Discussion des articles
M. le président. J’appelle dans le texte de la commission les articles de la proposition de loi.
(…)
Article 1er
M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er.
(…)
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Je souhaite appeler votre attention sur un point ayant fait l’objet de débats parfois vifs en première lecture. Je veux rappeler un fondamental. Je sais qu’en rappelant des fondamentaux, on peut se faire taxer de conservateur,…
M. Razzy Hammadi. Non !
M. Antoine Herth. On le voit bien au sujet du mariage pour tous…
M. André Chassaigne. …mais j’appelle votre attention sur le fait que certaines mesures, même dotées d’un bel habillage, peuvent parfois ouvrir la boîte de Pandore.
M. Daniel Fasquelle. Eh oui !
M. André Chassaigne. Je souhaite revenir tranquillement sur la question de la péréquation tarifaire. Je n’irai pas jusqu’à dire que ce texte remet en cause la péréquation tarifaire, mais l’évaluation du bonus-malus tiendra compte de l’altitude de la commune de résidence. Je pense vraiment que cela revient, en quelque sorte, à mettre le doigt dans l’engrenage.
M. Daniel Fasquelle. Bien sûr ! M. André Chassaigne. Nous avons, dans ce pays, un héritage du Conseil national de la Résistance, selon lequel des services apportés ne doivent pas tenir compte du lieu de résidence. Par exemple, on paiera un timbre au même prix, que son enveloppe doive parcourir dix ou cinq cents kilomètres dans notre pays.
M. Daniel Fasquelle. On va introduire un bonus-malus sur le nombre d’enveloppes envoyées !
M. André Chassaigne. Un agent de l’équipement en mission dans une petite commune rurale, pour la conseiller par exemple sur les routes, ne fera pas l’objet d’une tarification supplémentaire parce qu’il devra parcourir trente ou quarante kilomètres au lieu de cinq. De même, que l’on habite au pied de la Tour Eiffel ou dans une exploitation agricole au fin fond de l’Isère, l’électricité est payée au même tarif. Voilà ce que l’on appelle la péréquation tarifaire.
M. Daniel Fasquelle et M. Antoine Herth. C’est fini, cela !
M. André Chassaigne. Je voulais insister sur ce point, parce qu’il extrêmement important. Quand on commence à moduler un tarif en fonction du lieu d’habitation, il existe toujours un risque réel de dérapage, d’autant que certains commencent à dire – mais il faudra bien en mesurer les conséquences – que l’on pourra peut-être payer différemment l’énergie consommée selon que sa production soit, par exemple, émettrice ou non de CO2. La réflexion qui devra être conduite dans le cadre de la transition énergétique sera extrêmement importante. Selon les choix que l’on fera, on risquera de revenir sur des fondamentaux assurant l’égalité des consommateurs et faisant que notre République ne pénalise pas les habitants de tel ou tel secteur au profit d’autres.
(…)
M. François Brottes, rapporteur. Je ne sais pas combien d’heures il faudra consacrer à essayer de s’expliquer…
Je profite de ma réponse à M. Fasquelle, à qui j’ai déjà beaucoup répondu, pour dire quelques mots à André Chassaigne sur la question très importante de l’égalité d’accès. Ce principe existe depuis le Conseil national de la Résistance et est constitutionnellement très important pour nous.
Vous prenez l’exemple du timbre-poste, pour lequel je suis autant attaché que vous au tarif unique. Quelle est la question posée en termes de besoin et de service ? Lorsque j’envoie une lettre, il faut qu’elle arrive à destination et que je ne sois pas pénalisé, dans le prix de l’envoi, en fonction de mon lieu d’habitation et de la distance à laquelle j’envoie ma lettre. Le besoin fondamental auquel il est répondu est celui de pouvoir communiquer, d’où que l’on communique et quel que soit l’endroit vers lequel on communique : voilà l’égalité d’accès assurée par un tarif unique.
