formule, qui marche bien en Allemagne, est mal perçue en France, faute d’un climat de confiance entre les partenaires sociaux ; pour que cela fonctionne, il faut garantir qu’il existe de part et d’autre des contreparties : il ne s’agit pas de demander des sacrifices aux uns pour améliorer les résultats des autres. À cette condition, les accords de compétitivité contribueront à la bonne gouvernance et au progrès.

Nous plaidons pour une réduction des délais en matière de droit social. Le problème des plans sociaux n’est pas leur générosité à l’égard des salariés, mais les incertitudes qui existent en amont et en aval : prendre une telle décision fait peur et cela suscite une réticence à s’installer en France.

Nous plaidons pour la création d’une « commission du temps ». Chacun sait que le temps, c’est de l’argent, mais on a parfois l’impression que notre système administratif et juridique l’oublie… Il ne s’agit pas seulement de simplifier les procédures, mais d’aider les chefs d’entreprise à maîtriser le temps.

Trop souvent dans notre pays, les petites entreprises font crédit aux grandes, alors qu’elles ont plus de mal à obtenir des prêts bancaires. Ce n’est pas bon pour leur développement, et cela mériterait d’être corrigé.

Le système juridique européen est entièrement tourné vers le consommateur et la concurrence, et pas assez vers la production et la croissance. Il convient de rééquilibrer les choses. Nous devons imposer le concept de réciprocité dans les relations commerciales, refuser toute naïveté dans les négociations internationales, et suivre l’exemple de nos concurrents qui appliquent de manière rigoureuse des normes destinées à protéger leur industrie – sur les quatre pays cités par Jean-Louis Beffa, trois sont explicitement protectionnistes et l’Allemagne arrive au même résultat par d’autres moyens.

Pour le reste, je ne peux que répéter ce que Jean-Louis Beffa a dit sur le prix de l’énergie. Il faut en outre veiller à ce que la réforme bancaire ne porte pas atteinte à la capacité des banques à financer l’économie. La mise en place de ratios de liquidité ne doit pas étouffer leur capacité d’intervention en faveur de l’économie réelle. On peut penser ce que l’on veut du secteur financier, mais il doit pouvoir continuer à soutenir le développement des entreprises.

M. Jean-Louis Beffa. Je suis d’accord à presque cent pour cent avec ce qui vient d’être dit ; j’apporterai juste quelques nuances.

S’agissant du crédit d’impôt recherche, je pense qu’il est tout de même nécessaire de rétablir la possibilité de lancer de grands programmes industriels. Et comme l’argent se fait rare, peut-être faudrait-il le transférer des grands groupes vers ces nouveaux programmes.

Je crois que les leverage buy-out (LBO) sont des outils dangereux. Or l’État les favorise en autorisant la déduction fiscale des frais financiers. Il faut que vous adoptiez un texte pour changer cela, par exemple en interdisant, comme en Allemagne, de déduire l’intégralité des frais financiers en cas d’endettement excessif.

S’agissant du droit de vote double, je pense moi aussi qu’il faut inverser le dispositif. Mais il faudrait faire de même pour les « bons Breton », qui est le seul système permettant à une entreprise de se défendre contre une OPA hostile : ils devraient être de droit pour les entreprises cotées et l’on ne devrait pouvoir y renoncer qu’à l’issue d’un vote de l’assemblée générale. Avec le niveau actuel de la Bourse, le capital de nombreuses entreprises françaises est en péril : si vous ne faites rien, vous aurez bientôt une nouvelle affaire Pechiney.

Je suis en effet favorable à la présence de quatre représentants des salariés au sein des conseils d’administration, mais je propose que trois soient élus et que le quatrième soit désigné par la centrale syndicale la plus représentative au sein de l’entreprise. En Allemagne, la moitié des représentants des salariés sont désignés par les centrales syndicales : c’est fondamental pour que celles-ci assimilent la réalité industrielle du pays. Le problème, c’est que des entreprises comme Lafarge, Saint-Gobain industriel ou Air Liquide ne réalisent plus que 13 % de leur chiffre d’affaires en France, et que le dialogue entre le monde politique et celui des grandes entreprises est très insuffisant. Vu la gravité de la situation, il est indispensable de le relancer.

