07-10-2005

Statut du fermage et bail agricole.

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LOI D’ORIENTATION AGRICOLE (suite)

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi d’orientation agricole.

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M. André Chassaigne - Pour dresser un bilan de l’excellente soirée d’hier, l’intérêt du fonds agricole n’a aucunement été démontré. Monsieur le ministre Dupond, vous nous avez dit : « le fonds c’est bien, c’est quelque chose de bien », et Monsieur le rapporteur Dupont a affirmé : « le fonds c’est bien, c’est quelque chose de bien ».

Certes, vous avez indiqué que le fonds présenterait un avantage en matière successorale, ce que M. Dionis du Séjour a démenti en s’appuyant sur son expérience personnelle. Je vous mets donc au défi de présenter un seul argument en faveur du fonds agricole.

Mais c’est vraiment le bail cessible, dont nous parlons aujourd’hui, qui décroche le pompon ! Vous nous dites qu’il sera optionnel. Mais cela anéantit l’objectif que vous voulez lui assigner ! Dans le département de la Haute-Loire, vous avez jusqu’à 30 ou 40 propriétaires différents pour une même exploitation agricole ! Un même fonds comportera à la fois des parcelles sous bail cessible et d’autres sous bail classique. En outre, les baux ne seront pas tous signés à la même date s’il y a plusieurs propriétaires. Comment voulez-vous obtenir ainsi une entité économique performante ? L’article 2, au fond, anéantit les objectifs purement verbaux de l’article premier.

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M. André Chassaigne - L’amendement 664 a le même objet. Vous prétendez que les fermiers approuvent vos propositions ? Certes, le fonds agricole suscite un certain intérêt, dans la mesure où est garanti le maintien du statut du fermage. Mais le bail cessible provoque de fortes craintes : dans le Massif central, les fermiers souhaitent un fonds qui permettra la cessibilité du bail, mais demandent également un encadrement réglementaire des grands principes qui fondent le statut du fermage. La pérennité des exploitations est menacée par la multiplicité des propriétaires et la diversité de la durée des baux. Quelles seront les perspectives à long terme d’un fermier dont l’exploitation est menacée en tant qu’entité ? Le bail cessible remplacera progressivement le bail classique, car les propriétaires y verront leur intérêt. Il y aura donc un vaincu - le fermier - et un vainqueur - le syndicat des marquis !

M. Yves Simon - N’importe quoi !

M. Antoine Herth, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire - La commission a repoussé ces amendements.

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche - Défavorable.

Les amendements 491 et 664, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Michel Raison - Merci à l’opposition de se faire le meilleur avocat de nos propositions ! Après que M. Gaubert, hier, a dit la nécessité d’introduire les DPU dans le fonds, M. Chassaigne a démontré aujourd’hui que le plus gros inconvénient du bail cessible serait de ne pouvoir être appliqué à chaque fois ! (Protestations de M. Chassaigne ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Tocqueville disait que lorsque le passé n’éclaire plus l’avenir, le présent marche dans les ténèbres - grâce à vous Monsieur le ministre, nous marchons dans la lumière !

M. François Brottes - Il faudra lui donner le mérite agricole !

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M. André Chassaigne - Monsieur Raison, ne dites pas n’importe quoi, nous voulons simplement vous montrer toutes les contradictions de ce dispositif voué à l’échec. Inutile de jouer sur les mots, le bail cessible conçu pour faire fonctionner le fonds agricole que vous avez voté hier, ne manquera pas de poser des problèmes importants.

L’amendement 669 vise à vous prouver qu’il y avait une autre manière de traiter le bail cessible, notamment en respectant le statut du fermage. Face à nos interpellations, vous n’avez eu de cesse de nier qu’atteinte fût portée à ce statut, mais que l’augmentation de 50% du loyer, la réduction de la durée de préavis du bail de 18 à 12 mois, le droit pour le bailleur de ne pas renouveler le bail sans justification contre le versement d’une indemnité compensatrice de licenciement, la remise en cause du caractère automatique du renouvellement du bail, en totale contradiction d’ailleurs avec la création du fonds, ne constituent-ils pas autant d’atteintes ? Le statut précédent posait le principe d’un bail de neuf ans renouvelable, et vous voulez aujourd’hui le transformer en bail de 18 ans, avec un seul renouvellement garanti de cinq ans. Ne songez-vous pas qu’en ne garantissant que 23 ans, vous obligerez nombre d’exploitants à changer de ferme au cours de leur carrière ?