M. André Chassaigne. Ce n’est plus le cas : il existe plusieurs tarifs…
M. François Brottes, rapporteur. Certes, mais le tarif n’est pas régionalisé. Il existe plusieurs tarifs uniques, si vous préférez.
À la cantine, si vous voulez instaurer un tarif unique pour des raisons de justice, le besoin auquel il faut répondre est que les enfants mangent quels que soient les revenus de leurs parents : ils ont tous le droit d’être nourris.
Il se trouve donc que les enfants de familles plus pauvres ne pourraient pas manger à leur faim à la cantine si un tarif unique était appliqué. L’approche choisie consiste à différencier le tarif pour répondre au besoin essentiel auquel on cherche à répondre, pour que les enfants puissent manger à leur faim à midi.
En matière d’énergie, qu’est-ce que l’égalité d’accès ? Quel que soit mon besoin d’énergie, je dois avoir une réponse d’équité. Dans les endroits par nature beaucoup plus froids que d’autres, mon besoin d’énergie est beaucoup plus grand que ce qu’il serait ailleurs. Il faut prendre cela en compte ; sinon, il n’y a pas d’égalité d’accès à l’énergie. Là où il fait plus froid, j’aurai le même salaire que là où il fait plus chaud, et le prix de l’énergie sera inchangé. Soit, mais alors ce qui compte c’est l’égalité d’accès. Cela ne passe pas toujours, monsieur Chassaigne, par le tarif unique. J’ai essayé de vous donner quelques exemples pour vous le montrer : le tarif unique, c’est important, mais ce n’est pas forcément la panacée pour résoudre les questions d’égalité d’accès.
Je sais bien que, dans les villes de droite, en fait d’égalité d’accès, c’est le même prix pour tout le monde à la cantine, et qu’il en va de même en matière d’aide aux classes de découverte.
M. Daniel Fasquelle. Caricature !
M. François Brottes, rapporteur. Parfois, il y a un peu plus d’équité.
M. Daniel Fasquelle. Je suis sûr que vous ne faites pas autant pour les enfants que moi dans ma commune, monsieur Brottes !
M. François Brottes, rapporteur. J’ai dit que c’était parfois le cas. Je suis prêt à reconnaître que beaucoup de communes, dont la vôtre fait certainement partie, font preuve de justice et n’ont donc pas un tarif unique à la cantine. Je ne connais pas suffisamment les cantines de votre commune mais, si vous avez le sentiment d’accomplir une mission de service public importante et que vous n’appliquez pas un tarif unique, vous comprenez que ce qui compte c’est que l’on puisse répondre au besoin fondamental considéré. L’énergie est un besoin fondamental. Communiquer est un besoin fondamental. Pouvoir se nourrir et se chauffer, c’est aussi un besoin fondamental. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
(…)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 105 et 39 rectifié, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n° 105.
M. André Chassaigne. Je le retire, monsieur le président, au profit d’un amendement mieux écrit et plus pertinent que j’ai déposé sur l’article 6.
(L’amendement n° 105 est retiré.)
(…)
M. François Brottes, rapporteur. Vous tenez parfois, monsieur Pancher, des propos quelque peu excessifs à mon égard, mais peu importe, je serai aussi courtois que je sais l’être.
Souvenez-vous : je vous avais indiqué, lors des travaux en commission, qu’il était préférable que votre proposition – que je trouve intéressante – s’applique à l’article 6. Je vous l’avais explicitement dit. Vous aviez d’ailleurs retiré cet amendement en commission, afin de le présenter à nouveau sur l’article 6. Je note que vous n’avez pas bien entendu ce message – ce qui explique peut-être, d’ailleurs, que vous ayez voté tout à l’heure pour la motion de renvoi en commission. C’est dommage.