M. Louis Schweitzer. Concernant les représentants des salariés, je préfère ma formule.

Concernant les LBO, Jean-Louis Beffa a raison : il faut d’urgence prendre une mesure fiscale allant dans ce sens.

Quant au crédit d’impôt recherche, il a deux objectifs : pour les PME, les aider à faire de la recherche ; pour les grandes entreprises, les inciter à ne pas délocaliser la recherche hors de France – ce qui est actuellement la tendance.

M. le président François Brottes. Merci, messieurs, pour vos propositions extrêmement précises et concrètes, qui sont presque immédiatement transposables.

Compte tenu de ce qui s’est passé hier, pour que nous soyons le plus efficace possible, je vous propose de limiter la durée de l’intervention des représentants des groupes à deux minutes trente. Je remercie par avance les autres orateurs de ne poser qu’une ou deux questions. (…)

M. André Chassaigne. Je souhaite tout d’abord remercier les deux intervenants. Certes, nous n’utilisons pas les mêmes mots, mais j’ai trouvé vos propositions extrêmement intéressantes – notamment celle visant à nous guérir de cette crampe mentale consistant à toujours tout ramener à la compétitivité.

Vous avez rappelé les fondamentaux : l’exigence de l’investissement, qui concerne non seulement les machines et l’immobilier, mais aussi les nouvelles technologies, la recherche, le développement, la formation, et celle d’une efficacité que je lierais pour ma part à l’évolution des modes de production et à une forme de planification écologique aujourd’hui indispensable. Mais ces exigences se heurtent à l’obstacle du niveau de rentabilité financière actuellement exigé, ce qui a trois conséquences : l’écart entre le taux de croissance et le taux de rentabilité ; le décalage entre l’horizon de l’investissement et la tyrannie du court terme ; le fossé entre l’industrie, qui exige des investissements à long terme, et d’autres formes d’économie, rentables à court terme. Ces considérations conditionnent les propositions que l’on peut faire.

Je reviendrai sur trois points.

D’abord, je crois que l’on n’a pas intérêt à établir une différence entre deux formes d’industrie, celle qui produirait pour la France et celle qui exporterait. Si les pôles de compétitivité n’ont pas atteint leur objectif, c’est précisément parce qu’ils ont essentiellement servi à alimenter les multinationales exportatrices, au détriment des PME, dont les productions sont locales. Il faudrait les transformer en de véritables pôles de coopération entre les deux types d’industrie.

Ensuite, le rôle de l’État ne devrait-il pas dépasser la simple mise en relation des acteurs ? Ne faudrait-il pas rechercher un effet de levier, par exemple en créant un pôle financier public capable d’orienter l’industrie ?

Enfin, vous avez raison, il faut faire évoluer la gouvernance des sociétés, mais pourquoi réserver la démocratie sociale aux seules grandes sociétés cotées ? Il faut donner de nouveaux pouvoirs aux salariés dans l’ensemble du secteur industriel ! En outre, vous laissez de côté tout ce qui touche à l’économie sociale et solidaire, alors qu’on peut y développer certaines formes de coopération. Il faudrait, là aussi, mettre en œuvre des outils législatifs.

(…)

M. Jean-Louis Beffa. Première chose : il faut reparler de l’entreprise, et pour commencer à l’école. Or, les programmes, en particulier dans le secondaire, n’en traitent pas et les enseignants ne sont pas assez sensibilisés, notamment à l’intérêt des formations en alternance. Je participerai avec plaisir à la grande concertation pour la refondation de l’école que va organiser M. Vincent Peillon et à laquelle il m’a fait l’honneur de me convier. De même, lorsque je rencontre M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, je ne manque jamais de lui demander que les syndicats aident à rapprocher l’école et l’entreprise. Ce sujet devrait transcender les clivages droite-gauche.

On a jusqu’à présent en France, avec de très bonnes intentions, pris davantage en compte les préoccupations des consommateurs et édicté des règles qui les ont considérablement avantagés, au détriment des producteurs. Il faudrait rééquilibrer cette approche.

En cinq ans, le coût du travail s’est accru de 15 % en France par rapport à l’Allemagne – on le constate dans les usines de Saint-Gobain. Les salaires ont été extrêmement comprimés outre-Rhin, avec d’ailleurs des contreparties pour l’industrie : recherche-développement, création d’emplois dans le pays. Chez Siemens, où des représentants des syndicats siègent au conseil d’administration, quand un nouveau projet est présenté, que 30 % à 40 % des emplois futurs soient sur le sol allemand fait partie intégrante de la stratégie de l’entreprise. C’est une telle perspective qu’il nous faut avoir en France.

