Table ronde contradictoire sur le thème « Les enjeux environnementaux des OGM »
(extrait du procès-verbal de la séance du 8 février 2005)
· M. Antoine MESSÉAN, vice-président de la Commission du génie biomoléculaire
· M. Pierre-Henri GOUYON, membre de la Commission de biovigilance, directeur du laboratoire UPS-CNRS d’écologie, systématique et évolution et professeur à l’Université Paris-Sud
· M. Jacques TESTART, directeur de recherches à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et co-organisateur du « débat des 4 sages » sur les OGM en 2002
· Confédération paysanne : M. François DUFOUR, membre de la commission OGM
· Jeunes agriculteurs : M. William VILLENEUVE, secrétaire général adjoint
· Greenpeace France : M. Arnaud APOTEKER, responsable « campagne OGM »
· M. Yves CHUPEAU, président du centre de recherche de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) à Versailles-Grignon
· Professeur Louis-Marie HOUDEBINE, chercheur à l’INRA à l’unité biologie, développement et biotechnologies
· M. Alain TOPPAN, directeur de recherches chez Biogemma
· Les amis de la Terre : M. Jordi ROSSINYOL, membre du groupe de travail sur les OGM
· M. Dominique BOURG, philosophe et professeur à l’université de technologie de Troyes
Présidence de M. Jean-Yves LE DÉAUT, Président puis de M. André CHASSAIGNE, Secrétaire
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M. André CHASSAIGNE : Cet échange démontre à quel point les essais en plein champ sont indispensables si l’on veut une vérification scientifique… Et contrairement à ce qu’affirme M. Dufour, les arrachages ont également porté sur des cultures à but médical, à l’image de l’essai de production de lipase gastrique mené par Meristem Therapeutics, détruit en pleine nuit.
M. François DUFOUR : Je répète que nous ne pouvons accepter de voir nos champs servir de laboratoires. Pour un paysan produisant et vendant sous label des produits garantis sans OGM, le risque est réel de voir demain des consommateurs se retourner contre nous. De telles expérimentations ne peuvent être menées qu’en milieu confiné, interdisant toute possibilité de contamination vers des cultures voisines.
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Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : J’allais poser la même question que M. Chassaigne. A supposer qu’une expérimentation en plein champ soit justifiée, est-il possible d’éviter tout risque de dissémination ? Ne pourrait-on imaginer que ces expérimentations en plein champ puissent être réalisées sur des terrains appartenant à des organismes publics de recherche et clos par tous moyens appropriés ?
Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : A croire M. Messéan, certains essais en plein champ sont inévitables. Mais cet avis ne semble pas partagé par tous les chercheurs. Dans la mesure où ils ont déjà été menés aux Etats-Unis, en Afrique du Sud et ailleurs, pourquoi faudrait-il les refaire en France, et sous quelles conditions ? Ajoutons que, même s’il ne nous en reste plus que 7,2 hectares, dont la moitié saccagée, beaucoup d’expérimentations ont été faites en France depuis 1987, qui n’ont pas été arrachées. Nous devrions donc avoir quelques références.
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M. le Président : La CGB, comme le rapporteur parlementaire, avaient, dès 1998, demandé le moratoire sur le colza. Ce problème avait bel et bien été traité. Reste celui, évoqué par M. Chassaigne, des essais détruits, alors qu’ils ne devraient pas l’être. C’est différent…
M. Pierre-Henri GOUYON : Ce serait différent si l’autorité compétente - pas la CGB, mais celle qui s’inspire de ses avis - avait décidé que certaines expérimentations ne se feraient pas. Tout le problème est là.
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M. André CHASSAIGNE : On peut concevoir, à vous entendre, des expérimentations en plein champ pour peu qu’ils soient motivés et entourés de toutes les précautions nécessaires. Mais si l’on ne va jamais voir ce qui se passe à l’extérieur des parcelles expérimentales, ou si l’on encadre si bien que plus rien ne risque de se produire au-dehors, quelle peut être l’utilité d’essais en plein champ ? Et si d’éventuelles disséminations se produisaient, en quoi auraient-elles un effet irréversible sur les cultures environnantes ?
M. Antoine MESSÉAN : J’ai simplement répondu à une question précise : les essais au champ peuvent-ils être confinés ? Je n’ai pas dit que c’est ce qu’il fallait faire. En tout cas, n’allez pas croire que l’on ne regarde jamais ce qui se passe en dehors des champs d’expérimentation. Non seulement les essais sont sous la surveillance permanente de l’autorité publique, mais les parcelles voisines, dans la plupart des cas, et particulièrement lorsqu’il s’agit de colza, font l’objet d’un suivi sur plusieurs années - jusqu’à neuf ans. Les données ainsi recueillies sont-elles suffisantes ? Sûrement pas. Mais on ne peut pas dire que rien n’est fait.
