Monsieur l’Inspecteur d’académie,
Je vous remercie pour votre courrier en date du 31 janvier 2005 et me permets en retour d’exprimer quelques observations sur les orientations que vous présentez.
Tout d’abord, je regrette fortement la rigueur budgétaire que vous êtes conduit à mettre en œuvre compte tenu des moyens qui vous sont accordés. Vous connaissez mon action déterminée, à tous les niveaux, contre des choix politiques détestables qui asphyxient les services publics, et plus particulièrement ceux des territoires ruraux.
C’est bien dans ce cadre qu’il faut placer la suppression progressive des collèges ruraux à faible effectif, avec en perceptive à la rentrée 2005, dans le Puy-de-Dôme, la fermeture des collèges d’Ardes-sur-Couze et de Gelles. Dissimulant des objectifs comptables, ces décisions sont certes officiellement prises au regard de considérations éducatives que je connais. Mais ces arguments pédagogiques n’en sont pas moins discutables, notamment en l’absence d’étude approfondie et significative sur le devenir scolaire et professionnel des élèves des petits établissements.
Une étude scientifique récente de « l’Observatoire de l’école rurale » démontre d’ailleurs toute la valeur de l’enseignement en petite structure scolaire (publication des deux premiers tomes de cette étude effectuée par des chercheurs aux Presses universitaires de Franche-Comté). L’idée reçue, selon laquelle les enfants ne recevraient pas un bon enseignement dans les écoles rurales isolées, est ainsi de nouveau battue en brèche et confirme l’étude faite il y a une quinzaine d’années par Françoise Oeuvrard sur demande du Ministère de l’Education.
De plus, votre engagement « dans une réflexion et une action exigeantes qui concernent la nécessaire évolution du maillage du territoire en matière de collèges et d’internats » ne doit pas occulter une dimension importante de l’action de l’Etat : l’aménagement et le développement durable des territoires, et dans ce cadre la préservation des territoires ruraux.
Or, vous n’ignorez pas quelles sont les conséquences graves de la disparition d’un collège pour la commune siège : perte d’emplois et de population, baisse d’attractivité pour accueillir de nouveaux résidents et porteurs de projets, perte d’activité pour les commerçants et artisans, affaiblissement de la vie culturelle, mais aussi atteinte à la cohésion sociale avec un sentiment local d’abandon, voire d’exclusion.
Ainsi, dans le dossier de l’INSEE Auvergne de décembre 2004 (« Ecoscopie du Puy-de-Dôme) le chapitre « bassins de vie de l’espace rural » souligne que « la présence même des emplois liés au pôle de services (commerces, artisans, collège, médecins, infirmiers, etc.) permet à ces centres de maintenir une activité et de développer un véritable bassin de vie ».
Les décisions que vous serez amené à prendre seront donc d’une extrême gravité.
D’autre part, nous avons pu constater par le passé que des collèges dont la fermeture était imminente ont pu redresser leur effectif avec une politique adaptée et volontariste : au début des années 80, le Collège de St-Amant-Roche-Savine, que je connais si bien, et plus récemment le Collège de St-Anthème, qui a compté moins de 50 élèves, et dont la fermeture avait été annoncée dans la note (ci-jointe) préparant la rentrée scolaire 1997 : il accueille aujourd’hui 80 élèves et l’effectif est en progression à la rentrée prochaine.
En ce qui concerne les internats, leur baisse de fréquentation ne doit pas faire oublier l’importance de ces structures pour la scolarisation d’élèves aux motivations diverses : profession des parents, famille mono-parentale, difficultés sociales, nécessité d’un suivi scolaire… et plus largement le simple choix éducatif d’une scolarisation en résidence dans un petit établissement avec un internat à effectif réduit.
Je vous engage sur ce point à consulter les « Actes de la journée nationale d’étude et de réflexion », organisée par la Direction de l’Enseignement scolaire le 19 décembre 2000 pour le développement de l’internat scolaire public, et plus particulièrement l’allocution du Ministre de l’Education nationale Jacques Lang : « L’internat, une orientation clé de la politique du Ministère de l’Education nationale ».
Encore faudrait-il développer en ce domaine une politique volontariste, en donnant notamment aux établissements avec internats des moyens spécifiques, au même titre que ceux que vous affirmez accorder, selon les termes de votre courrier, par « la prioritarisation des moyens », « au profit des publics à besoins éducatifs particuliers ».
Cette orientation avait été retenue par le passé dans notre académie et avait alors donné des résultats tangibles, permettant un soutien scolaire efficace et un suivi particulier pour les élèves les plus en difficultés.
Malheureusement, assistant récemment au Conseil d’administration du Collège de St-Amant-Roche-Savine, j’ai pu constater que les moyens se réduisent année après année, au grand désespoir d’une équipe pédagogique motivée et consciente de ce que pourrait représenter une offre éducative plus adaptée. Cette situation, résultat d’une approche strictement comptable, est, comme vous le savez, générale dans notre département.
Je tenais, Monsieur l’Inspecteur d’Académie, à vous livrer ces quelques réflexions, alimentées par une longue expérience de principal de collège rural, mais aussi par des contacts plus récents avec des parents d’élèves, des enseignants et des élus confrontés à la désastreuse politique gouvernementale dans le domaine de l’éducation.
Bien évidemment, je porterai ce discours au Parlement dès la semaine prochaine, durant le débat du projet de loi d’orientation pour l’avenir de l’école.
Restant à votre disposition pour tout échange, je vous de croire, Monsieur l’Inspecteur d’académie, en l’expression de mes salutations respectueuses.
André CHASSAIGNE
PJ :
- Préparation de la rentrée scolaire 1997 (20 mars 1997)
- Discours de Jacques Lang (19 décembre 2000)
Copie de ce courrier aux associations des parents d’élèves, aux organisations syndicales d’enseignants et aux communautés éducatives des petits collèges ruraux.