N’opposons pas PME et grands groupes. Il faut soutenir les deux. Les membres de la représentation nationale, parce qu’ils sont les élus d’une circonscription, connaissent très bien les PME, qui jouent un rôle essentiel en matière d’emploi. A l’inverse, le dialogue avec les grands groupes a disparu. De grâce, ne les clouez pas au pilori. Renouez au contraire avec eux un dialogue constructif.

Pour garantir la compétitivité prix, il faut alléger les charges pesant sur les producteurs, quitte à faire payer un peu plus les consommateurs. On vient d’abroger l’augmentation de la TVA qui avait été décidée. Il faudra donc relever la CSG car il n’est que deux voies possibles pour diminuer le niveau des charges sociales, anormalement élevé en France par rapport aux autres pays européens. L’objectif est de parvenir à une plus grande convergence avec l’Allemagne.

Les vingt-sept pays de l’Union européenne sont trop hétérogènes pour poursuivre la construction européenne sur cette base. Il faut rebâtir l’Europe sur la zone euro et travailler à un rapprochement structurel des législations et des pratiques entre notre pays et l’Allemagne, sans oublier bien sûr l’Espagne, l’Italie et sans doute la Pologne. Nous n’avons d’autre solution que d’aller beaucoup plus loin dans la coopération avec certains pays. L’euro inévitablement nous amènera à le faire. Cela ne sera pas facile, notamment en raison de différences culturelles. Mais si nous ne procédons pas à un tel rapprochement – je ne parle pas de fédéralisme –, nous n’existerons pas face à l’Asie ni aux États-Unis.

Il faut aussi revoir la politique de la concurrence au niveau européen. Les autorités de Bruxelles limitent par exemple, de manière tatillonne, les aides publiques à la recherche-développement, pendant que les entreprises japonaises reçoivent, elles, des milliards à ce titre ! Au lieu de se concentrer de façon nombriliste sur ce qui se passe au sein de l’Europe, elles devraient prendre en compte la bataille mondiale. La politique européenne de la concurrence est l’un des plus grands dangers pour le renouveau de la politique industrielle européenne, et même tout simplement la survie industrielle de l’Europe.

J’en viens à la question de l’énergie. Le premier texte à prendre concernerait les économies d’énergie dans l’habitat. Abandonnez l’approche fiscale au profit de celle des normes, comme l’a fait l’Allemagne. Il faut très rapidement édicter des normes pour les logements anciens, de façon qu’il ne soit plus possible par exemple de changer une fenêtre par une qui ne garantisse pas une bonne isolation thermique.

Sur le nucléaire, soyez extrêmement prudents. Il est très dangereux de déclarer que la France va abandonner le nucléaire. On en déduit en effet à l’étranger qu’il vaut donc mieux acheter les centrales de Toshiba que celles d’Areva. C’est tuer l’une des rares filières industrielles françaises – héritée de l’action du général de Gaulle et du président Pompidou – se portant bien à l’exportation. Dites qu’une transition énergétique va s’engager et qu’il y aura une inflexion de la politique nucléaire, pas qu’on va arrêter le nucléaire.

La France a la chance, de par sa géologie, de posséder du gaz de schiste. Vous aviez, à juste titre, institué un moratoire car on ne disposait pas jusqu’à présent de toutes les garanties. Il faut maintenant, d’urgence, accepter une expérimentation. Pour avoir étudié le sujet dans le détail, je suis convaincu que des progrès significatifs sont possibles. Le coût d’un programme expérimental ne représente rien par rapport à ce qui a pu être dépensé dans d’autres domaines. Nous pourrions, avec le gaz de schiste, économiser 20 milliards d’euros sur nos importations. N’en faites pas une question de principe, autorisez l’expérimentation – je ne dis pas l’exploitation.

Dans la filière des énergies renouvelables, il faut impérativement parvenir à des rapprochements européens. Sinon nous ne pourrons pas faire face à la concurrence chinoise. Pour rencontrer beaucoup de dirigeants chinois, de ce secteur notamment, lors de mes fréquents déplacements en Chine, je sais qu’un défi considérable attend l’Europe.

