14-04-2004

Situation des bouilleurs de cru

2e SÉANCE DU JEUDI 8 AVRIL 2004

POLITIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE -deuxième lecture- (suite)

Extrait


ART. 17 TER

Mme Jacqueline Fraysse - Mon collègue Chassaigne m’a chargée d’intervenir sur un article qui traite d’une question peu familière à une députée des Hauts-de-Seine, mais très sensible pour un élu du Puy-de-Dôme.

Le privilège des bouilleurs de cru, estime M. Chassaigne, est un droit ancien et un élément non négligeable de la culture rurale en France.

M. Jean-Marie Le Guen - Ah ! Ah !

Mme Jacqueline Fraysse - Les habitants de nos campagnes ne comprennent donc pas pourquoi certains veulent absolument remettre en cause cette tradition.

L’article 17 ter, qui tend à supprimer le privilège des bouilleurs de cru, a été adopté par le Sénat au nom de la lutte contre l’alcoolisme. C’est pour le moins excessif. Pourquoi s’acharner contre les bouilleurs de cru, dont la production représente 0,14 % de la consommation d’alcool en France, et n’a aucune préoccupation mercantile, tout en laissant en même temps les grands groupes de distillation vendre librement leurs productions ?

Les motivations de cet article sont donc au mieux contestables, au pire douteuses.

D’autant que les détenteurs de ces privilèges sont peu nombreux, et que 15 % d’entre eux à peine utilisent leurs droits (Approbations sur les bancs du groupe UMP).

Dans le Puy-de-Dôme, 1 646 bouilleurs de cru seulement l’ont fait durant la campagne 2001-2002. En Auvergne on ne compte plus que 36 distillateurs dont l’activité de bouilleur ambulant constitue un complément de ressources pour ces agriculteurs souvent en difficulté.

M. François Vannson - Très bien !

Mme Jacqueline Fraysse - C’est pourquoi M. Chassaigne, avec son groupe (Rires sur les bancs du groupe UMP), vous propose de ne pas adopter cet article et soutient l’amendement de suppression déposé par M. Vannson (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Vannson - Vous transmettrez mes remerciements à notre collègue Chassaigne, qui exprime la solidarité existant au sein du groupe montagne, que j’ai l’honneur de présider !

Nos collègues sénateurs ont abrogé le dispositif relatif aux bouilleurs de cru qui avait été voté à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2003 et jugé comme un excellent compromis, permettant à la fois la sauvegarde de nos traditions régionales et la simplification du droit, avec la mise en place d’un régime unique. Dans la discussion générale, Monsieur le ministre, vous avez déclaré à juste titre qu’il ne fallait pas diaboliser les bouilleurs de cru. Il n’est pas convenable d’utiliser l’argument de la lutte contre l’alcoolisme pour le supprimer, alors que ces alcools familiaux représentent à peine 0,14 % de la consommation d’alcool. Il ne l’est pas davantage, au regard de la nécessaire stabilité juridique, de remettre en cause à toute occasion ces dispositions. C’est pourquoi je demande par mon amendement 1 la suppression de cet article (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Les amendements 2 de M. Gatignol et 263 de M. Sauvadet sont identiques. On peut considérer qu’ils sont défendus.

M. Yves Bur - La commission a donné un avis favorable à cet amendement.

M. le Ministre - 0,14 % de la consommation, c’est effectivement pas beaucoup… Par ailleurs, j’ai été ministre de la culture et je sais que certaines traditions méritent d’être respectées. Je devrais normalement dire non, mais je m’en remets donc à la sagesse de l’Assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Frédéric Reiss - Il est indispensable de supprimer cet article afin de rétablir le dispositif que nous avions adopté à l’automne 2002. Quand on se promène dans nos campagnes, on voit des vergers en friche, des arbres fruitiers vieillissants, des fruits qui pourrissent à terre. De nombreuses associations d’arboriculteurs se mobilisent à longueur d’année pour réhabiliter les vergers. Dans ma circonscription, le parc naturel des Vosges du Nord organise pour la deuxième fois un festival des vergers pour inciter à la replantation d’arbres fruitiers haute tige. C’est une question de sauvegarde des paysages. La possibilité offerte aux propriétaires d’arbres fruitiers de bénéficier d’un abattement fiscal de 50 % sur les dix premiers litres d’alcool est un privilège minime.

La tradition ancestrale qui consiste à planter, entretenir, tailler, récolter, distiller représente des efforts suivis, tout au long de l’année, alors que pour les alcooliques, il suffit d’acheter des bouteilles d’alcool dans les supermarchés ! Les bouilleurs de cru produisent en général à des fins personnelles. Nous disons oui à la lutte contre l’alcoolisme, mais ne nous trompons pas de combat : l’avenir des ceintures vertes autour de nos villes et de nos villages est aussi en jeu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Martine Billard - Je n’ai toujours pas compris pourquoi les fruits des vergers de France devaient forcément se transformer en alcool… (Sourires) Je suis très favorable au développement des vergers, qui sont très beaux au printemps, mais je préfère les fruits crus, en tarte ou en confiture !

Par ailleurs, eu égard à toutes les déclarations qui ont été faites sur la nécessité de s’attaquer aux « niches fiscales », comment nos collègues de l’UMP peuvent-ils justifier leur position ? Il y a sans doute d’autres moyens d’aider les propriétaires de vergers…

Le Sénat a eu beaucoup de courage, et je souhaite que cet article soit maintenu. Le sénateur Chérioux - qui, je pense, me saura gré de le citer- a expliqué que, détenteur lui-même du privilège, il peut dire que l’alcool ainsi fabriqué est un danger public et qu’étendre ce privilège serait une très mauvaise chose…

M. Jean-Marie Le Guen Je voudrais d’abord m’excuser auprès de ceux de nos collègues qui, du fait du retard pris dans la discussion du projet, ont été obligés de rester aussi tardivement à Paris…(Sourires)

Tout petit, quand j’ai entendu parler de l’Assemblée nationale, il était déjà question des bouilleurs de cru. Certes, le privilège fiscal qui leur est accordé n’est pas considérable, surtout en comparaison des autres privilèges fiscaux que la majorité a coutume de distribuer (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Mais pourquoi défendre cette tradition et pas une autre ? La consommation d’absinthe en était une également bien ancrée dans nos terroirs, vantée par des poètes au XIXe siècle : il est quand même dramatique que les lycéens qui les étudient ne sachent plus ce que c’est que l’absinthe ! (Rires)

Le problème du privilège des bouilleurs de cru, c’est la fabrication de mauvais alcool (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Je ne parle pas de son goût, chers collègues, mais de son danger pour la santé ! Chaque année, des paysans sont fortement intoxiqués par ces alcools frelatés. Trop de démagogie peut être dangereux pour la santé publique. Mieux vaudrait des installations contrôlées de petites coopératives.

M. François Vannson - Monsieur Le Guen, j’aimerais vous inviter dans la France profonde…

M. Jean-Marie Le Guen - Il veut ma mort ! (Rires)

M. François Vannson - La distillation est très réglementée, contrôlée par l’administration, et cette disposition permettra d’améliorer encore la qualité des alcools consommés.

M. le Ministre - Suis-je également invité ? (Sourires)

M. François Vannson - Avec plaisir.

Les amendements identiques 1, 2 et 263, mis aux voix, sont adoptés.

L’article 17 ter est ainsi supprimé.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu, ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 35
.


Pour en savoir plus : Compte-rendu analytique à consulter sur le site de l’Assemblée Nationale

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