Je vous propose de retirer cet amendement puisqu’il ressemble beaucoup à celui que M. Chassaigne vient de retirer, à propos duquel j’ai dit que je donnerai un avis favorable pourvu qu’il s’applique à l’article 6. La préoccupation à laquelle il entend répondre est fondée. Je viens de démontrer pourquoi nous avons choisi ce calendrier, que vous critiquiez peut-être un peu précipitamment tout à l’heure : c’est précisément pour qu’il y ait correspondance entre ce que vous souhaitez et ce que nous mettons en place. Nous sommes donc en parfaite cohérence ! Il serait bon que vous retiriez cet amendement, puisque vous aurez satisfaction tout à l’heure, par l’intermédiaire de l’amendement de M. Chassaigne, qui a, lui, anticipé sur ce sujet.
M. André Chassaigne. La vie parlementaire exige de la finesse, messieurs ! De l’intelligence ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n° 104.
M. André Chassaigne. Nous en revenons à l’échange qui a eu lieu il y a un instant sur la responsabilité du propriétaire.
Parmi les faiblesses de ce texte figurera l’insuffisante implication des propriétaires car l’on renvoie à des décisions qui pourront être prises ultérieurement. La plupart des articles font référence au consommateur. Certes, celui-ci a une part de responsabilité de par son comportement, mais le propriétaire aussi en porte une part.
On compte environ 27 millions de logements dans notre pays. Il est bien évident que l’ensemble de ces logements n’exigeront pas la réalisation de travaux de performance énergétique. On avance le chiffre de 500 000 logements par an qu’il faudrait mettre au niveau en termes de performance énergétique pour un coût de 20 000 à 30 000 euros. Cela représente une dépense annuelle de 10 à 12 milliards d’euros. Sur ces sommes, l’État interviendrait à hauteur de 20 %.
Il va donc bien falloir financer les travaux de performance énergétique. Pour partie, le locataire s’y retrouvera avec des économies de consommation. Mais cela exige de bien clarifier la situation entre le locataire et le propriétaire. Si l’on n’y parvient pas, les objectifs recherchés ne seront pas atteints et les propriétaires, notamment, ne se sentiront pas impliqués. Les locataires les plus modestes, lesquels occupent bien souvent des logements considérés comme des passoires énergétiques, seront en situation de précarité énergétique avec des sommes importantes à payer. Quoi qu’il en soit, on n’aura pas répondu aux objectifs de la proposition de loi.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Brottes, rapporteur. Je me suis déjà expliqué sur les raisons qui nous ont amenés à supprimer cette disposition dont je suis du reste à l’origine.
La fragilité juridique était évidente si, au détour de ce texte, nous avions modifié le bail qui lie un propriétaire et un locataire.
M. Lionel Tardy. En effet !
M. François Brottes, rapporteur. D’autre part, c’était insuffisant en termes de responsabilisation des propriétaires. C’est pourquoi j’ai souhaité que l’article 6 indique que dans le cadre des missions du service public de la performance énergétique, la question des propriétaires soit traitée.
Dans son propos liminaire, Mme la ministre a fait part de la réflexion du Gouvernement en direction des propriétaires les plus pauvres sur un dispositif de tiers investisseur qui porte 100 % de la rénovation thermique du logement et qui se rémunère sur l’économie d’énergie réalisée. Les passoires énergétiques sont pour nous une cible prioritaire. Il faut combler ce gap …
M. Daniel Fasquelle. Le fossé et non le gap !
M. François Brottes, rapporteur. C’est là que se réaliseront les économies d’énergie les plus importantes. Gagner presque 50 % de consommation d’énergie grâce à des travaux d’amélioration thermique est un enjeu national considérable. Multipliés par des dizaines de milliers de logements, on en mesure l’importance.
Il faut centrer les soutiens publics sur ces passoires énergétiques. En aucun cas, les propriétaires ne doivent être oubliés dans le dispositif. Ils doivent être associés, impliqués. La formule à laquelle nous étions parvenus en première lecture avait le mérite d’exister, mais sa fragilité au plan juridique aurait compromis sa mise en œuvre.