Un mot du secteur automobile. Renault a dû fermer son usine de Vilvorde en raison de surcapacités. PSA doit aujourd’hui faire de même avec l’usine d’Aulnay, dont la fermeture est inévitable. La vraie question est de déterminer la stratégie qui permettra au groupe de continuer d’exister et, grâce à une compétitivité retrouvée, de reconquérir des positions.

Je terminerai par le financement de l’industrie. OSEO a aujourd’hui deux faces pour ainsi dire, innovation et financement, la première étant étouffée par la seconde. Que la structure soit désormais gérée par des financiers pénalise la stratégie d’innovation. Il faut que dans la nouvelle entité qui sera mise en place, le volet innovation soit suffisamment séparé. Ensuite, il faut associer l’Agence des participations de l’État qui pourrait fort bien céder certaines de ses participations. Mieux vaudrait affecter les sommes correspondantes au Fonds stratégique d’investissement. Il faut, selon moi, regrouper l’APE, le FSI et OSEO, décider d’actions stratégiques au niveau national et les décliner de manière largement décentralisée. Pour les chefs d’entreprise, comme l’a fort justement souligné Louis Schweitzer, la contrainte de temps est fondamentale. Les régions doivent pouvoir s’engager sans avoir à attendre toujours le feu vert de Paris. On gagnera à cette décentralisation, à condition que la future banque publique d’investissement intègre davantage le facteur temps dans son fonctionnement.

M. Louis Schweitzer. Ce ne sera une surprise pour personne, je partage très largement les réponses que vient d’apporter Jean-Louis Beffa. Je ne reprendrai donc pas les points qu’il a évoqués. Je n’apporterai qu’une nuance sur l’APE. Certaines participations de l’État sont utiles pour protéger les groupes de prédateurs.

M. Jean-Louis Beffa. Tout à fait. Simplement je pense qu’il n’est pas nécessaire que l’État détienne 36 % de GDF-Suez par exemple, 20 % suffiraient. Il est en revanche fondamental qu’il conserve une participation dans des entreprises comme Renault ou Air France. Il serait peut-être même utile d’en retrouver dans un groupe comme Thalès.

M. Louis Schweitzer. Sans doute. Détenir une part du capital d’une entreprise y donne à l’État des moyens d’action. On l’a vu dans le secteur automobile : sa capacité d’action n’était pas la même vis-à-vis de Renault ou de PSA.

Un mot de l’Europe. Il est vrai qu’il est beaucoup plus facile de coopérer à un petit nombre de pays mais au sein même de la zone euro, certains pays à très bas coût de main-d’œuvre sont pour nous des concurrents. Les politiques européennes de la concurrence et du commerce international ne peuvent pas être conduites au niveau de la zone euro, laquelle ne comporte pas de frontières au sein de l’Union. Ces deux politiques européennes, déterminantes en matière industrielle, sont menées à vingt-sept. Il faut trouver le moyen d’amener la Grande-Bretagne de notre côté, ce qui n’est pas toujours facile.

Je ne crois pas beaucoup à une politique industrielle européenne active. On discourt depuis longtemps sur le sujet mais, l’expérience l’a prouvé, la règle du juste retour conduit à ce qu’on saupoudre des crédits, avec un coût de distribution élevé et de très longs délais d’attribution.

L’Union européenne devrait se concentrer sur les négociations commerciales internationales et revoir sa politique de la concurrence.

Sur le coût du travail ou la BPI, je n’ai rien à ajouter à ce qu’a dit Jean-Louis Beffa.

Sur la nécessité de parler davantage de l’entreprise à l’école, j’applaudis des deux mains, de même que sur les gaz de schiste.

Je voudrais souligner l’importance de la flexibilité – par quoi je n’entends pas une plus grande facilité à licencier. Je pense aux contrats à durée déterminée, aux mesures de chômage partiel ou bien encore au passage en troisième équipe. En 1992, Renault manquait de capacités pour faire face à la demande. Nous avions le choix entre construire une usine, ce que nous aurions nécessairement fait dans un pays à bas coût de main-d’œuvre, ou introduire une troisième équipe, de nuit, dans nos usines françaises. C’est ce dernier choix que nous avons fait. Cela était économiquement rationnel car cela nous évitait de coûteux investissements. Si cette flexibilité n’avait pas été possible, nous aurions construit une usine à l’étranger. Et lorsque les ventes auraient diminué, car l’industrie est cyclique, ce n’est pas la dernière usine construite, la plus moderne, que nous aurions fermée, mais d’autres, plus anciennes, en France.