En fait, l’évaluation est un processus continu et dynamique. Ce n’est pas parce que l’on aura fait tels essais en laboratoire, en serre puis au champ que l’on peut se croire autorisé à faire de même sur des millions d’hectares. Cette manière de procéder est révolue, grâce notamment aux OGM, et il doit en être de même pour toutes les innovations en agriculture.
En tant que chercheur, M. Cochet, je suis le premier à regretter que l’on n’investisse pas assez dans la compréhension des phénomènes. Mais cela ne signifie pas que l’on ne sache rien. Même si l’on ne sait pas tout - on ne saura jamais tout -, le corpus de données dont on dispose d’ores et déjà permet une certaine théorisation. Des modèles de dispersion et de dissémination ont été mis au point par l’équipe de Pierre-Henri Gouyon et l’INRA, y compris un modèle mathématique destiné à prédire le devenir des plants de colza en fonction des parcellaires et des pratiques agricoles, et que nous avons pu confronter aux observations recueillies sur le terrain. Nous disposons déjà d’un premier embryon de théorie même si, j’en suis d’accord, nous n’allons pas encore assez vite dans l’appréciation des risques systémiques. On ne peut, comme le disait M. Dufour, évaluer une technique indépendamment du contexte et les interactions sont extrêmement complexes.
Si nous ne pouvons pas extrapoler ce qui se passe outre-Atlantique, ce n’est pas seulement parce que les Américains et les Canadiens ne nous disent pas tout, mais également parce que nos pratiques agricoles sont très différentes. Pour le colza par exemple, certaines pratiques culturales peuvent multiplier le risque de dissémination par quinze, d’autres les diviser par quarante. Certaines, comme les rotations de culture ou l’entretien des bordures, peuvent avoir, selon les cas, des effets contradictoires et insoupçonnables à long terme. En tout état de cause, l’expérimentation au champ sur un an ne saurait suffire.
Se pose enfin la question des dispositifs de surveillance et de l’observatoire. Qu’est-il prévu pour le Bt 11, puisque la question a été posée par Jacques Testart ? La directive 2001/18/CE oblige le pétitionnaire à soumettre un plan de gestion et un plan de surveillance. Il est urgent de transposer ces dispositions en droit français - ce qui ne signifie pas pour autant que le Comité de biovigilance doive rester provisoire… Si parfaites que soient les théories, le suivi et la biovigilance sont indispensables. Ce concept n’est pas nouveau, il s’applique d’ores et déjà aux médicaments et a été introduit depuis dix ans dans le droit français. Encore faut-il passer aux travaux pratiques, arrêter la méthode, définir les instruments, mettre en place les observatoires capables de mesurer les impacts et d’évaluer les pratiques agricoles. Beaucoup de choses existent d’ores et déjà, mais trop éclatées, trop fragmentées pour être efficaces. Nous réclamons depuis plus de dix ans des dispositifs de biovigilance concrètement opérationnels, assortis de protocoles précis. Nous insistons devant vous pour que tout cela se fasse dès maintenant, conformément à ce que prévoit la directive 2001/18/CE.
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(M. André CHASSAIGNE remplace M. Jean-Yves LE DÉAUT à la présidence)
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M. André CHASSAIGNE, Président : Pensez-vous que la création de zones refuges puisse à cet égard avoir un effet positif ? L’idée de nouvelles pratiques agricoles a été avancée à plusieurs reprises. Peut-être nous permettra-t-elle de sortir d’échanges dans lesquels le politique a le plus grand mal à se faire une idée, perdu entre des études scientifiques présentées comme imparables, mais aux conclusions parfois radicalement opposées. J’en viens même à me demander si certains d’entre vous ne poussent pas un peu le trait en s’appuyant sur certaines études, à défaut de pouvoir justifier leur propos…
M. Gabriel BIANCHERI et M. Louis GISCARD D’ESTAING : Très juste !
M. Antoine MESSÉAN : Il faut effectivement insister sur les pratiques et chercher à savoir ce qui est tolérable et ce qui ne l’est pas. Je vous ai parlé des disséminations, mais leur impact dépend du système dans lequel on s’insère. Pour ce qui concerne le soja, par exemple, le problème en Argentine n’est pas tant que l’on ait remplacé le soja par du soja OGM, mais bien que l’on ait remplacé la prairie par du soja afin d’exporter vers l’Europe ! Comment voulez-vous prédire ce genre d’interaction ? Nous en sommes difficilement capables aujourd’hui.
Toujours à propos des pratiques agricoles, le soja résistant à l’herbicide permet, certes, de réduire les applications, mais également de passer à la technique du non-travail du sol. Dès lors, l’agriculteur épandra le glyphosate une seule fois sur la culture en place, mais il l’appliquera également avant, au lieu de labourer, pour préparer le semis. Est-ce un bien ? Il faudrait comparer l’impact relatif du glyphosate sur l’environnement, le gain en consommation de fuel, donc en émission de gaz à effet de serre, etc.