Avis défavorable pour cette raison.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Delphine Batho, ministre. La volonté du Gouvernement est de responsabiliser les propriétaires, pas seulement sur le bonus-malus, mais également sur la situation des logements qualifiés de passoires thermiques. Les questions de savoir ce qui doit relever de l’incitation ou de l’obligation – à partir de quelle classe énergétique par exemple, il faut considérer qu’une anomalie doit engendrer un certain nombre de contraintes pour le propriétaire – doivent être abordées dans une perspective d’ensemble.
Un projet de loi traitant de ces sujets sera présenté au conseil des ministres au mois de juin. Nous pensons que des dispositions législatives entreront en vigueur avant l’application effective du bonus-malus en 2015. Elles s’articuleront entre la mise en place de dispositifs de soutien opérationnels pour réaliser les travaux de rénovation énergétique, l’application du bonus-malus et la prise en considération de ce qui relève de la responsabilité d’un propriétaire vis-à-vis de son locataire.
Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Méfions-nous, monsieur le rapporteur, de la définition des tiers investisseurs. On a vu le résultat des partenariats public-privé. Ne créons pas de partenariats privé-privé avec des circuits financiers qui pourraient s’alimenter en préfinançant les travaux de rénovation. Mettons plutôt en mouvement la Banque publique d’investissement par exemple …
Mme Delphine Batho, ministre. Ce sera la Caisse des dépôts et consignations.
M. André Chassaigne. …ou d’autres organismes d’État comme la Caisse des dépôts et consignations.
La perspective que le tiers investisseur puisse être quelque groupe financier qui en profiterait pour s’engraisser sur le dos des locataires et des propriétaires est préoccupante.
M. Lionel Tardy. La BPI ne peut pas tout.
Mme la présidente. La parole est à M. François Brottes.
M. François Brottes, rapporteur. Sur le principe, vous avez raison, monsieur Chassaigne. Mais en l’occurrence, la recherche du profit en cette matière n’est pas au rendez-vous.
Dans le domaine de la rénovation de l’habitat, le retour sur investissement est long, à l’échelle de plus d’une génération. On a besoin de personnalités morales qui s’inscrivent dans une démarche de temps long parce qu’ils remplissent une mission de service public. Il n’y a guère que des organismes liés aux pouvoirs publics, comme la Caisse des dépôts, qui répondent à ces critères.
Quelle que soit sa volonté, le marché ne sera jamais intéressé car il escompte un retour sur investissement à deux, trois ou cinq ans. L’investissement est lourd au départ. Cela rapporte beaucoup en économies d’énergie aux habitants du logement. Mais l’amortissement en lui-même appartient au temps long. De ce point de vue, la démarche est clairement d’intérêt public.
(L’amendement n° 104 n’est pas adopté.)
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n° 103, qui fait l’objet d’un sous-amendement n° 223 présenté par la commission des affaires économiques.
M. André Chassaigne. Cet amendement est défendu.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour soutenir le sous-amendement n° 223.
M. François Brottes, rapporteur. Monsieur Chassaigne, je propose de sous-amender votre amendement…
M. André Chassaigne. Ce sera une grande victoire !
M. François Brottes, rapporteur.…pour pouvoir lui donner un avis favorable, car je n’ose imaginer que vous pensiez qu’on ne puisse pas établir directement, d’homme à homme si je puis dire, les relevés en question. Cela ne peut pas se passer uniquement par voie postale, électronique et téléphonique.
Je propose donc d’ajouter le mot « notamment », parce que sinon votre amendement exclurait la possibilité que des êtres humains se rencontrent sur le terrain ; je n’imagine pas trente secondes que vous souhaitiez à ce point supprimer des emplois !
M. André Chassaigne. D’accord, monsieur le rapporteur, cela donnera du sens à ce texte fondamental !
(Le sous-amendement n° 223, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L’amendement n° 103, accepté par le Gouvernement, sous-amendé, est adopté.)
(…)
(L’article premier, amendé, est adopté.)
Voir le compte-rendu intégralsur le site de l’AN.
Voir l’intervention générale d’André Chassaigne sur le texte.
Voir tout le dossier.