Comme Jean-Louis Beffa, je pense que la fermeture de l’usine d’Aulnay est inévitable. Si Renault va mieux que PSA en ce moment, c’est qu’il a en son temps pris le contrôle de Nissan, racheté Dacia et est entré au capital de Volvo Trucks avec sa branche Renault Véhicules industriels. C’est en se mondialisant que Renault s’est évité certains problèmes en France !

Il n’appartient pas à l’État de définir la politique des filières industrielles. C’est aux filières de proposer la leur et de dialoguer ensuite avec l’État. Je suis frappé du patriotisme industriel des chefs d’entreprise allemands. Il n’existe rien d’analogue chez les chefs d’entreprise français. Il faudrait que leur mentalité évolue sur ce point. Le dialogue devrait y aider.

Dernier point : lorsque des actionnaires exigent une rentabilité de 10 % ou 15 %, voire 20 %, dans un monde où la croissance n’est en moyenne que de 3 % par an, cela conduit à réduire les investissements, donc les capacités de croissance et, partant, à faire arbitrer, en contexte de reprise, en faveur d’une hausse des prix plutôt que d’une croissance de la production. Or, c’est l’inverse qui serait préférable.

(…)

(…)

M. Jean-Louis Beffa. Un mot de la participation et de l’intéressement. Le législateur devrait prêter la plus grande attention aux projets du Gouvernement de relever les charges sur ces éléments de rémunération. L’actionnariat salarié – lequel, dans un groupe comme Saint-Gobain, représente 11 % du capital social – risque d’être mis en péril. Ce n’est pas en taxant les plans d’épargne entreprise qu’on résoudra les problèmes de la Sécurité sociale ! Mais le ministère des finances cherche à faire feu de tout bois. Le Parlement doit être vigilant : les textes en préparation seront extrêmement préjudiciables.

J’en viens aux syndicats. Au risque d’être schématique, je dirai que Force ouvrière s’intéresse assez peu au secteur industriel, concentrant son action sur la défense de la fonction publique. Lorsque j’étais président de Saint-Gobain, j’ai eu un dialogue permanent avec les représentants de la CGT dans le groupe. Durant toutes ces années, je me suis rendu trois fois par an devant le comité d’entreprise pour expliquer notre stratégie. Il était pour moi essentiel de montrer que tout en se développant à l’étranger – implanté au départ dans 18 pays, le groupe l’est maintenant dans 64 –, le groupe avait le souci du destin de ses entreprises en France. J’ai, hélas, dû procéder à de multiples restructurations et fermer des usines. En examinant avec soin le cas particulier de chaque salarié, nous sommes toujours arrivés à un taux de reclassement d’au moins 90 %. Nous accordions également des prêts bonifiés aux PME qui acceptaient de créer de nouveaux emplois sur nos sites. Nous faisions tout pour que les plans sociaux soient les moins douloureux possible. Cela étant, un plan social est toujours un profond traumatisme pour les personnels concernés et croyez bien que de telles décisions ne sont jamais faciles à prendre. La CFDT est très impliquée sur le plan industriel, notamment en Lorraine – je le sais pour avoir été président de Pont-à-Mousson –, mais elle est aussi très forte dans les services. A la CGT, il y a actuellement un débat entre fédérations du privé et fédérations du public, comme cela transparaît d’ailleurs dans le choix du successeur de M. Bernard Thibault. Les fédérations CGT du privé n’ont pas une attitude très différente de l’IG Chemie allemand, mais il y a de fortes différences entre fédérations au sein du syndicat.

M. Henri Jibrayel. Et IG Metall ?

M. Jean-Louis Beffa. M. Huber, qui préside depuis vingt ans aux destinées d’IG Metall, est également vice-président de Siemens et de Volkswagen. Je puis vous dire que lorsqu’il s’exprime au conseil d’administration de Siemens, il est écouté avec une extrême attention.