Aujourd’hui, le fermage est d’ordre public, mais vous créez tant de dérogations à ce statut que de fait, il perdra ce caractère et il est fort à craindre qu’un droit des contrats classique ne s’impose à terme.

M. le Rapporteur - Avis défavorable à ces deux amendements.

M. André Chassaigne - Sans aucun argument !

M. le Ministre - Même avis.

M. André Chassaigne - Quel mépris !

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M. le Rapporteur - La commission a rejeté cet amendement. A propos des interventions précédentes, je voudrais expliquer à M. Chassaigne, dont j’ai senti la déception, qu’au vu du débat d’hier soir, je ne pensais pas nécessaire de me lancer dans de nouvelles explications. Je précise simplement que le titre VIII, sans rien enlever au statut actuel du fermage, ouvre la cession du bail hors du cadre familial, ce qui permettra de valoriser, au cours d’une carrière, l’ensemble d’une entreprise, et de la transmettre aux générations suivantes.

Et puisque l’on a commencé hier à citer des adages, celui-ci plaira sans doute à nos amis de l’opposition : un paysan qui meurt sans successeur est un paysan qui meurt deux fois ! Le bail cessible permet de répondre au drame personnel de ces agriculteurs qui n’ont pas de successeur direct en ouvrant les portes de l’agriculture aux nombreux jeunes qui souhaitent s’y engager.

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M. André Chassaigne - Peut-être, mais l’amendement de M. Guillaume est frappé au coin du bon sens. Dans le dispositif que vous proposez, au bout de vingt-trois ans, le propriétaire aura toute latitude pour congédier son locataire, que celui-ci ait ou non réalisé des investissements de moyen et long termes. C’est un recul par rapport au statut actuel, même si l’on ne rétablit pas le fermage à trois ans qui prévalait avant-guerre. Imaginez que l’on applique les mêmes règles à un chef de PME : comment pourrait-il gérer correctement son affaire sans savoir s’il sera encore là l’année d’après ? L’amendement de M. Guillaume dresse une digue fort utile face au déferlement de vos attaques contre le statut du fermage.

Mme Brigitte Barèges, rapporteure pour avis - Au risque de me répéter, je rappelle que la création du bail cessible « 18+5 » n’enlève rien au statut actuel du fermage et apporte par contre une souplesse bienvenue. Le recours au bail cessible reste optionnel, les autres formes de contrats - notamment le bail de carrière - existant toujours.

M. Michel Raison - Compte tenu de ces précisions, je retire l’amendement 855.

M. Jean-Charles Taugourdeau - Un mot pour faire valoir à notre collègue Chassaigne que la comparaison avec un chef d’entreprise est particulièrement mal venue dans la mesure où un patron de PME ne peut jamais savoir ce que lui réserve l’avenir et si son affaire sera toujours sur pieds à moyen terme.

L’amendement 78, mis aux voix, n’est pas adopté, non plus que l’amendement 39 rectifié.

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M. André Chassaigne - Notre amendement 665 tend à prévenir le renchérissement considérable du prix du bail risquant de découler de l’introduction du bail cessible. On ne peut pas répéter partout que l’on va insuffler du dynamisme dans l’agriculture et promouvoir des modèles performants tout en plombant les exploitants par des surcroîts de charges difficilement supportables.

M. le Rapporteur - Défavorable. Et ne nous reprochez pas de vouloir introduire plus de dynamisme dans l’activité, ou vous serez soupçonné de préférer la stagnation !

L’amendement 665, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n’est pas adopté.

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M. André Chassaigne - Vraiment, je découvre un nouveau M. Mariani ! Voilà que l’ultralibéral promeut une agriculture administrée, contrairement à ce que prônent le ministre et le rapporteur ! Effectivement, donner à une autorité administrative la possibilité de limiter la hausse des loyers est de bon sens. Je voterai son amendement. Monsieur Guillaume l’a dit également, il faut raison garder.

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M. André Chassaigne - Je demande une suspension de séance.

M. le Président - Elle est de droit.

La séance, suspendue à 10 heures 55, est reprise à 11 heures 10.