S’agissant des zones refuges, une recommandation préconise 20 % pour le coton Bt, mais sans indiquer précisément comment il faudrait les répartir sur le territoire. Or, une publication de santé montre que plutôt que de laisser chaque agriculteur se ménager son 20 %, mieux vaudrait cultiver le coton Bt sur de grandes parcelles et préserver des zones refuges importantes. Tout porte à croire qu’il devrait en être de même avec le maïs.
Compte tenu de la diversité et de l’imprédictibilité des situations et des interactions, la nécessité de dispositifs de suivi et d’observatoires apparaît évidente. Seul un véritable suivi dans le temps permettra une réévaluation permanente et non sur la base de telle petite étude à tel endroit. Mais cela suppose également une gestion dans l’espace, un réel travail de coordination au niveau des territoires, qui n’est pas évident : on en mesure toute la difficulté dans mon exemple des champs de coton… Ce sera en tout cas un véritable challenge, pour les politiques comme pour les scientifiques.
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M. André CHASSAIGNE, Président : Reste que cette agriculture que vous appelez de vos vœux ne semble pas se généraliser au niveau mondial. N’attendez-vous décidément aucun résultat positif des OGM ?
M. François DUFOUR : Lorsque j’ai « désintensifié » mon agriculture, je n’ai même pas eu besoin des nouvelles variétés de blé. Je mélange du blé, de l’orge, un peu d’avoine et du pois fourrager, que je sème ensemble et cela remplace le soja. Je fais même un peu de lupin avec de l’orge, ce qui me rend totalement autonome.
Effectivement, cette agriculture hors des sentiers battus n’est pas reconnue dans le modèle standardisé de l’agriculture mondiale, qui consiste à faire de la monoculture pour remplir de grands silos et exporter. Autrefois, il y avait des bovins, des ovins et des cochons un peu partout, qui apportaient du fumier dans les sols pour nourrir les plantes. Ce n’est pas que je veuille me passer de tout engrais. Je veux simplement des semences résistantes aux facteurs, microclimatiques notamment. J’ai retrouvé d’anciennes variétés de blé des années soixante très productives et résistantes, pour peu que l’on ait un bon assolement et un fumier bien composté, et qui n’ont pas besoin d’être sans cesse sous perfusion de produits chimiques. Mais à chaque fois que j’ai voulu utiliser des variétés modernes, j’ai systématiquement subi des invasions. Cela ne veut pas dire que l’on n’ait pas besoin de recherche. Il n’est qu’à voir le travail que nous faisons à la Confédération paysanne avec le réseau Semences paysannes et d’autres organisations. C’est de cette recherche-là dont nous avons besoin, une recherche publique tournée vers la satisfaction des besoins fondamentaux.
Tout cela, y compris la politique agricole commune, découle évidemment de choix politiques mondiaux. Je ne veux pas dire que tout soit à jeter dans la PAC mais il faut reprendre tout cela, afin de revenir peu à peu à quelque chose de plus cohérent.
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M. André CHASSAIGNE, Président : Les chercheurs publics de l’INRA que nous avons rencontrés à Clermont-Ferrand nous ont expliqué que la transgénèse permettait de tirer tout le parti du conservatoire de semences qu’ils avaient constitué pour faire évoluer les variétés actuelles. Il n’y a pas d’opposition à nos yeux entre la préservation des semences anciennes et la mise au point, grâce à la transgénèse, de variétés toujours plus adaptées. Tout cela ne peut reposer, j’en suis bien d’accord, que sur la recherche publique et il faut la doter de moyens en conséquence. Or le responsable de ce programme, sur le point de partir à la retraite, ne sera probablement pas remplacé…
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M. André CHASSAIGNE, Président : Audition après audition, on découvre toujours des choses nouvelles… J’ai appris aujourd’hui que les herbicides se promenaient dans la plante… Allez y comprendre quelque chose ! A moins qu’il ne s’agisse d’une simple affirmation…
M. Arnaud APOTEKER : Nous demandons simplement que des tests soient effectués sur les produits issus d’animaux ayant consommé des OGM pour vérifier s’ils contiennent ou non de l’herbicide. Il serait logique de trouver plus de Roundup dans une plante tolérante au Roundup que dans une plante qui ne l’est pas.
Par ailleurs, tout montre aujourd’hui que l’avènement des OGM rendra la coexistence difficile. Le seul fait de parler de seuil prouve que le consommateur aura le choix entre un petit peu d’OGM ou beaucoup d’OGM…
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M. André CHASSAIGNE, Président : Mesdames, messieurs, je vous remercie de ces échanges dont il nous reste à faire la synthèse.
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