En Allemagne, avant d’aller défendre des normes à Bruxelles, le ministère de l’environnement se concerte d’abord avec les industriels. Ce n’est, hélas, pas le cas en France, quel que soit d’ailleurs le pouvoir en place. Résultat : dans de nombreux secteurs, dont l’automobile, l’industrie française a été désavantagée dans les arbitrages européens par rapport à l’industrie allemande, tout simplement parce que les pouvoirs publics n’ont pas défendu leur industrie avec la même vigueur que les pouvoirs publics allemands ont défendu la leur. Cela doit changer. Demandez à la nouvelle ministre de l’environnement ce qu’elle entend faire en ce domaine. Je m’excuse de le dire, mais en son temps M. Borloo s’est beaucoup moins battu que son homologue allemand.

Mme Laure de La Raudière. Il faudrait également pousser les syndicats des industries françaises à agir à ce niveau.

M. Jean-Louis Beffa. Les politiques européennes déterminantes en matière industrielle touchent au commerce extérieur et à la concurrence. Et là, il faut inverser la tendance. Il n’est pas de tradition en Europe d’instaurer des droits anti-dumping comme le font les États-Unis ou la Chine. Les États-Unis ont très vite taxé à 30 % les panneaux photovoltaïques chinois, alors que l’Union européenne, elle, n’a rien fait. L’une des entreprises allemandes du secteur vient ainsi d’être reprise par un groupe chinois. Autre exemple de décision devant laquelle les bras vous en tombent : la Commission européenne a bloqué la fusion entre NYSE Euronext et la Bourse allemande, ce qui aurait pourtant permis de créer le numéro un mondial du secteur. Ce manque total de nationalisme européen fait bien rire en Asie !

Force est de constater qu’à l’Agence pour l’innovation industrielle, nous avons eu de bien meilleurs programmes émanant d’entreprises familiales de taille moyenne comme Mérieux que nous n’en avons eu des grands groupes. Je veillais toujours dans les contrats à ce que dans tous les programmes il y ait un chef de file mais aussi à ce que les grands groupes n’abusent pas des PME. Lors de la fusion entre l’AII et OSEO, ce n’est hélas pas un chef d’entreprise qui a pris la tête de la nouvelle entité. Par ailleurs, aucun programme d’un coût supérieur à 10 millions d’euros n’était accepté, ce qui était une erreur car certains programmes exigent une taille suffisante. Il ne faut pas opposer PME et grands groupes. Il faut aider les deux, de façon différente et adaptée à chacun.

Pour les PME, j’ai une proposition immédiate à faire. La future banque publique d’investissement ne doit pas seulement leur accorder des crédits mais aussi, sans interférer dans la gouvernance de ces entreprises familiales, les doter de fonds propres à long terme. La meilleure façon de répondre aux besoins des PME, ce sont les actions à dividende prioritaire, qui sont un moyen de lever des fonds sans diluer le capital puisque les détenteurs de ces actions ne disposent pas de droit de vote.

S’agissant du modèle social français que je ne considère d’ailleurs pas franco-français mais plus largement européen, bien sûr qu’il faut conserver cet acquis ! Imagine-t-on que l’on puisse comme aux États-Unis ou en Grande-Bretagne recevoir un simple courrier et être licencié dans les six mois ?

Un mot des pôles de compétitivité. Très utiles, ils gagneraient à être davantage structurés en projets. Partout une entreprise chef de file devrait s’engager avec les autres à investir puis à produire à l’issue des programmes. Il est dommage qu’on s’en tienne trop souvent à de la concertation et que cela ne se traduise pas assez par des réalités concrètes sur le terrain.

Quant aux clusters, ils existent dans les pôles de compétitivité de grande taille, comme à Grenoble, Lyon ou Toulouse. Mais rien n’empêche d’être moins formel et de faire preuve de souplesse. Ainsi Saint-Gobain s’est-il associé au pôle de compétitivité Céramiques industrielles créé à Limoges, bien que son centre de recherches soit à Cavaillon mais comment le groupe aurait-il pu rester en dehors alors que c’est lui qui mène les recherches les plus approfondies en France en ce domaine ?

Dans toutes mes propositions, je ne demande pas que l’État se substitue aux entreprises mais crée un contexte favorable non seulement à l’activité économique mais aussi à un dialogue entre syndicats et entreprises. Ce dialogue n’est d’ailleurs possible que si l’État ne se substitue pas aux entreprises.