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M. André Chassaigne - Je défends l’amendement 667 avec d’autant plus de satisfaction qu’il a été retenu en commission. La réduction de dix-huit mois à un an de la durée du préavis porte une atteinte supplémentaire au statut du fermage. Mes collègues agriculteurs détailleront bien mieux que moi les conséquences de cette disposition sur la saison culturale, mais il est évident qu’il sera plus difficile pour le fermier de s’organiser en cas de congé sur une partie de la propriété exploitée. Il s’agit de maintenir en l’état le statut du fermage

M. le Rapporteur - La commission a en effet repris cet amendement, sous le numéro 286. Une fois de plus, n’introduisons pas de confusion, cette fois sur les délais. Le chiffre de dix-huit mois est gravé dans tous les esprits : introduire un délai différent engendrerait immanquablement du contentieux. L’argumentation de M. Chassaigne touche à la perfection : la production agricole est soumise à des cycles longs qui nécessitent des délais suffisants pour que les exploitants puissent s’adapter. Je salue donc la clairvoyance de M. Chassaigne et sa contribution à nos travaux.

M. le Ministre - le Gouvernement est naturellement favorable.

Les amendements 286 et 667, mis aux voix, sont adoptés.

M. le Président - A l’unanimité.

Mme Barèges, rapporteure pour avis - - Il a beaucoup été question de la durée du bail. Selon la loi, ce dernier peut être renouvelé pour une durée de cinq ans au moins : par l’amendement 177, la commission des lois souhaite préciser qu’il s’agit d’une durée minimale.

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M. André Chassaigne - L’amendement 668 s’inscrit dans la continuité des autres amendements que j’ai déposés pour maintenir en l’état le statut du fermage. L’article L. 411-5 du statut du fermage précise que la durée du bail ne peut être inférieure à neuf ans. La continuité des investissements et des choix de culture nécessite des durées suffisantes.

M. Jean Dionis du Séjour - Le dispositif que nous construisons tient déjà grand compte de l’intérêt des propriétaires. Mais la période de renouvellement de cinq ans n’est pas naturelle en soi. Nous voulons bien croire qu’elle résulte d’un accord entre les partenaires sociaux, mais une durée de neuf ans aurait une portée symbolique plus forte pour le monde agricole. C’est l’objet de notre amendement 933.

M. Jean Gaubert - Notre amendement 987 a le même objet. Notre rapporteur insistait sur l’impératif de ne pas troubler des habitudes bien ancrées dans le monde rural : la durée des baux ruraux, c’est neuf ans ou des multiples de neuf. En outre, si nous en restons là, ce sera cher payé. Si j’étais propriétaire, je ne louerais pas un bail cessible à un exploitant de plus de cinquante ans. Je me réserverais le droit de choisir le successeur et je louerais donc à quelqu’un qui resterait assez longtemps pour me faire bénéficier du surloyer. Quel serait l’intérêt de bénéficier du surloyer pendant seulement deux ans tout en se liant les mains quant au successeur ? Nous avons accordé des garanties aux propriétaires, ce qui est légitime, mais nous pouvons bien en octroyer aux fermiers avec le renouvellement automatique de neuf ans.

M. le Rapporteur - L’amendement 287 de la commission est rédactionnel. Par ailleurs, la commission n’a pas retenu l’amendement 177 de Mme Barèges, pour avoir compris que la durée pourrait être inférieure à cinq ans. Il apparaît que ce n’est pas son intention ; toutefois, cet amendement n’apporte pas de clarification.

Le bail cessible, Monsieur Chassaigne, ajoute au statut du fermage un titre VIII nouveau, mais ne porte nullement atteinte aux sept titres précédents. La commission n’a pas retenu l’amendement 668. Elle a également écarté les amendements 933 et 987, dans le souci de ne pas introduire de confusion entre le fonctionnement habituel du fermage et le nouveau bail cessible.

M. le Ministre - Je pense comme le rapporteur que l’amendement de la commission des lois n’est pas nécessaire.

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M. André Chassaigne - Pour préparer cette discussion, j’ai moi aussi rencontré l’ensemble des organisations syndicales, et je n’ai pas entendu l’unanimité dont vous parlez, Monsieur le ministre. La majorité des syndicats est même opposée à cette modification. Beaucoup y voient un coup porté au statut du fermage. C’est notamment le cas du syndicat des familles et des métayers, très proche de la FNSEA.

Au fond, cette entente des partenaires sociaux dont vous parlez masque un cadeau fait aux gros propriétaires. On demande depuis longtemps, du côté de la rue d’Athènes et du « syndicat des marquis », l’affaiblissement du statut du fermage. Vous leur donnez satisfaction, et c’est ce que vous appelez dialogue social. Quant au huitième titre du fermage, vu ses avantages pour les propriétaires, il prendra peu à peu le dessus sur les autres, qui finiront par disparaître.

M. le Rapporteur - L’Assemblée nationale a une liberté d’appréciation, et c’est dans ce cadre qu’a été mené le débat au sein de la commission des affaires économiques, dont je vous présente les positions. Son souci est de conserver l’économie générale du statut du fermage, dans un domaine où les cycles sont longs - de l’ordre de la génération. Le dispositif nouveau est certes un événement. Cette évolution a été demandée par l’ensemble des parties. Toutes ont des craintes légitimes, mais toutes ont placé un espoir dans le huitième titre. Il nous revient de ne pas les décevoir en jouant notre rôle d’orientation, en éclaircissant le cadre juridique et en éliminant, en amont, les sources de contentieux. J’insiste sur l’importance de différencier les clauses de rendez-vous entre bailleurs et preneurs par rapport au fermage classique - ce qui n’empêche pas les parties, si elles le souhaitent, de se caler sur le délai de neuf ans. De même c’est librement que la commission a jugé préférable de garder la situation actuelle pour le congé.

Les amendements 177, 668, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés, non plus que les amendements 933 et 987.

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M. André Chassaigne - Ce texte s’inscrit dans la logique implacable qui marque l’ensemble de votre politique. Après avoir créé le contrat nouvelle embauche, summum de la précarité puisqu’il permet de licencier sans aucune justification….

M. Jean Dionis du Séjour - Le summum de la précarité, c’est le chômage !

M. Yves Simon - Et les TUC alors ?

M. André Chassaigne - …vous voulez permettre de casser un bail sans davantage de justification. Vous appliquez aux agriculteurs la même politique qu’aux salariés (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Mon amendement 666 tend donc à supprimer le dernier alinéa de cet article.

M. le Rapporteur - L’amendement 81 de M. Guillaume, amendement de coordination par rapport à son exposé précédent sur le bail de carrière, n’a pas été retenu en commission. Quant à l’amendement 666, la commission l’a rejeté, évitant par là même de futures déconvenues à M. Chassaigne, qui n’avait sans doute pas réalisé que son amendement supprimait l’indemnité due par le bailleur.

M. le Ministre - Dans l’intérêt de M. Chassaigne, avis défavorable.

M. François Guillaume - Il n’est tout de même pas normal que le fermier sortant puisse imposer au propriétaire un fermier entrant, éventuellement par une décision du tribunal paritaire des baux ruraux. C’est là une véritable atteinte aux droits des propriétaires !

Par ailleurs, qui va garantir le paiement du fermage par le fermier entrant, imposé au propriétaire ? Je soutiendrai un amendement pour que le fermier sortant qui a proposé au tribunal paritaire des baux ruraux le fermier entrant, garantisse le paiement du fermage de ce dernier, au moins jusqu’à la fin du bail en cours dont il a cédé une partie.

Les amendements 81 et 666, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

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M. André Chassaigne - Ces échanges techniques ne doivent pas nous faire oublier l’essentiel et j’avoue que la crispation du rapporteur me met un peu la puce à l’oreille : ne s’agit-il pas, en définitive, de favoriser la reprise par des investisseurs, de manière à conforter la dérive capitalistique que vous appelez de vos vœux ? (« Délirant ! » sur les bancs du groupe UMP) Mais si l’exploitation est reprise par une société de capitaux, ne sera-t-il pas difficile de fournir toutes les informations sur ce repreneur ?

M. Michel Raison - Ne perdons pas de vue la dimension humaine de tout cela ! C’est à croire que certains ne connaissent pas le terrain si bien qu’ils le disent. Les gens se rencontrent, discutent, échangent les informations utiles… Il faut leur faire confiance. Bien entendu, il est tout à fait légitime - et c’est évidemment ce qui se produira - que le propriétaire rencontre le futur preneur et discute avec lui.

M. André Chassaigne - Vous avez déjà discuté avec un fonds de pension ?

[…]

Pour en savoir plus : Assemblée Nationale

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