Un dernier mot sur Florange et Arcelor Mittal. Je n’ai bien évidemment rien contre la sidérurgie et quand j’étais président de Pont-à-Mousson, j’ai prouvé que je défendais l’industrie lorraine. Nous avions modernisé les trois usines lorraines du groupe, nous gardant de construire alors des usines de bord de mer qui, par nature, les auraient condamnées, et ces trois usines sont toujours là. Cela ne m’empêche pas d’avoir mon opinion sur le projet Ulcos, qui vise à capter le CO2 issu de l’industrie sidérurgique et dont le coût s’élève à 600 millions. L’Allemagne a refusé de s’orienter dans cette voie. Le but, chacun le sait, est de sauver les hauts fourneaux d’Arcelor Mittal en Lorraine. Soit, sachant d’ailleurs que l’on ne fera que sauvegarder les emplois actuels. Mais pour un même montant de 600 millions, on pourrait créer deux usines les plus modernes d’Europe en matière d’énergies nouvelles. Vaut-il mieux conserver une activité qui de toute façon n’aura pas de débouchés même si le projet marche ou implanter des usines à même de créer des emplois nouveaux ? Le problème, je ne l’ignore pas, est que ce ne seront pas les mêmes emplois. Or, la sidérurgie en Lorraine est une activité historique, qui parle au cœur des habitants et dont le destin suscite toujours une vive émotion. Je vous prie de m’excuser d’avoir, en tant qu’ingénieur, parlé avec la raison, sans l’implication sur le terrain que peuvent avoir les élus de la région – que je comprends parfaitement. Mais il faut aussi parfois dire les chiffres.

M. Louis Schweitzer. Les plates-formes locales de France Initiative dépendent aujourd’hui largement du concours des collectivités, en particulier des départements. La réforme des collectivités locales n’est pas sans les inquiéter. Les régions ou les communautés d’agglomération prendront-elles entièrement le relais ? La Caisse des dépôts et consignations a un rôle-clé à jouer, d’autant que ne sont pas là en jeu des millions d’euros. Ce tissu de TPE est très important sur le plan social et pour la vitalité des territoires.

Pour les PME, la constitution de filières est essentielle. Les grands groupes, industriels ou de distribution, doivent les soutenir et les aider à grandir. Là encore, nous pourrions nous inspirer de ce qui se fait en Allemagne. Je prendrai l’exemple de l’agro-alimentaire, filière essentielle pour l’industrie française, et de la grande distribution, où la France possède les plus grands groupes mondiaux après les États-Unis. Nous n’encourageons pas assez ces grands groupes, présents dans le monde entier, à emmener dans leur sillage nos producteurs agro-alimentaires. Or, pour en avoir parlé avec eux, je sais que les patrons des grands groupes de distribution sont tout à fait disposés à le faire si on le leur demande. Point n’est besoin là de mesures légales ou réglementaires, simplement de demander à ces chefs d’entreprise de contribuer au développement de la filière agro-alimentaire tout entière, et de les convaincre que le petit investissement que cela leur demande dans l’immédiat leur sera utile à long terme.

Pour ce qui est des normes, ce qu’a dit Jean-Louis Beffa est tout à fait exact : contrairement à ce qui se passe en France, en Allemagne, les normes sont d’abord discutées avec les industriels. Il faudrait qu’il en aille de même dans notre pays. Les règles de commercialisation des produits étrangers devraient également être revues. Pour vendre un produit français en Allemagne, il faut recevoir l’aval des organismes de normalisation allemands. Pour vendre un produit allemand en France, il suffit au producteur de s’autocertifier. Pourquoi n’y a-t-il pas de réciprocité ? Je ne m’étends pas sur le risque pris lorsqu’il s’agit de produits chinois dont les fabricants s’autocertifient. Dans ces domaines également, ce n’est pas une question d’argent, mais de volonté. Et il faut agir au niveau national. Cela ne signifie pas que l’Union européenne ne doive pas plaider la réciprocité et se garder de toute naïveté. Mais on ne peut pas lui reprocher notre propre inaction.

Je suis pleinement d’accord avec ce qu’a dit Jean-Louis Beffa sur les pôles de compétitivité. J’ajoute seulement qu’un dialogue structuré avec de grandes entreprises publiques comme EDF et de grands organismes publics de recherche comme le CEA ou le CNRS, qui ont d’importantes capacités d’intervention dans le domaine par exemple des énergies nouvelles, permettrait qu’ils soutiennent davantage ces filières.

S’agissant des plus-values, pas besoin de les taxer à 75 %, il suffit de les tenir pour des bénéfices comme les autres. Cela éviterait bien des complications tout en permettant d’obtenir l’effet recherché.

Je ne suis pas d’accord avec l’idée que certaines industries auraient un avenir, d’autres pas. Mon expérience m’a appris qu’il y avait seulement des entreprises dynamiques et d’autres moins. Décréter qu’une entreprise appartient à un secteur du passé n’est pas la meilleure façon de la motiver. Même dans des domaines dits traditionnels, il existe des possibilités de développement. Pour avoir pendant treize ans présidé une entreprise dont on m’avait expliqué à ma prise de fonctions qu’elle était condamnée, non à cause de ses pertes, mais parce que c’était une entreprise du passé, je suis convaincu que partout il peut y avoir un avenir.

Je partage totalement ce qui a été dit sur le modèle social français. Tous les classements internationaux font apparaître le Danemark, la Norvège et la Suède, dont le modèle social est très proche du nôtre, parmi les pays les plus compétitifs du monde. Sacrifier notre modèle social à notre compétitivité serait une grave erreur, et même une faute.

Simplifier la réglementation sociale, trop compliquée dans certains cas, mieux prendre en compte le facteur temps, bien sûr. Attention toutefois à ce que la jurisprudence ne vienne pas remplir les vides laissés par le législateur, car les procédures judiciaires sont encore plus longues que les procédures administratives ! Ne tombons pas de Charybde en Scylla.

Oui, il faut encourager la participation des salariés. Je suis plus nuancé sur l’intéressement qui me paraît une forme de salaire comme une autre, qui devrait donc supporter des charges proches de celles pesant sur les autres éléments de salaire.

S’agissant du crédit impôt recherche, je redis qu’il y a plus d’avantages à le stabiliser qu’à chercher sans cesse à le perfectionner. On réforme ainsi la taxe professionnelle depuis seize ans. Je ne suis pas certain que cela ait été une réussite…

Je ne dresserai sans doute pas la même typologie des syndicats que Jean-Louis Beffa. Ce que je sais d’expérience est qu’un dialogue, ouvert et de bonne foi de part et d’autre, est possible sur tous les problèmes avec les syndicats. On entend souvent déplorer le manque de représentativité des syndicats français. C’est une erreur que de se fonder seulement sur le nombre des militants. Le taux de participation aux élections professionnelles dans les grandes entreprises est très élevé, preuve que les salariés ont confiance dans les syndicats pour défendre leurs intérêts. Et les syndicats ont envie de dialoguer de manière constructive avec les dirigeants des entreprises.

Y a-t-il encore un avenir pour les usines en France ? Oui, car il n’est pas économiquement rationnel d’en fermer une ici pour en construire une autre dans un pays à bas coût de main-d’œuvre – en tout cas dans le secteur automobile, que je connais bien. Ce qu’il faut éviter est de créer de nouvelles capacités au lieu d’utiliser au mieux celles qui existent. J’ai expliqué comment une certaine flexibilité pouvait y pourvoir. Nécessaire en phase ascendante de cycle pour répondre à la demande, elle évite la création de nouvelles usines à l’étranger qui, à terme, dans les creux conjoncturels, condamne les usines françaises.

M. le président François Brottes. Il me reste, au nom de l’ensemble des commissaires, à vous remercier, M. Beffa, M. Schweitzer, pour la qualité de vos interventions et des échanges qu’elles nous ont permis. Mon seul regret est que, comme toujours, nous ayons manqué de temps…

Je propose à notre commission, qui ne peut pas créer de mission d’information sur le coût du travail stricto sensu ni sur les rémunérations car cela ne relève pas de ses compétences, de réfléchir à l’opportunité d’en créer une sur les coûts de production. Celle-ci aborderait de manière transversale plusieurs volets : recherche, énergie, rémunérations, financement et amortissement des équipements, maintenance, logistique, normes environnementales et de sécurité, lien avec les territoires, formation, fiscalité, régulation… Le chantier est immense, comme l’ont démontré nos échanges ce matin.

Voir le compte-rendu intégral sur le site de l’AN.

Pour en savoir plus : André Chassaigne - JB

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